Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du jeudi 25 mai 2023 à 17h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La commission, réunie en commission d'évaluation des politiques publiques, procède à l'audition de M. Éric Dupont-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice.

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Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

C'est un grand plaisir pour moi que de rendre compte devant vous de l'utilisation des moyens en forte hausse du ministère de la justice en 2022. Ce renforcement massif des moyens est ma priorité : l'héritage des trente dernières années n'est pas soldé, la route sera longue ; mais le cap est clair, sous l'autorité du Président de la République et de la Première ministre : donner à la justice les moyens d'être plus rapide, plus efficace, plus proche – bref, à la hauteur des attentes de nos concitoyens.

La loi de finances initiale pour 2022 a octroyé 8 862 millions d'euros à la mission Justice, soit une hausse supérieure à 8 % par rapport à 2021 : 659 millions supplémentaires sont venus abonder le service public de la justice. Cette hausse continue des crédits confirme la volonté du Gouvernement d'un effort significatif en faveur des fonctions régaliennes, en l'occurrence en faveur de la construction de la justice du XXIe siècle.

Ces crédits ont été exécutés à 99,2 %, soit 8 792 millions ; ce taux est en hausse par rapport à 2021, où il s'est élevé à 98,2 %.

La non-consommation de crédits est principalement due à l'application de la réserve de précaution du ministère : c'est là une obligation interministérielle, chaque ministère étant invité à mettre de côté un certain pourcentage des crédits votés afin de faire face à d'éventuels imprévus, au niveau ministériel voire interministériel. C'est une règle de bonne gestion des finances publiques. Le reste de la sous-consommation provient d'un décalage calendaire de certaines dépenses immobilières, soumises à des aléas liés notamment à la conjoncture internationale.

Ces crédits inemployés ont été en partie affectés, en cours de gestion, à la couverture de dépenses en tension, notamment les dépenses de restauration de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), affectées par l'inflation, et les frais de justice de la direction des services judiciaires (DSJ).

En outre, 17 des 70 millions non consommés en 2022 ont été reportés vers la gestion 2023.

Ces moyens importants ont permis d'alimenter les trois grandes directions métiers : 3,1 milliards sont allés aux services judiciaires, soit une hausse de 4,9 % ; 3,6 milliards à l'administration pénitentiaire, soit une hausse de 10,4 % ; et 831 millions à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), soit une hausse supérieure à 7,7 %. Je tiens à renouveler toute ma gratitude à la représentation nationale qui a accordé des moyens au service public de la justice.

S'agissant des emplois, 1 334 recrutements supplémentaires, en équivalent temps plein (ETP), ont été effectués en 2022 : 533 pour l'administration pénitentiaire, 722 pour les services judiciaires, 51 pour la protection judiciaire de la jeunesse et 28 pour le secrétariat général. L'objectif était de 1 496 ; parmi les 162 recrutements non effectués, 149 sont imputables à l'administration pénitentiaire, au titre des personnels de surveillance.

Oui, le métier de surveillant pénitentiaire est difficile, peu attractif : l'administration a du mal à recruter. Pour cette raison, avec le soutien du Président de la République, de la Première ministre et du ministre de la transformation et de la fonction publiques, j'ai annoncé le 21 février dernier, à l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap), qu'à compter du 1er janvier 2024, le corps des surveillants pénitentiaires passera en catégorie B, tandis que celui des officiers passera en catégorie A. C'est pour cette troisième force de sécurité de notre pays une avancée historique, demandée et méritée depuis longtemps.

Je voudrais maintenant dresser un bilan des réalisations permises par le budget historique accordé au ministère de la justice en 2022.

Les justices de proximité ont reçu des moyens supplémentaires qui leur ont permis de commencer à résorber les stocks nés notamment de la crise sanitaire. Les 2 000 personnels contractuels embauchés depuis 2021 ont été pérennisés, à la demande des juridictions. Actuellement, 935 juristes assistants travaillent au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel, contre 189 seulement en 2017 : cela représente une multiplication de près de cinq.

En matière pénale, les procureurs de la République ont pu s'appuyer sur 1 106 délégués du procureur, qui se déplacent dans les 2 000 points justice répartis sur tout notre territoire, ainsi que dans les tribunaux de proximité. À l'échelle nationale, en 2022, 119 920 décisions pénales ont été rendues hors les murs des tribunaux judiciaires. Des juristes assistants affectés aux parquets font le lien entre les procureurs de la République et les élus, les maires en particulier ; ils recherchent en particulier les suites données aux dossiers signalés par les élus et répondent ainsi à leurs interrogations légitimes.

En matière civile, ces renforts ont notamment permis de diminuer les stocks de plus de 30 %. C'est la première fois que les stocks diminuent !

Nous avons également poursuivi la transformation numérique de la justice, grâce au plan de transformation numérique lancé en 2018.

Le ministère s'efforce de dématérialiser la demande et le traitement de l'aide juridictionnelle. À la fin de l'année 2022, 141 bureaux de l'aide juridictionnelle étaient dotés du nouveau système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ), soit une progression annuelle supérieure à 166 %. Le délai de traitement des demandes d'AJ est passé, en moyenne, de 45 jours à 8 entre 2021 et 2022 – à Saint-Brieuc, par exemple, on passe de 38 jours à 1,9.

En matière civile, le projet Portalis se poursuit. La nouvelle application est expérimentée dans plusieurs conseils de prud'hommes, avant sa généralisation à tous les conseils de prud'hommes de métropole et des outre-mer à la fin de l'année 2023.

En matière pénale, le programme Procédure pénale numérique (PPN) constitue l'une des priorités du plan de transformation numérique, dont l'enjeu est de rendre la justice pénale plus efficace en la modernisant grâce à l'abandon du papier et à la signature électronique. Toutes les juridictions métropolitaines sont maintenant en mesure de traiter les petites procédures contre X de manière dématérialisée. Ce périmètre est en train d'être étendu aux procédures avec poursuite correctionnelle dans cinquante-deux juridictions.

Les efforts d'équipement des agents se sont poursuivis. Les fournitures d'ordinateurs portables ont notamment augmenté de 90 % en deux ans. Toutes les juridictions sont fibrées, ce qui a permis le développement des accès wifi. Le parc de visioconférence atteint 3 300 équipements.

L'année 2022 a aussi vu l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs et la mise en œuvre du « bloc peines ». Il a été observé un net infléchissement du délai de traitement entre l'arrivée de l'affaire au parquet et le premier jugement mettant fin à la procédure concernant le mineur : alors qu'en 2021 le délai moyen de ces affaires pénales était de 17,9 mois, il s'établit à 10,9 mois en 2022.

Le programme de création de vingt centres éducatifs fermés progresse, avec trois CEF mis en service, à Épernay, Bergerac et Saint-Nazaire.

Trois établissements pénitentiaires, situés à Caen, Montpellier et Koné, dans la province Nord de la Nouvelle-Calédonie, ont été livrés : ce sont des structures d'accompagnement vers la sortie. Nous en reparlerons dans la seconde partie de cette réunion.

Voilà pour l'exécution budgétaire 2022. En 2023, la loi de finances initiales a poursuivi l'effort, en renouvelant pour la troisième année consécutive la hausse de plus de 8 % des crédits accordés en 2022 et 2021. Cette hausse historique de 710 millions a fait passer le budget du service public de la justice à 9,6 milliards d'euros.

J'aurai l'honneur de vous présenter très prochainement un projet de loi d'orientation et de programmation du ministère pour la justice pour les années 2023 à 2027 qui permettra de sanctuariser la trajectoire budgétaire du ministère pour l'ensemble du quinquennat, en crédits comme en emplois, avec notamment 10 000 emplois supplémentaires par rapport à 2017. Les effectifs du ministère auront ainsi progressé de plus de 20 %, passant de 84 000 en 2017 à 101 000 en 2027.

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Le ministre parle de ce qui va bien, le rapporteur de ce qui peut être amélioré : c'est l'usage !

En 2022, la mission Justice a consommé 12,68 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 10,65 milliards d'euros en crédits de paiement. Le taux d'exécution des crédits dépasse 99 %, ce qui doit être souligné.

En 2022, la hausse des dépenses a principalement été tirée par les crédits de titre 2, c'est-à-dire les dépenses de personnel, qui ont progressé de 320 millions d'euros, et les dépenses d'investissement de la mission, qui ont servi à financer les projets immobiliers des services judiciaires, de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que le plan de transformation numérique du ministère de la justice.

Ces résultats cachent néanmoins plusieurs difficultés.

En premier lieu, l'exécution des dépenses de personnel s'est révélée particulièrement complexe en 2022, ce qui a conduit la contrôleure budgétaire et comptable ministérielle à qualifier leur gestion de « mouvementée » : c'est selon moi un euphémisme. Dès le mois de janvier 2022, plusieurs arbitrages ont conduit à rehausser le schéma d'emploi des services judiciaires de 695 ETP. À cela s'est ajoutée la hausse du point d'indice. Pour faire face à ces besoins, près de 20 millions d'euros ont été ouverts par la loi de finances rectificative du 16 août 2022, la réserve de précaution a été intégralement mobilisée et 100 millions supplémentaires ont été ouverts par deux arrêtés de répartition en fin d'année.

Si la hausse du point d'indice est un élément exogène, qui a concerné l'ensemble des ministères, la hausse considérable du schéma d'emplois du programme 166 Justice judiciaire au lendemain de l'adoption de la loi de finances est bien plus contestable et aurait dû être prise en compte dès l'examen du PLF. Je l'avais signalé à l'époque : il y a là une certaine légèreté budgétaire.

La situation du ministère de la justice est par ailleurs paradoxale, dans la mesure où la surconsommation des dépenses de personnel s'est accompagnée d'une sous-exécution des schémas d'emplois des magistrats et des greffiers, qui prévoyaient pourtant une hausse modeste de 50 emplois.

Au regard des objectifs de recrutement définis par le ministère de la justice, fixés à 1 500 greffiers et 1 500 magistrats, le résultat de l'année 2022 peut laisser craindre que ces promesses ne pourront être tenues.

S'agissant des personnels de surveillance pénitentiaire, la situation est encore plus inquiétante : 179 créations de postes étaient prévues en loi de finances, et l'exécution du schéma d'emplois s'est terminée avec 126 emplois en moins. J'avais, là aussi, lancé l'alerte lors des débats budgétaires.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez abordé rapidement ce sujet, mais pourriez-vous revenir sur ce que vous entendez faire pour améliorer l'attractivité des métiers de la justice ?

Les crédits alloués aux frais de justice et à l'aide juridictionnelle ont été surexécutés en 2022. Les efforts de sincérisation de ces deux postes de dépenses ont progressé depuis plusieurs années, j'en conviens aisément, mais ils restent insuffisants.

