Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Réunion du jeudi 30 mai 2024 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures cinq.

Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition de Mmes Cécile Mamelin, vice-présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM), et Natacha Aubeneau, secrétaire nationale

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Nous poursuivons ce matin les travaux de notre commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance avec l'audition de l'Union syndicale des magistrats (USM), représentée par Mme Cécile Mamelin, vice-présidente, et Mme Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'USM. Mesdames, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Cette audition vise à éclairer notre commission d'enquête sur le rôle du juge dans la protection et la prise en charge des mineurs en danger. Nous avons de nombreuses questions à vous poser, notamment sur l'échec manifeste de la déjudiciarisation des mesures de protection de l'enfance, l'inexécution de certaines décisions de justice ou encore la place de l'enfant pendant la procédure.

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire, je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le site internet de l'Assemblée nationale. En outre, en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire : « Je le jure ».

Mmes Cécile Mamelin et Natacha Aubeneau prêtent successivement serment.

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Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM

Je suis magistrate depuis trente-deux ans, avec une longue expérience en tant que juge des enfants. J'exerce aujourd'hui comme juge aux affaires familiales.

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Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'USM

Je suis magistrate depuis plus de vingt ans. J'ai exercé la fonction de juge des enfants pendant environ cinq ans et celle de juge aux affaires familiales pendant trois ou quatre ans. Dans le cadre de nos activités syndicales, la protection de l'enfance est un sujet qui nous préoccupe particulièrement. Le focus sur les violences intrafamiliales a quelque peu négligé les enfants. Nous sommes donc ravies de constater que cette cause revient sur le devant de la scène.

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Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM

Je précise que j'ai exercé en tant que juge des enfants pendant plus de huit ans le département des Hauts-de-France, où j'ai été confrontée à des problématiques complexes, comme par exemple les fratries nombreuses.

Nous avons déjà répondu de manière détaillée à vos questions. Vous recevrez dans les prochains jours une note, qui est d'une importance considérable. Nous avons pris contact avec de nombreux collègues actuellement juges des enfants pour actualiser nos pratiques. En effet, étant en décharge d'activités à l'USM, nous ne sommes plus sur le terrain, mais nous continuons de suivre ce sujet de près.

Depuis longtemps, nous nous intéressons à la protection de l'enfance, un enjeu essentiel pour notre démocratie. La qualité de cette protection reflète l'importance accordée aux plus vulnérables, à savoir les enfants.

Je souhaite souligner que la protection de l'enfance constitue la prévention la plus efficace contre la délinquance des mineurs. Malheureusement, dans notre pays, on aborde souvent la question des mineurs sous l'angle pénal. La délinquance est certes réelle, mais il est regrettable d'oublier qu'un enfant est avant tout un être à protéger. La protection de l'enfance doit être le rempart contre la délinquance, la désinsertion et les addictions. Cet enjeu fondamental nécessite des moyens à la hauteur des besoins, ce qui n'est malheureusement pas le cas. Nous devons constater un véritable échec, voire une faillite, de ce système à bout de souffle. Les dispositifs de protection de l'enfance sont complètement saturés et font face à de grandes difficultés de recrutement, particulièrement dans les départements en grande tension comme les Hauts-de-France et la Seine-Saint-Denis. Les travailleurs sociaux, souvent mal rémunérés, souffrent énormément dans leur travail.

Vous trouverez dans notre note des exemples concrets sur les délais d'exécution, pour que vous ayez une idée précise de la situation. Ce ne sont pas des ressentis, mais des chiffres réels, qui concernent les délais d'attente pour les mesures d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), mais aussi et surtout pour les placements.

Lorsque le juge des enfants constate un danger extrême et ordonne un placement, les ordonnances de placements provisoires (OPP) prises par le procureur de la République sont exécutées presque immédiatement par les départements, car le danger est particulièrement caractérisé. En revanche, les placements ordonnés par le juge des enfants dans le cadre de son cabinet, après une procédure incluant des investigations et l'audition de toutes les parties, peuvent prendre deux, trois, voire six mois à être exécutés selon les départements. Même lorsqu'ils sont exécutés, les modalités indiquées par le juge ne sont pas toujours respectées en raison d'un manque d'équipements adéquats en structures ou d'établissements spécialisés.

Cette situation soulève un enjeu sociétal majeur. À cet égard, l'USM demande depuis plusieurs années qu'une obligation d'exécution des décisions judiciaires soit instaurée. Nous avions déjà exprimé cette demande en 2019 lors d'une précédente mission sur la protection de l'enfance. Nous constatons une perte de crédibilité de la justice lorsque ses décisions ne sont pas suivies d'effets.

Nous sommes arrivés à un point de saturation. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance prévoit une déjudiciarisation de la politique de protection de l'enfance, dont le président du conseil départemental est chef de file.

Malheureusement, nous constatons une augmentation continue des mesures judiciaires, ce qui démontre l'inefficacité du système actuel. Plusieurs explications peuvent être avancées. La dégradation des moyens sanitaires et sociaux affecte en premier lieu les enfants. Les parents, dont la situation économique se détériore, se trouvent démunis face aux situations de handicap et de maladies, notamment psychiatriques. L'évolution du traitement des violences intrafamiliales, marquée par une saisine plus systématique du juge des enfants, contribue également à cette situation. L'augmentation des prises en charge de mineurs non accompagnés aggrave le problème. Enfin, les maisons départementales des solidarités souffrent d'un déficit de moyens humains et financiers, ce qui met l'administration à rude épreuve.

Le principe de subsidiarité veut que la saisine judiciaire soit une option de dernier recours, utilisée uniquement si la mesure administrative ne peut être mise en place. Cependant, le manque d'adhésion des familles complique ce processus. L'adhésion des familles est essentielle mais elle demande un travail long et fastidieux. Les services, saturés, saisissent la justice dès que les familles ne répondent pas à une convocation.

Il est évident que la déjudiciarisation constitue un souhait partagé. Les juges des enfants, particulièrement chargés, gèrent encore trop de dossiers (600 à 700 par cabinet, pour un chiffre optimal fixé à 350).

Cela reflète la difficulté d'évaluer la charge de travail des magistrats. À la suite d'une demande de la Cour des comptes, des référentiels ont été élaborés par la direction des services judiciaires (DSJ), en collaboration avec l'ensemble des organisations syndicales et professionnelles, ainsi que les conférences des premiers présidents et procureurs généraux, sur les besoins budgétaires et d'effectifs supplémentaires. Ils démontrent de manière flagrante la nécessité d'une augmentation significative des effectifs, notamment des juges des enfants. Nous constatons en effet une augmentation d'environ 30 % pour la seule activité civile. L'activité pénale, quant à elle, a quasiment doublé.

Malheureusement, ces référentiels ne sortent pas du cabinet. Nous n'en comprenons pas la raison. Cette situation est très problématique. En effet, si les budgets n'augmentent pas, nous continuerons à faire face aux difficultés constatées dans la justice, qui se trouve dans un état de délabrement décrit par les États généraux de la justice.

