La réunion

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Jeudi 26 janvier 2023

La séance est ouverte à 9 heures 35.

(Présidence de M. Jean-Félix Acquaviva, président de la commission)

La commission auditionne M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, au titre de ses précédentes fonctions en tant que coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme.

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Nous auditionnons M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, au titre de ses anciennes fonctions de coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT). Cette audition a lieu à huis clos. Elle fera l'objet d'un compte rendu, qui vous sera adressé, monsieur le préfet de police, pour observations avant publication.

Monsieur Nuñez, vous étiez CNRLT lors de l'agression mortelle d'Yvan Colonna à la maison centrale d'Arles. Vous avez quitté ce poste en juillet 2022 pour devenir préfet de police de Paris.

Aux termes des dispositions en vigueur, le CNRLT « conseille le Président de la République dans le domaine du renseignement et de la lutte contre le terrorisme ». Il « s'assure de la bonne coopération » des services spécialisés de renseignement et de ceux dits du second cercle, « afin de favoriser le partage d'informations et l'efficacité de l'action, notamment face à la menace terroriste ».

Le renseignement pénitentiaire appartient au second cercle. Au sein de la communauté du renseignement, il s'agit d'un jeune service. Créé en 2017, il a acquis le statut de service à compétence nationale en 2019, sous l'appellation de service national du renseignement pénitentiaire (SNRP).

Nous souhaitons notamment savoir comment le CNRLT appréhendait les relations avec ce nouveau membre de la communauté du renseignement, qui présente des spécificités, les personnes qu'il a vocation à suivre se trouvant en milieu fermé.

La question du partage de l'information entre les services, notamment avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dont nous avons auditionné le directeur général et que vous avez précédemment dirigée, est centrale et sensible s'agissant du drame qui occupe notre commission d'enquête. Le SNRP a-t-il été destinataire, de la part des autres services, de l'ensemble des éléments d'appréciation et d'analyse pertinents avant la mise sous écrou des personnes concernées, au premier rang desquelles Franck Elong Abé ? Le SNRP vous a-t-il adressé des demandes visant à en obtenir, sur ce dernier ou sur d'autres profils, de la part des services partenaires ?

Notre rapporteur, M. Laurent Marcangeli, vous a transmis un questionnaire préalablement à votre audition. Je vous invite à transmettre ultérieurement à la commission d'enquête des éléments de réponse écrits, ainsi que toute information que vous jugeriez utile de porter à sa connaissance.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

( M. Laurent Nuñez prête serment. )

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis devant vous au titre de mes anciennes fonctions de CNRLT, dont je tiens à dire d'emblée que ses missions ne sont pas opérationnelles. Le coordonnateur ne traite pas d'affaires opérationnelles et n'en a pas connaissance. La façon dont les services mènent leurs investigations, définissent leurs objectifs et travaillent ne le concerne pas. Il est chargé de s'assurer de la bonne coopération entre les services et de mettre en place les process visant à assurer la fluidité des échanges d'informations.

Cette fonction a été créée en 2008 pour que le partage d'informations s'effectue dans des conditions convenables, ce qui n'a pas toujours été le cas auparavant, comme l'ont démontré plusieurs affaires de terrorisme, qu'il s'agisse d'attentats déjoués ou réussis. Le but de cette coordination est de s'assurer que le partage d'informations s'effectue à très haut niveau et qu'il soit dense.

Je n'étais donc pas, à ce poste, directement informé du suivi opérationnel des services. Vous avez auditionné le directeur général de la sécurité intérieure, dont je suis l'un des prédécesseurs : lorsqu'on dirige un service de renseignement, on mène des actions opérationnelles dont on ne rend pas compte au coordonnateur, sauf si l'affaire concernée donne lieu à l'élaboration de notes de renseignement, transmises pour information à toutes les autorités.

Les missions du CNRLT sont très importantes pour le suivi de ce qu'on appelle la « communauté du renseignement », qu'il incarne. Des dix services de renseignement français, le SNRP est le plus récent. Il a été érigé au rang de service national en 2019.

Ma mission, en tant que CNRLT, consistait surtout à assurer le suivi budgétaire des services de renseignement, s'agissant notamment des fonds spéciaux, dont j'avais à connaître, ainsi que le suivi du cadre réglementaire et législatif de l'activité de renseignement. Rattaché à l'Élysée, le coordonnateur l'est aussi, fonctionnellement, à Matignon. Il assure la coordination interministérielle sur les aspects budgétaires et juridiques du renseignement.

Par exemple, il assure les relations des services avec le président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Si un service peine à obtenir la mise en œuvre de techniques sur tel ou tel point, le CNRLT s'en fait le porte-parole et engage une discussion avec le président de la CNCTR. Sans forcément entrer dans le détail des dossiers opérationnels, il appelle son attention sur le fait que, pour tel type de groupuscule ou d'individu, tel service s'est vu refuser l'accès à des techniques de renseignement, ce qui peut constituer une difficulté opérationnelle.

Autre exemple : le coordonnateur représente l'ensemble de la communauté devant la délégation parlementaire au renseignement, qui est l'instance parlementaire de contrôle des services. Les quatre députés et quatre sénateurs qui la composent ont une habilitation secret-défense. Ils peuvent auditionner les services et, sur des sujets transversaux, le CNRLT.

J'en viens aux détenus radicalisés. Qu'ils purgent une peine pour des infractions de droit commun ou pour des faits de terrorisme, tous font l'objet d'un suivi particulièrement attentif. Pour les détenus de droit commun, nous cherchons à détecter les processus de radicalisation, avec toute la difficulté que cela présente : il est parfois très difficile de distinguer une pratique religieuse rigoriste d'un processus de radicalisation violente, celle à laquelle s'intéressent les services de lutte contre le terrorisme. Les passerelles entre radicalisation religieuse et radicalisation violente existent, mais elles ne sont pas systématiquement empruntées, contrairement à ce qu'on a souvent la faiblesse de penser.

Les individus qui nous intéressent sont ceux qui, potentiellement, sont en capacité de commettre des actes de violence à caractère terroriste. Il faut donc détecter la radicalisation violente parmi les détenus de droit commun, et suivre les détenus condamnés pour des faits de terrorisme : telles sont les deux catégories de publics pour le suivi desquelles le SNRP a été créé, sans pour autant être le seul service compétent pour détecter les processus de radicalisation.

Dans le cas d'espèce, compte tenu du profil de M. Elong Abé, il n'y avait pas trop de doute sur le fait qu'il s'agissait d'un terroriste islamiste (TIS). Condamné et détenu pour des faits de terrorisme, ayant été présent sur des zones de combats, il faisait partie des individus que nous classons dans le haut du spectre. En ce qui me concerne, j'avais entendu parler de lui en tant que directeur général de la sécurité intérieure.

