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Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du jeudi 25 mai 2023 à 17h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Éric Dupond-Moretti, ministre :

Pour le président de la conférence des procureurs généraux, qui s'est exprimé publiquement aujourd'hui, ces augmentations budgétaires et l'arrivée de personnels supplémentaires vont dans le bon sens.

Monsieur Reda, nous voulons en effet, conformément aux promesses du Président de la République, recruter 10 000 agents supplémentaires, ce qui est absolument historique. À titre indicatif, car nous devons nous ménager une certaine souplesse, le calendrier prévoit 1 900 recrutements en 2024 et 2025, 1 600 en 2026 et plus de 1 700 en 2027. Nous voulons sanctuariser dès à présent 1 500 magistrats et 1 500 greffiers afin de renforcer les services judiciaires. Comme je l'ai indiqué à M. le rapporteur, je ne souhaite pas figer une répartition des effectifs restants pour les quatre années à venir, afin de conserver une certaine flexibilité.

Les juridictions administratives connaissent le zéro papier. Cet objectif que je soutiens n'est pas une simple formule, mais un véritable projet, dont la réalisation suppose deux conditions. La première est un plan de soutien au personnel par l'amélioration des réseaux. Nous avons recruté des techniciens informatiques qui aideront les personnels, magistrats et greffiers, dans chaque juridiction en répondant aux problèmes les plus simples. Rien n'est en effet plus frustrant pour les magistrats et les greffiers que de se trouver un jeudi soir devant une bécane qui ne fonctionne plus.

Il s'agit aussi d'améliorer les logiciels, au civil comme au pénal, avec des applicatifs améliorés que nous voulons rendre plus compatibles entre eux. Un code d'accès unique, par exemple, facilitera la vie des personnels en leur évitant de multiplier les saisies. Actuellement, en effet, l'utilisation de plusieurs applicatifs dans la chaîne pénale oblige le greffier à saisir à nouveau pour chacun d'eux les nom, prénom, date de naissance, adresse et autres données, ce qui représente pour certains d'entre eux jusqu'à 20 % de leur temps, que l'on pourrait ainsi économiser – sans compter le caractère fastidieux de la tâche.

J'ai évoqué le développement de la PPN, que le secrétaire général adjoint du ministère de la justice, ancien procureur d'Amiens, avait été chargé de développer dans son ressort. Nous faisons dans ce domaine des efforts considérables. La question concernant à la fois le ministère de l'intérieur et celui de la justice, nous avons désormais un chef de projet commun, afin que l'un n'avance pas plus vite que l'autre. Nous avons donc décidé d'unifier nos efforts pour aller de l'avant.

Madame Soudais, je sais que vous critiquez le fait que nous construisions des places de prison. De fait, il n'est pas difficile d'en finir avec la surpopulation carcérale : avec 73 000 détenus pour 60 000 places, il suffit de libérer 13 000 personnes ! Or c'est totalement illusoire et notre pays ne le supporterait pas. Et contrairement à ce que vous pourriez penser, c'est, non pas à vous, mais à l'extrême droit que profite cette démagogie-là. Il faut être sérieux et réaliste. Je mets en place des choses que vous ne soutenez pas – mais ce n'est pas bien grave. Depuis le 1er janvier, une loi permet de libérer les détenus ayant un petit reliquat de peine à accomplir. Cette libération judiciaire est décidée à la condition que les bénéficiaires présentent certaines garanties, notamment en matière de logement. Il s'agit ainsi d'éviter les « sorties sèches », qui génèrent souvent de la récidive.

Par ailleurs, comment pouvez-vous dire sérieusement que rien n'a été fait pour rénover les établissements pénitentiaires ? Allez donc aux Baumettes ou à Fleury-Mérogis : vous y verrez une douche par cellule, alors que, pendant des années – j'ai été avocat pendant trente-cinq ans –, les douches n'étaient accordées aux détenus qu'une fois par semaine. Allez donc voir dans d'autres établissements pénitentiaires : nous avons plus que doublé le budget consacré aux rénovations – je ne parle pas des constructions.

Madame la députée, je ne suis pas un démagogue et je n'ai pas de baguette magique. J'aimerais pouvoir vous dire que tout cela est réparable d'un claquement de doigt et je porte autant que vous cette préoccupation. En matière de surpopulation carcérale, personne n'a le monopole du cœur. J'ai été, je le répète, avocat pendant trente-cinq ans.

La réalité, c'est que ce que nous avons fait, personne ne l'avait fait avant nous. Si vous allez à la Santé, à Fleury-Mérogis, aux Baumettes ou dans d'autres établissements pénitentiaires, vous verrez qu'en construisant aujourd'hui des prisons, on veille à éviter une ombre carcérale trop lourde.

Je pense aussi aux agents pénitentiaires, qui travaillent dans des conditions très difficiles et dont je suis fier d'être le ministre. Je les ai revalorisés et je souhaite qu'ils travaillent dans de bonnes conditions. Lorsque les conditions de détention sont acceptables, les conditions de travail s'améliorent, permettant aux agents pénitentiaires de se consacrer davantage à un programme de réinsertion.