Les juges des enfants en France sont confrontés à une charge de travail très importante. La déjudiciarisation représente un enjeu majeur. Pour y parvenir, des moyens sont nécessaires, ainsi qu'une priorité budgétaire et politique définie par les départements. Ces choix ne dépendent pas toujours de la richesse des départements. Des témoignages de collègues indiquent que même les départements relativement riches ne font pas forcément de la protection de l'enfance une priorité. Cela relève donc d'un choix politique.

De plus, il existe un manque de transparence dans de nombreux départements. Les juges des enfants rencontrent des difficultés pour connaître l'état exact des placements. Les réponses ne sont pas toujours fournies. Certains peinent à savoir quand les décisions seront exécutées et dans quel établissement. Cette opacité et ce manque de transparence sont unanimement décrits par les collègues, qui se retrouvent démunis face à la dégradation des situations familiales. Ils sont parfois contraints de prendre des mesures plus graves que celles qu'ils auraient initialement envisagées, simplement pour que les décisions soient appliquées plus rapidement.

Cela paraît d'autant plus choquant que la loi nous oblige à respecter certains critères, tels que l'intérêt supérieur de l'enfant, le maintien de la fratrie et les liens avec les parents -même si l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer sur les autres critères. Or parfois, sachant que la mesure éducative en milieu ouvert ne sera pas exercée avant plusieurs mois, certains juges sont amenés à prendre des décisions de placement ou de maintien à domicile sous conditions.

Pourtant, au niveau législatif et dans la pratique, une place très importante est désormais accordée à l'enfant dans la procédure. L'enfant discernant est entendu quasiment systématiquement. Néanmoins, parfois, par manque de temps, lorsque les fratries sont nombreuses, les collègues n'entendent pas toujours l'enfant seul. En effet, cela rallonge le temps d'audience, tout comme la présence de l'avocat.

En définitive, nous avons l'impression de courir après le temps. Les collègues posent la question suivante à l'enfant : « veux-tu être entendu seul ? ». Il arrive que l'enfant réponde positivement, mais parfois il n'ose pas le faire. Il est regrettable de devoir poser cette question, car le principe inscrit dans la loi est que l'enfant doit être entendu seul lors de son audition. Cependant, dans la réalité, ce n'est pas systématiquement appliqué pour les raisons évoquées.

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Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'USM

Pour aborder les pratiques contra legem dues à un manque de temps, il faut souligner la difficulté que constitue la présence du greffier à l'audience. En effet, celle-ci est obligatoire, l'absence du greffier pouvant entraîner l'annulation du jugement. Pourtant, en pratique, les juges des enfants mènent souvent leurs auditions sans greffier en assistance éducative. Il serait impensable de tenir n'importe quelle autre audience sans greffier. Malheureusement, en matière de protection des enfants, cette absence est tolérée. Cela constitue un véritable problème, car la présence du greffier garantit les droits des justiciables et assure au juge une assistance précieuse pour la prise de notes. En effet, il est extrêmement difficile pour un juge d'écouter les familles confrontées à des problématiques sociales et familiales très complexes et douloureuses, tout en prenant des notes pour rédiger sa décision.

Il est fondamental de disposer de moyens adéquats pour la protection de l'enfance dès le plus jeune âge. On dit souvent qu'un enfant est un adulte en devenir. Ayant occupé diverses fonctions de magistrat, nous constatons malheureusement une continuité. En tant que juge correctionnel ou juge des libertés et de la détention, nous retrouvons des enfants suivis toute leur enfance par les services socio-éducatifs et les juges des enfants, soit juste avant l'incarcération, soit dans des établissements psychiatriques. Ce constat d'échec est évident. Si l'on investissait davantage dans la protection de l'enfance, dès la naissance, nous gagnerions du temps et de l'argent dans le traitement de la délinquance et des troubles psychiatriques. Les carences affectives et éducatives des premiers temps de la vie entraînent des conséquences irréversibles.

En outre, la déjudiciarisation n'a pas fonctionné principalement en raison du manque de moyens des départements. Ces derniers ont tenté de maintenir les mesures administratives, mais lorsque cela devenait ingérable, les juges des enfants se retrouvaient avec des situations beaucoup plus dégradées, sans pour autant disposer de moyens supplémentaires. En conséquence, nous avons constaté une augmentation des saisines. Les familles ont compris qu'un accord avec la mesure évitait de passer par le juge des enfants, mais cet accord n'était souvent qu'une façade. Bien entendu, l'intervention du juge est parfois essentielle pour obtenir une véritable adhésion. En effet, sans la menace d'une sanction ou même la simple représentation de l'autorité, cela ne fonctionne pas. À ce titre, il est nécessaire de repenser ce système.

En outre, judiciarisation ou non, le problème réside dans les moyens de prise en charge des enfants. Le suivi éducatif ne peut fonctionner que si l'éducateur n'a pas trop d'enfants à suivre, qu'il peut leur consacrer du temps, être réactif, présent et bien identifié par la famille. Il est impossible de redresser les problèmes éducatifs sans un interlocuteur privilégié pour rappeler les bonnes pratiques ou pour que la famille puisse demander de l'aide avant que la sanction ne tombe.

Dans le cadre des mesures de placement, il subsiste d'importantes difficultés en termes de maintien des liens, notamment en raison d'un manque de moyens. Lorsqu'un enfant est placé, l'objectif est qu'il puisse retourner dans sa famille le plus rapidement possible. Pour cela, il est nécessaire de travailler sur le lien avec la famille, de traiter la problématique ayant conduit au placement pour que la situation puisse évoluer. Malheureusement, ce n'est pas toujours possible, faute de moyens. Par exemple, les droits de visite ne sont pas toujours organisés en raison de l'absence de personnel pour les encadrer. De plus, les intervenants chargés de superviser ces visites changent fréquemment et ne connaissent pas les situations, ce qui empêche de travailler efficacement sur le lien familial et de faciliter le retour de l'enfant, même lorsque cela semble possible.

Par ailleurs, la priorité a longtemps été de maintenir coûte que coûte les liens avec la famille biologique, parfois au détriment du lien affectif créé avec la famille d'accueil, causant de nombreux dégâts. Nous avons toutes deux été juges des enfants il y a quelques années. À cette époque, le mantra des services éducatifs consistait à dire que si le lien entre l'enfant et la famille d'accueil devenait trop fort, il fallait changer l'enfant de famille d'accueil pour pouvoir travailler le lien avec les parents biologiques. Cette approche a causé énormément de dommages. Maintenir le lien à tout prix n'est pas forcément une bonne idée. Parfois, il faut admettre que ce lien est plus toxique que bénéfique.

Pour toutes ces raisons, nous sommes ravies que l'attention se porte désormais sur la protection de l'enfance. Nous avons constaté ces problèmes depuis longtemps et souvent déploré l'absence de moyens et de prise de conscience quant à l'importance des enjeux à long terme des mesures mises en place à ce stade de la vie.

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Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM

Il serait pertinent de vous rendre dans une cour d'assises. Les parcours de vie des individus qui y sont jugés sont souvent marqués par des enfances catastrophiques. La succession des lieux de placement et des ruptures avec les personnes auxquelles ils se sont attachés est frappante. Vous avez auditionné M. Lyes Louffok au sein votre commission. Son discours et sa réflexion sur son propre parcours de vie sont particulièrement éclairants et essentiels.