Comme mon successeur à ce poste a dû vous le dire, ce qui intéresse les services de renseignement, s'agissant des détenus de droit commun radicalisés et des détenus condamnés pour des faits de terrorisme, c'est la préparation de leur sortie de prison. L'enjeu est d'assurer la transition entre le suivi réalisé par le renseignement pénitentiaire et celui qui est assuré par un autre service de renseignement lorsque l'individu sort de détention. Pour des profils du haut du spectre comme celui de M. Elong Abé, c'est la DGSI qui prend le relais, d'autant qu'il a toujours eu, en détention, un comportement très radicalisé. Il ne s'est jamais départi de cette forme de radicalisation ni de son adhésion aux thèses du terrorisme. Je m'en souviens en tant qu'ancien directeur général de la sécurité intérieure, et l'actuel directeur général a dû vous le confirmer, comme d'un individu situé dans le haut du spectre, suivi à ce titre à la fois par le renseignement pénitentiaire et par la DGSI.

Ce qui m'amène au partage d'informations. Les services de renseignement échangent en permanence des informations sur les individus radicalisés, dans le cadre des groupes d'évaluation départementaux de la radicalisation islamiste (GED), présidés par le préfet, et à l'échelon national dans le cadre de l'état-major permanent (Emap) du renseignement que j'ai créé à la DGSI lorsque je la dirigeais, conformément à une volonté affirmée du Président de la République. Il réunit les dix services de renseignement français et les trois services de police judiciaire chargés de la lutte contre le terrorisme que sont la sous-direction antiterroriste, la section antiterroriste de la préfecture de police de Paris, qui relève de mon autorité, et la sous-direction judiciaire de la DGSI.

Ces échanges aux échelons local et national permettent de partager l'information sur les individus et de rendre des arbitrages pour confier leur suivi à tel ou tel service, ou diffuser l'information à tous les services. Lorsqu'un individu comme M. Elong Abé communique avec des gens, les services en sont informés et essaient d'identifier ses contacts, qui font l'objet de recherches et d'investigations. Les services se partagent le travail, sous la conduite d'un service leader, en l'espèce le renseignement pénitentiaire, et échangent leurs informations pour être aussi efficaces que possible.

Certes, le risque zéro n'existe pas, mais nous avons considérablement progressé en matière de partage de renseignement entre les services. Nous partons de très loin et de nombreux progrès restent à faire, mais beaucoup a été fait. Nous avons d'ailleurs déjoué une quarantaine d'attentats ces dernières années – non de simples intentions, mais des projets ayant atteint un degré élevé d'aboutissement –, ce dont il faut se féliciter.

Enfin, il faut garder à l'esprit qu'une centaine de détenus TIS sortent de détention chaque année. Ils font l'objet systématiquement d'un suivi par les services de renseignement, notamment dans le cadre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) créées par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ou d'un suivi technique. Ils ne sont pas laissés dans la nature. M. Elong Abé devait sortir de détention à la fin de l'année 2023. À ce titre, sa prise en charge faisait l'objet d'échanges d'informations entre les services, comme le directeur général de la sécurité intérieure a dû vous le confirmer.

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Merci, monsieur le préfet de police, de ces premiers éléments.

L'information qui nous intrigue et nous taraude, livrée hier par le directeur général de la sécurité intérieure et confirmée par vous-même, est que Franck Elong Abé, parmi les quelque 500 détenus TIS, se situe dans le haut du spectre, selon le terme technique en usage. C'est, pour la première fois, officiellement établi dans le cadre des travaux de la commission d'enquête. Tel n'avait pas été le cas lors de l'audition du 30 mars dernier, par la commission des lois, des chefs d'établissement de la maison centrale d'Arles, ni pendant les longs mois qui ont suivi, même s'il était établi qu'il était dangereux.

Classé dans le haut du spectre et connu comme tel, il était un combattant, d'après votre description et celle du directeur général de la sécurité intérieure, ainsi que des cheffes du SNRP, par petites touches, qui nous ont parlé d'attaques contre l'armée pakistanaise – le directeur général de la sécurité intérieure, pour sa part, a évoqué le maniement d'armes et d'explosifs. C'est la première fois que ce sujet était abordé.

Ce qui, dans le champ de notre commission d'enquête, nous intrigue, c'est le grand écart entre la gestion judiciaire et carcérale dont il a bénéficié et cet état de fait connu.

Cette contradiction, majeure à nos yeux, est notamment illustrée par le refus systématique de le placer en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) au centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe – comme le relève l'Inspection générale de la justice (IGJ) – en raison des avis réservé et très réservé du juge d'application des peines (JAP) compétent en matière de terrorisme et du parquet national antiterroriste (PNAT), alors même qu'il n'entre pas dans leur champ de compétences d'intervenir en matière post-sentencielle sur de telles évaluations. Et à Arles, son placement en QER a été refusé à quatre reprises.

Or, pendant tout ce temps, les services, grâce notamment au travail mené dans le cadre des GED, savaient que Franck Elong Abé était dans le haut du spectre. Comme tel, il faisait l'objet d'un suivi particulier, notamment pour préparer sa sortie de détention.

Tout cela nous intrigue. Dès le départ, nous nous demandions pourquoi, compte tenu de ce qu'il était, on lui avait accordé le statut d'auxiliaire. C'est d'autant plus surprenant qu'un mois auparavant, il avait été à l'origine d'un incident avec le personnel, qui nous a été dissimulé lors de l'audition du 30 mars. Il a même, d'après le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP), qui nous a confirmé en avoir fait mention dans l'application de renseignement, exercé des pressions sur d'autres détenus pour obtenir ce poste, qui lui offrait une certaine liberté de déplacement.

Ces contradictions, ainsi que celles de la gestion de son parcours judiciaire, que nous aborderons lors de l'audition des membres du PNAT et des JAP compétents en matière de terrorisme, nous préoccupent, notamment la requalification de la séquestration d'une infirmière et la réduction de sa peine de quarante-huit à trente mois de prison.

S'agissant du partage d'informations, je m'interroge sur deux points. Le SNRP connaissait-il le vrai niveau de dangerosité de Franck Elong Abé, qui a été sur des théâtres de guerre ? Des rapports judiciaires sur son comportement ont été partagés. Contenaient-ils les éléments d'information, y compris issus de partenaires internationaux, susceptibles de faire connaître son vrai niveau de dangerosité, voire de barbarie ? Certains détails, obtenus par la bande et pas encore officiellement donnés à la commission d'enquête, incitent à penser qu'il est très élevé. Existe-t-il un rapport plus complet de la DGSI ou d'autres services, notamment la direction générale de la sécurité extérieure ?

Par ailleurs, les réponses que nous avons obtenues sur le suivi de ses relations sont insatisfaisantes. Avant d'être incarcéré à Arles, il avait eu des relations suivies avec un individu connu pour avoir promu la radicalisation religieuse dans d'autres prisons, Smaïn Aït Ali Belkacem. Au sujet de leurs relations, attestées par des échanges de lettres qui ont valu à M. Belkacem d'être placé en garde à vue, le renseignement pénitentiaire s'est montré évasif. Le DLRP nous a indiqué qu'ils n'ont jamais eu de relations à Arles ; quant à l'actuelle cheffe du SNRP et sa prédécesseure, l'une ne se souvient plus, l'autre doute que M. Belkacem ait pu rencontrer M. Elong Abé à Arles.

Tout cela nous semble de nature à mettre en doute l'efficacité de la transmission d'informations sur des sujets sensibles, ce qui expliquerait certaines choses.

