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Intervention de Cécile Mamelin

Réunion du jeudi 30 mai 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Cécile Mamelin, vice-présidente de l'USM :

Je précise que j'ai exercé en tant que juge des enfants pendant plus de huit ans le département des Hauts-de-France, où j'ai été confrontée à des problématiques complexes, comme par exemple les fratries nombreuses.

Nous avons déjà répondu de manière détaillée à vos questions. Vous recevrez dans les prochains jours une note, qui est d'une importance considérable. Nous avons pris contact avec de nombreux collègues actuellement juges des enfants pour actualiser nos pratiques. En effet, étant en décharge d'activités à l'USM, nous ne sommes plus sur le terrain, mais nous continuons de suivre ce sujet de près.

Depuis longtemps, nous nous intéressons à la protection de l'enfance, un enjeu essentiel pour notre démocratie. La qualité de cette protection reflète l'importance accordée aux plus vulnérables, à savoir les enfants.

Je souhaite souligner que la protection de l'enfance constitue la prévention la plus efficace contre la délinquance des mineurs. Malheureusement, dans notre pays, on aborde souvent la question des mineurs sous l'angle pénal. La délinquance est certes réelle, mais il est regrettable d'oublier qu'un enfant est avant tout un être à protéger. La protection de l'enfance doit être le rempart contre la délinquance, la désinsertion et les addictions. Cet enjeu fondamental nécessite des moyens à la hauteur des besoins, ce qui n'est malheureusement pas le cas. Nous devons constater un véritable échec, voire une faillite, de ce système à bout de souffle. Les dispositifs de protection de l'enfance sont complètement saturés et font face à de grandes difficultés de recrutement, particulièrement dans les départements en grande tension comme les Hauts-de-France et la Seine-Saint-Denis. Les travailleurs sociaux, souvent mal rémunérés, souffrent énormément dans leur travail.

Vous trouverez dans notre note des exemples concrets sur les délais d'exécution, pour que vous ayez une idée précise de la situation. Ce ne sont pas des ressentis, mais des chiffres réels, qui concernent les délais d'attente pour les mesures d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), mais aussi et surtout pour les placements.

Lorsque le juge des enfants constate un danger extrême et ordonne un placement, les ordonnances de placements provisoires (OPP) prises par le procureur de la République sont exécutées presque immédiatement par les départements, car le danger est particulièrement caractérisé. En revanche, les placements ordonnés par le juge des enfants dans le cadre de son cabinet, après une procédure incluant des investigations et l'audition de toutes les parties, peuvent prendre deux, trois, voire six mois à être exécutés selon les départements. Même lorsqu'ils sont exécutés, les modalités indiquées par le juge ne sont pas toujours respectées en raison d'un manque d'équipements adéquats en structures ou d'établissements spécialisés.

Cette situation soulève un enjeu sociétal majeur. À cet égard, l'USM demande depuis plusieurs années qu'une obligation d'exécution des décisions judiciaires soit instaurée. Nous avions déjà exprimé cette demande en 2019 lors d'une précédente mission sur la protection de l'enfance. Nous constatons une perte de crédibilité de la justice lorsque ses décisions ne sont pas suivies d'effets.

Nous sommes arrivés à un point de saturation. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance prévoit une déjudiciarisation de la politique de protection de l'enfance, dont le président du conseil départemental est chef de file.

Malheureusement, nous constatons une augmentation continue des mesures judiciaires, ce qui démontre l'inefficacité du système actuel. Plusieurs explications peuvent être avancées. La dégradation des moyens sanitaires et sociaux affecte en premier lieu les enfants. Les parents, dont la situation économique se détériore, se trouvent démunis face aux situations de handicap et de maladies, notamment psychiatriques. L'évolution du traitement des violences intrafamiliales, marquée par une saisine plus systématique du juge des enfants, contribue également à cette situation. L'augmentation des prises en charge de mineurs non accompagnés aggrave le problème. Enfin, les maisons départementales des solidarités souffrent d'un déficit de moyens humains et financiers, ce qui met l'administration à rude épreuve.