Quoi qu'il en soit, il y a une urgence absolue à agir. À ce titre, nous nous réjouissons que votre commission puisse mettre en lumière ces constats, que nous relevons depuis un certain temps. La situation est désormais critique, car il s'agit de parcours de vie brisés. Il arrive que des juges pour enfants se retrouvent à statuer sur le sort d'un mineur en se basant uniquement sur la lecture de rapports, lorsqu'ils existent, de personnes qui ne connaissent pas la situation.

Le turnover des référents est également désastreux pour un enfant. Si le référent n'est pas maintenu suffisamment longtemps, l'enfant éprouve beaucoup de difficultés à accorder sa confiance. De surcroît, la personne « oublie », car même si le dossier est écrit, il se joue une dimension relationnelle. Les juges des enfants connaissent également un turnover, en lien avec le statut, puisque cette fonction particulièrement épuisante ne peut pas être exercée plus de dix ans. Il faut aussi mentionner les demandes de déspécialisation en raison de la charge de travail. Bien que cela reste marginal pour l'instant, nous recevons des demandes en ce sens. Nous rencontrons des situations d'épuisement professionnel.

Tout cela témoigne d'un échec à tous les niveaux. Il est urgent de proposer des solutions et de faire de l'enfance une priorité. Derrière les violences intrafamiliales, on retrouve souvent des enfants, puisque ces derniers sont en situation de maltraitance dès que leur mère est atteinte. Ils subissent eux-mêmes des maltraitances, même en l'absence de violence physique. Il convient de rappeler un chiffre alarmant : un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups subis dans le milieu familial. Ce chiffre devrait nous alerter. En tant que magistrats, nous portons la parole des enfants.

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Je tiens à souligner l'importance de vos remarques sur les pratiques professionnelles passées, qui ont pu entraîner un impact particulièrement lourd sur les décisions visant les enfants. Depuis quinze ans, les neurosciences et les connaissances sur le développement de l'enfant ont évolué, nécessitant de modifier certaines pratiques professionnelles.

Le garde des Sceaux ne publiera pas, pour la deuxième année consécutive, la répartition des emplois des magistrats. Qu'en pensez-vous ?

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Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM

Nous avons demandé une clé prospective dans le cadre de l'évolution des effectifs. Nous peinons à comprendre les raisons d'une telle décision, sinon que le ministère refuse de recréer un système de vacances de poste. La principale difficulté de la magistrature au cours des dix dernières années concerne en effet la vacance prolongée de nombreux postes. La DSJ s'est efforcée de pourvoir près de 500 postes vacants en France. Pour un total de près de 7 500 magistrats à l'époque, ce n'était pas négligeable. Il y a aujourd'hui moins de postes vacants, mais il en reste toujours. L'augmentation d'une clé créerait de facto de nouveau un système de vacances, ce qui n'enverrait pas un bon message politique, alors même que nous considérons qu'il est essentiel de reconnaître que les magistrats ne sont toujours pas en nombre suffisant et qu'il faut absolument pourvoir ces postes. Cela ne change pas concrètement les choses, et il est bien évidemment impossible d'obtenir 1 500 magistrats du jour au lendemain. D'ailleurs, nous souhaitons des magistrats suffisamment bien formés, capables de rester dans notre institution et d'apporter une réelle plus-value.

Cette logique est regrettable, car elle contredit le discours parallèle du garde des Sceaux, qui admet « trente ans d'abandon budgétaire pour la justice ». Nous avons d'ailleurs été satisfaits d'entendre que la situation de l'institution était dans un état de délabrement. Ce propos constituait une reconnaissance de notre combat. En examinant nos archives, nous constatons que ce débat existe depuis quarante ans.

Les citoyens sont capables de comprendre qu'il subsiste des postes vacants, mais qu'ils seront progressivement comblés. Or aujourd'hui, nous craignons que l'augmentation des effectifs cesse d'ici trois à quatre ans. C'est la raison pour laquelle je mentionne les référentiels, qui sont les seules données objectives permettant d'affirmer qu'il manquera encore des juges, même avec le recrutement de 1 500 magistrats supplémentaires.

D'après les chiffres de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej), le nombre de juges devrait être doublé, et celui des procureurs multiplié par trois ou quatre, pour atteindre la moyenne européenne. Dans le cadre des organisations européennes et internationales, nous entretenons des liens avec des collègues étrangers. Certains d'entre eux, accueillis dans nos bureaux, sont stupéfaits par les conditions de travail des magistrats en France, tant en termes de conditions matérielles que de charge de travail.

La DSJ est consciente que renforcer l'équipe autour du magistrat pourrait apporter un soulagement, mais cela ne résoudra pas tous les problèmes. À titre d'exemple, l'amiable en matière d'assistance éducative n'est pas de nature à aider les juges des enfants.

En définitive, nous acceptons et intégrons les propositions pragmatiques pour améliorer notre institution, mais la tendance à taire les problèmes réels et à refuser d'établir une clé prospective depuis deux ans pose un sérieux problème.

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Vous avez mentionné les échanges internationaux et européens avec vos collègues. J'ignore si ce sujet est abordé dans le cadre de vos échanges, mais je m'inquiète de voir la France en tête des placements d'enfants, alors même que notre système montre des signes de défaillance. Suivez-vous ces travaux ? Envisagez-vous des approches différentes, comme celles esquissées dans les lois du 14 mars 2016 et du 7 février 2022 concernant les placements longs ? Ces lois imaginaient plusieurs pistes, comme l'adoption simple. La loi de 2022 a introduit le concept de tiers digne de confiance, notion déjà en place au Québec ou en Belgique.

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Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'USM

Le placement ne constitue pas une solution optimale. Il est essentiel de mettre en avant la prévention. Si nous sommes souvent considérés comme des experts en matière de placement, c'est peut-être parce que nous manquons de moyens en amont. On a tendance à attendre d'être confrontés à des situations critiques pour agir, au lieu d'intervenir dès le début du problème. Cela demande du temps, n'est pas rentable à court terme et n'est pas toujours visible en termes de communication.

Or nous restons convaincus qu'il faut investir dès le plus jeune âge. Les placements à la naissance ou pour des enfants très jeunes existent, notamment lorsque les parents souffrent de pathologies ou de problèmes graves. Dans ces cas, il n'y a souvent pas d'autre solution. Cependant, nous devons explorer d'autres méthodes pour offrir à l'enfant la possibilité d'être accueilli et élevé par une famille aimante, que ce soit un proche ou une personne de confiance, souvent appelée personne-ressource. Nous avons toujours été conscients qu'un enfant ayant une personne-ressource établira un lien affectif et évoluera positivement, même si ses parents ne peuvent pas répondre à ses besoins affectifs et éducatifs. La recherche de ces personnes-ressources est essentielle, bien que cela demande également du temps.

Je pense que tout a dérapé à partir du moment où, par manque de temps et de moyens, on a agi dans la précipitation. Souvent, nous voyons des mesures éducatives accompagnées de rapports alarmistes indiquant que la situation familiale n'a pas évolué. Il subsiste un manque de recherche sur les autres possibilités de prise en charge et une sorte de défiance envers les proches. En effet, on craint que confier l'enfant à un oncle, une tante ou une grand-mère ne renforce les conflits internes à la famille. Cela peut être vrai, notamment pour les enfants souffrant du conflit parental. Confier l'enfant à l'une ou l'autre branche de la famille peut réactiver ce conflit.