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

J'aimerais d'abord préciser, pour que les choses soient claires, que tous les TIS, pour nous, sont en haut du spectre. J'aurais pu utiliser cette expression pour chacun d'entre eux – on en comptait entre 400 et 500 lorsque j'étais directeur général de la sécurité intérieure puis CNRLT. Nous les considérons tous comme potentiellement dangereux, dans la mesure où ils ont déjà commis des faits de terrorisme. Aucun chef de service de renseignement ne vous dira le contraire : tout condamné pour des faits de terrorisme graves – je ne parle pas d'apologie du terrorisme – est systématiquement classé en haut du spectre.

S'agissant de la gestion du parcours judiciaire et carcéral d'Elong Abé, elle ne relève pas de mon domaine de compétences. Je n'ai pas eu connaissance d'informations d'ordre opérationnel. Toutefois, pour avoir lu de nombreuses fiches relatives aux détenus de cette nature, je sais que ces documents retracent tous leurs « faits d'armes », lesquels, nous y veillons particulièrement, sont transmis au SNRP dès le début de la détention.

N'ayant pas connaissance, dans mes fonctions de CNRLT, du fond des fiches mais étant chargé des processus, j'ai eu des contacts avec la cheffe du SNRP de l'époque. Je lui ai demandé si les processus d'échanges d'informations fonctionnaient bien. Mais s'agissant d'un détenu comme M. Elong Abé, il est évident que le SNRP dispose de tout son pedigree, à la fois de combattant et de détenu. À cet égard, il était connu pour plusieurs faits, notamment une séquestration et plusieurs rébellions.

Je vous confirme que les échanges d'informations ont bien lieu. Ont-ils eu lieu dans le cas d'espèce ? Logiquement oui, obligatoirement oui, dès lors que les fiches d'information sont bâties à cette fin. Le SNRP a l'information sur les individus qui arrivent en détention. Tel n'a pas toujours été le cas par le passé, mais ça l'est depuis que nous avons créé le SNRP et qu'il fonctionne.

Sur les deux dernières années de sa détention à Arles, j'ai peu d'informations. Je n'ai pas connaissance des relations que vous venez d'évoquer. Le sentiment prévalait qu'il provoquait moins d'incidents à Arles qu'ailleurs, ce qui ne signifie pas qu'il sort du haut du spectre et ne justifie pas un suivi. Quoi qu'il en soit, l'échange d'informations est total et complet dès l'entrée en détention. Le renseignement pénitentiaire a toutes les informations sur le parcours de l'individu. Ensuite, le renseignement pénitentiaire prend le relais et alimente les autres services sur le comportement de celui-ci.

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Nous avons appris au cours des différentes auditions qu'il y avait peut-être eu des failles dans la transmission des informations. Et si elles ont bien été transmises, un certain nombre de décisions concernant les conditions de détention de M. Franck Elong Abé à la maison centrale d'Arles – qui ne relevaient pas de votre responsabilité – n'ont pas tenu compte de ce que vous venez de nous dire. Vous avez plus ou moins clos le débat en indiquant que les fonctions que vous exerciez alors ne vous permettaient pas d'intervenir dans la gestion de la détention de M. Elong Abé et que vous n'aviez pas une connaissance fine des faits intervenus au cours de sa détention, mais je sollicite tout de même votre avis.

À son arrivée à la maison centrale d'Arles, M. Frank Elong Abé avait déjà un parcours carcéral assez chaotique.

Il avait été condamné pour un certain nombre de faits de petite délinquance. Il s'était ensuite radicalisé. Arrêté alors qu'il combattait en Afghanistan, il avait été remis à la France par les autorités américaines et pris en charge par la DGSI. Il avait ensuite été condamné à neuf ans de prison pour des faits de terrorisme commis à l'étranger, puis condamné pour des faits commis dans un établissement pénitentiaire – il avait agressé une infirmière qu'il avait prise en otage. Sa détention avait été émaillée de nombreux incidents. Il avait mis le feu à sa cellule à de nombreuses reprises. Lors de sa présentation à des juges durant l'instruction, il se cognait la tête contre les murs. Bref, il présentait un profil psychologique et psychiatrique assez lourd.

Lors de son transfert à la maison centrale d'Arles donc, le renseignement pénitentiaire sait déjà d'une manière assez précise que sa personnalité particulièrement troublée et agitée représente un danger potentiel, tant en matière de terrorisme que pour ses codétenus et pour les surveillants.

Comme l'a dit le président, ce qui nous paraît assez spécial dans cette affaire, c'est que Franck Elong Abé n'a jamais vu de QER de sa vie. C'est statistiquement rare : sur 500 détenus TIS, ils sont seulement 13 dans ce cas – et je ne sais pas si ces derniers présentent le même degré de dangerosité que M. Elong Abé.

Comme il était libérable à la fin de l'année 2023, l'ancienne directrice de la maison centrale d'Arles, Mme Puglierini, nous a dit qu'elle avait privilégié la préparation de la sortie de prison plutôt que des mesures de rétorsion. Il avait pourtant été l'auteur d'au moins quatre incidents pendant sa détention dans cette maison centrale, dont des menaces et agressions envers des codétenus et des surveillants, mais aussi des destructions de matériel. Et nous nous apercevons qu'il n'a pas fait l'objet d'une mise à l'isolement ou d'une sanction, mais qu'au contraire on lui a donné un emploi d'auxiliaire pour nettoyer les équipements sportifs.

Selon vous, et compte tenu du process auquel vous avez fait référence, Mme Puglierini avait-elle bien été informée de la lourdeur du dossier de M. Franck Elong Abé – du fait qu'il avait combattu en Afghanistan et qu'il était particulièrement radicalisé ? Elle sait qu'il n'a pas de projet de réinsertion, nous avons des documents qui le montrent. Mais sait-elle qu'il présente un tel niveau de menace du fait de son parcours ?

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

En fait, je n'en sais rien. Je vous le dis très clairement. Je ne sais pas quel est le niveau d'information de l'ancienne directrice mais je pense qu'il est réel. Je ne sais pas ce qu'elle vous a dit lors de son audition.

Le SNRP assure le lien avec les autres services de renseignement. Il communique à l'administration pénitentiaire un certain nombre d'informations sur les personnes qui sont incarcérées. Il faut que les choses soient claires : il n'est pas chargé de la gestion pénitentiaire. C'est très cloisonné. Le SNRP est chargé de deux missions : tout d'abord, recueillir du renseignement en lien avec les partenaires extérieurs que sont les autres services de renseignement ; ensuite, assurer un suivi du comportement des détenus qui lui sont signalés. Mais ce n'est pas à lui d'en tirer des conséquences sur le régime de détention – puisque c'est bien ce qui est en cause dans l'affaire dont nous parlons.

De mon point de vue, et encore une fois je ne sais pas ce que l'ancienne directrice vous a dit, elle avait évidemment à connaître des informations sur le parcours de l'intéressé. Ces informations ont vocation à être partagées au moins avec les directeurs des maisons centrales. Cela me paraît assez évident.

Les QER ne relèvent absolument pas des services de renseignement et je n'ai pas à me prononcer. J'ai lu dans la presse que des avis défavorables au passage en QER de M. Elong Abé avaient été émis. Je n'ai pas d'avis à formuler sur ce point.