Le principe de subsidiarité veut que la saisine judiciaire soit une option de dernier recours, utilisée uniquement si la mesure administrative ne peut être mise en place. Cependant, le manque d'adhésion des familles complique ce processus. L'adhésion des familles est essentielle mais elle demande un travail long et fastidieux. Les services, saturés, saisissent la justice dès que les familles ne répondent pas à une convocation.

Il est évident que la déjudiciarisation constitue un souhait partagé. Les juges des enfants, particulièrement chargés, gèrent encore trop de dossiers (600 à 700 par cabinet, pour un chiffre optimal fixé à 350).

Cela reflète la difficulté d'évaluer la charge de travail des magistrats. À la suite d'une demande de la Cour des comptes, des référentiels ont été élaborés par la direction des services judiciaires (DSJ), en collaboration avec l'ensemble des organisations syndicales et professionnelles, ainsi que les conférences des premiers présidents et procureurs généraux, sur les besoins budgétaires et d'effectifs supplémentaires. Ils démontrent de manière flagrante la nécessité d'une augmentation significative des effectifs, notamment des juges des enfants. Nous constatons en effet une augmentation d'environ 30 % pour la seule activité civile. L'activité pénale, quant à elle, a quasiment doublé.

Malheureusement, ces référentiels ne sortent pas du cabinet. Nous n'en comprenons pas la raison. Cette situation est très problématique. En effet, si les budgets n'augmentent pas, nous continuerons à faire face aux difficultés constatées dans la justice, qui se trouve dans un état de délabrement décrit par les États généraux de la justice.

Les juges des enfants en France sont confrontés à une charge de travail très importante. La déjudiciarisation représente un enjeu majeur. Pour y parvenir, des moyens sont nécessaires, ainsi qu'une priorité budgétaire et politique définie par les départements. Ces choix ne dépendent pas toujours de la richesse des départements. Des témoignages de collègues indiquent que même les départements relativement riches ne font pas forcément de la protection de l'enfance une priorité. Cela relève donc d'un choix politique.

De plus, il existe un manque de transparence dans de nombreux départements. Les juges des enfants rencontrent des difficultés pour connaître l'état exact des placements. Les réponses ne sont pas toujours fournies. Certains peinent à savoir quand les décisions seront exécutées et dans quel établissement. Cette opacité et ce manque de transparence sont unanimement décrits par les collègues, qui se retrouvent démunis face à la dégradation des situations familiales. Ils sont parfois contraints de prendre des mesures plus graves que celles qu'ils auraient initialement envisagées, simplement pour que les décisions soient appliquées plus rapidement.

Cela paraît d'autant plus choquant que la loi nous oblige à respecter certains critères, tels que l'intérêt supérieur de l'enfant, le maintien de la fratrie et les liens avec les parents -même si l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer sur les autres critères. Or parfois, sachant que la mesure éducative en milieu ouvert ne sera pas exercée avant plusieurs mois, certains juges sont amenés à prendre des décisions de placement ou de maintien à domicile sous conditions.

Pourtant, au niveau législatif et dans la pratique, une place très importante est désormais accordée à l'enfant dans la procédure. L'enfant discernant est entendu quasiment systématiquement. Néanmoins, parfois, par manque de temps, lorsque les fratries sont nombreuses, les collègues n'entendent pas toujours l'enfant seul. En effet, cela rallonge le temps d'audience, tout comme la présence de l'avocat.

En définitive, nous avons l'impression de courir après le temps. Les collègues posent la question suivante à l'enfant : « veux-tu être entendu seul ? ». Il arrive que l'enfant réponde positivement, mais parfois il n'ose pas le faire. Il est regrettable de devoir poser cette question, car le principe inscrit dans la loi est que l'enfant doit être entendu seul lors de son audition. Cependant, dans la réalité, ce n'est pas systématiquement appliqué pour les raisons évoquées.

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