J'ai également mis en place le contrat d'emploi pénitentiaire qui, même si je ne suis pas sûr que vous l'ayez beaucoup aimé, madame la députée, permet à des détenus de sortir formés et avec un travail.

Le budget de cette opération de maintenance représente 235 millions d'euros en 2023 – sachant que cette opération prend évidemment en considération la réinsertion.

Monsieur Schreck, vous voyez dans ma présentation une forme de culturisme judiciaire ou de forfanterie. Avant de parler de ce que je veux faire, je rappellerai donc ce que nous avons fait : nous avons embauché 700 magistrats, 850 greffiers et 2 000 contractuels, ce qui a permis notamment, et pour la première fois en France, une réduction drastique des stocks.

Comparaison n'est pas raison, mais je rappelle que, durant le quinquennat du président Hollande, un peu plus d'une centaine de magistrats ont été embauchés et, sous son prédécesseur, le chiffre était même négatif car les magistrats partant à la retraite n'étaient pas remplacés. Vous pouvez donc me reprocher de me vanter de ce qui va venir, mais je suis assez fier de ce que nous avons fait. En termes budgétaires, le budget de la justice a augmenté de 40 % sous le premier quinquennat du président Macron et aura augmenté de 60 % d'ici à la fin de celui-ci. Nous aurons ainsi plus embauché en cinq ans que durant les vingt dernières années.

Le travail ne sera, évidemment, pas terminé, mais j'ai l'absolue certitude que celui ou celle qui me succédera devra se souvenir que la justice doit être bien traitée. En effet, pour avoir traîné mes guêtres trente-cinq ans dans les juridictions, je sais que la situation actuelle est le fruit de décennies d'abandon budgétaire, humain et politique.

Vous m'avez également interpellé à propos de l'inflation. Chaque investissement du ministère fait l'objet d'actualisations nécessaires en termes de coût global. De façon générale, on ne peut pas déduire simplement l'inflation du budget de la justice, parce que le taux d'inflation moyen national, qui touche les consommateurs individuels, ne peut s'appliquer strictement à un ministère, et parce qu'en outre le ministère bénéficie ponctuellement de crédits interministériels supplémentaires.

Enfin, vous n'avez jamais voté les budgets précédents, pas davantage que les budgets portés par le ministre de la justice. Il est donc facile de commenter ce que nous faisons ou ne faisons pas sur le mode du « y a qu'à, faut qu'on ». Cette remarque s'adresse également aux députés du groupe La France insoumise, qui n'ont pas voté non plus les budgets de la justice : vous vous retrouvez sur ce point, comme sur quelques autres. Quand le ministre de la justice veut, à défaut de pouvoir tout améliorer d'un claquement de doigt, améliorer au moins certaines choses et qu'il propose des budgets en augmentation, vous ne les votez pas, après quoi vous lui dites ce qu'il faudrait faire… mais avec quoi ? Avec l'argent que vous n'avez pas accordé au ministère de la justice ? C'est vraiment facile !

Nous avons là une opportunité magnifique – voyez ce qu'en disent les magistrats, y compris dans leur expression syndicale, et les greffiers. Je serai bientôt devant vous à nouveau et j'espère que, malgré ce qui nous oppose – ce qui est normal dans une démocratie –, nous serons tous au rendez-vous budgétaire, parce que nous avons tous, de façon transpartisane, envie de faire bouger les choses et de donner à la justice les moyens dont elle a tant besoin. Je vous donne donc rendez-vous bientôt.

Monsieur Habert-Dassault, vous avez évoqué la transformation numérique. Avec le système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ), les durées de traitement ont diminué. Un groupe de travail a associé à ce processus les personnels de terrain. Quant au zéro papier, c'est le but que nous poursuivons.

Je ne suis pas peu fier de l'application justice.fr – que vous avez, je l'espère, tous téléchargée –, qui met la justice à portée de doigt et vous permet de savoir si vous pouvez bénéficier de l'aide juridictionnelle (AJ). Vous le savez, je suis très attaché à la justice de proximité. Avec cet outil, les femmes pourront voir grâce à un simulateur quelle serait la pension alimentaire qu'elles pourraient obtenir. Sans tomber dans le pathos, combien de femmes renoncent à divorcer par peur de ne pas pouvoir nourrir leurs gosses ? Nous leur proposons cette application, qui marche bien et que je vous conseille. On y trouvera 8 000 fiches thématiques, indiquant par exemple comment on peut changer de nom. En Guadeloupe et en Martinique, où je me suis rendu la semaine dernière pour annoncer des moyens supplémentaires, un grand nombre de magistrats et de participants aux réunions que j'organisais étaient déjà branchés sur justice.fr et les retours que j'en ai eus étaient positifs. Ce dispositif, qui favorise l'agilité, a en outre vocation à évoluer, sur la base de simulations, pour proposer des outils beaucoup plus précis.