Les QER sont un instrument pour jauger la radicalisation d'individus. En ce qui concerne M. Elong Abé, il n'y avait pas de doute : il a été condamné pour des faits de terrorisme et se situe dans le haut du spectre – avec les nuances que j'ai apportées. Pour le reste, j'ignorais complètement que seulement treize détenus TIS n'ont pas fait l'objet d'un passage en QER. Vous me l'apprenez.

Pour répondre une nouvelle fois clairement à votre question, je ne sais pas quel était le degré d'information de l'ancienne directrice de la maison centrale d'Arles sur M. Elong Abé, mais le processus normal prévoyait forcément de l'informer.

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Les QER ont certes pour fonction d'évaluer la radicalisation des individus, mais aussi leur capacité de passage à l'acte violent.

Nous avons parlé de l'information que doit recevoir la directrice de la maison centrale, mais nous sommes bien d'accord que cette même information doit aussi être transmise au directeur interrégional des services pénitentiaires par l'intermédiaire des GED. La maison centrale d'Arles ne comptait que quatre TIS au moment où le drame s'est joué. On ne peut pas dire qu'elle était noyée sous leur nombre.

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Vous avez parfaitement raison, le QER est un dispositif d'évaluation. Mais c'est aussi souvent un dispositif de mise à jour de l'évaluation – et c'est sans doute pour cela que les TIS y passent. Cela permet de savoir où ils en sont et d'essayer de détecter par exemple des stratégies de dissimulation.

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On imagine souvent que les services de renseignement pourraient prévenir tous les passages à l'acte. Nous sommes probablement tous d'accord pour reconnaître que la radicalisation de M. Elong Abé ne faisait aucun doute, et qu'il était considéré comme dangereux. Mais, lors de certaines auditions, on nous a déclaré qu'aucun risque de passage à l'acte n'avait été détecté.

Nous avons besoin de comprendre comment on distingue un individu dangereux et un risque de passage à l'acte. La différence est très ténue. Cela m'évoque Minority Report. Y a-t-il un monde idéal – mais le serait-il vraiment ? – où l'on pourrait prévenir tous les passages à l'acte et empêcher les individus d'être imprévisibles ?

Le SNRP est-il associé au travail mené dans les QER, afin de recueillir des informations et de mettre à jour les dossiers ? Comment va-t-on dans un quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR) si l'on n'a pas effectué auparavant un passage en QER ? J'imagine que cette question relève davantage de l'administration pénitentiaire.

On a l'impression que dans le cas de M. Elong Abé, l'administration pénitentiaire a considéré qu'il n'était pas utile de l'envoyer en QER car on savait déjà qu'il était radicalisé. Comme vous venez de le dire, le QER permet pourtant de mettre à jour les informations sur les détenus. M. Elong Abé devait rester en détention pendant encore plus d'un an. On aurait pu l'affecter ensuite dans un QPR, ce qui aurait peut-être facilité son suivi à l'extérieur après sa libération.

Entendue par notre commission il y a quelques semaines, Mme Puglierini a indiqué qu'elle s'était concentrée sur la préparation à la sortie. Certes, mais ce détenu radicalisé avait un profil dangereux et il lui restait à purger un an et demi de peine.

Il nous semble étonnant de ne pas l'avoir fait passer par le QER, mais c'est toujours facile à dire a posteriori.

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Votre première question sur le passage à l'acte est celle qui taraude tous les services de renseignement. C'est bien la difficulté de l'exercice.

Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un État de droit. Dans d'autres fonctions qui étaient plus politiques, j'ai souvent eu à ferrailler avec l'opposition pour expliquer que ce n'est pas parce qu'un individu a été condamné pour des faits de terrorisme qu'il va pour autant commettre un attentat en sortant de prison. Beaucoup font ce type de raccourcis.

Les services de renseignement suivent des individus qui, dans le passé, ont commis des actes terroristes ou adhéré à une idéologie, par exemple celle de l'État islamique. Le suivi va permettre de mesurer jusqu'à quel point ils y adhèrent et de détecter le passage à l'acte – ce qui reste le plus difficile. Mais on ne peut pas se contenter de mettre les gens dans des cases : oui, il y a quelque 400 TIS incarcérés, mais je ne sais pas combien parmi eux ont des velléités de passage à l'acte.

Notre travail est de détecter ce passage à l'acte d'un individu. On peut le déterminer quand la personne exprime le souhait de passer à un acte de violence à travers ses contacts, ses communications, son comportement, ses propos. C'est cela qui nous permet de saisir la justice et d'ouvrir un dossier pour entreprise individuelle terroriste ou association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste.

La nuance est là, et elle est très importante.

Tout l'enjeu consiste à déterminer à quel moment il y a des actes préparatoires à un acte violent. Cela peut être lorsqu'un individu proclame sur les réseaux sociaux qu'il va commettre un attentat – mais des déclarations pareilles, on en a des centaines tous les jours, il faut en avoir conscience ! Et quand quelqu'un passe à l'acte, on nous reproche de ne pas avoir vu l'évidence…

Les services de renseignement ont ainsi été mis en cause à la suite de l'assassinat terroriste de Samuel Paty, parce qu'il y avait eu énormément de tweets de l'auteur de l'attentat. L'un d'entre eux avait été transmis à la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Ce jour-là, la plateforme en avait reçu des centaines. Le tweet permettait de voir que l'auteur était radicalisé, mais pas de déterminer un passage à l'acte. La détection de ce dernier est très compliquée et fait toute la difficulté du travail des services de renseignement.

Lorsqu'on écoute certains, on a l'impression que n'importe quel individu radicalisé est potentiellement un terroriste. C'est un petit peu plus subtil et compliqué que ça.

S'agissant de votre deuxième question, les services de renseignement ne sont pas associés au travail réalisé dans les QER. Ce sont d'autres équipes qui sont chargées de procéder aux évaluations. Cela étant, quand l'évaluation fait apparaître des éléments de radicalisation persistante, le SNRP est évidemment informé – de même que les services de renseignement qui travaillent en milieu ouvert– que l'individu reste un objectif à suivre. Il n'y a pas de présence permanente, mais lorsqu'on observe des signaux inquiétants l'information est évidemment transmise.

Le suivi des détenus ne passe pas seulement par les QER. Les services de renseignement participent également à ce suivi lorsqu'ils mettent en œuvre des techniques de renseignement concernant certains détenus. La loi autorise le SNRP à le faire, ce qui permet de recueillir du renseignement sur des individus connus. Ces techniques sont régulièrement utilisées.

Enfin, l'ancienne directrice de la maison centrale vous a dit qu'elle préparait la sortie prochaine de prison de l'intéressé. Cela me paraît indispensable – en tout cas, c'est ce qui est demandé aux administrations et aux services de renseignement compétents. L'administration pénitentiaire se préoccupe de la réinsertion. La justice s'interroge sur la mise en place éventuelle de mesures judiciaires de surveillance – le pointage, par exemple – qui sont complémentaires des mesures administratives de surveillance. Tout cela doit être préparé en amont et je ne suis pas surpris par les propos de l'ancienne directrice.