Les frais de justice se sont élevés à 656 millions d'euros, soit une hausse de 6 % par rapport à 2021. Pour assurer leur soutenabilité en fin de gestion, un décret de virement a abondé le programme 166 de 20 millions d'euros en décembre 2022. Les crédits alloués à l'aide juridictionnelle se sont élevés à 632 millions d'euros et ont excédé la prévision de 16 millions d'euros. Des ouvertures de crédits supplémentaires ont donc été réalisées par les deux lois de finances rectificatives.

J'aborderai pour terminer la question des prestations de conseil auxquelles le ministère de la justice a recours. L'Inspection générale de la justice a révélé que l'administration pénitentiaire avait consommé près de 700 000 euros pour des prestations de conseil juridique pour la passation des marchés de maintenance des établissements pénitentiaires et des prestations de conseil en matière de ressources humaines. Sur de tels sujets, le ministère de la justice dispose des compétences nécessaires ! Ces dépenses auraient pu être évitées.

Monsieur le garde des sceaux, quelles mesures avez-vous prises pour limiter le recours aux cabinets de conseil ?

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Je me félicite à mon tour de la hausse des crédits et de leur exécution.

Vous prévoyez 10 000 embauches supplémentaires. Quel en sera le calendrier ?

Je suis ravi de voter des lois de programmation pour les différents ministères, notamment pour la justice, qui a besoin d'investissements à long terme, et nos administrations ont besoin de visibilité. Mais si nous ne disposons pas d'une loi de programmation globale des finances publiques, il sera difficile d'assurer une cohérence d'ensemble – cette dernière remarque s'adresse davantage à mes collègues qu'à M. le garde des sceaux.

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Merci de votre formule initiale, agréable et nuancée, monsieur le rapporteur spécial. Cela fait chaud au cœur !

S'agissant de la sous-consommation des emplois et du manque d'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire, nous faisons le même constat. Je vous ai déjà en partie répondu : le corps des surveillants pénitentiaires passera en catégorie B et celui des officiers en catégorie A. C'est une revendication syndicale depuis plus de vingt ans.

S'agissant des choses qui restent à faire, j'ai annoncé une revalorisation de 1 000 euros brut pour les magistrats. C'est aussi un des leviers de l'attractivité. Parmi les recrutements que nous organisons, nous pouvons espérer qu'un certain nombre de magistrats de l'ordre administratif rejoindront leurs cousins de l'ordre judiciaire. Pour l'heure, s'ils regardent les fiches de paie, ils constateront précisément une différence de 1 000 euros. En outre, les traitements des magistrats de l'ordre judiciaires n'avaient pas été revalorisés depuis 1996. Au vu du temps écoulé depuis, ces 1 000 euros constituent bien la moindre des choses. C'est aussi une façon de rendre hommage à leur travail. J'ai augmenté de 12 % le traitement des greffiers et nous leur présenterons un calendrier de revalorisations. Ils le méritent. Voilà pour le volet attractivité.

En matière de dépenses de personnel, c'est le financement de la hausse du point d'indice qui a créé le mouvement, pour reprendre l'image que vous avez utilisée s'agissant de la gestion de 2022.

S'agissant de la hausse des frais de justice, je mène deux actions pour la maîtriser. D'une part, j'ai signé le 9 mai dernier une dépêche relative à ces dépenses qui invite les chefs de cour et de juridiction à activer l'ensemble des leviers qui sont à leur disposition afin de limiter les coûts. D'autre part, j'ai mis en place un plan de maîtrise qui se décline en six axes : revoir l'organisation des juridictions, automatiser les dépenses de traduction, mutualiser les frais de gardiennage, mettre en place une tarification sur le recours aux laboratoires ainsi qu'aux investigations numériques et, enfin, expérimenter avec le ministère de l'intérieur un processus de destruction des armes.

Concernant les dépenses de conseil, une comparaison avec d'autres ministères montre très objectivement que les nôtres sont plus modestes. Je rappelle que tout engagement supérieur à 500 000 euros doit être approuvé par un comité ministériel, afin de valider la pertinence de la dépense. Pour réduire le recours aux prestations externes, nous internalisons plus d'effectifs, en particulier au profit des services numériques et d'interceptions judiciaires. Nous sollicitons également davantage l'expertise de l'Inspection générale de la justice (IGJ). Vous avez estimé que le ministère de la justice étant celui du droit, il pourrait au fond recourir à sa propre expertise. Je souligne que les prestations que nous commandons concernent essentiellement le domaine numérique et qu'elles sont indispensables à la mise à jour que nous entendons mener.

Monsieur le rapporteur général, nous ne souhaitons pas graver la répartition des 10 000 nouveaux emplois dans le marbre de la loi. Il faut que nous conservions une marge de flexibilité dans l'allocation annuelle des moyens, qui sera effectuée en fonction des besoins par métier. Le Parlement sera par la force des choses associé à ces choix, puisqu'il lui reviendra de les valider. Il faudra prendre en compte des facteurs tels que l'évolution du parc immobilier ainsi que la capacité de recrutement et de formation des écoles – même s'il n'y a pas à craindre d'aléas majeurs.

À titre purement indicatif, la répartition des 10 000 emplois devrait correspondre approximativement au schéma suivant : 1 900 recrutements par an au début du quinquennat et 1 700 par an à la fin de celui-ci, avec 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires. Comme vous le savez, les contractuels du ministère vont bénéficier d'un CDI, recevoir une formation et prêter serment. Ce vivier nous sera ultérieurement nécessaire pour faire face aux besoins de recrutement de magistrats.

Tout cela se fera pas à pas, sous le contrôle du Parlement.

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Nous en venons aux interventions des représentants des groupes.

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Je sais qu'il est de bon ton de dire du bien ou de dire un peu moins de bien dans le cadre d'une forme de jeu de rôle. Mais on peut être juste et reconnaître que le budget de la justice a augmenté de plus de 40 % au cours des cinq dernières années et que l'exécution du budget 2022 ne déroge pas à cette règle d'augmentation continue.

Nous nous félicitons du fait que cette progression atteindra finalement 60 % au cours des deux mandats du Président de la République grâce à la future loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice. Nous pouvons parler d'augmentation historique.

Comme c'est le cas pour de nombreuses missions, des mouvements sont intervenus en cours d'année en raison de la revalorisation du pouvoir d'achat des fonctionnaires. C'est l'année économique que nous avons vécue qui a été mouvementée, monsieur le rapporteur spécial. Elle nous a conduit à adopter tous ensemble des mesures pour faire face à l'inflation. Les deux lois de finances rectificatives et les décrets de répartition des crédits ont permis de compenser les hausses imprévues et d'assurer finalement une bonne exécution du budget.

Le budget de la justice est essentiel pour protéger nos concitoyens. Il finance la justice de proximité, la justice pénale des mineurs et les places de prison. Mais il soutient aussi la transition numérique, afin de diminuer le temps de traitement des affaires – notamment civiles, auxquelles je sais le garde des sceaux particulièrement attaché. C'est naturellement le traitement des litiges du quotidien qui conditionne la confiance de nos concitoyens dans leur justice.

Nous nous félicitons aussi, au nom de la majorité, de la hausse substantielle des moyens alloués par le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, dont l'objectif est d'embaucher 10 000 fonctionnaires. Vous avez répondu au sujet des difficultés de recrutement de magistrats et de greffiers en prenant des mesures de revalorisation, là encore historiques. Nous souhaitons qu'elles portent leurs fruits.

Un mot sur la transition numérique. Vous avez évoqué les efforts du ministère pour améliorer le matériel informatique. Mais le sujet des logiciels, des difficultés des applications métiers et de leur interopérabilité revient souvent. Cela suscite beaucoup de questions dans le monde de la justice et la représentation nationale y est attentive.

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Nous étudions l'exécution budgétaire de 2022 et nous avons finalement peu d'éléments sur l'impact de l'inflation sur la mission Justice. On devine qu'elle y est sensible, notamment en raison des coûts de construction qui ont tendance à s'envoler. Quels est le montant des crédits qui ont dû être mobilisés pour faire face à la mécanique inflationniste ?

Il me semble que nous parlons beaucoup de programmation et peu d'exécution, mais ce n'est pas grave. La question de l'effet de l'inflation sur la programmation mérite aussi d'être posée, tant il est vrai que l'on peut craindre que cette inflation annule les augmentations des budgets projetées. Il faudra nous dire si les prévisions sont en euros courants ou constants.

Comme l'a rappelé le rapporteur spécial, les difficultés d'exécution de ce budget concernent manifestement les ressources humaines. Le schéma d'emploi des magistrats a été sous-exécuté, ce qui est mauvais signe par rapport à l'objectif d'en recruter 1 500 d'ici à la mi-2027 ainsi que 1 500 greffiers à la même date. J'entends bien que l'on veut s'autosatisfaire de ce que l'on n'a pas encore fait, c'est-à-dire embaucher 10 000 personnes d'ici à 2027. On sait que cela concernera 1 500 magistrats et 1 500 greffiers, mais on ne sait pas trop ce que seront les 7 000 autres emplois. On peut donc légitimement s'interroger sur le pilotage des ressources humaines – ce que fait le rapporteur spécial et il a raison.

Nous aurons l'occasion d'évoquer ensuite au cours de cette réunion les difficultés propres à l'immobilier, notamment en ce qui concerne les prisons. Une fois encore, il me semble que les objectifs de la programmation vont être difficiles à atteindre.

Enfin, j'évoquerai le problème des partenariats public-privé. En cette matière comme dans d'autres, ils confirment l'adage selon lequel le public est toujours perdant et le privé toujours gagnant. Je note qu'ils ont bénéficié de 254 millions d'euros en AE et de 280 millions d'euros en CP. La tendance à les utiliser peut neutraliser les budgets d'investissement dans les années à venir.

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Le projet de loi de finances pour 2023 nous a promis monts et merveilles concernant la justice. Mais qu'en est-il réellement ?

En ce qui concerne les moyens humains, il faut être clair. Vous annoncez 10 000 emplois d'ici à la fin du quinquennat, sans vouloir le graver dans le marbre de la loi. Or le besoin est immédiat. L'Union syndicale des magistrats (USM) l'évalue à 12 000 postes dès maintenant. Les effectifs de la justice n'ont pratiquement pas évolué par rapport à 1880, alors que la population a doublé.

Il est exact que le budget global augmente, mais il est grevé par l'inflation et par les restes à payer des opérations immobilières de la justice – et ce n'est pas fini. Vous prévoyez 15 000 places supplémentaires de prison, et donc de nouvelles prisons.