Malheureusement, la tendance est de toujours vouloir extraire l'enfant de sa famille pour le placer dans une structure collective où ses besoins affectifs ne sont pas satisfaits. Je défends fermement l'idée de mettre des moyens en amont dans la prévention et l'accompagnement. La création d'une mesure éducative renforcée est bénéfique. En effet, lorsque l'éducateur est davantage présent, la situation peut évoluer positivement et cela permet également d'identifier les personnes-ressources, qui ne sont pas forcément désignées par les parents. Il est crucial que l'éducateur les identifie et vérifie leur rôle. Tout ce travail doit être réalisé en amont pour éviter le placement. Si le placement devient inévitable, il est essentiel d'identifier les personnes-ressources le plus tôt possible. Il faut déterminer si les parents traversent une mauvaise passe et ont besoin d'un accompagnement pour récupérer l'enfant rapidement, ou envisager une solution dans l'entourage familial si cela prend plus de temps.

Lorsque le placement se prolonge ou que les enfants sont placés dans des familles d'accueil où cela se passe bien, il est également important de permettre à l'enfant de s'intégrer pleinement dans cette famille. D'ailleurs, la présence à l'audience a longtemps été refusée aux familles d'accueil. Ces dernières ne rencontrent jamais le juge des enfants. Cette pratique mérite d'être questionnée. À l'audience, l'éducateur est parfois remplacé par un simple représentant du service socio-éducatif, qui connaît à peine le dossier et que la famille n'a jamais rencontré. Cette situation tend les relations car la famille entend des informations, peut-être mentionnées dans le rapport, mais que la personne présente ne maîtrise pas. Cette situation est extrêmement violente. On ajoute de la violence à une situation déjà difficile, alors même que la famille d'accueil attend dans la salle d'attente, sans aucun lien avec le juge des enfants.

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Travaillez-vous sur ces pratiques professionnelles avec les juges dans les juridictions ou faut-il clairement que nous l'indiquions pour que ces éléments soient repensés, voire imposés ?

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Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'USM

Cette question a été posée il y a un certain temps. Le choix délibéré a été de ne pas associer les familles d'accueil à la problématique de l'enfant et de sa famille d'origine. On estime que ce n'est pas leur place et qu'elles doivent être tenues à l'écart. La mission des familles d'accueil consiste à accueillir l'enfant temporairement, sans créer de lien trop proche, car l'enfant est destiné à retourner dans sa famille. Il est important d'éviter les interférences ou les mélanges entre le rôle de la famille d'accueil, qui apporte une présence matérielle et affective au quotidien, et le travail éducatif, qui est pris en charge par les services éducatifs, les éducateurs et les juges des enfants.

Ce choix initial mérite d'être respecté, mais il peut également être questionné. Il est peut-être nécessaire de faire évoluer les pratiques, bien que je n'aie pas de réponse absolue à ce sujet. Il serait pertinent de réfléchir sérieusement à cette question, sans nécessairement généraliser la réponse.

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Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM

La question de la présence des familles d'accueil relève véritablement de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Les juges des enfants n'ont pas voix au chapitre.

La complexité de ce travail réside dans le maintien des liens de l'enfant avec sa famille biologique, lorsque cette démarche est possible. L'implication des familles d'accueil est cruciale et doit être contextualisée. Il n'est nullement question de minimiser l'importance de ce travail.

D'ailleurs, les travailleurs sociaux font face à de grandes carences, en temps et en moyens, et souffrent d'un manque de reconnaissance de leur métier. Ils sont donc contraints de se concentrer sur l'essentiel. Par exemple, ils ne vont pas activement rechercher la famille élargie si celle-ci ne se manifeste pas auprès des services sociaux pour prendre en charge l'enfant. La solution de facilité consiste à utiliser les ressources disponibles (familles d'accueil, places dans les maisons d'enfants, etc. ). En France, il existe un véritable problème pour trouver des personnes-ressources.

L'évolution de la structure familiale représente également un facteur important. De nombreuses familles se séparent, se recomposent, ce qui complique encore la situation. Accueillir un enfant d'une autre fratrie, notamment lorsqu'il s'agit de beaux-parents, complexifie les liens familiaux et disperse les personnes-ressources.

Ces impératifs, qui peuvent sembler contradictoires entre l'intérêt supérieur de l'enfant, le maintien des liens familiaux et l'attachement nécessaire à la famille d'accueil pour la sécurisation affective de l'enfant, demeurent des notions extrêmement difficiles à concilier.

L'objectif de réunir toutes les parties prenantes pour obtenir ce qui est dans l'intérêt supérieur de l'enfant est parfois un choix difficile à opérer. Cependant, cette évolution concernant le maintien des liens est indispensable et constitue un long travail. Historiquement, la protection de l'enfance est centrée sur des idées qu'il convient de faire évoluer.

Pour ma part, ces difficultés ont causé de réelles souffrances. J'ai cessé d'exercer comme juge des enfants dans les Hauts-de-France en raison de la politique de placement, certes, mais aussi à la suite de décès survenus dans les familles. Ces évènements ont profondément marqué les travailleurs sociaux, qui ont d'ailleurs été mis en examen à l'époque. Ces histoires laissent des traces, car elles concernent des personnes véritablement engagées dans leur métier. J'ai eu l'occasion de rencontrer des éducateurs absolument formidables. Cependant, lorsque l'on est confronté à la misère sociale et aux difficultés financières, on tend à choisir la solution la plus rapide, y compris pour se protéger soi-même. Le système est extrêmement complexe, mais il est essentiel de bien comprendre cette problématique.

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Vous avez décrit la situation du côté des magistrats et abordé les enjeux de la protection de l'enfance sous un angle plus large. Tout d'abord, combien de juges pour enfants estimez-vous nécessaires pour réduire le nombre de dossiers par magistrat à moins de 325, ce qui correspondrait à une charge de travail normale pour un cabinet de juges des enfants ? En outre, pouvez-vous nous indiquer, en moyenne, la part des audiences en assistance éducative où un greffier est présent ?

Nous avons lu des témoignages évoquant un nombre excessif de placements, mais a contrario certains magistrats affirment qu'ils renoncent désormais à ordonner des mesures de placement sachant qu'elles ne seront pas exécutées.

Je souhaite vous interroger la notion de placement à domicile, un terme de plus en plus utilisé mais qui n'est pourtant pas encadré de manière rigoureuse. Cette solution manque d'efficacité, surtout en raison du manque de moyens d'intervention à domicile au sein des différentes associations ou services publics.

Par ailleurs, le Syndicat de la magistrature a récemment mené une enquête, par ses propres moyens, mettant en lumière une partie du désastre lié à la non-exécution des décisions de placement. Cette situation est inédite par son ampleur. Lorsque j'ai interrogé le garde des Sceaux sur l'absence de chiffres à ce sujet, il m'a été répondu que la mise en place de tels relevés était extrêmement complexe. Je souhaite connaître votre avis sur la possibilité pour les magistrats, en lien avec l'ASE, d'organiser une remontée nationale de l'exécution des mesures.

