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Intervention de Laurent Nuñez

Réunion du jeudi 26 janvier 2023 à 9h35
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis devant vous au titre de mes anciennes fonctions de CNRLT, dont je tiens à dire d'emblée que ses missions ne sont pas opérationnelles. Le coordonnateur ne traite pas d'affaires opérationnelles et n'en a pas connaissance. La façon dont les services mènent leurs investigations, définissent leurs objectifs et travaillent ne le concerne pas. Il est chargé de s'assurer de la bonne coopération entre les services et de mettre en place les process visant à assurer la fluidité des échanges d'informations.

Cette fonction a été créée en 2008 pour que le partage d'informations s'effectue dans des conditions convenables, ce qui n'a pas toujours été le cas auparavant, comme l'ont démontré plusieurs affaires de terrorisme, qu'il s'agisse d'attentats déjoués ou réussis. Le but de cette coordination est de s'assurer que le partage d'informations s'effectue à très haut niveau et qu'il soit dense.

Je n'étais donc pas, à ce poste, directement informé du suivi opérationnel des services. Vous avez auditionné le directeur général de la sécurité intérieure, dont je suis l'un des prédécesseurs : lorsqu'on dirige un service de renseignement, on mène des actions opérationnelles dont on ne rend pas compte au coordonnateur, sauf si l'affaire concernée donne lieu à l'élaboration de notes de renseignement, transmises pour information à toutes les autorités.

Les missions du CNRLT sont très importantes pour le suivi de ce qu'on appelle la « communauté du renseignement », qu'il incarne. Des dix services de renseignement français, le SNRP est le plus récent. Il a été érigé au rang de service national en 2019.

Ma mission, en tant que CNRLT, consistait surtout à assurer le suivi budgétaire des services de renseignement, s'agissant notamment des fonds spéciaux, dont j'avais à connaître, ainsi que le suivi du cadre réglementaire et législatif de l'activité de renseignement. Rattaché à l'Élysée, le coordonnateur l'est aussi, fonctionnellement, à Matignon. Il assure la coordination interministérielle sur les aspects budgétaires et juridiques du renseignement.

Par exemple, il assure les relations des services avec le président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Si un service peine à obtenir la mise en œuvre de techniques sur tel ou tel point, le CNRLT s'en fait le porte-parole et engage une discussion avec le président de la CNCTR. Sans forcément entrer dans le détail des dossiers opérationnels, il appelle son attention sur le fait que, pour tel type de groupuscule ou d'individu, tel service s'est vu refuser l'accès à des techniques de renseignement, ce qui peut constituer une difficulté opérationnelle.

Autre exemple : le coordonnateur représente l'ensemble de la communauté devant la délégation parlementaire au renseignement, qui est l'instance parlementaire de contrôle des services. Les quatre députés et quatre sénateurs qui la composent ont une habilitation secret-défense. Ils peuvent auditionner les services et, sur des sujets transversaux, le CNRLT.

J'en viens aux détenus radicalisés. Qu'ils purgent une peine pour des infractions de droit commun ou pour des faits de terrorisme, tous font l'objet d'un suivi particulièrement attentif. Pour les détenus de droit commun, nous cherchons à détecter les processus de radicalisation, avec toute la difficulté que cela présente : il est parfois très difficile de distinguer une pratique religieuse rigoriste d'un processus de radicalisation violente, celle à laquelle s'intéressent les services de lutte contre le terrorisme. Les passerelles entre radicalisation religieuse et radicalisation violente existent, mais elles ne sont pas systématiquement empruntées, contrairement à ce qu'on a souvent la faiblesse de penser.

Les individus qui nous intéressent sont ceux qui, potentiellement, sont en capacité de commettre des actes de violence à caractère terroriste. Il faut donc détecter la radicalisation violente parmi les détenus de droit commun, et suivre les détenus condamnés pour des faits de terrorisme : telles sont les deux catégories de publics pour le suivi desquelles le SNRP a été créé, sans pour autant être le seul service compétent pour détecter les processus de radicalisation.

Dans le cas d'espèce, compte tenu du profil de M. Elong Abé, il n'y avait pas trop de doute sur le fait qu'il s'agissait d'un terroriste islamiste (TIS). Condamné et détenu pour des faits de terrorisme, ayant été présent sur des zones de combats, il faisait partie des individus que nous classons dans le haut du spectre. En ce qui me concerne, j'avais entendu parler de lui en tant que directeur général de la sécurité intérieure.

Comme mon successeur à ce poste a dû vous le dire, ce qui intéresse les services de renseignement, s'agissant des détenus de droit commun radicalisés et des détenus condamnés pour des faits de terrorisme, c'est la préparation de leur sortie de prison. L'enjeu est d'assurer la transition entre le suivi réalisé par le renseignement pénitentiaire et celui qui est assuré par un autre service de renseignement lorsque l'individu sort de détention. Pour des profils du haut du spectre comme celui de M. Elong Abé, c'est la DGSI qui prend le relais, d'autant qu'il a toujours eu, en détention, un comportement très radicalisé. Il ne s'est jamais départi de cette forme de radicalisation ni de son adhésion aux thèses du terrorisme. Je m'en souviens en tant qu'ancien directeur général de la sécurité intérieure, et l'actuel directeur général a dû vous le confirmer, comme d'un individu situé dans le haut du spectre, suivi à ce titre à la fois par le renseignement pénitentiaire et par la DGSI.

Ce qui m'amène au partage d'informations. Les services de renseignement échangent en permanence des informations sur les individus radicalisés, dans le cadre des groupes d'évaluation départementaux de la radicalisation islamiste (GED), présidés par le préfet, et à l'échelon national dans le cadre de l'état-major permanent (Emap) du renseignement que j'ai créé à la DGSI lorsque je la dirigeais, conformément à une volonté affirmée du Président de la République. Il réunit les dix services de renseignement français et les trois services de police judiciaire chargés de la lutte contre le terrorisme que sont la sous-direction antiterroriste, la section antiterroriste de la préfecture de police de Paris, qui relève de mon autorité, et la sous-direction judiciaire de la DGSI.

Ces échanges aux échelons local et national permettent de partager l'information sur les individus et de rendre des arbitrages pour confier leur suivi à tel ou tel service, ou diffuser l'information à tous les services. Lorsqu'un individu comme M. Elong Abé communique avec des gens, les services en sont informés et essaient d'identifier ses contacts, qui font l'objet de recherches et d'investigations. Les services se partagent le travail, sous la conduite d'un service leader, en l'espèce le renseignement pénitentiaire, et échangent leurs informations pour être aussi efficaces que possible.

Certes, le risque zéro n'existe pas, mais nous avons considérablement progressé en matière de partage de renseignement entre les services. Nous partons de très loin et de nombreux progrès restent à faire, mais beaucoup a été fait. Nous avons d'ailleurs déjoué une quarantaine d'attentats ces dernières années – non de simples intentions, mais des projets ayant atteint un degré élevé d'aboutissement –, ce dont il faut se féliciter.

Enfin, il faut garder à l'esprit qu'une centaine de détenus TIS sortent de détention chaque année. Ils font l'objet systématiquement d'un suivi par les services de renseignement, notamment dans le cadre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) créées par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ou d'un suivi technique. Ils ne sont pas laissés dans la nature. M. Elong Abé devait sortir de détention à la fin de l'année 2023. À ce titre, sa prise en charge faisait l'objet d'échanges d'informations entre les services, comme le directeur général de la sécurité intérieure a dû vous le confirmer.

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