Monsieur Geismar, le SIAJ a montré son efficacité en matière de délai de traitement des demandes d'AJ – j'ai donné quelques chiffres. Il ne faut pas pour autant que le numérique interdise la justice à certains de nos compatriotes les plus démunis. Nous maintenons donc les points justice gratuits et confidentiels, et j'ai également signé une convention avec l'École nationale de la magistrature (ENM) pour que les futurs magistrats aillent dans ces points justice à la rencontre de nos compatriotes les plus défavorisés, qui n'ont pas tous accès au numérique, pour leur fournir les renseignements nécessaires.

Monsieur Plassard, le bracelet anti-rapprochement (BAR) et le téléphone grave danger (TGD) ont permis de lancer 3 600 alertes, et c'est à chaque fois un drame évité par l'intervention des forces de sécurité intérieure (FSI) – même si cela retient moins l'attention que les meurtres ou les violences, qui sont une indignité. Chaque fois qu'un BAR ou un TGD est utilisé, il est immédiatement remplacé, car il est disponible. Nous allons poursuivre ce mouvement.

J'ai piqué un jour un petit coup de sang – cela m'arrive parfois – en disant, après l'affaire de Mérignac, que les BAR n'avaient pas vocation à rester dans les tiroirs. J'ai été entendu, car 1 000 BAR sont aujourd'hui actifs et je puis vous dire, avec une fierté que je partage avec vous qui m'avez permis de les acheter, que nous avons été plus rapides que les Espagnols, qui sont toujours la référence suprême en matière de violences intrafamiliales. Nous sommes donc au rendez-vous de nos obligations et nous poursuivons sur cette lancée.

Nous créons aussi un BAR 5G, car il arrivait que les bracelets anti-rapprochement existants fonctionnent mal, notamment en zone urbaine, ce qui m'a rendu un peu grognon et m'a fait décider de changer d'opérateur. Certaines difficultés demeurent, mais le BAR de nouvelle génération sera beaucoup plus performant. Il nous faut en effet nous améliorer en permanence dans la lutte contre les violences intrafamiliales, qui ne s'arrête jamais.

Quelques chiffres plus précis : le nombre de TGD déployés a dépassé 5 000 début 2023, soit 50 % de plus qu'en 2021. Nous en sommes aujourd'hui à 5 200 et l'objectif fixé peut évidemment être atteint. En 2023, les crédits consacrés aux victimes de violences familiales atteignent 16,2 millions d'euros, ce qui représente une hausse de 5 % par rapport à 2022 et de plus de 50 % par rapport à 2021. Je suis à votre disposition pour vous communiquer tous les chiffres dont nous disposons, car il est normal que la représentation nationale sache exactement comment nous dépensons l'argent.

Monsieur Tellier, je ne suis pas du tout d'accord avec vous lorsque vous parlez d'un « modeste rattrapage », car le budget a déjà augmenté de 40 % et aura augmenté de 60 % en 2027. Je peux entendre que, durant les trente années précédentes, nous n'avons pas été très attentifs à la justice, qui a exprimé son ras-le-bol avec des mots repris par Mme Soudais et que je fais miens. C'est là un constat et, du reste, Jean-Marc Sauvé lui-même n'a pas été tendre dans son rapport, tandis que Jean-Jacques Urvoas parlait de « clochardisation » de la justice. Nous avons entendu tous ces mots et partageons ce constat, mais nous aurons réalisé 7,5 milliards d'investissements supplémentaires d'ici à 2027 et aurons embauché en cinq ans plus de magistrats que durant les vingt dernières années.

Un tout petit bémol néanmoins à propos de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej). Tout d'abord, elle a toujours deux ans de retard – son dernier rapport ne prend pas en compte les deux derniers budgets. Par ailleurs, les comparaisons avec l'Allemagne ne sont guère justifiées, car ce pays ne possède pas de juges consulaires ni de conseils des prud'hommes. Enfin, comme le relève la Cour des comptes, le droit germanique est plus gourmand en magistrats que le nôtre. Je ne dis pas pour autant que tout va bien dans le meilleur des mondes, mais nous faisons notre possible.

Votre commission sait mieux que quiconque que le « quoi qu'il en coûte » est terminé – et Bruno Le Maire me le redit chaque fois que nous nous voyons. Toutefois, nous devons à notre justice et à nos justiciables un véritable effort.

Les leviers en sont évidemment ceux du budget, avec des moyens humains et matériels supplémentaires, mais ce sont aussi, dans le domaine réglementaire, des simplifications de la procédure civile pour favoriser les règlements amiables susceptibles de réduire les délais. Il s'agit aussi d'une simplification de la procédure pénale à droit constant, afin que la justice soit rendue plus rapidement. En effet, dans l'exercice démocratique inédit des états généraux de la justice, qui s'est d'ailleurs révélé être un succès, les Français nous ont dit, sur la plateforme qui leur était réservée, que la justice était trop lente, trop éloignée et trop complexe. Il faut donc introduire un volet de simplification pour mettre un terme à cette sédimentation des textes dont les professionnels ont ras-le-bol. Le volet de la déconcentration est, lui aussi, très important.

J'ai donc la faiblesse de penser que les textes législatif et réglementaire que je porterai sont cohérents. Je précise à cet égard que je vous communiquerai les textes réglementaires, dont la représentation nationale doit avoir pleinement et précisément connaissance.

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