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Intervention de Laurent Nuñez

Réunion du jeudi 26 janvier 2023 à 9h35
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme :

Votre première question sur le passage à l'acte est celle qui taraude tous les services de renseignement. C'est bien la difficulté de l'exercice.

Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un État de droit. Dans d'autres fonctions qui étaient plus politiques, j'ai souvent eu à ferrailler avec l'opposition pour expliquer que ce n'est pas parce qu'un individu a été condamné pour des faits de terrorisme qu'il va pour autant commettre un attentat en sortant de prison. Beaucoup font ce type de raccourcis.

Les services de renseignement suivent des individus qui, dans le passé, ont commis des actes terroristes ou adhéré à une idéologie, par exemple celle de l'État islamique. Le suivi va permettre de mesurer jusqu'à quel point ils y adhèrent et de détecter le passage à l'acte – ce qui reste le plus difficile. Mais on ne peut pas se contenter de mettre les gens dans des cases : oui, il y a quelque 400 TIS incarcérés, mais je ne sais pas combien parmi eux ont des velléités de passage à l'acte.

Notre travail est de détecter ce passage à l'acte d'un individu. On peut le déterminer quand la personne exprime le souhait de passer à un acte de violence à travers ses contacts, ses communications, son comportement, ses propos. C'est cela qui nous permet de saisir la justice et d'ouvrir un dossier pour entreprise individuelle terroriste ou association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste.

La nuance est là, et elle est très importante.

Tout l'enjeu consiste à déterminer à quel moment il y a des actes préparatoires à un acte violent. Cela peut être lorsqu'un individu proclame sur les réseaux sociaux qu'il va commettre un attentat – mais des déclarations pareilles, on en a des centaines tous les jours, il faut en avoir conscience ! Et quand quelqu'un passe à l'acte, on nous reproche de ne pas avoir vu l'évidence…

Les services de renseignement ont ainsi été mis en cause à la suite de l'assassinat terroriste de Samuel Paty, parce qu'il y avait eu énormément de tweets de l'auteur de l'attentat. L'un d'entre eux avait été transmis à la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Ce jour-là, la plateforme en avait reçu des centaines. Le tweet permettait de voir que l'auteur était radicalisé, mais pas de déterminer un passage à l'acte. La détection de ce dernier est très compliquée et fait toute la difficulté du travail des services de renseignement.

Lorsqu'on écoute certains, on a l'impression que n'importe quel individu radicalisé est potentiellement un terroriste. C'est un petit peu plus subtil et compliqué que ça.

S'agissant de votre deuxième question, les services de renseignement ne sont pas associés au travail réalisé dans les QER. Ce sont d'autres équipes qui sont chargées de procéder aux évaluations. Cela étant, quand l'évaluation fait apparaître des éléments de radicalisation persistante, le SNRP est évidemment informé – de même que les services de renseignement qui travaillent en milieu ouvert– que l'individu reste un objectif à suivre. Il n'y a pas de présence permanente, mais lorsqu'on observe des signaux inquiétants l'information est évidemment transmise.

Le suivi des détenus ne passe pas seulement par les QER. Les services de renseignement participent également à ce suivi lorsqu'ils mettent en œuvre des techniques de renseignement concernant certains détenus. La loi autorise le SNRP à le faire, ce qui permet de recueillir du renseignement sur des individus connus. Ces techniques sont régulièrement utilisées.

Enfin, l'ancienne directrice de la maison centrale vous a dit qu'elle préparait la sortie prochaine de prison de l'intéressé. Cela me paraît indispensable – en tout cas, c'est ce qui est demandé aux administrations et aux services de renseignement compétents. L'administration pénitentiaire se préoccupe de la réinsertion. La justice s'interroge sur la mise en place éventuelle de mesures judiciaires de surveillance – le pointage, par exemple – qui sont complémentaires des mesures administratives de surveillance. Tout cela doit être préparé en amont et je ne suis pas surpris par les propos de l'ancienne directrice.

Pour le reste, il ne m'appartient pas de me prononcer sur les raisons pour lesquelles M. Elong Abé n'a pas fait de passage en QER. J'ai lu dans la presse des opinions émises sur ce point – y compris par des magistrats antiterroristes. Mais je n'ai pas connaissance du fond du dossier et je peux seulement décrire des processus. Il est normal que la directrice prépare la sortie de prison. Il est vrai qu'il restait une durée assez longue de détention. La gestion de la détention ne relève pas de ma compétence.

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