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Intervention de Cécile Mamelin

Réunion du jeudi 30 mai 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM :

L'absence de réflexion, de coordination et de prospective est réelle. Cependant, je peux vous assurer qu'à un moment donné, cela a existé avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Lorsque la PJJ, à travers les services éducatifs auprès du tribunal (Seat), était dans nos murs, j'ai souvenir de conversations et réflexions avec les éducateurs. Ce sont les meilleurs souvenirs de ma carrière de magistrat. Ces personnes avaient une vision globale, à la fois sur le civil et le pénal. Malheureusement, on a dépouillé la PJJ de ce regard sur le civil, afin de la recentrer sur le pénal. Cette logique résulte de décisions politiques relatives à la déjudiciarisation et à la décentralisation. Lorsque quelque chose fonctionne bien, étrangement, dans notre pays, on le « casse » pour que cela ne fonctionne plus. En tant que magistrat, c'est ce que nous avons observé.

Quoi qu'il en soit, ces éducateurs possédaient une connaissance globale de la situation. Je rêverais de recréer un véritable service auprès du tribunal, sur lequel nous pourrions avoir non pas une emprise, mais une réflexion et un partage commun, comme une décision collégiale lorsque nous sommes magistrats - ce qui se perd de plus en plus dans notre métier, car tout est fait pour que nous soyons des juges uniques et solitaires. Cette dynamique paraît fort regrettable : la qualité de la décision et son acceptation par le justiciable résultent davantage d'une collégialité que d'un juge unique, dont on imagine qu'il a des idées et des préjugés.

Je me souviens de situations très précises où des éducateurs, en se rendant régulièrement dans les familles, ont réussi à décrypter des éléments incompris. Ce travail n'est plus vraiment effectué aujourd'hui. L'ASE doit remplir des fiches, mais cette mission est très catégorisée et compartimentée. Autrefois, grâce au dialogue et au travail en partenariat, nous parvenions à comprendre les situations ensemble. Aujourd'hui, ce travail est impossible. Nous rencontrons ces personnels lors des audiences, nous les appelons parfois, mais le temps nous manque, à eux comme à nous.

À ce jour, dans le Nord, 240 mineurs relevant des maisons de solidarité de Roubaix-Tourcoing ne bénéficient d'aucun suivi par un référent de l'ASE. Cela entraîne une absence d'accompagnement, de suivi des familles d'accueil, de soutien aux professionnels et de travail sur la parentalité. Je rapporte ici le témoignage de collègues lillois. D'ailleurs, de très nombreux travailleurs sociaux ont organisé des manifestations, comme en attestent différents articles parus dans La voix du Nord.

L'absence de référencement constitue un problème majeur. Parfois, il n'y a même pas de rapport à l'audience. En outre, lorsque le représentant est présent, ce n'est pas toujours celui qui suit l'enfant, rendant finalement l'audience inutile. Or comment construire un partenariat si la personne présente à l'audience n'est pas celle qui suit l'enfant ?

Depuis que j'ai commencé mon activité en 1992, je n'ai quasiment jamais connu une année où les mesures éducatives étaient exercées immédiatement. Nous sommes en train de parler d'un véritable serpent de mer, existant depuis près de trente ans. Ensuite, après m'être éloignée de ce domaine pour exercer d'autres fonctions, j'ai été stupéfaite d'apprendre que les mesures de placement étaient également mises en attente. Cela fait une dizaine d'années que cette situation perdure et personne n'en parle. Il s'agit là d'un scandale insupportable.

La séparation absolue entre le judiciaire et l'administratif représente un obstacle que nous n'arrivons pas à surmonter. À Lille, une émulation existe : les deux parties, confrontées aux mêmes difficultés, se retrouvent dans les manifestations. Elles sont investies de cette mission de service public consistant à protéger les plus vulnérables, et y croient fermement.

J'ai mentionné avec nostalgie la PJJ, car j'ai souvenir d'un système qui fonctionnait. C'est la raison pour laquelle l'État doit peut-être recentraliser et réordonner un dispositif qui ne fonctionne manifestement pas.

Le manque de transparence et l'opacité sont flagrants. Sans la sincérité absolue des départements pour fournir des informations, comment mener un travail prospectif ? Nous travaillons dans le vide.

La majorité des juges des enfants sont des personnes passionnées par leur métier. J'ai cessé cette activité car je souhaitais explorer d'autres horizons. J'ai toujours exprimé le désir d'exercer en tant que juge des enfants, mais dans un autre département, pour découvrir de nouvelles perspectives. Je n'ai pas pu le faire pour des raisons personnelles. Bien qu'extrêmement difficile, j'ai adoré exercer cette fonction. Malheureusement, peu de retours positifs vous parviennent – seuls les échecs sont visibles – mais ces rares retours positifs donnent tout son sens à notre métier. On ressent une véritable utilité, qu'il serait dommage de gâcher. Les travailleurs sociaux sont également très investis et désireux de réussir. Ce sont des personnes extrêmement dévouées.

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