Seulement voilà : avec la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) et celle relative aux Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de 2024, vous avez créé une galaxie de nouveaux délits qui vont engorger encore plus les prisons. De ce fait, la situation de surpopulation carcérale ne s'améliorera pas, alors qu'elle a valu à la France plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme. Le programme immobilier carcéral ne prévoit pas un seul euro pour la rénovation des prisons existantes, comme le déplore régulièrement la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL). Quand allez-vous enfin prendre la mesure de ce problème ? Comment favoriser la réinsertion des détenus et lutter efficacement contre la récidive si nous sommes incapables d'offrir des conditions de détention respectant la dignité humaine ? À moins que le projet ne soit d'enrichir les amis du Gouvernement que sont Vinci ou Bouygues…

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Je concentrerai mon propos sur la transformation numérique de la justice. Les financements existent, ils sont inédits et, comme l'a relevé le rapporteur spécial, l'exécution a dépassé la prévision initiale. Or, dans les tribunaux, le dispositif ne semble pas répondre aux exigences d'une justice efficace. Le plan de transformation visait à rattraper le retard du ministère par rapport aux autres pays européens, mais aussi à améliorer le service rendu aux usagers. Qu'en est-il ?

Et qu'en est-il également du cloisonnement des applications et de leur manque d'interopérabilité ? Les projets informatiques semblent être développés indépendamment les uns des autres, souvent en silo, ce qui peut nuire à l'efficacité de la justice. De nombreux professionnels se plaignent des dysfonctionnements qui obligent à saisir plusieurs fois les mêmes données, ce qui prends du temps et allonge les délais. Avez-vous pu évaluer les moyens nécessaires pour y remédier ?

Les auxiliaires de la justice sont-ils associés à la résolution des dysfonctionnements, afin d'améliorer la qualité de la modernisation ?

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Les crédits de la mission Justice ont été consommés quasiment dans leur totalité. Nous nous en félicitons car l'exécution est à la hauteur des enjeux pour le ministère.

La transformation numérique de la justice est effectuée dans le cadre du programme 166 Justice judiciaire. Il apparaît que les juridictions peinent à passer le cap du numérique avec un budget de 530 millions. Pouvez-vous donner la proportion des usagers qui accèdent à leur dossier et effectuent des saisines en ligne ? Quelles sont les perspectives pour 2023 ? Où en sont les projets de dématérialisation des procédures pour les justiciables ?

Lors de déplacements auprès de juridictions, nous avons constaté que certaines ne disposaient pas de moyens numériques suffisants. Certaines salles d'audience ne sont par exemple pas équipées pour lire des vidéos numériques. Que comptez-vous faire pour équiper les juridictions à la hauteur des besoins ?

Le budget de l'aide juridictionnelle s'élève à 631 millions dans le cadre du programme 101 Accès au droit et à la justice. Parmi les indicateurs de performance, il apparaît que le délai moyen de traitement des dossiers d'aide juridictionnelle a atteint 50,1 jours en 2022, alors que la cible était fixée de 38 jours et que ce délai était de 49,8 jours en 2021. Cet allongement des délais a été expliqué par la diminution des demandes déposées par l'intermédiaire d'un avocat, les dossiers étant traités plus rapidement dans ce cas que lorsqu'ils sont déposés par le justiciable lui-même. Que comptez-vous faire pour simplifier la procédure pour les justiciables, afin que le délai de traitement de leur dossier ne soit pas supérieur à celui déposé par un avocat ?

La part des demandes d'aide juridictionnelle déposées de manière dématérialisée est de 8 %. La dématérialisation permet un traitement plus efficace et plus rapide des demandes, avec un délai moyen de huit jours. Comment inciter les justiciables à davantage effectuer leur démarche par voie dématérialisée ?

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Je ne reprendrai pas les observations du rapporteur spécial sur l'exécution budgétaire, que je partage en grande partie.

L'exécution du budget 2022 de la mission Justice s'est traduite par une forte augmentation de 8 % par rapport à 2021. Mais ce sont des programmes Conduite et pilotage de la politique de la justice et Accès au droit et à la justice qui profitent de la progression la plus forte, avec respectivement 19 % et 16 %.

Le plafond d'emplois de la mission a augmenté de 1 480 équivalents temps plein (ETP) en 2022, pour atteindre un total de 91 358 ETP. Avec des effectifs réels qui s'élèvent à 90 223 emplois, même si le taux d'exécution de 98 % est élevé, l'écart représente quand même 1 135 emplois. Il nous paraît impératif d'accélérer les recrutements afin d'atteindre le plafond d'emplois. Par ailleurs, la progression est moins nette si l'on se réfère à la loi de finances pour 2022, qui prévoit une hausse de 1,6 % des effectifs – laquelle s'ajoute à celle précédemment enregistrée. La Cour des comptes explique que la prochaine loi d'orientation et de programmation pour la justice devrait accentuer cette tendance. Dans ce contexte, le ministère doit impérativement traduire en embauches effectives les créations d'emplois décidées afin d'améliorer le service rendu aux justiciables et d'ouvrir des places de prison supplémentaires.

Il est essentiel que la représentation nationale dispose d'une trajectoire précise non seulement du nombre de recrutements, mais également de la nature des postes créés – magistrats, greffiers, surveillants pénitentiaires. Mais il est également impératif que nous soient fournies des informations sur le caractère durable des postes créés et donc sur la proportion de contractuels recrutés. La justice a avant tout besoin de fonctionnaires, dont les emplois sont pérennes.

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Avant toute chose, je souligne l'effort budgétaire inédit en faveur de la justice, mené par la majorité et les gouvernements successifs depuis 2017. Comme l'a constaté le rapporteur spécial, la mission Justice a consommé 12,68 milliards en AE et 10,65 milliards en CP, soit une hausse respectivement de 24 % et de 8 % par rapport aux crédits consommés en 2021.

Alors que la justice avait été sous-financée pendant de trop longues années, ces augmentations de budget sont inédites et impliquent des changements concrets : plus de personnel, des délais moins longs et des investissements nécessaires. Beaucoup reste encore à faire, mais les moyens déployés depuis 2017 témoignent de l'importance centrale accordée à la justice.

Ma question concerne le dispositif téléphone grave danger (TGD), qui est un outil déterminant pour protéger effectivement les personnes particulièrement vulnérables victimes de viol ou de violences conjugales. Le TGD permet non seulement de donner l'alerte mais aussi de fournir un lien avec une téléassistance spécialisée, qui évalue le danger et au besoin contacte les forces de l'ordre grâce à un canal spécifique. Doté d'un programme de géolocalisation, ce téléphone permet une réponse extrêmement rapide des forces de police ou de gendarmerie.

À l'initiative du groupe Horizons et apparentés, les crédits consacrés à ce dispositif ont été augmentés de 1,5 million lors de l'examen du PLF pour 2023. Pouvez-vous nous préciser l'état du déploiement des TGD en 2022 et indiquer la projection prévue pour l'année 2023 ?

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Mes questions rejoignent celles du rapporteur spécial et je souligne la pertinence de ses remarques.

En juillet 2022, après huit mois de consultations et une tribune dans Le Monde signée par des milliers de magistrats exprimant leur souffrance, le rapport des états généraux de la justice a constaté un état de délabrement avancé de cette institution, perçue comme trop lente par les Français. En réaction aux doléances des magistrats et des greffiers, votre projet de loi d'orientation et de programmation propose une augmentation historique qui permettra notamment de financer la création de 10 000 postes d'ici à 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers.

Cependant l'analyse de l'exécution du budget 2022 fait apparaître que le nombre de départs a été plus élevé que prévu, ce qui a conduit à une sous-exécution du schéma d'emploi des magistrats – quarante et un ETP supplémentaires constatés contre cinquante prévus en LFI. Il en va de même pour le schéma d'emploi des métiers du greffe. Comme l'a souligné le rapporteur spécial, ce résultat soulève des interrogations quant à la capacité du ministère à atteindre son objectif de recrutement de 1 500 magistrats et 1 500 greffiers d'ici à 2027.

Comment expliquez-vous le fait que le nombre de départs de magistrats en 2022 dépasse les prévisions ? De manière plus globale, pensez-vous que votre projet de loi d'orientation et de programmation vous permettra d'atteindre les objectifs en matière de recrutement ?

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Lors de l'examen des crédits de la mission Justice pour 2023, vous vous êtes félicité d'un triplé historique, après trois hausses successives en 2021, 2022 et 2023. En 2022, la progression effective des crédits s'est élevée à 8 %.

Mais il faut voir d'où nous partions. La situation budgétaire de la justice française s'avère particulièrement dégradée depuis de très nombreuses années et les modestes rattrapages en cours demeurent insuffisants pour combler le retard structurel. Le rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice, publié le 5 octobre 2022, a confirmé que la France continue de figurer parmi les pays européens qui investissent le moins dans leur justice. Avec 72,53 euros par an et par habitant, le budget français de la justice est inférieur à ceux de l'Allemagne, de l'Espagne et de l'Italie, mais aussi à la moyenne européenne. Dès lors, le manque de moyens s'avère criant. Le personnel manque, tant en ce qui concerne les juges que les greffiers ou les assistants spécialisés.

Malgré la hausse des crédits, la politique menée depuis plusieurs années ne permet pas de répondre aux problèmes structurels de la justice.

Monsieur le ministre, j'ai bien entendu vos explications : développement du numérique, recrutements importants, signature électronique, etc. La loi d'orientation et de programmation suffira-t-elle, et dans quel délai, pour répondre aux problèmes structurels de la justice ? Quelle progression budgétaire envisagez-vous pour les années à venir ?

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Pour le président de la conférence des procureurs généraux, qui s'est exprimé publiquement aujourd'hui, ces augmentations budgétaires et l'arrivée de personnels supplémentaires vont dans le bon sens.

Monsieur Reda, nous voulons en effet, conformément aux promesses du Président de la République, recruter 10 000 agents supplémentaires, ce qui est absolument historique. À titre indicatif, car nous devons nous ménager une certaine souplesse, le calendrier prévoit 1 900 recrutements en 2024 et 2025, 1 600 en 2026 et plus de 1 700 en 2027. Nous voulons sanctuariser dès à présent 1 500 magistrats et 1 500 greffiers afin de renforcer les services judiciaires. Comme je l'ai indiqué à M. le rapporteur, je ne souhaite pas figer une répartition des effectifs restants pour les quatre années à venir, afin de conserver une certaine flexibilité.

Les juridictions administratives connaissent le zéro papier. Cet objectif que je soutiens n'est pas une simple formule, mais un véritable projet, dont la réalisation suppose deux conditions. La première est un plan de soutien au personnel par l'amélioration des réseaux. Nous avons recruté des techniciens informatiques qui aideront les personnels, magistrats et greffiers, dans chaque juridiction en répondant aux problèmes les plus simples. Rien n'est en effet plus frustrant pour les magistrats et les greffiers que de se trouver un jeudi soir devant une bécane qui ne fonctionne plus.

Il s'agit aussi d'améliorer les logiciels, au civil comme au pénal, avec des applicatifs améliorés que nous voulons rendre plus compatibles entre eux. Un code d'accès unique, par exemple, facilitera la vie des personnels en leur évitant de multiplier les saisies. Actuellement, en effet, l'utilisation de plusieurs applicatifs dans la chaîne pénale oblige le greffier à saisir à nouveau pour chacun d'eux les nom, prénom, date de naissance, adresse et autres données, ce qui représente pour certains d'entre eux jusqu'à 20 % de leur temps, que l'on pourrait ainsi économiser – sans compter le caractère fastidieux de la tâche.