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Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM

En collaboration avec la DSJ, nous avons élaboré des référentiels qui nous ont permis de quantifier précisément les effectifs nécessaires. Pour faire face à la charge de travail actuelle, il nous faudrait ainsi 87 juges des enfants supplémentaires pour l'activité civile pure, en excluant les décisions concernant les mineurs non accompagnés et les enfants de retour de zones terroristes. Ces 87 juges représentent une augmentation de 32 % des effectifs. Concernant le pénal, il serait nécessaire de doubler les effectifs, en excluant également les mesures de soutien. En effet, les référentiels que nous avons construits sont très précis, prenant en compte une activité purement juridictionnelle ainsi qu'une activité de soutien. Cette dernière inclut tout ce qui est réalisé en partenariat, l'accueil et la formation de nos collègues et futurs collègues, l'accueil des stagiaires, notre propre formation continue. Malheureusement, ces référentiels restent bloqués, bien qu'ils démontrent clairement une insuffisance des moyens alloués par le ministère.

En ce qui concerne les greffiers, nous ne disposons pas de chiffres récents. Cependant, une enquête menée il y a une dizaine d'années révélait que près de 70 % des audiences se tenaient sans greffier. Je vais vous confier quelque chose de très grave : pendant environ huit ans, j'ai tenu des audiences sans greffier. Je prenais mes notes seule. À l'époque, ce n'était même pas un sujet de discussion, bien que la présence obligatoire d'un greffier soit inscrite dans la loi. Les greffiers sont plus fréquemment présents pour les jugements, mais je ne suis pas certaine que toutes les audiences de jugement se tiennent avec un greffier, ce qui constitue un non-respect flagrant de la loi. Il existe une clé pour les greffiers, mais celle-ci est également sous-dimensionnée. Il subsiste de nombreuses vacances de poste dans cette catégorie.

Je n'ai pas connu la mesure de placement à domicile, mais juridiquement, je ne la comprends pas. Selon moi, elle représente un pis-aller, faute de moyens pour placer les enfants à l'extérieur. Le placement à domicile est un oxymore et n'a aucun sens.

S'agissant des AEMO, il convient de préciser que les visites des éducateurs interviennent une fois par mois, et plus exceptionnellement tous les quinze jours. Or un placement est justifié par une situation de danger. Je ne comprends donc pas la notion de placement à domicile, car ce dernier implique nécessairement un maintien du lien.

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Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'USM

J'ai pratiqué le placement à domicile, dont l'intérêt réside dans la disponibilité immédiate d'une place. L'idée initiale était de disposer d'un service de placement en relais pour les moments de crise ou de difficulté. Cela peut être pertinent sous cette condition, mais ce n'est pas une solution aux problèmes de manque de places. En effet, il faudrait qu'une place soit disponible pour l'enfant, place qu'il n'occuperait que sporadiquement, lorsque sa famille est dépassée ou que l'enfant est angoissé.

De nombreuses mesures ont été créées. À l'époque où Mme Cécile Mamelin et moi-même exercions, nous ne disposions que de l'AEMO et du placement. En réalité, les mesures qui se sont ajoutées existaient déjà. Ainsi, le placement à domicile n'est rien d'autre qu'un placement avec des droits de visite et d'hébergement très élargis. Sinon, il s'agit d'une mesure éducative renforcée, où le rythme de présence de l'éducateur est insuffisant. La flexibilité devrait exister dans un cadre plus large, mais toutes ces mesures complexifient le système sans résoudre les problématiques.

De même, la non-exécution des placements n'est pas une nouveauté. Lorsque j'étais juge des enfants, les placements n'étaient déjà pas exécutés. J'ai d'ailleurs eu un différend avec le responsable de l'ASE qui m'avait dit : « il est inadmissible que vous soyez les décideurs, et nous les payeurs ». Peut-être est-ce un problème, mais cela fonctionne ainsi. Si le juge des enfants prend des décisions, mais que l'ASE ne les applique pas, quel est l'intérêt de judiciariser les situations ?

On apprécie l'intervention du juge des enfants lorsque la situation se détériore, car il incarne une figure d'autorité. Cependant, en réalité, le juge n'a aucun pouvoir effectif. Cela ne peut fonctionner que si un véritable travail de partenariat est mis en place, en réunissant tous les acteurs. Or les services éducatifs sont très hiérarchisés. Nous avons affaire à des responsables qui gèrent les dossiers sans être présents quotidiennement dans les familles. Pour établir un partenariat efficace, il faut du temps, une ressource dont nous manquons cruellement. C'est souvent cet aspect qui est sacrifié. La situation est extrêmement complexe.

Lorsque j'étais juge des enfants, j'ai eu le cas d'adolescents non placés faute de lieu d'accueil. Ces situations peuvent conduire à des drames. J'ai connu des enfants qui se sont fait violer, alors même que la mesure de placement était ordonnée. D'autres enfants sont morts, alors même que la mesure de placement était également ordonnée, mais non exécutée.

Je comprends que les services de l'ASE soient tétanisés, car ils ignorent où placer les enfants. On traite les dossiers des enfants comme des pions que l'on déplace, alors qu'il faudrait mener un travail de recherche. Il m'est arrivé de téléphoner aux services de placement pour négocier une place. De surcroît, un placement réussi suppose d'adapter le lieu de placement à la problématique de l'enfant. En réalité, cet aspect n'est nullement pris en compte puisque l'on met les enfants là où on trouve de la place.

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Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM

J'ai indiqué qu'il existe un véritable manque de transparence des départements. Néanmoins, ce phénomène n'est pas généralisé. Certains collègues témoignent avoir connaissance du nombre de mesures non exécutées. Certaines situations sont particulièrement choquantes : dans le Nord, au tribunal pour enfants de Lille, 80 mesures étaient en attente d'exécution en avril 2024, dont 57 sur le pôle de Roubaix-Tourcoing. Comme je l'indiquais précédemment, il n'est pas politiquement correct pour les départements de révéler une défaillance dans leur mission. Nous avons souvent entendu dans notre carrière : « vous êtes les décideurs, nous sommes les payeurs. » Ce système, bien que simple en apparence, est en réalité complexe. Les départements n'ont pas intérêt à ce que leurs carences soient affichées au niveau national car ils sont responsables de la protection de l'enfance, une mission inscrite dans la loi.

On se concentre actuellement sur les violences intrafamiliales, mais insuffisamment sur les enfants. Je ne comprends pas pourquoi des dégradations de situations, voire des décès d'enfants, ne suscitent pas davantage de réactions dans ce pays. C'est aussi dramatique qu'une femme qui meurt sous les coups de son mari, bien que cela ne fasse pas autant de bruit médiatique. On ne parle pas des enfants qui vivent ces situations, ni des adolescents placés à hôtel. Cette pratique a été introduite sous une forme dérogatoire, mais le dérogatoire a finalement été institué. Aujourd'hui, nul n'est choqué qu'un adolescent soit placé à l'hôtel. Pourtant, s'il est mineur, cela ne devrait pas être le cas. La loi a prévu une dérogation qui a entériné des pratiques existantes. Cependant, en entérinant ces pratiques, on finit par valider de mauvaises pratiques ; c'est un pis-aller face à des moyens insuffisants.