Pour le reste, il ne m'appartient pas de me prononcer sur les raisons pour lesquelles M. Elong Abé n'a pas fait de passage en QER. J'ai lu dans la presse des opinions émises sur ce point – y compris par des magistrats antiterroristes. Mais je n'ai pas connaissance du fond du dossier et je peux seulement décrire des processus. Il est normal que la directrice prépare la sortie de prison. Il est vrai qu'il restait une durée assez longue de détention. La gestion de la détention ne relève pas de ma compétence.

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Vous avez bien précisé que votre mission de coordonnateur national du renseignement consistait à s'assurer de la circulation de l'information entre les dix services de renseignement, au moyen de différents process. Dans l'aviation aussi, on raisonne avec des process : quand un accident se produit, on analyse l'enchaînement des faits pour comprendre à quel moment la procédure a été défaillante. En l'occurrence, le process mis en place n'a pas empêché M. Elong Abé de bénéficier d'une liberté suffisante, jusqu'à commettre un crime.

Un maillon de la chaîne mise en place par les services de renseignement a été trop faible pour empêcher ce crime. Que faudrait-il faire pour éviter ce type de crash ?

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Bien entendu, ce sont des choses dont nous discutons a posteriori, pour ce qui est du volet renseignement. Dans cette affaire, comme le président et le rapporteur l'ont relevé, de très nombreux aspects qui relèvent de la gestion de la détention suscitent des interrogations ; la communauté du renseignement n'avait pas à en connaître.

Du point de vue du renseignement donc, les informations étaient connues et je n'observe pas de problèmes concernant les services dans ce dossier, sauf à ce que l'ancienne directrice dise qu'elle n'avait reçu aucune information. Les informations ont bien été communiquées, et il n'y a pas eu de détection du passage à l'acte – je ne sais pas ce que la cheffe du SNRP vous a dit à ce sujet.

Quand un attentat est commis, c'est évidemment toujours un échec. Mais, en l'occurrence, je n'identifie pas de difficultés dans le process du renseignement.

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Ce qui est frappant dans nos auditions, c'est la difficulté à évaluer la chaîne des responsabilités. Une forme de responsabilité s'exprime concernant la diffusion des informations, mais jamais pour ce qui relève de la prise de décision ou de la gestion concrète des conditions de détention.

Procède-t-on à une évaluation de l'environnement des individus identifiés comme faisant partie du haut du spectre, afin de prévoir les mesures nécessaires ? Est-ce que cela a été le cas pour M. Elong Abé lors de son arrivée à la maison centrale d'Arles ? Si oui, qui a réalisé ce travail ?

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Il n'y a pas eu d'évaluation avec passage en QER. Mais je rappelle qu'à l'époque de sa mise en détention, ces quartiers n'existaient pas. Il ne faut pas oublier qu'en réalité, on s'occupe de la radicalisation en prison depuis peu de temps.

En revanche, les services de renseignement effectuent en permanence une évaluation de ce type d'individus. On suit leurs relations, par des moyens qui sont évidemment secrets, on obtient des informations par des surveillants ou par des techniques de renseignement. Les individus avec ce profil sont surveillés en permanence et leur dossier est régulièrement examiné dans le cadre des GED, constitués autour des préfets, où l'on échange en permanence pour essayer de savoir si l'individu est toujours radicalisé. Le cas de M. Elong Abé avait été évoqué, m'a-t-on dit, par le GED des Bouches-du-Rhône.

Il n'y a pas de process d'évaluation en tant que tel en dehors des QER, mais les services de renseignement continuent de suivre ces individus à travers leurs relations. C'est une forme d'évaluation permanente, avec des mises à jour régulières.

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Vous nous dites qu'il n'y a pas eu de détection des risques de passage à l'acte. Vous dites également que Pharos reçoit des centaines de signalements chaque jour. Selon vous, ce n'est pas parce qu'une personne a commis un acte terroriste qu'elle va recommencer en sortant de prison. L'ancienne directrice de la maison centrale nous a indiqué qu'elle s'était concentrée sur la préparation de la sortie de prison de M. Elong Abé et sur sa réinsertion.

Ne pensez-vous pas que cette vision idéologique, voire utopiste vous a empêché de voir la réalité de la situation ? Ce crime est barbare. L'acharnement dont M. Elong Abé a fait preuve démontre, s'il en était besoin, l'échec de votre système.

Quand allez-vous vous rendre compte que la voie que vous empruntez est une impasse ? Quand allez-vous faire le nécessaire pour protéger réellement les Français, y compris en prison ? On est en prison parce qu'on a commis un délit, pas pour s'y faire massacrer comme l'a été Yvan Colonna. Quand allez-vous faire le nécessaire pour que cela ne se reproduise pas ?

Comme l'a relevé à juste titre Mme Rousseau, on semble nous dire que tout le monde est responsable, mais que personne n'est coupable. On a déjà entendu ce refrain. Qu'avez-vous fait et qu'allez-vous faire pour répondre à ce crime ?

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Bien évidemment, il s'agit d'un crime barbare et d'un attentat terroriste. Le PNAT a donc été saisi.

Ensuite, on peut nous traiter d'utopistes, voire d'idéologues, mais je ne sais pas si vous mesurez la gravité de vos propos, monsieur le député : ils signifient que quelqu'un qui a été condamné pour des faits de terrorisme est un terroriste à vie !

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Si, c'est un peu ça.

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J'ai dit qu'à partir du moment où une personne a commis un acte terroriste, on ne peut pas écarter l'hypothèse, comme vous le faites, qu'elle va recommencer.

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Je vous ai dit le contraire. Tout notre travail consiste à essayer d'identifier ceux qui sont susceptibles de passer à l'acte. Les services de renseignement passent beaucoup de temps à les suivre.

Vous pensez qu'on va régler le problème en considérant qu'ils sont tous des terroristes. Mais alors je ne sais pas quelles mesures on pourrait prendre… Je vous rappelle qu'il y a des garanties constitutionnelles, sur lesquelles veille le Conseil constitutionnel. Je rappelle également à ce titre que le Gouvernement avait proposé l'allongement des Micas des sortants de prison condamnés pour des faits de terrorisme, mais ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel.

Ces personnes restent des objectifs de renseignement, nous les suivons bien évidemment. Penser que nous sommes des idéologues et des utopistes est insensé…

Encore une fois, ce que vous dites revient à considérer que le moindre individu dont un tweet menaçant est transmis à Pharos va passer à l'acte, ou qu'une personne condamnée pour des faits de terrorisme va forcément récidiver lorsqu'elle sortira de prison. Dans la vraie vie, c'est un peu plus compliqué que cela.

J'ai l'honneur et la fierté d'avoir dirigé les services de renseignement français qui ont permis d'éviter des attentats. Le Président de la République a mis en place des dispositifs qui n'existaient pas avant 2017. C'est ainsi que l'on déjoue les attentats. On peut essayer de faire croire n'importe quoi aux gens, mais la réalité est bien plus complexe que ce que vous dites.

Dans d'autres fonctions, j'ai eu à répondre à de nombreuses reprises à des questions du même genre, formulées par des gens qui considéraient que la radicalisation religieuse était synonyme de menaces terroristes. Quand un pays en arrive là, c'est très grave pour le vivre-ensemble.