J'ai évoqué le développement de la PPN, que le secrétaire général adjoint du ministère de la justice, ancien procureur d'Amiens, avait été chargé de développer dans son ressort. Nous faisons dans ce domaine des efforts considérables. La question concernant à la fois le ministère de l'intérieur et celui de la justice, nous avons désormais un chef de projet commun, afin que l'un n'avance pas plus vite que l'autre. Nous avons donc décidé d'unifier nos efforts pour aller de l'avant.

Madame Soudais, je sais que vous critiquez le fait que nous construisions des places de prison. De fait, il n'est pas difficile d'en finir avec la surpopulation carcérale : avec 73 000 détenus pour 60 000 places, il suffit de libérer 13 000 personnes ! Or c'est totalement illusoire et notre pays ne le supporterait pas. Et contrairement à ce que vous pourriez penser, c'est, non pas à vous, mais à l'extrême droit que profite cette démagogie-là. Il faut être sérieux et réaliste. Je mets en place des choses que vous ne soutenez pas – mais ce n'est pas bien grave. Depuis le 1er janvier, une loi permet de libérer les détenus ayant un petit reliquat de peine à accomplir. Cette libération judiciaire est décidée à la condition que les bénéficiaires présentent certaines garanties, notamment en matière de logement. Il s'agit ainsi d'éviter les « sorties sèches », qui génèrent souvent de la récidive.

Par ailleurs, comment pouvez-vous dire sérieusement que rien n'a été fait pour rénover les établissements pénitentiaires ? Allez donc aux Baumettes ou à Fleury-Mérogis : vous y verrez une douche par cellule, alors que, pendant des années – j'ai été avocat pendant trente-cinq ans –, les douches n'étaient accordées aux détenus qu'une fois par semaine. Allez donc voir dans d'autres établissements pénitentiaires : nous avons plus que doublé le budget consacré aux rénovations – je ne parle pas des constructions.

Madame la députée, je ne suis pas un démagogue et je n'ai pas de baguette magique. J'aimerais pouvoir vous dire que tout cela est réparable d'un claquement de doigt et je porte autant que vous cette préoccupation. En matière de surpopulation carcérale, personne n'a le monopole du cœur. J'ai été, je le répète, avocat pendant trente-cinq ans.

La réalité, c'est que ce que nous avons fait, personne ne l'avait fait avant nous. Si vous allez à la Santé, à Fleury-Mérogis, aux Baumettes ou dans d'autres établissements pénitentiaires, vous verrez qu'en construisant aujourd'hui des prisons, on veille à éviter une ombre carcérale trop lourde.

Je pense aussi aux agents pénitentiaires, qui travaillent dans des conditions très difficiles et dont je suis fier d'être le ministre. Je les ai revalorisés et je souhaite qu'ils travaillent dans de bonnes conditions. Lorsque les conditions de détention sont acceptables, les conditions de travail s'améliorent, permettant aux agents pénitentiaires de se consacrer davantage à un programme de réinsertion.

J'ai également mis en place le contrat d'emploi pénitentiaire qui, même si je ne suis pas sûr que vous l'ayez beaucoup aimé, madame la députée, permet à des détenus de sortir formés et avec un travail.

Le budget de cette opération de maintenance représente 235 millions d'euros en 2023 – sachant que cette opération prend évidemment en considération la réinsertion.

Monsieur Schreck, vous voyez dans ma présentation une forme de culturisme judiciaire ou de forfanterie. Avant de parler de ce que je veux faire, je rappellerai donc ce que nous avons fait : nous avons embauché 700 magistrats, 850 greffiers et 2 000 contractuels, ce qui a permis notamment, et pour la première fois en France, une réduction drastique des stocks.

Comparaison n'est pas raison, mais je rappelle que, durant le quinquennat du président Hollande, un peu plus d'une centaine de magistrats ont été embauchés et, sous son prédécesseur, le chiffre était même négatif car les magistrats partant à la retraite n'étaient pas remplacés. Vous pouvez donc me reprocher de me vanter de ce qui va venir, mais je suis assez fier de ce que nous avons fait. En termes budgétaires, le budget de la justice a augmenté de 40 % sous le premier quinquennat du président Macron et aura augmenté de 60 % d'ici à la fin de celui-ci. Nous aurons ainsi plus embauché en cinq ans que durant les vingt dernières années.

Le travail ne sera, évidemment, pas terminé, mais j'ai l'absolue certitude que celui ou celle qui me succédera devra se souvenir que la justice doit être bien traitée. En effet, pour avoir traîné mes guêtres trente-cinq ans dans les juridictions, je sais que la situation actuelle est le fruit de décennies d'abandon budgétaire, humain et politique.

Vous m'avez également interpellé à propos de l'inflation. Chaque investissement du ministère fait l'objet d'actualisations nécessaires en termes de coût global. De façon générale, on ne peut pas déduire simplement l'inflation du budget de la justice, parce que le taux d'inflation moyen national, qui touche les consommateurs individuels, ne peut s'appliquer strictement à un ministère, et parce qu'en outre le ministère bénéficie ponctuellement de crédits interministériels supplémentaires.

Enfin, vous n'avez jamais voté les budgets précédents, pas davantage que les budgets portés par le ministre de la justice. Il est donc facile de commenter ce que nous faisons ou ne faisons pas sur le mode du « y a qu'à, faut qu'on ». Cette remarque s'adresse également aux députés du groupe La France insoumise, qui n'ont pas voté non plus les budgets de la justice : vous vous retrouvez sur ce point, comme sur quelques autres. Quand le ministre de la justice veut, à défaut de pouvoir tout améliorer d'un claquement de doigt, améliorer au moins certaines choses et qu'il propose des budgets en augmentation, vous ne les votez pas, après quoi vous lui dites ce qu'il faudrait faire… mais avec quoi ? Avec l'argent que vous n'avez pas accordé au ministère de la justice ? C'est vraiment facile !

Nous avons là une opportunité magnifique – voyez ce qu'en disent les magistrats, y compris dans leur expression syndicale, et les greffiers. Je serai bientôt devant vous à nouveau et j'espère que, malgré ce qui nous oppose – ce qui est normal dans une démocratie –, nous serons tous au rendez-vous budgétaire, parce que nous avons tous, de façon transpartisane, envie de faire bouger les choses et de donner à la justice les moyens dont elle a tant besoin. Je vous donne donc rendez-vous bientôt.

Monsieur Habert-Dassault, vous avez évoqué la transformation numérique. Avec le système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ), les durées de traitement ont diminué. Un groupe de travail a associé à ce processus les personnels de terrain. Quant au zéro papier, c'est le but que nous poursuivons.

Je ne suis pas peu fier de l'application justice.fr – que vous avez, je l'espère, tous téléchargée –, qui met la justice à portée de doigt et vous permet de savoir si vous pouvez bénéficier de l'aide juridictionnelle (AJ). Vous le savez, je suis très attaché à la justice de proximité. Avec cet outil, les femmes pourront voir grâce à un simulateur quelle serait la pension alimentaire qu'elles pourraient obtenir. Sans tomber dans le pathos, combien de femmes renoncent à divorcer par peur de ne pas pouvoir nourrir leurs gosses ? Nous leur proposons cette application, qui marche bien et que je vous conseille. On y trouvera 8 000 fiches thématiques, indiquant par exemple comment on peut changer de nom. En Guadeloupe et en Martinique, où je me suis rendu la semaine dernière pour annoncer des moyens supplémentaires, un grand nombre de magistrats et de participants aux réunions que j'organisais étaient déjà branchés sur justice.fr et les retours que j'en ai eus étaient positifs. Ce dispositif, qui favorise l'agilité, a en outre vocation à évoluer, sur la base de simulations, pour proposer des outils beaucoup plus précis.

Monsieur Geismar, le SIAJ a montré son efficacité en matière de délai de traitement des demandes d'AJ – j'ai donné quelques chiffres. Il ne faut pas pour autant que le numérique interdise la justice à certains de nos compatriotes les plus démunis. Nous maintenons donc les points justice gratuits et confidentiels, et j'ai également signé une convention avec l'École nationale de la magistrature (ENM) pour que les futurs magistrats aillent dans ces points justice à la rencontre de nos compatriotes les plus défavorisés, qui n'ont pas tous accès au numérique, pour leur fournir les renseignements nécessaires.

Monsieur Plassard, le bracelet anti-rapprochement (BAR) et le téléphone grave danger (TGD) ont permis de lancer 3 600 alertes, et c'est à chaque fois un drame évité par l'intervention des forces de sécurité intérieure (FSI) – même si cela retient moins l'attention que les meurtres ou les violences, qui sont une indignité. Chaque fois qu'un BAR ou un TGD est utilisé, il est immédiatement remplacé, car il est disponible. Nous allons poursuivre ce mouvement.

J'ai piqué un jour un petit coup de sang – cela m'arrive parfois – en disant, après l'affaire de Mérignac, que les BAR n'avaient pas vocation à rester dans les tiroirs. J'ai été entendu, car 1 000 BAR sont aujourd'hui actifs et je puis vous dire, avec une fierté que je partage avec vous qui m'avez permis de les acheter, que nous avons été plus rapides que les Espagnols, qui sont toujours la référence suprême en matière de violences intrafamiliales. Nous sommes donc au rendez-vous de nos obligations et nous poursuivons sur cette lancée.

Nous créons aussi un BAR 5G, car il arrivait que les bracelets anti-rapprochement existants fonctionnent mal, notamment en zone urbaine, ce qui m'a rendu un peu grognon et m'a fait décider de changer d'opérateur. Certaines difficultés demeurent, mais le BAR de nouvelle génération sera beaucoup plus performant. Il nous faut en effet nous améliorer en permanence dans la lutte contre les violences intrafamiliales, qui ne s'arrête jamais.

Quelques chiffres plus précis : le nombre de TGD déployés a dépassé 5 000 début 2023, soit 50 % de plus qu'en 2021. Nous en sommes aujourd'hui à 5 200 et l'objectif fixé peut évidemment être atteint. En 2023, les crédits consacrés aux victimes de violences familiales atteignent 16,2 millions d'euros, ce qui représente une hausse de 5 % par rapport à 2022 et de plus de 50 % par rapport à 2021. Je suis à votre disposition pour vous communiquer tous les chiffres dont nous disposons, car il est normal que la représentation nationale sache exactement comment nous dépensons l'argent.