Il faudrait une véritable transparence des départements, mais elle serait difficile à assumer politiquement. La question se pose alors de recentraliser la protection de l'enfance. Ce choix incombe à l'État. Ce dernier ne doit-il pas reprendre la main sur certaines responsabilités ? Je m'exprime ici en mon nom propre. Ayant constaté l'échec de la politique actuelle, je considère qu'il est possible de revenir au système précédent, en conservant certaines évolutions comme le maintien des liens et l'intérêt supérieur de l'enfant. Nous ne sommes plus dans les années 1950, où il s'agissait uniquement de lutter contre trop de corrections. La prise en charge de l'enfant a évolué. N'est-ce pas l'une des missions fondamentales de l'État que de permettre aux enfants de notre pays que de devenir des adultes insérés, sans carences éducatives et affectives ? Ainsi que nous le répétons, les enfants d'aujourd'hui sont les adultes et les citoyens de demain.

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Je partage l'idée selon laquelle les enfants d'aujourd'hui sont les adultes de demain. À cet égard, ils ne représentent pas un coût, mais un investissement. Nous sommes nombreux à promouvoir cette vision.

La réflexion prospective est essentielle pour une politique publique, qu'elle soit départementale ou nationale, afin de prévoir un nombre adéquat de places d'accueil et des modalités d'accueil diversifiées. Pouvez-vous nous expliquer comment cela se travaille ? Pour le département du Nord, vous mentionnez 57 mesures en attente d'exécution sur le pôle de Roubaix-Tourcoing. Il s'agit du premier département de France en matière de protection de l'enfance, puisqu'il est question de 22 000 accueils entre l'AEMO (simple ou renforcée) et les placements. Je souhaiterais savoir si, dans des départements plus petits, qu'ils soient ruraux ou périurbains, les réflexions sont engagées sur le travail de la justice et le nombre de places permettant de créer une dynamique de politique publique.

Depuis le début des auditions, nous constatons un manque d'analyses et de données. Les services fonctionnent en silos, avec des logiciels différents, ce qui complique les remontées nationales. Chaque entité, que ce soit la justice, la santé ou les départements, utilise son propre logiciel. Nous rencontrons donc une problématique commune de prospective concernant l'accompagnement des enfants dans les meilleures conditions, tout en rappelant leurs droits fondamentaux. Avez-vous des exemples de bonnes pratiques où la prospective, le travail en commun et la réflexion se réalisent de manière constructive ? Comment ces réflexions peuvent-elles être portées ? Il est inacceptable de travailler en se demandant constamment si l'on a une place ou non, surtout lorsque la protection des enfants est en jeu.

Les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montrent une augmentation significative des placements d'enfants, notamment en bas âge (0 à 6 ans), au 31 décembre 2022. Cette situation exige une politique publique spécifique, avec des personnels adaptés aux besoins fondamentaux de ces enfants. Cependant, les places disponibles sont insuffisantes, ce qui nous ramène au syndrome de l'hospitalisme. Il est scandaleux de constater que des enfants en grande souffrance psychique ne reçoivent pas l'aide nécessaire.

Ce manque de perspective et de planification à l'échelle des territoires constitue un problème majeur. Nous devons savoir combien de places sont nécessaires pour répondre adéquatement aux besoins des enfants.

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Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'USM

Nous n'avons pas les outils nécessaires, nous ne disposons pas de logiciels performants ni adaptés. Nos logiciels travaillent en silos et jamais en chaîne, alors que notre travail de magistrat doit précisément s'inscrire dans une chaîne. Nous avons commencé à mettre en place une chaîne pénale, mais elle fonctionne difficilement, car les informations ne sont pas véritablement relayées. Il n'y a pas d'informations enregistrées en bout de chaîne qui soient récupérées sur toute la chaîne. Cela entraîne des réenregistrements systématiques.

Ce problème touche toutes les fonctions de la magistrature, mais la situation est tout bonnement catastrophique en ce qui concerne la protection de l'enfance. Premièrement, les outils et leur utilisation posent un problème. Deuxièmement, il existe une séparation entre la responsabilité du magistrat et celle du département. À ce titre, un travail de partenariat est nécessaire : il faut que nous disposions non seulement de temps, mais aussi de la possibilité d'intervenir de manière conjointe dans l'intérêt des enfants que nous suivons.

Or il subsiste une forme de rivalité. Parfois, les relations sont bonnes et nous collaborons, mais cela se fait de manière totalement empirique. Rien n'institutionnalise ces liens, ni ne permet une véritable réflexion avec le juge sur les besoins du territoire. Pourtant chaque territoire a des spécificités en termes de besoins de protection des enfants, en fonction de l'âge des enfants, de leurs problématiques, dans les villes et dans les campagnes.

Nous avons besoin de diversifier les types de placements pour répondre aux besoins spécifiques de chaque enfant. Par exemple, nous disposons de lieux de placement mère-enfant pour les adolescentes avec des bébés, de placements pour des fratries, de systèmes d'appartements où une fratrie est placée avec un éducateur, de familles d'accueil, de foyers collectifs et de pouponnières. Chaque département devrait offrir une variété de ces options pour mieux répondre aux besoins individuels.

Il est également essentiel de réfléchir à la finalité des placements. Lorsque j'ai commencé en tant que juge des enfants, j'ai repris tous mes dossiers pour comprendre la situation d'origine et les raisons des mesures éducatives ou des placements. Ce travail est crucial car, souvent, des années plus tard, les causes initiales ne sont plus les mêmes, mais les mesures sont renouvelées par habitude ou par confort, sans réelles avancées. Il faut mener une réflexion sur la finalité des placements.

Toutes ces réflexions sont essentielles et intéressantes. Pour les juges des enfants, il serait formidable de disposer du temps nécessaire pour accomplir toutes ces tâches. En effet, lorsqu'on est constamment sous pression, à tenter de respecter les délais, de tenir les audiences et de rédiger les décisions, on finit par perdre le sens de nos fonctions. C'est ce que nous avons exprimé dans une tribune en 2021. Cette réalité est ressentie dans toutes les fonctions, mais peut-être plus particulièrement chez les juges des enfants. Comme Mme Cécile Mamelin, j'ai quitté cette fonction avec un profond désenchantement. Ce n'est pas le cas de tout le monde. Certains juges des enfants restent passionnés, exercent de nombreuses années et continuent d'y croire. Cependant, il faut vraiment avoir la foi et lutter sans relâche. Être juge des enfants est épuisant car on se sent souvent démuni.

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Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM

L'absence de réflexion, de coordination et de prospective est réelle. Cependant, je peux vous assurer qu'à un moment donné, cela a existé avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Lorsque la PJJ, à travers les services éducatifs auprès du tribunal (Seat), était dans nos murs, j'ai souvenir de conversations et réflexions avec les éducateurs. Ce sont les meilleurs souvenirs de ma carrière de magistrat. Ces personnes avaient une vision globale, à la fois sur le civil et le pénal. Malheureusement, on a dépouillé la PJJ de ce regard sur le civil, afin de la recentrer sur le pénal. Cette logique résulte de décisions politiques relatives à la déjudiciarisation et à la décentralisation. Lorsque quelque chose fonctionne bien, étrangement, dans notre pays, on le « casse » pour que cela ne fonctionne plus. En tant que magistrat, c'est ce que nous avons observé.