Mon travail – et c'est un honneur et une fierté – consiste à détecter des gens susceptibles de passer à l'acte terroriste. On a souvent réussi, on a parfois échoué. Il ne faut pas faire croire qu'on peut toujours réussir, c'est complètement illusoire. Ce n'est pas de l'utopie ou de l'idéologie : nous sommes dans l'efficacité et l'action. Il ne faut pas tomber dans la stigmatisation, comme je crois que vous le faites, monsieur le député.

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Je ne cherche pas à stigmatiser, et je n'ai pas dit que les personnes libérées allaient nécessairement commettre à nouveau un acte terroriste. Par ailleurs, je vous félicite et vous remercie pour les attentats que vous avez déjoués au cours de votre carrière. Mais je dis que les moyens actuellement dédiés à la surveillance de ces personnes à l'intérieur et à l'extérieur des prisons sont manifestement insuffisants, c'est avéré.

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Vous avez dit que l'une de vos missions était de suivre les relations que peuvent nouer les détenus et de relever leurs contacts inquiétants. Avez-vous relevé des contacts inquiétants dans les relations de Franck Elong Abé, dans ses différents lieux de détention comme à l'extérieur de la prison ? Si oui, avez-vous réuni des renseignements sur les personnes en question ?

Je m'étonne que l'évaluation de la dangerosité de Franck Elong Abé ne soit pas revenue sur le tapis alors que chacun était en train de préparer sa sortie de prison et sa surveillance hors les murs. Placer un détenu en QER constitue une étape permettant de réévaluer le degré de radicalisation ; si de nombreuses personnes ont pu dire que la radicalité de M. Elong Abé n'était plus à prouver, il n'en reste pas moins, vous en conviendrez, qu'un détenu n'est pas censé sortir de prison dans le même état qu'il y est entré, sinon l'emprisonnement ne présente aucun intérêt. Il me semble qu'en France, on ne se contente pas de mettre un condamné dans une cage, de fermer la porte et d'attendre que la peine s'écoule.

Je m'étonne donc vraiment que vos services n'aient pas demandé que Franck Elong Abé aille dans un QER pour évaluer sa radicalité et pour préparer sa sortie de prison. J'aimerais que vous nous disiez à quel moment vous auriez insisté pour qu'il soit placé en QER.

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Ce ne sont pas les services de renseignement qui décident du placement en QER. Un passage dans ces quartiers permet de procéder à une évaluation de la radicalisation ou de la mettre à jour. Franck Elong Abé était connu pour terrorisme, donc pour radicalisation. Je ne veux pas me prononcer sur le fait qu'il aurait dû passer en QER, mais il était suivi par les services de renseignement car il évoluait dans le haut du spectre. Peut-être qu'un séjour en QER aurait été utile pour détecter chez lui la persistance de sa radicalisation et de sa dangerosité, mais honnêtement, celles-ci ne faisaient aucun doute. Il faut toujours être extrêmement attentif aux individus du haut du spectre.

Les services de renseignement auraient préparé la sortie de Franck Elong Abé comme ils préparent celle de tous les individus du haut du spectre. Outre le volet de la réinsertion et du suivi médical, psychologique et judiciaire, qui leur échappe, il y a en effet un suivi à organiser en matière de renseignement. C'est bien sûr la DGSI qui en aurait été chargée. Elle aurait déployé des mesures de surveillance, y compris au moyen de techniques autorisées par le Premier ministre après avis de la CNCTR. Franck Elong Abé aurait évidemment aussi fait l'objet d'une Micas : il n'aurait pas pu quitter un certain périmètre et aurait dû pointer dans un commissariat.

Je n'ai pas connaissance des contacts qu'il a noués. Le président Acquaviva me dit que cela ressort de vos auditions, peut-être de la DGSI ou du SNRP. En tout cas je fais confiance aux services qui étaient chargés de les observer. Ce que je peux vous dire, c'est que d'une manière générale, nous surveillons évidemment les relations des détenus connus pour des faits de terrorisme, et que le fait qu'ils entrent en contact avec d'autres individus radicalisés constitue forcément une alerte. En utilisant des techniques autorisées, réglementaires et justifiées, nous accédons parfois au contenu de leurs communications, ce qui permet de réévaluer le profil de ces personnes.

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Que M. Elong Abé soit passé ou non en QER, il aurait de toute façon été l'objet, selon vous, d'un suivi particulier à sa sortie de prison. Pourriez-vous détailler plus précisément cette surveillance, notamment son évolution au fil du temps ?

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Il y a d'abord une évaluation, qui n'est pas celle du QER : les services étudient le profil, le passé, les activités en détention, les contacts noués – je ne parle pas du cas précis de M. Elong Abé, mais de ce qui est fait en général. Puis ils prennent des mesures concrètes de surveillance, avec probablement la mise en œuvre de techniques de renseignement, des mesures de géolocalisation, peut-être des écoutes téléphoniques. Ils essaient au moins de connaître les contacts pris, par exemple en obtenant les données de connexion.

Pour les TIS qui sortent de prison, on prend des Micas qui peuvent durer une année. Ces individus doivent pointer assez régulièrement au commissariat ou à la gendarmerie et ont l'interdiction de rencontrer certaines personnes et de quitter un territoire donné. Cela nous permet de continuer à les surveiller et de les réincarcérer au moindre écart. Ce travail de surveillance est évidemment très confidentiel. La plupart des Micas sont actuellement prises pour des personnes sortant de prison. L'irrespect des obligations – de pointage par exemple – entraîne des sanctions pénales.

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Vous surveillez ces personnes du haut du spectre lorsqu'elles sortent de prison, mais quand elles y sont, elles peuvent se trouver seules pendant quinze minutes avec un autre détenu particulièrement signalé (DPS). On était sur le point de déployer des moyens importants pour surveiller M. Elong Abé après sa sortie de prison, mais pas avant ; on allait évaluer son degré de dangerosité et de radicalisation à sa sortie, mais pas avant. À quoi sert l'incarcération si on n'est pas capable d'accompagner un détenu dans la voie de la déradicalisation, d'évaluer sa dangerosité et de protéger ses codétenus ?

Franck Elong Abé a vécu une détention plutôt douce : il était en quartier ordinaire alors qu'il avait agressé un autre détenu, un surveillant pénitentiaire et une auxiliaire de santé. Je suis extrêmement surprise. Pour les services de renseignement, un espace clos comme une prison est plutôt facile à observer et à contrôler. À quoi servez-vous si vous n'alertez pas l'administration pénitentiaire sur l'importance de prendre certaines mesures que vous jugez nécessaires ? Vous avez quand même la possibilité de dire qu'il vous paraît étrange que le détenu Elong Abé bénéficie d'un traitement de faveur par rapport à celui des autres détenus TIS. Quelqu'un commet des infractions en détention mais reçoit des récompenses, cela ne vous surprend pas ? Moi si, parce que l'on n'accepte pas un quart de cela de la part d'un détenu ordinaire, en maison d'arrêt pour avoir fumé de l'herbe ou volé un scooter.