Monsieur Tellier, je ne suis pas du tout d'accord avec vous lorsque vous parlez d'un « modeste rattrapage », car le budget a déjà augmenté de 40 % et aura augmenté de 60 % en 2027. Je peux entendre que, durant les trente années précédentes, nous n'avons pas été très attentifs à la justice, qui a exprimé son ras-le-bol avec des mots repris par Mme Soudais et que je fais miens. C'est là un constat et, du reste, Jean-Marc Sauvé lui-même n'a pas été tendre dans son rapport, tandis que Jean-Jacques Urvoas parlait de « clochardisation » de la justice. Nous avons entendu tous ces mots et partageons ce constat, mais nous aurons réalisé 7,5 milliards d'investissements supplémentaires d'ici à 2027 et aurons embauché en cinq ans plus de magistrats que durant les vingt dernières années.

Un tout petit bémol néanmoins à propos de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej). Tout d'abord, elle a toujours deux ans de retard – son dernier rapport ne prend pas en compte les deux derniers budgets. Par ailleurs, les comparaisons avec l'Allemagne ne sont guère justifiées, car ce pays ne possède pas de juges consulaires ni de conseils des prud'hommes. Enfin, comme le relève la Cour des comptes, le droit germanique est plus gourmand en magistrats que le nôtre. Je ne dis pas pour autant que tout va bien dans le meilleur des mondes, mais nous faisons notre possible.

Votre commission sait mieux que quiconque que le « quoi qu'il en coûte » est terminé – et Bruno Le Maire me le redit chaque fois que nous nous voyons. Toutefois, nous devons à notre justice et à nos justiciables un véritable effort.

Les leviers en sont évidemment ceux du budget, avec des moyens humains et matériels supplémentaires, mais ce sont aussi, dans le domaine réglementaire, des simplifications de la procédure civile pour favoriser les règlements amiables susceptibles de réduire les délais. Il s'agit aussi d'une simplification de la procédure pénale à droit constant, afin que la justice soit rendue plus rapidement. En effet, dans l'exercice démocratique inédit des états généraux de la justice, qui s'est d'ailleurs révélé être un succès, les Français nous ont dit, sur la plateforme qui leur était réservée, que la justice était trop lente, trop éloignée et trop complexe. Il faut donc introduire un volet de simplification pour mettre un terme à cette sédimentation des textes dont les professionnels ont ras-le-bol. Le volet de la déconcentration est, lui aussi, très important.

J'ai donc la faiblesse de penser que les textes législatif et réglementaire que je porterai sont cohérents. Je précise à cet égard que je vous communiquerai les textes réglementaires, dont la représentation nationale doit avoir pleinement et précisément connaissance.

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Nous en venons au second temps de notre discussion avec la thématique d'évaluation proposée La planification de la construction des prisons : une inexorable procrastination.

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Je commencerai par trois remarques sur le débat que nous venons d'avoir.

D'abord, c'est la Cour des comptes qui signale qu'il existait dès le début de l'année 2022 une insuffisance budgétaire de 22 millions d'euros en matière de dépenses de personnel sur les programmes 166 Justice judiciaire et 107 Administration pénitentiaire, indépendamment de la valeur du point d'indice. Par ailleurs, comme l'a dit le rapporteur général, il serait bon que la loi de programmation indique que la rémunération des greffiers fera l'objet d'un calendrier dédié. Enfin, après avoir repris les analyses de votre inspection générale à propos des dépenses de conseil, j'espère qu'il sera donné suite à la proposition de Mme la secrétaire générale du ministère d'amender la circulaire pour abaisser le seuil à partir duquel le comité ministériel d'engagement doit se prononcer.

J'en viens aux questions liées aux structures pénitentiaires. Le 16 mai 2023, le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan a suspendu les admissions de nouveaux détenus. Cette décision s'explique par le taux d'occupation de l'établissement, qui dépassait 200 % en mars 2023. Cet exemple illustre notre incapacité à garantir des conditions dignes de détention.

Pourtant, depuis la fin des années 1980, six programmes immobiliers pénitentiaires ont été lancés, auxquels s'ajoute, plus récemment, le fameux programme 15 000, annoncé en octobre 2018. Malgré ces plans de construction, le taux d'occupation des prisons françaises s'est toujours maintenu au-dessus de 100 %. Il atteint désormais 118 % en moyenne et plus de 140 % en maison d'arrêt.

C'est pour comprendre les raisons de cet échec que j'ai décidé d'évaluer les programmes de construction pénitentiaire et d'analyser les raisons de cette inexorable procrastination. Elle vient de loin.

Les programmes immobiliers pénitentiaires ont tous un point commun : ils connaissent d'importants retards d'exécution et sont pratiquement tous revus à la baisse au cours de leur déploiement. Tel fut par exemple le cas du programme annoncé par Albin Chalandon en 1987, qui devait porter sur 25 000 places et a finalement permis d'en créer 11 000. Plus tard, le dispositif d'accroissement de capacité (DAC) s'est heurté au même accueil : il a permis de mettre en service 1 807 places supplémentaires, contre 3 000 initialement prévues.

Les outils dont dispose l'administration pénitentiaire pour conduire ses programmes immobiliers ont évolué au fil du temps. Depuis le début des années 2000, elle bénéficie du concours de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij), chargée spécifiquement de gérer les opérations de grande envergure. Par le biais des marchés de partenariat et désormais des contrats de conception-réalisation, l'administration pénitentiaire recourt davantage à des prestataires privés pour réaliser ses projets immobiliers. Toutefois, ces évolutions n'ont pas eu grande influence sur les résultats obtenus par la chancellerie s'agissant de l'état de nos prisons et des conditions de détention.

J'en viens au programme 15 000, dont les contours ont été précisés par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui prévoit deux phases pour son exécution : la construction de 7 000 places nettes de détention de 2018 à 2022 et la construction de 8 000 places de 2022 à 2027. Ce programme, dont le coût prévisionnel s'élève à 4, 5 milliards d'euros, a été conçu pour soulager les maisons d'arrêt, qui connaissent les taux d'occupation les plus élevés, et favoriser une meilleure réinsertion des détenus. Un nombre significatif de places devait donc être ouvert dans des structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), situées à proximité des centres-villes.

Dès le lancement de ce plan, plusieurs risques ont été identifiés. Le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) avait ainsi émis, sur la base de l'évaluation socio-économique du programme et de sa contre-expertise, un avis favorable assorti de certaines réserves sur les bénéfices attendus.

Les objectifs du programme, comme ceux des précédents, ne seront pas atteints. Seules 2 441 places avaient été ouvertes à la fin de l'année 2022, soit bien moins que les 7 000 prévues. Parmi ces places, 1 127, soit près de la moitié, ont été ouvertes en 2016 ou en 2017, bien avant l'annonce du programme 15 000. Par ailleurs, 2 081 places ouvertes depuis 2018 relevaient de programmes de construction annoncés en 2012 et en 2014. Certaines places relevant de la première tranche seront donc livrées avec un retard considérable. Tel est notamment le cas du nouveau centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, qui sera livré en 2026.

Tout porte donc à croire que l'échéance de 2027 ne sera pas tenue et que les places relevant de la seconde tranche ne seront pas livrées avant 2030. Il faut ouvrir 13 400 places. L'échéancier qui m'a été transmis par l'administration pénitentiaire montre que plus de la moitié d'entre elles ne seront pas livrées en 2027.

Par ailleurs, les retards de construction se conjuguent avec des difficultés importantes de recrutement, qui peuvent placer l'administration pénitentiaire dans l'incapacité de mettre en service les établissements nouvellement construits. Je ne reviendrai pas sur les problèmes rencontrés par le schéma d'emploi.

En tout état de cause, le programme 15 000 semble sous-dimensionné. Il ne permettra pas de résorber la surpopulation carcérale ni d'atteindre un taux d'encellulement individuel de 80 % en 2027, comme cela avait été annoncé. À l'issue, 75 000 places seront opérationnelles, ce qui correspondra, selon les projections du ministère de la justice, au nombre de personnes détenues.

Ces projections fortement volatiles seront certainement révisées. Par ailleurs, la répartition géographique des détenus ne coïncidera certainement pas avec la localisation des places disponibles. Ainsi, le taux d'occupation du nouvel établissement de Bordeaux-Gradignan, à sa livraison en 2026 et à nombre de détenus inchangé, s'élèvera à 120 % et non à 100 %.

Ces constats sont partagés par la contrôleure budgétaire et comptable du ministère de la justice, qui a réalisé un contrôle sur l'exécution du programme immobilier pénitentiaire et conclu à son incapacité à limiter la surpopulation carcérale. Je recommande donc d'étendre dès à présent le programme 15 000 et de prévoir la construction de places supplémentaires.

Les raisons de l'allongement des délais de construction des prisons sont multiples. Tous les programmes immobiliers pénitentiaires ont connu des difficultés importantes en matière de recherche foncière. Selon l'administration pénitentiaire, elles découlent de contraintes en matière de faisabilité technique et environnementale et, surtout, de l'opposition d'élus locaux et de riverains à certains projets de construction.

Pour ma part, je pense que les acquisitions foncières du ministère de la justice sont d'autant plus complexes qu'il a fait le choix de rapprocher les prisons quasi exclusivement des centres-villes. Trop peu de mesures ont été prises pour faciliter l'adhésion des élus locaux aux projets de construction de prisons. Plusieurs propositions, que je fais aujourd'hui miennes, ont été formulées par le passé à ce sujet. Permettez-moi d'en mentionner deux. Nous pourrions modifier les modalités de calcul de la dotation de solidarité urbaine (DSU) pour favoriser les communes où se trouve un établissement pénitentiaire. Nous pourrions comptabiliser les places de détention au titre des obligations incombant aux communes en matière de logement social.

Par ailleurs, je rappelle avec insistance que certains projets stagnent, notamment à Grasse, à Châtillon-sur-Seine et à Oermingem, dans ma circonscription, où vous vous êtes rendu il y a quelque temps, monsieur le garde des sceaux.

La contrôleure budgétaire et comptable du ministère de la justice fait également valoir que le coût du programme 15 000 dépassera les prévisions. 3,6 milliards d'euros, soit 80 % de l'enveloppe initiale, ont d'ores et déjà été délégués au profit de l'APIJ. Par ailleurs, une part importante des crédits – 1,6 milliard d'euros – a été ouverte par la loi de finances pour 2017 et fait l'objet de reports successifs jusqu'en 2019.

Nous disposons d'une faible visibilité sur la manière dont l'administration pénitentiaire pilote la dépense. Je propose donc qu'un échéancier d'ouverture des crédits figure désormais dans les documents budgétaires et fasse l'objet d'une actualisation annuelle. À défaut, le ministère continuera à naviguer à vue, et le Parlement aussi, hélas.

Enfin, le contrôle réalisé par la contrôleure budgétaire du ministère de la justice sur le programme 15 000 démontre que l'administration pénitentiaire rencontre de très grandes difficultés pour formaliser ses propres commandes auprès de l'APIJ. Les opérations qui lui sont confiées ne sont jamais assorties d'objectifs explicites, ni en matière de calendrier ni en matière de coûts, ce qui est assez curieux.