Quoi qu'il en soit, ces éducateurs possédaient une connaissance globale de la situation. Je rêverais de recréer un véritable service auprès du tribunal, sur lequel nous pourrions avoir non pas une emprise, mais une réflexion et un partage commun, comme une décision collégiale lorsque nous sommes magistrats - ce qui se perd de plus en plus dans notre métier, car tout est fait pour que nous soyons des juges uniques et solitaires. Cette dynamique paraît fort regrettable : la qualité de la décision et son acceptation par le justiciable résultent davantage d'une collégialité que d'un juge unique, dont on imagine qu'il a des idées et des préjugés.

Je me souviens de situations très précises où des éducateurs, en se rendant régulièrement dans les familles, ont réussi à décrypter des éléments incompris. Ce travail n'est plus vraiment effectué aujourd'hui. L'ASE doit remplir des fiches, mais cette mission est très catégorisée et compartimentée. Autrefois, grâce au dialogue et au travail en partenariat, nous parvenions à comprendre les situations ensemble. Aujourd'hui, ce travail est impossible. Nous rencontrons ces personnels lors des audiences, nous les appelons parfois, mais le temps nous manque, à eux comme à nous.

À ce jour, dans le Nord, 240 mineurs relevant des maisons de solidarité de Roubaix-Tourcoing ne bénéficient d'aucun suivi par un référent de l'ASE. Cela entraîne une absence d'accompagnement, de suivi des familles d'accueil, de soutien aux professionnels et de travail sur la parentalité. Je rapporte ici le témoignage de collègues lillois. D'ailleurs, de très nombreux travailleurs sociaux ont organisé des manifestations, comme en attestent différents articles parus dans La voix du Nord.

L'absence de référencement constitue un problème majeur. Parfois, il n'y a même pas de rapport à l'audience. En outre, lorsque le représentant est présent, ce n'est pas toujours celui qui suit l'enfant, rendant finalement l'audience inutile. Or comment construire un partenariat si la personne présente à l'audience n'est pas celle qui suit l'enfant ?

Depuis que j'ai commencé mon activité en 1992, je n'ai quasiment jamais connu une année où les mesures éducatives étaient exercées immédiatement. Nous sommes en train de parler d'un véritable serpent de mer, existant depuis près de trente ans. Ensuite, après m'être éloignée de ce domaine pour exercer d'autres fonctions, j'ai été stupéfaite d'apprendre que les mesures de placement étaient également mises en attente. Cela fait une dizaine d'années que cette situation perdure et personne n'en parle. Il s'agit là d'un scandale insupportable.

La séparation absolue entre le judiciaire et l'administratif représente un obstacle que nous n'arrivons pas à surmonter. À Lille, une émulation existe : les deux parties, confrontées aux mêmes difficultés, se retrouvent dans les manifestations. Elles sont investies de cette mission de service public consistant à protéger les plus vulnérables, et y croient fermement.

J'ai mentionné avec nostalgie la PJJ, car j'ai souvenir d'un système qui fonctionnait. C'est la raison pour laquelle l'État doit peut-être recentraliser et réordonner un dispositif qui ne fonctionne manifestement pas.

Le manque de transparence et l'opacité sont flagrants. Sans la sincérité absolue des départements pour fournir des informations, comment mener un travail prospectif ? Nous travaillons dans le vide.

La majorité des juges des enfants sont des personnes passionnées par leur métier. J'ai cessé cette activité car je souhaitais explorer d'autres horizons. J'ai toujours exprimé le désir d'exercer en tant que juge des enfants, mais dans un autre département, pour découvrir de nouvelles perspectives. Je n'ai pas pu le faire pour des raisons personnelles. Bien qu'extrêmement difficile, j'ai adoré exercer cette fonction. Malheureusement, peu de retours positifs vous parviennent – seuls les échecs sont visibles – mais ces rares retours positifs donnent tout son sens à notre métier. On ressent une véritable utilité, qu'il serait dommage de gâcher. Les travailleurs sociaux sont également très investis et désireux de réussir. Ce sont des personnes extrêmement dévouées.

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Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'USM

Outre la perte de sens perçue chez les magistrats, il convient de citer celle des éducateurs et des services éducatifs. Cette perte de sens s'accompagne d'une véritable crise de recrutement. En effet, même si des moyens sont alloués, il reste difficile de trouver des personnes prêtes à accomplir ce travail extrêmement difficile et devenu ingrat. En effet, si nous, magistrats, souffrons de la situation, ceux qui sont quotidiennement au contact des enfants en souffrance et qui ne peuvent intervenir suffisamment souvent, en pâtissent encore plus.

Cette perte de sens est donc partagée. Elle pourrait être fédératrice, mais il subsiste une forme de bureaucratie qui éloigne les acteurs de terrain et empêche un partenariat efficace. Lorsque nos interlocuteurs ne sont pas ceux qui connaissent les vraies difficultés du terrain, mais raisonnent en termes de budget, de nombre de dossiers ou de flux, la réflexion ne porte pas sur les besoins des enfants au sein des familles. Un travail important de partenariat est donc nécessaire.

Parfois, même en l'absence de perspective claire, l'information circule. Par exemple, les juges des enfants peuvent connaître le nombre de mesures éducatives en attente tous les quinze jours, le nombre de prises en charge intervenues au cours des mois écoulés, etc. Ces éléments permettent de disposer d'une vision d'ensemble et d'adapter les décisions. Ainsi, au lieu d'un placement qui ne sera a priori pas mis en place, on recourt à une AEMO, pour laquelle le délai d'attente est moins long. Néanmoins, cette logique demeure insatisfaisante dans la mesure où les délais d'attente persistent, alors que les enfants ont besoin d'aide immédiate.

La scission entre la PJJ et l'ASE a constitué une erreur majeure. En recentrant la PJJ sur le domaine pénal, on a instauré une barrière entre l'assistance éducative et l'assistance en matière de délinquance. L'ASE nous demandait de transférer certains enfants jugés trop « remuants » à la PJJ, considérant qu'ils ne relevaient plus de son champ de compétences. Ce discours était inaudible. De surcroît, il est impossible d'orienter vers la PJJ un enfant n'affichant aucun dossier au pénal.

Cette logique est regrettable, car nous effectuons tous le même travail et devrions garder l'intérêt de l'enfant au cœur de nos priorités, au lieu de nous battre sur des sujets de moyens ou d'affectation de l'enfant à tel ou tel endroit, faute de lieu adapté. À mon sens, cette perte de moyens entraîne une perte de sens, au cœur de laquelle l'enfant est finalement sacrifié.

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Vous avez mentionné un manque de temps, tant pour les éducateurs que pour les juges. Quelles solutions proposez-vous pour pallier cette difficulté ?

En outre, vous avez indiqué que l'éducateur suivant l'enfant n'était pas toujours présent aux audiences. Pourtant, lors des quelques audiences de jeunes enfants auxquelles j'ai assisté, ce fut toujours le cas. Pouvez-vous préciser ce point ?

Vous avez également affirmé que la PJJ était plus efficace auparavant, car elle ne se concentrait pas uniquement sur le pénal, mais aussi sur le civil. Pourriez-vous donner un exemple précis illustrant comment cette approche plus globale aurait pu éviter des échecs ? Pouvez-vous expliciter comment, par un exemple concret, une vision englobant le civil aurait pu améliorer la situation ?