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Si nous consacrons beaucoup de moyens à la surveillance des individus qui sortent de prison, c'est parce qu'ils se retrouvent dans la nature. Cela fait une grosse différence.

Les services de renseignement partagent l'information utile à l'administration pénitentiaire mais les questions que vous évoquez ne relèvent pas de ma compétence car elles ont trait à la gestion de la détention. Les informations à connaître sur Franck Elong Abé avaient été communiquées, je vous l'ai dit, mais pour le reste, je ne peux pas me prononcer sur un domaine de compétences qui n'est pas le mien.

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Vous avez dit que l'ensemble des détenus TIS étaient classés dans le haut du spectre. Face au fait que Franck Elong Abé n'ait pas été orienté vers un QER malgré les préconisations unanimes de chaque commission pluridisciplinaire unique (CPU) tenue pendant deux ans, vous avez affirmé qu'un passage en QER n'était pas nécessaire parce que l'administration pénitentiaire savait déjà qu'il était radicalisé. Cela signifie-t-il que vous aviez un doute sur la radicalité de tous les détenus TIS envoyés en QER ?

Je m'interroge sur le profil de Franck Elong Abé, son passé à l'étranger – on nous dévoile de nouveaux éléments au fur et à mesure des auditions, comme l'a rappelé M. le président – et son comportement violent à de multiples reprises en prison. Comment un tel individu peut-il ne pas être orienté en QER, qui permet tout de même de remettre l'évaluation à jour et de faire un point sur sa volonté de passer à l'acte – même si nous comprenons bien la difficulté d'évaluer ce dernier point, ce qui se fait quasiment en temps réel ? Compte tenu de votre expérience et même si les conditions de détention ne relèvent pas de vos compétences, ne pensez-vous pas que cet individu aurait dû aller dans un QER ?

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Oui, évidemment. Je découvre que seuls treize détenus TIS ont échappé au QER – bien sûr qu'il aurait dû y être envoyé. Je dis juste que ce n'est pas parce qu'un détenu n'est pas passé par un QER que les services de renseignement n'évaluent pas son profil. Je ne relativise pas le fait que Franck Elong Abé ne soit pas allé dans un QER, je dis que cet individu était connu de nos services. Un passage en QER aurait peut-être permis de réévaluer son degré de radicalisation ; évidemment qu'il aurait dû y aller. D'autres que moi se sont prononcés sur cette question, sur laquelle je n'ai pas à m'exprimer car elle ne relève pas de mon domaine de compétences, mais plus on obtient d'informations sur les individus connus, mieux c'est.

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Cette affaire recèle pour nous, Corses, une dimension affective et intime ; pour d'autres, si l'émotion est moins vive, le dysfonctionnement grave qui s'est produit soulève des questions. Cette agression n'était pas un simple coup de couteau donné lors de la promenade. Nous avons vu les images. Un individu est entré dans une salle, sans regarder les caméras parce qu'il savait que le scénario d'enregistrement n'était pas centré sur la salle d'activité. Il s'est simplement assuré que l'agent de surveillance était suffisamment éloigné. Il a eu une attitude de tueur et s'est acharné froidement sur sa victime pendant dix minutes – une éternité : quand on s'est bagarré sur un terrain de football dans sa jeunesse, on sait qu'une minute paraît déjà interminable… Il s'agit donc d'un acte hors normes, non d'une rixe. D'ailleurs, les chefs d'accusation sont clairs et retiennent le caractère prémédité de l'agression. Le directeur général de la sécurité intérieure a évoqué hier la question du blasphème et la volonté de l'agresseur de perpétrer un tel acte.

Un acte très grave s'est donc déroulé dans l'une des treize maisons centrales de France. Ce que vous nous avez dit est important : le SNRP, la directrice de l'établissement et la direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp) disposaient évidemment des informations nécessaires sur les « faits d'armes » et la dangerosité réelle de Franck Elong Abé.

Lors de l'audition du 30 mars, on nous a menti. On nous a affirmé que cet individu n'avait été impliqué dans aucun incident à Arles alors qu'il y en a eu quatre, impliquant d'autres détenus et du personnel, lesquels ont donné lieu à des sanctions disciplinaires. Puis on a reconnu les incidents, mais en les relativisant. On nous a dit qu'il allait mieux, qu'il y avait juste de petits écarts, un petit coup de tête donné à un détenu, mais que la sortie se préparait et qu'aucune alerte n'avait été lancée. J'insiste : on nous a dit qu'à aucun moment il n'y avait eu d'alerte. Or Yvan Colonna et Franck Elong Abé étaient tous deux des DPS. Pour cette catégorie de détenus, les agents pénitentiaires rentrent dans le fichier Genesis de nombreuses informations – ils font donc, eux aussi, du renseignement – sur le comportement des individus, sur leur changement d'apparence, sur leurs relations, etc. Ces remontées sont quotidiennes et leur champ est large pour les DPS.

L'administration pénitentiaire s'est focalisée sur le projet de sortie car elle pensait que Franck Elong Abé allait mieux. Les comptes rendus des fameuses réunions de la CPU n'ont pas été transmis, alors que tous les participants souhaitaient envoyer cet individu en QER : la direction de l'établissement et la Disp n'étaient pas au courant de ces recommandations.

En janvier 2022, on nous dit qu'on a commencé à se pencher sur la question du passage en QER car la fin de la peine de Franck Elong Abé approchait. Sauf que le rapport de l'IGJ, qui fait foi, affirme clairement que ce ne sont ni la directrice d'établissement ni la Disp qui ont soulevé ce sujet, mais la coordinatrice de la mission de lutte contre la radicalisation violente. C'est elle qui a fait remonter le procès-verbal avec l'aide de l'officier du bureau de gestion qui était secrétaire de la réunion : la directrice a alors suivi le mouvement, mais le dossier n'a même pas été bien traité puisque le rapport conjoint ne lui a pas été attaché. La réunion sur le placement en QER était prévue le 9 mars, soit sept jours après le drame, mais de toute façon le cas de Franck Elong Abé n'y aurait pas été abordé sans le rapport circonstancié ! On nous ment donc en disant que l'affaire était traitée.

La relativisation, voire la dissimulation des faits ne peuvent évidemment pas nous agréer. C'est très grave. Le rapport de l'IGJ dresse la liste des incidents et des alertes.

On nous a également dit, lors des précédentes auditions, que Franck Elong Abé était trop dangereux pour aller en QER. Il y a donc deux versions totalement opposées : « cet individu allait mieux donc il n'avait pas à être orienté en QER », et « il était tellement dangereux qu'il ne pouvait pas y aller ». La cheffe du SNRP, Camille Hennetier, qui était précédemment au parquet national antiterroriste et était peut-être au courant de l'avis très réservé que celui-ci avait émis sur le placement de cet individu en QER au moment de son séjour à la prison de Condé-sur-Sarthe, nous a donné, sans d'ailleurs que nous l'ayons sollicité, son avis personnel, à savoir que Franck Elong Abé était trop dangereux pour aller en QER. Elle n'est pas la seule à l'avoir dit.