Je recommande de déterminer des cibles claires, ce qui permettra de mieux évaluer le pilotage des programmes immobiliers du ministère de la justice et devrait constituer un outil de pilotage entre les mains du garde des sceaux lui-même. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour aller dans ce sens ?

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Monsieur le rapporteur spécial, je vous remercie pour la présentation de votre travail. J'ai écouté ce que vous disiez très attentivement.

Avant de vous répondre à proprement parler, j'aimerais mettre en perspective ce programme immobilier, qui est le plus grand plan de construction pénitentiaire entrepris depuis trente ans et, en même temps, l'un des plus grands programmes immobiliers de l'État en cours. Ce plan consiste à mener simultanément cinquante opérations immobilières pénitentiaires neuves. Ce chiffre donne la mesure de l'ampleur herculéenne des travaux et explique que les établissements ne peuvent sortir de terre en un an.

Pour comparaison immédiate, je rappelle que, lors du mandat du président Sarkozy, vingt-trois établissements pénitentiaires ont vu le jour, et dix lors du mandat du président Hollande. Ce plan est une priorité du Président de la République. Il portera à 75 000 places le nombre total de places de détention disponibles d'ici à 2027, contre 60 000 aujourd'hui. Il permettra à la France de disposer de 223 établissements pénitentiaires, grâce à la création de cinquante structures dans toute la France.

Ce programme immobilier vise à assurer la réponse pénale, à améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires, à améliorer la prise en charge des détenus et à lutter contre la surpopulation carcérale. Quant à la méthodologie initiale de son élaboration, elle a consisté à territorialiser les besoins, sur la base notamment du nombre de places dans les établissements existants et des projections départementales d'évolution à dix ans de la population carcérale.

J'en viens au terme « procrastination », que vous avez choisi, au sein du vaste ensemble lexical qui est le vôtre et dont nul n'ignore rien, pour intituler cette discussion. C'est dire si nous nous plaçons d'emblée dans une forme d'objectivité ! Ce mot désigne une tendance à tout remettre au lendemain. Comme si le plan de construction de 15 000 places de prison avait été remis aux calendes grecques depuis son annonce ! Comme si nous n'avions rien fait, depuis des années, pour le poursuivre ! C'est tout le contraire, monsieur le rapporteur spécial. Depuis le lancement de ce programme, il y a plusieurs années, des centaines de personnes sont à pied d'œuvre pour identifier les terrains et lancer les chantiers, ce qui n'est pas une mince affaire.

Vous avez eu raison de rappeler qu'il faut d'abord – c'est une grosse partie du travail du garde des sceaux – convaincre des élus locaux. Par exemple, nous aurions pu envisager la construction d'un établissement pénitentiaire à Strasbourg, mais nous nous sommes heurtés à quelques réticences. Parfois, ceux qui appellent à la sécurité et m'accusent de procrastiner ne sont pas ceux qui m'ont aidé le plus.

Le choix d'un site d'implantation est la résultante d'analyses techniques multicritères et de concertations politiques au niveau local prenant nécessairement plusieurs années.

S'agissant des analyses techniques, un site d'implantation d'établissement pénitentiaire doit répondre à un cahier des charges de recherches foncières très contraint, notamment en matière de caractéristiques physiques du terrain. Voici quelques-uns de ses critères : surface ; topographie plane ; absence de surplomb ; proximité de réseaux d'électricité, d'eau et de gaz pour sa viabilisation ; cartographie des risques naturels et technologiques ; compatibilité avec le plan d'urbanisme ; absence de servitude incompatible avec l'implantation d'une prison ; desserte ; accessibilité ; proximité de transports en commun ; contraintes environnementales telles que le zonage Natura 2 000 et la présence d'une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).

S'agissant des concertations politiques, certains élus n'aident pas. Lorsque nous proposons des terrains en zone urbaine, notre offre est repoussée au motif que les riverains redoutent une dégradation de leur environnement. Lorsque nous proposons des terrains éloignés des zones urbaines, on nous oppose la lutte contre l'artificialisation des sols et la protection des espaces naturels et agricoles. Au fond, si la nécessité pour l'État de construire des prisons fait consensus, c'est toujours mieux chez les autres ! Souvent, ceux qui s'indignent du manque de prisons sont les premiers à les refuser chez eux. C'est ainsi.

Par contraste avec ces quelques préjugés, je rappelle que l'installation d'un centre pénitentiaire est un facteur évident de dynamisation socio-économique d'un territoire. À Noiseau par exemple, le projet immobilier pénitentiaire devrait mobiliser 300 compagnons pour la phase des travaux. L'impact sur l'emploi local est donc positif. Le groupement titulaire du marché de conception-réalisation est tenu, en outre, de respecter une clause d'insertion qui prévoit de réserver des heures aux publics les plus éloignés de l'emploi. Il devra aussi s'engager sur une part minimale réservée aux PME et aux artisans qui ne pourra être inférieure à 10 % du montant du marché.

En phase d'exploitation, le projet entraînera la création sur le territoire de 450 emplois directs – personnel de surveillance, personnel administratif, encadrement, personnel de santé, enseignants, fonctions supports déléguées au secteur privé – et de plus de 150 emplois indirects et induits – agents chargés des extractions judiciaires, forces de sécurité intérieure (FSI), administrations partenaires de l'établissement, commerce et services locaux. En matière de finances locales, la population pénale présente au sein de l'établissement est comptabilisée dans la population de la commune pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée par l'État. Elle augmente donc de façon mécanique.

En matière de sécurité, rappelons que la plupart des personnes qui se rendent dans un centre pénitentiaire sont membres du personnel pénitentiaire, des familles des personnes détenues ou de l'ordre des avocats. Un établissement pénitentiaire est une institution dont l'activité génère par essence une surveillance et une présence accrue des forces de sécurité intérieure (FSI). Celle-ci est en outre renforcée par le déploiement des équipes locales de sécurité pénitentiaires (ELSP) aux abords de l'établissement. On ne constate donc aucune hausse de l'insécurité du fait de l'installation d'un établissement pénitentiaire, au contraire.

En matière d'incidence sur le prix de l'immobilier, le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc) relève « l'impossibilité de relier les différentes évolutions de prix de vente entre les alentours de l'établissement pénitentiaire, la commune ou le canton au contexte territorial seul ».

À ce jour, tous les terrains sont identifiés pour les cinquante établissements pénitentiaires du programme 15 000. La moitié sera opérationnelle en 2024. Onze établissements ont été mis en service pour la seule année 2023. Je tiens à les citer de façon exhaustive : Le Mans-Les Croisettes, que j'ai inauguré au mois d'avril ; Koné en Nouvelle-Calédonie, qui a ouvert en février ; Montpellier, que j'ai inauguré le 6 décembre dernier ; deux établissements à Caen, dont l'un a été inauguré le 21 décembre dernier ; Avignon ; Valence ; Troyes-Lavau ; Osny-Pontoise ; Meaux ; la réhabilitation de l'ex-centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis.

Voici, monsieur le rapporteur spécial, des photographies de ce qui sort de terre. On dit parfois qu'un petit dessin vaut mieux qu'une longue explication ; de belles photos valent sans doute mieux que de longues explications ! Si vous saviez le nombre de truelles – on m'en offre une à chaque inauguration – dont je dispose ! S'il vous en faut une pour bricoler, j'ai tout ce qu'il faut ! J'ai passé mon été à visiter des établissements pénitentiaires et je pousse en permanence l'APIJ pour que nous soyons au rendez-vous des obligations qui sont les nôtres.

Ces ouvertures complètent huit établissements déjà en service fin 2022 et issus du programme 15 000 : Mulhouse-Lutterbach, que j'ai inauguré en avril 2021 avec le Premier ministre Jean Castex ; Paris-La Santé ; Nanterre-Hauts-de-Seine ; Aix-Luynes II ; Draguignan ; Baumettes ; Papeari ; Saint-Martin-Boulogne. Tous les autres projets sont engagés à divers stades d'avancement – études préalables, concertation avec le public, passation ou notification de marchés publics de conception-réalisation.

Du point de vue budgétaire, le coût de la construction de ces cinquante établissements pénitentiaires est estimé à 5 milliards d'euros, dont 1,3 milliard a été investi avant 2023. Certes, la totalité des crédits alloués depuis 2017 n'a pas été consommée au rythme initialement envisagé. Cela, monsieur le rapporteur spécial, je le reconnais humblement.

Je l'ai dit, cet état de fait découle des énormes difficultés de recherche foncière que nous avons connues au début de la mise en œuvre du programme, qui elles-mêmes tiennent à des raisons de faisabilité technique ou environnementale, mais également à des raisons d'acceptabilité par les élus ou les riverains. La recherche foncière a également été entravée par des démarches contentieuses visant à ralentir l'avancée des projets, notamment à Muret, à Tremblay-en-France et à Orléans. Quoi qu'il en soit, les terrains nécessaires au lancement de tous les projets étant clairement identifiés, le rythme des livraisons s'accélérera et celles-ci s'échelonneront jusqu'en 2027.

Le programme immobilier pénitentiaire que je porte, après des années dévolues à l'identification des terrains, dont j'ai rappelé toute la complexité, est entré dans une phase active de construction. Si l'on peut affubler ce programme de nombreux qualificatifs, on ne peut en aucun cas le décrire comme une « inexorable procrastination ».

D'ailleurs, si j'étais cruel avec vous, Monsieur le rapporteur spécial, je vous rappellerai les dates de mise en chantier et de réalisation de précédents programmes immobiliers pénitentiaires initiés par votre famille politique. Mais je ne le serai pas, c'est inutile et j'ai de l'affection pour vous. J'ai dit que nous avançons et je vous ai montré des photographies.

Disons-le aussi, il y a eu la crise de la covid. Ceux qui ont engagé la construction d'une maison individuelle savent très bien qu'elle a considérablement ralenti les choses. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a retardé l'avancée de certains travaux, en raison du manque de matériaux de construction qu'elle a provoqué. Or il n'y a pas un mot, dans votre discours, sur la crise de la covid ni sur la guerre en Ukraine, dont ni vous ni moi ne sommes responsables.

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Monsieur le ministre, en vous écoutant, je me disais que l'adage selon lequel les conversations avec soi-même sont les plus difficiles à tenir est sans doute vrai, tant nous avons des difficultés à faire comprendre aux élus locaux les avantages qu'ils peuvent retirer de la construction d'un centre pénitentiaire. J'ai été maire de Saint-Maur, dont la maison centrale a accueilli les premiers quartiers de haute sécurité (QHS) de France. J'ai pu constater à la fois que l'immobilier était cher et que nous avions une sécurité pour pas cher, grâce à la présence permanente des forces de police. Le territoire en a bénéficié.

Certains terrains sont en phase d'appels d'offres, d'autres d'obtention du permis de construire. Comment votre ministère anticipe-t-il, dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, la forte augmentation du prix des matériaux de construction, de l'ordre de 20 % à 25 % d'après les professionnels ? Avez-vous une visibilité à ce sujet ?