Enfin, en Seine-et-Marne, un enfant, le petit Bastien, est décédé après avoir été placé dans une machine à laver, malgré neuf signalements et trois informations préoccupantes. Même si vous ne connaissez pas le dossier en détail, qu'est-ce qui, selon vous, a pu dysfonctionner pour que cet enfant ne soit pas retiré de sa famille à temps ?

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Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l'USM

Concernant le manque de temps pour travailler, la solution réside dans le recrutement de magistrats et d'éducateurs. Nous l'avons mentionné à plusieurs reprises et cela reste valable dans de nombreux contextes.

Concernant l'absence de l'éducateur qui suit l'enfant lors des audiences, cela se produit fréquemment. En effet, l'éducateur n'est parfois pas disponible au moment de l'audience. Dans ce cas, un représentant de l'ASE donne lecture des éléments du rapport, dont il a souvent pris connaissance le matin même. Cependant, cela s'avère souvent inutile, car il arrive que nous ayons déjà reçu – et donc lu – ledit rapport. Quoi qu'il en soit, cela conduit souvent à des audiences peu productives, ce qui est extrêmement frustrant.

S'agissant de la PJJ, la situation était mieux avant. Bien que cette affirmation soit rapide, elle reflète une certaine réalité. Aucun exemple précis ne me vient à l'esprit, mais il est certain que le recentrage de la PJJ sur le pénal a été une source de frustration. En effet, il est impossible d'isoler un enfant dans son parcours en traitant uniquement la question de la délinquance. Si un enfant devient délinquant, c'est souvent en raison de carences éducatives et affectives. Il est donc essentiel de s'inscrire dans un parcours global de protection de l'enfance. Or la PJJ a perdu en partie cette vision, bien qu'elle continue de se voir confier des mesures d'instruction. Même si mon propos est quelque peu caricatural, l'enfant sage relève de l'ASE et l'enfant difficile de la PJJ. Cette approche ne peut pas fonctionner. Il est nécessaire d'identifier les profils autrement que par des parcours soit de prédélinquants et de délinquant, soit d'enfants maltraités. En réalité, les profils des enfants sont évidemment plus complexes et se croisent.

Enfin, je ne connais pas l'affaire du petit Bastien. J'ignore donc ce qui a failli. Une enquête spécifique sur cette affaire serait nécessaire. Parfois, des signalements conduisent à un placement rapide, mais d'autres fois, ces signalements se perdent dans les limbes de nos circuits. Cela s'applique à ce cas précis comme à de nombreuses autres situations que nous, magistrats, devons gérer. Chaque jour, des milliers de dossiers arrivent dans les tribunaux et il n'y a pas suffisamment de personnel pour prendre le temps de les lire. Malheureusement, nous devons souvent trier rapidement, ce qui peut nous faire passer à côté de situations graves. Cela peut malheureusement arriver, et pas uniquement au juge des enfants.

Je tiens à ajouter un dernier point. À mon sens, il est extrêmement important que l'enfant soit présent à l'audience, qu'il soit capable de discernement ou non. Pour le juge des enfants, observer le comportement de l'enfant à l'audience, ses interactions avec sa famille, avec son éducateur, ainsi que son attitude dans le bureau, même s'il s'agit d'un bébé, revêt une signification particulière. Il n'est pas nécessaire de faire venir un enfant à toutes les audiences, surtout s'il a 6 mois. Cependant, voir l'enfant est essentiel, tout comme lui parler seul. Même un très jeune enfant, qui n'a pas encore la capacité de discernement, peut exprimer beaucoup par son attitude corporelle et la confiance qu'il accorde à l'adulte. Je me souviens d'un enfant de 4 ans qui était venu à une audience. Il avait fait le tour du bureau, puis était venu dans mes bras en disant : « je veux partir avec toi. » Cela a du sens.

Il est primordial de permettre aux juges des enfants de travailler dans de bonnes conditions et de laisser le temps nécessaire aux services de protection de l'enfance pour accomplir leur mission efficacement.

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Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM

Notre débat a beaucoup porté sur les référents, qui constituent une partie des solutions. Nous militons pour que l'augmentation des effectifs ne soit pas une mesure temporaire, mais qu'elle s'inscrive dans une perspective à moyen terme. Il est impossible de réparer en trois ans ce qui a été négligé pendant trente ans. Bien entendu, cela dépend des moyens disponibles.

En ce qui concerne la PJJ et le Seat, je n'ai pas d'exemple précis, mais j'ai observé plusieurs situations relevant initialement du civil qui ont basculé dans le pénal. Lorsque le Seat intervenait dès le début, je peux affirmer que le fait que le même référent reste dans la famille faisait gagner un temps précieux, tant pour le magistrat que pour l'enfant. En devenant adolescent, ce dernier connaissait son éducateur et pouvait s'exprimer en toute confiance. Les parents le connaissaient également, ce qui représentait une richesse formidable et un gain de temps considérable, améliorant ainsi la qualité du travail. Lorsque l'on travaille en silos, la qualité ne peut évidemment pas être la même.

En ce qui concerne votre dernière question, il est malheureusement impossible de répondre à un cas particulier sans en connaître les détails. Par ailleurs, nous n'atteindrons jamais le risque zéro en matière de justice dans notre pays. Il est important d'avoir le courage de dire à nos concitoyens que la médiatisation de drames met en lumière des situations, mais que la justice intervient en bout de chaîne, récupérant ce qui n'a pas été fait en amont. Nous ne pourrons jamais éviter totalement les passages à l'acte dans notre société. Nous devons tout mettre en œuvre pour qu'ils soient statistiquement les moins nombreux possibles.

Il existe un réel problème d'accès à la prévention dans notre pays. Outre la justice, cette difficulté concerne aussi le domaine de la médecine et celui des violences sexuelles et sexistes, entre autres. Il est impératif de changer fondamentalement notre mentalité.

La particularité de la France réside dans cette tendance à vouloir résoudre de manière miraculeuse des situations dramatiques, sans prendre en compte les mesures préventives qui auraient pu être mises en place. Or il est essentiel d'intervenir le plus tôt possible dans cette chaîne, dont nous subissons malheureusement les dysfonctionnements accumulés à la fin. On nous demande souvent de réaliser des miracles, ce qui est presque mission impossible. Nous le faisons, mais sans être certains du résultat, tant la tâche est longue et difficile. Il m'est arrivé de rendre des enfants à leurs familles après des placements de sept ou huit ans, ce qui a été pour moi une expérience formidable. Cependant, dans certaines situations, j'avais l'impression de répéter les mêmes actions année après année, car les problèmes persistaient. Les carences parentales sont souvent le résultat d'une chaîne de dysfonctionnements. Tout le monde n'a pas la résilience nécessaire pour interrompre cette chaîne de maltraitances et de violences physiques et sexuelles. En l'occurrence, ceux qui y parviennent ont souvent été aidés très en amont.

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Je vous remercie pour les réponses à nos questions.

La séance s'achève à dix heures trente.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Alma Dufour, Mme Marianne Maximi, Mme Laure Miller, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago

Excusée. – Mme Béatrice Descamps