Il était trop dangereux pour aller en QER, malgré les dispositifs spécifiques pour encadrer les individus qui doivent y passer ; il allait déstabiliser toute une session de QER : voilà ce que nous dit la direction de l'administration pénitentiaire. Mais il apparaît que si, bien sûr, il devait y aller ! Vous nous avez d'ailleurs dit que sa radicalisation aurait été tout de suite décelée par les process. Quoi qu'il en soit, les deux versions censées justifier son non-placement en QER ne sont absolument pas compatibles.

On nous dit que la gestion de l'humain, matière de l'action pénitentiaire, est difficile. C'est vrai, mais on ne peut pas s'empêcher de relever qu'il n'y avait que 4 TIS sur 137 détenus à la maison centrale d'Arles, et que seuls 13 TIS ne sont pas passés par un QER au cours des dernières années. Sachant que Franck Elong Abé avait provoqué plusieurs incidents et que sa dangerosité était avérée, le fait qu'il ne soit pas allé en QER constitue une véritable exception.

En août 2021, il agresse le personnel – le DLRP nous a dit qu'il avait lancé une alerte à ce moment-là car Franck Elong Abé s'était rendu coupable de pressions sur des détenus pour décrocher le poste d'auxiliaire, lesquelles furent relativisées par la remise en cause des propos des détenus dont l'état psychique n'était pas bon. Pourtant il obtient le poste, le 28 septembre, quelques jours après avoir été sanctionné disciplinairement. Une attaque contre le personnel et des pressions exercées sur d'autres détenus – il s'agissait de son quatrième incident en détention – auraient dû au moins empêcher qu'il ne bénéficie d'une liberté de mouvement supplémentaire. Cette situation soulève des questions, d'autant que des rapports indiquaient qu'il avait laissé pousser sa barbe et que son changement d'apparence suscitait l'inquiétude. En outre, le rapport de l'IGJ montre qu'une fois devenu auxiliaire, Franck Elong Abé fixait ses horaires : d'autres auxiliaires arrivent avant l'ouverture de la salle de sport et ne croisent donc pas les autres détenus. Dans son cas, les agents pénitentiaires s'adaptaient à son emploi du temps.

Entre la façon dont a été gérée la détention de deux DPS, Yvan Colonna, détenu pour une cause et un acte donnés, et Franck Elong Abé, détenu TIS, forcément la comparaison se fait. Yvan Colonna avait plusieurs fois demandé la levée de son statut de DPS afin d'être rapproché de sa famille. Le directeur de l'administration pénitentiaire nous a expliqué que pour être placé dans le répertoire des DPS, il faut remplir l'un des six critères énoncés dans une instruction ministérielle, dont certains sont d'ordre pénitentiaire et les autres, qui ne relèvent pas de l'appréciation de l'administration pénitentiaire, ont un champ assez large. Nous avons le sentiment que la gestion de ces deux détenus n'a pas été la même et nous débattrons, ultérieurement, de la gestion particulière du détenu Yvan Colonna, liée au traumatisme causé par l'assassinat du préfet Claude Érignac. À titre personnel, j'espère que la commission d'enquête fera ressortir qu'il s'agit d'une gestion politique, comme cela m'a été clairement dit, en tant que député de Corse, au cours de discussions privées.

La gestion du parcours carcéral relève de l'administration pénitentiaire et du SNRP, mais des réponses doivent être apportées, encore plus après vos propos, sur les dysfonctionnements graves qui se sont produits et sur le choix de se projeter vers la sortie de Franck Elong Abé plutôt que d'évaluer son comportement.

Je vais vous poser une question à laquelle vous n'êtes pas obligé de répondre. Franck Elong Abé est français et il s'est rendu sur le théâtre de guerre afghan où il est devenu un combattant aguerri sachant manier les armes et les explosifs et ayant participé à des attaques contre l'armée pakistanaise. J'ai compris que pour vous, tous les TIS sont en haut du spectre, mais avec Franck Elong Abé, on est dans le haut du haut. Est-il possible que les services français aient songé à l'éliminer sur le théâtre de guerre ?

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Je ne souhaite pas répondre à cette question, qui a trait à un domaine qui ne relevait pas de mon champ de compétences.

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Je vous ai transmis un questionnaire. L'amélioration de la qualité des services publics se trouve au centre des enjeux de cette commission d'enquête – car la protection de nos concitoyens contre le radicalisme ainsi que la politique carcérale sont des services publics, ce dernier domaine ayant fait l'objet de nombreux rapports parlementaires et de travaux associatifs ou politiques.

En tant que Corse et élu de ce territoire, j'ai été particulièrement frappé par les conséquences sur l'opinion, dans l'île sur laquelle je vis, de ce drame qui s'est déroulé à Arles. Mais je suis également parlementaire de la nation tout entière et je souhaite améliorer le système. Avez-vous des préconisations, compte tenu de votre expérience et de votre parcours dans le renseignement, au gouvernement et, actuellement, à la préfecture de police de Paris, pour améliorer l'efficacité du renseignement en milieu pénitentiaire ? Vous pouvez bien entendu prendre le temps de répondre à cette question par écrit.

J'ai la conviction que le système, qui est jeune, a connu des défaillances. Comme vous l'avez dit, la France s'est refusée pendant plusieurs années à faire du renseignement pénitentiaire et n'a peut-être pas anticipé le problème de la radicalisation en milieu carcéral, qui existe pourtant depuis quelques décennies – vous savez d'ailleurs que de nombreux terroristes ont forgé leurs convictions religieuses en détention. Je souhaiterais vraiment que l'on améliore ce système et je pose la question de son évolution aux responsables publics.

Comme vous l'avez dit, rien n'est inéluctable : une personne peut présenter des signes de dangerosité et ne plus jamais passer à l'acte, alors qu'un autre individu apparemment moins menaçant se rendra coupable de faits très graves. Nous allons auditionner après vous des inspecteurs généraux de la justice, qui ont pris la responsabilité de formuler par écrit leurs observations sur le fonctionnement de la maison centrale d'Arles, et nous allons étudier avec eux les moyens d'améliorer le système carcéral dans son ensemble, notamment la surveillance de la radicalisation et la lutte contre la violence qui règne dans ces établissements dont la mission n'est pas seulement de priver les détenus de liberté, mais également de les accompagner sur le chemin de la réinsertion.

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Les GED permettent de décloisonner l'information entre les services. Si j'ai bien compris, le pilote en est le préfet : c'est lui qui réalise la jonction entre l'administration pénitentiaire et les services de renseignement et qui évalue, dans le cadre d'un débat contradictoire, la dangerosité de certains individus. Le rôle du préfet en la matière est très important, n'est-ce pas ?

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Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

Absolument. Le préfet arbitre les situations qui lui sont soumises et il s'assure que tous les objectifs sont suivis. Mais il ne faut pas négliger le travail quotidien d'échange d'informations des services, qui n'attendent pas le GED pour cela.

La séance s'achève à 11 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Ségolène Amiot, M. Jocelyn Dessigny, M. Philippe Juvin, M. Mohamed Laqhila, M. Emmanuel Mandon, M. Laurent Marcangeli, M. Thomas Portes, Mme Sandrine Rousseau, M. Guillaume Vuilletet.

Excusés. – M. Meyer Habib, M. Hervé Saulignac.