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Je n'ai pas l'intention de voler au secours de M. le rapporteur spécial – qui n'en a d'ailleurs pas besoin –, et je ne suis pas un spécialiste de la question, mais il est vrai que le rythme de construction des prisons au cours des dernières décennies a quelque chose de désespérant. En disant cela, je ne considère pas non plus que la situation soit de notre responsabilité, bien entendu. Cela dit, le constat est d'autant plus surprenant que, même si l'établissement de la trajectoire du nombre de détenus n'est pas une science exacte, il doit être assez facile de la modéliser, car ce nombre n'évolue pas de manière spectaculaire d'une année sur l'autre.

Quoi qu'il en soit, vous menez une politique volontariste en la matière et avez obtenu des moyens supplémentaires, ce que je salue. Leur traduction dans la future loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice permettra, je l'espère, de clarifier les choses et de rassurer tout le monde quant à notre capacité à respecter ce plan.

L'une des recommandations de M. le rapporteur spécial a pour objectif d'obtenir l'adhésion des élus locaux, ce qui me paraît très important en effet – vous avez souligné les obstacles qu'il faut surmonter pour y parvenir, alors même que les retombées économiques sont très positives. J'aurais accepté que nous envisagions des mesures supplémentaires, par exemple à travers la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), mais, si j'ai bien compris, vous ne cherchez plus de sites supplémentaires. Cela m'aurait pourtant intéressé, car il n'y a pas d'établissement pénitentiaire dans mon département, et je n'ai même jamais entendu de sollicitation pour qu'il y en ait. Si nous en avions reçu, nous les aurions écoutées attentivement.

J'en viens à ma question. Les SAS (structures d'accompagnement vers la sortie) et le projet Inserre (innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi) permettent-ils une meilleure réponse pénale, ainsi que vous l'espériez ?

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Éric Dupond-Moretti, ministre

L'augmentation du prix des matériaux, liée à la poussée inflationniste, et les ruptures d'approvisionnement ont constitué des causes réelles de retard. Les chantiers ont désormais repris : on construit à tout-va. J'invite d'ailleurs tous les députés qui le souhaitent à m'accompagner quand j'inaugure une SAS ou quand je pose la première pierre de l'un de ces établissements, comme je l'ai fait récemment pour celui de Ducos, en Martinique, ou encore en Guadeloupe. Tous les établissements dont je vous ai parlé verront le jour. La moitié d'entre eux seront même sortis de terre en 2024.

Pour limiter les incertitudes liées à la modification des prix, la gouvernance des investissements immobiliers a été renforcée, avec la création d'un comité immobilier interministériel, présidé par le ministère de la justice, qui sécurisera la soutenabilité de la programmation immobilière en matière de coûts, de besoins opérationnels et de calendrier. Une clause de revoyure sera insérée dans le projet de loi de finances pour 2025, afin d'ajuster si nécessaire les crédits alloués au programme immobilier du ministère, en fonction du degré d'avancement des chantiers. Celui-ci dépend notamment de facteurs exogènes tels que l'inflation et l'approvisionnement en matières premières venant de l'étranger.

Les SAS sont des structures nouvelles et, pour une fois, l'acronyme a été particulièrement bien choisi : il s'agit bel et bien de structures d'accompagnement vers la sortie. Ce sont des sas, des établissements que l'on peut qualifier d'hybrides : cela reste des prisons, mais des prisons qui préparent à la sortie. Leur objectif est d'éviter les sorties sèches. Les SAS sont implantées dans les villes, pour que le détenu ait accès aux organismes sociaux et professionnels, pour qu'il sorte de prison avec une formation diplômante et qu'il soit en mesure de travailler. Ces établissements concernent les personnes dont la peine ou le reliquat de peine sont inférieurs à deux ans. On y trouve des psychologues et des psychiatres. Le personnel pénitentiaire n'y est pas soumis à la tension que l'on connaît dans certaines maisons d'arrêt, ce qui lui permet de mieux s'occuper des questions de réinsertion. Au cœur de tout cela – car notre démarche est cohérente –, il y a le contrat d'emploi pénitentiaire.

Pour réguler la population carcérale, on a parfois choisi des solutions qui, à mon sens, n'étaient pas les bonnes : elles consistaient à montrer les muscles tout en accordant des réductions de peine automatiques. Ainsi, quand une personne était définitivement condamnée à dix ans, elle savait que, sans avoir à faire quoi que ce soit, elle verrait sa peine réduite de deux ans. J'ai supprimé cette disposition, non pas pour être plus sévère, mais pour inciter les détenus à l'effort, celui-ci étant mesuré à l'aune des qualités de chacun : pour certains jeunes complètement désinsérés, cela consiste à se lever le matin ; pour d'autres, à apprendre à lire et à écrire, à se désintoxiquer, et surtout à travailler. C'est pour cela que nous avons créé le contrat d'emploi pénitentiaire, qui a été lancé au mois d'avril. Je remercie d'ailleurs tous les patrons qui se sont associés à ce projet citoyen qui présente également un intérêt sur le plan économique.

Non seulement la réinsertion est essentielle, mais elle permet indirectement de lutter contre la surpopulation carcérale, car un ancien détenu qui ne récidive pas ne retourne pas en détention. Je crois beaucoup dans les SAS. J'ai la certitude qu'elles permettent de préparer la libération. Nous avons tous à l'esprit ces films des années 1950 dans lesquels on voit un détenu sortir de prison avec son baluchon. La porte se referme derrière lui, et devant il n'y a rien – ni boulot ni logement –, si ce n'est ses anciens copains qui l'attendent dans une voiture, et le spectateur comprend qu'il va recommencer. Pour ma part, je veux casser ce cercle vicieux.

Outre les SAS, nous créons les établissements, comptant chacun 180 places, que l'on appelle Inserre, et là aussi l'acronyme a été bien choisi : ce sont des structures tournées vers l'insertion et le travail.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Je remercie M. le rapporteur spécial de s'être intéressé à la question des prisons, qui est essentielle pour la sécurité des Français. C'est un enjeu majeur en matière de dissuasion, de répression et de réinsertion. Le plan de 15 000 places annoncé par le Président de la République en 2018 est ambitieux, à l'image des hausses budgétaires dont nous venons de parler.

La construction d'établissements pénitentiaires est un chemin escarpé. D'une part, il faut rattraper les retards entraînés par la politique carcérale désastreuse de l'époque Hollande-Taubira. D'autre part, les réticences des élus locaux sont fortes, comme en témoigne le nombre important de recours déposés. Toutefois, la volonté politique de construire des prisons existe chez de nombreux élus, attachés à l'exercice par l'État de ses pouvoirs régaliens. Nous devons les rassurer en les intéressant davantage aux bénéfices que comporte cette démarche pour la société.

J'ai relevé, dans le discours de M. le rapporteur spécial, un élément qui constitue effectivement une anomalie : l'augmentation de sa population liée à l'ouverture d'un établissement carcéral peut conduire une ville à être assujettie au taux prévu par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). De tels inconvénients peuvent provoquer des crispations.

Le calendrier avance : onze prisons seront inaugurées ou mises en service en 2023 sur les cinquante prévues. Un calendrier très ambitieux mais prenant un peu de retard – pour les raisons mentionnées – est préférable à une volonté faible : ce ne serait pas à la hauteur de nos attentes, qu'il s'agisse de l'amélioration des conditions de détention, lesquelles heurtent nos valeurs et notre conception de la dignité humaine, ou de la sécurité, que nos concitoyens veulent que nous assurions.

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Le plan 15 000 est absolument nécessaire. C'est aussi l'un des piliers de la communication du ministère de la justice. Or il ne sera pas réalisé en 2027. Selon nous, il convient d'acter cette mauvaise nouvelle. La première tranche des objectifs – qui ont d'ailleurs évolué avec le temps –, durant la période 2018-2022, n'a été réalisée qu'au tiers. Nous sommes donc loin du compte.

Vous avez évoqué certains éléments qui constituent effectivement des difficultés, monsieur le garde des sceaux : le foncier, l'urbanisme, les délais d'instruction, les contraintes environnementales, les dessertes et les seuils imposés par la loi SRU – à ce propos, vous pourriez enfin reconnaître les difficultés insurmontables que connaissent les élus locaux qui ne parviennent pas à atteindre les quotas de logements sociaux et sont sanctionnés financièrement. À ces problèmes s'ajoutent l'inflation, la concertation avec les élus locaux et les partenariats public-privé (PPP) ruineux. Toutes ces réalités sont autant d'obstacles.

Enfin, le défaut d'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire, lié notamment aux conditions de travail, fait qu'il sera très difficile d'atteindre l'objectif en matière d'embauches, alors même que ces dernières sont indispensables pour encadrer les détenus supplémentaires. Non seulement l'administration pénitentiaire n'attire plus, mais, quand on en fait partie, on souhaite souvent la quitter.

En conséquence, la vraie question est de savoir s'il ne vaudrait pas mieux repousser la limite temporelle au-delà de 2027. L'essentiel est d'atteindre l'objectif. La modification du calendrier serait l'occasion de revoir le dimensionnement du plan à la hausse, ce qui fait écho à la possibilité qui a été évoquée de chercher des sites supplémentaires.

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Je remercie M. le rapporteur spécial pour son excellent travail d'évaluation.

Notre collègue évoque le manque de places, les retards enregistrés dans l'exécution du plan et la sous-estimation de celui-ci par rapport aux besoins. En effet, on peut se demander si, quand bien même les 15 000 places seraient construites, ce chiffre serait suffisant – et, par conséquent, si le plan était assez ambitieux.

Avez-vous estimé le surcoût lié à la forte augmentation, depuis 2021, des prix des matériaux de construction ?

Dans son rapport, Patrick Hetzel souligne le manque d'attractivité du métier de surveillant pénitentiaire. Certes, l'évolution du statut des agents pénitentiaires que vous avez engagée est positive, mais on peut se demander si elle est suffisante, compte tenu notamment du fait que les 15 000 places nécessiteront un encadrement supplémentaire.

Quel plan d'action envisagez-vous pour favoriser l'adhésion des élus locaux à l'implantation d'établissements pénitentiaires ? Disposez-vous des moyens nécessaires pour solliciter les élus des différents départements ?

Dans quelle mesure le ZAN constitue-t-il un obstacle pour l'implantation de nouvelles prisons ? Faudrait-il prévoir des dérogations ? La construction de prisons est un objectif d'intérêt général qu'il faut poursuivre avec rigueur.

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La surpopulation carcérale est un problème : dans les maisons d'arrêt, notamment, le taux d'occupation dépasse en moyenne 140 %. Pour y remédier, la construction de nouveaux établissements est prévue – la livraison de 7 000 places avait été annoncée. En dépit du retard, que des raisons objectives expliquent, 35 % auront été livrées dans la période. Comment peut-on le rattraper ? D'ici à 2027, le nombre de places à ouvrir sera-t-il revu à la hausse ?

Par ailleurs, avez-vous prévu la construction d'établissements intermédiaires, pour les détenus en semi-liberté ou ceux ayant besoin de soins, par exemple dans le cadre d'une désintoxication ? De tels établissements permettraient de libérer des places et de mieux prendre en compte les différents profils, en vue de la réinsertion des détenus.

La construction de prisons se heurte à des oppositions de la part des riverains, ainsi que des élus locaux, malheureusement. Parmi les nouvelles infrastructures pénitentiaires, combien font l'objet de recours administratifs ?

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La surpopulation carcérale est un sujet récurrent des politiques publiques en matière de justice, et la gravité du phénomène – car il y va de la dignité des personnes détenues – contraste souvent avec les solutions simplistes qui sont proposées. La situation est inquiétante ; notre rapporteur spécial a donné plusieurs exemples et précisions à ce propos.

La construction de places ne parvient pas à suivre la cadence : alors que le Gouvernement avait annoncé en 2018 la création de 7 000 places nettes pour 2022, seules 2 441 ont été livrées. Désormais, il promet 8 000 places de plus en 2027, mais, comme l'a relevé notre rapporteur spécial, le plan accuse d'ores et déjà des retards – M. le garde des sceaux nous en a exposé les raisons, que l'on peut entendre ; je le remercie de ses précisions concernant les travaux en cours et le calendrier d'ouverture des établissements. Quoi qu'il en soit, toujours selon notre rapporteur, le nombre de personnes écrouées détenues, qui s'élevait à 45 420 en 1990, a fortement progressé, pour atteindre 51 441 en 2000 et 72 351 en mars 2023, soit une hausse de plus de 59 %. L'augmentation du nombre de places prévue était-elle donc prédictive ? Je ne le pense pas.

L'évaluation des politiques publiques en matière de justice devrait utiliser d'autres indicateurs que le nombre de places en prison. La réduction du nombre de personnes détenues semblerait plus pertinente. En attendant, il est urgent de repenser notre modèle répressif. Les peines alternatives à l'emprisonnement ne devraient-elles pas devenir un vrai objectif, afin que la prison ne soit plus ce lieu infernal favorisant la récidive que vous avez décrit, monsieur le garde des sceaux ? Comment, d'ailleurs, pourrait-il en être autrement, alors que le taux d'occupation de certains établissements dépasse 200 % ? Il faut éviter les sorties sèches : vous l'avez rappelé à propos des SAS et des Inserre. Pouvez-vous nous faire part de vos ambitions en matière de substitution et de gestion des aménagements liés aux reliquats de peine ? Sont-elles chiffrées ?

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Je donne la parole à M. Lacresse, qui souhaite lui aussi interroger le ministre.

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Le programme « 15 000 places » – sur ce chiffre, entre 7 000 et 8 000 seront construites d'ici à 2027, selon notre rapporteur spécial, dont 80 % seront individuelles – se heurte aux réticences de certaines collectivités qui rechignent à mettre du foncier à disposition. Ce n'est pas le cas de l'agglomération de Nancy-Toul, et la Meurthe-et-Moselle accueille un quart des places de la région Grand-Est.

Trois prisons expérimentales centrées sur le travail et la formation devraient être construites à Arras, Toul et Donchery. Alors que la fermeture de la maison centrale de Clairvaux est prévue dans quelques jours et que l'ouverture d'un Inserre à Toul se profile en 2026, percevez-vous une attente dans certains territoires qui souhaiteraient être en pointe sur ces sujets ?

Des dispositifs anti-drones sont en cours de déploiement. De fait, les incursions répétées de ces appareils deviennent très visibles dans certains territoires. Votre administration est pleinement mobilisée pour y remédier. Toutefois, quels sont les besoins financiers en la matière ?

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Monsieur Schreck, pour ce qui concerne l'attractivité, il me semble avoir déjà répondu en grande partie à la question.

Voilà vingt ans que les personnels pénitentiaires souhaitaient que les catégories soient modifiées. Ils estimaient, non sans raison, qu'ils constituaient la troisième force de sécurité du pays mais n'étaient pas logés à la même enseigne que les autres. Nous avons obtenu que des mesures soient prises pour améliorer leurs carrières, leurs salaires et leurs pensions de retraite. Je crois que c'est de nature à rendre ces métiers plus attractifs.

Il en est de même de l'ouverture d'établissements pénitentiaires modernes. Quand j'ai inauguré celui de Lutterbach, les surveillants anciennement affectés à deux très vieilles maisons d'arrêt étaient heureux de les quitter pour un centre flambant neuf. On parle de conditions indignes pour les détenus, mais les conditions de travail des surveillants sont elles aussi indignes.

Vous approuvez le plan « 15 000 places » tout en déplorant que nous soyons encore loin du compte, mais si j'avais dû me contenter des crédits que vous vouliez m'accorder, aucune n'aurait été construite, puisque vous avez refusé de voter le budget !

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Personne ne l'a voté, le Gouvernement ayant utilisé le 49.3 !

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Éric Dupond-Moretti, ministre

D'une part, les crédits de la mission Justice pour 2023 ont bien été votés, d'autre part, cela fait trois ans que je suis garde des sceaux et vous n'avez jamais adopté aucun des budgets que j'ai présentés. Vous vous félicitez du programme de 15 000 places de prison, mais vous refusez de nous donner les moyens de le réaliser : c'est assez contradictoire !

Je vais bientôt vous présenter des projets de loi visant à sortir la justice de l'ornière dans laquelle elle se trouve depuis des décennies : j'espère que vous serez au rendez-vous.

Monsieur Habert-Dassault, pour ce qui est des surcoûts, je pense avoir déjà répondu.

Monsieur Geismar, il reste cinq contentieux en cours dans toute la France. Nous disposons désormais des terrains – mais nous avons perdu beaucoup de temps, et il ne s'agit pas de procrastination.

Monsieur Leseul, dans le projet de loi que vous examinerez prochainement, une disposition permet au secteur associatif habilité de mettre en œuvre des TIG. Nous avons considérablement renforcé ce dispositif mais la peine n'est pas assez souvent prononcée. Dans mes circulaires de politique pénale générale à l'attention des procureurs généraux, j'ai demandé qu'elle le soit chaque fois que possible. Ces peines, qui sont pour certains jeunes l'occasion d'avoir une première expérience professionnelle, sont utiles.

Quant au tout carcéral… Vous savez, s'il suffisait de doubler la durée de toutes les peines pour que ça marche, ça se saurait. Je suis donc attaché aux TIG, qui sont une peine qui a fait ses preuves. Je répète qu'elle n'est pas assez prononcée, mais, étant le garant de l'indépendance de la justice dans ce pays, je ne peux pas demander à des magistrats du siège de le faire plus souvent. Je ne peux que demander aux procureurs généraux de rappeler qu'elle existe et de suggérer aux procureurs de la requérir à chaque fois que c'est possible. J'insiste néanmoins sur ces derniers mots, parce que j'assume la fermeté de la réponse pénale. Je défends l'humanisme, mais sans démagogie ni angélisme.

La libération sous contrainte est une autre option, mais elle n'a pas encore donné de résultats. Bref, nous estimons que le nombre net de places à construire prévu est suffisant.

Monsieur Lacresse, l'ouverture de l'établissement Inserre de Toul est prévue en 2027 ; il comprendra cent places. Un budget de plus de 7 millions d'euros est consacré à la lutte anti-drones en 2022-2023 ; cinquante établissements pénitentiaires sont concernés. À l'heure actuelle, dix-huit sites sont équipés. Il nous faut le temps de nous adapter à cette technologie nouvelle. Nous faisons en sorte de sécuriser les établissements pénitentiaires, notamment à l'aide de filets et d'équipements dans les parkings. Quant à la caméra-piéton, dont l'usage est prévu dans le projet de loi à venir, elle est à la fois au service du personnel pénitentiaire et à celui de la vérité.

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Je formulerai trois remarques.

Premièrement, je me permets de vous signaler que je suis député du Bas-Rhin, mais pas de Strasbourg. Pour notre part, nous étions favorables à l'extension du centre d'Oermingen. Vous pouvez à tout moment y faire des investissements, les élus en seront d'accord.

Deuxièmement, si je n'ai pas mentionné dans ma présentation liminaire la crise sanitaire ni les pénuries de matériaux provoquées par la guerre en Ukraine, j'y fais évidemment référence dans le rapport. J'indique clairement que ces événements expliquent un certain nombre de retards.

Troisièmement, dans les années 2000, la Chancellerie s'apercevant que les programmes immobiliers prenaient du retard, il a été décidé de créer une agence dédiée : l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij). Or le contrôleur budgétaire et comptable ministériel, qui dépend de Bercy, constate des difficultés de pilotage entre la Chancellerie et l'Apij. La procrastination – je maintiens le terme – en découle en grande partie. Les objectifs ne sont pas assez clairs et le cadrage budgétaire est insuffisant. Cette question me paraît essentielle, et sachez que j'y reviendrai à l'occasion de chacun de mes rapports spéciaux.

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Éric Dupond-Moretti, ministre

Je n'ignore pas que Strasbourg n'est pas dans votre circonscription.

D'autre part, vous avez peut-être écrit que la crise sanitaire avait généré des retards d'exécution du plan 15 000, mais cela va mieux en le disant, surtout lorsque l'on est regardés par nos concitoyens.

Enfin, dans la période que vous évoquez, des places de prison ont été construites dans le cadre d'un partenariat public-privé, et elles ont coûté bien plus cher que celles que nous construisons actuellement.

Je peux vous assurer, monsieur le rapporteur spécial, que durant les réunions avec l'Apij, je me montre volontariste, directif, voire caporaliste, l'objectif étant que ces prisons sortent de terre. Ce sera en 2024 le cas de la moitié d'entre elles. Si vous assistiez à ces réunions, je vous assure que vous ne diriez pas qu'il existe des difficultés de pilotage. Je récuse l'accusation de procrastination ; elle est injuste.

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Merci, monsieur le ministre, et félicitations à notre rapporteur spécial, dont chacun ici connaît le caractère fort et l'énergie qu'il met à défendre ses positions.

La commission autorise, en application de l'article 146, alinéa 3, du Règlement de l'Assemblée nationale, la publication du rapport d'information de M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du jeudi 25 mai 2023 à 17 heures 30

Présents. - M. Jean-René Cazeneuve, M. Luc Geismar, Mme Perrine Goulet, M. Victor Habert-Dassault, M. Patrick Hetzel, M. François Jolivet, M. Emmanuel Lacresse, M. Pascal Lecamp, M. Christophe Plassard, M. Robin Reda, M. Alexandre Sabatou, Mme Eva Sas, M. Philippe Schreck, M. Jean-Marc Tellier

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Manuel Bompard, M. Éric Coquerel, M. Joël Giraud, Mme Karine Lebon, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet

Assistaient également à la réunion. - M. Gérard Leseul, Mme Ersilia Soudais