Nous n'avons pas les outils nécessaires, nous ne disposons pas de logiciels performants ni adaptés. Nos logiciels travaillent en silos et jamais en chaîne, alors que notre travail de magistrat doit précisément s'inscrire dans une chaîne. Nous avons commencé à mettre en place une chaîne pénale, mais elle fonctionne difficilement, car les informations ne sont pas véritablement relayées. Il n'y a pas d'informations enregistrées en bout de chaîne qui soient récupérées sur toute la chaîne. Cela entraîne des réenregistrements systématiques.
Ce problème touche toutes les fonctions de la magistrature, mais la situation est tout bonnement catastrophique en ce qui concerne la protection de l'enfance. Premièrement, les outils et leur utilisation posent un problème. Deuxièmement, il existe une séparation entre la responsabilité du magistrat et celle du département. À ce titre, un travail de partenariat est nécessaire : il faut que nous disposions non seulement de temps, mais aussi de la possibilité d'intervenir de manière conjointe dans l'intérêt des enfants que nous suivons.
Or il subsiste une forme de rivalité. Parfois, les relations sont bonnes et nous collaborons, mais cela se fait de manière totalement empirique. Rien n'institutionnalise ces liens, ni ne permet une véritable réflexion avec le juge sur les besoins du territoire. Pourtant chaque territoire a des spécificités en termes de besoins de protection des enfants, en fonction de l'âge des enfants, de leurs problématiques, dans les villes et dans les campagnes.
Nous avons besoin de diversifier les types de placements pour répondre aux besoins spécifiques de chaque enfant. Par exemple, nous disposons de lieux de placement mère-enfant pour les adolescentes avec des bébés, de placements pour des fratries, de systèmes d'appartements où une fratrie est placée avec un éducateur, de familles d'accueil, de foyers collectifs et de pouponnières. Chaque département devrait offrir une variété de ces options pour mieux répondre aux besoins individuels.
Il est également essentiel de réfléchir à la finalité des placements. Lorsque j'ai commencé en tant que juge des enfants, j'ai repris tous mes dossiers pour comprendre la situation d'origine et les raisons des mesures éducatives ou des placements. Ce travail est crucial car, souvent, des années plus tard, les causes initiales ne sont plus les mêmes, mais les mesures sont renouvelées par habitude ou par confort, sans réelles avancées. Il faut mener une réflexion sur la finalité des placements.
Toutes ces réflexions sont essentielles et intéressantes. Pour les juges des enfants, il serait formidable de disposer du temps nécessaire pour accomplir toutes ces tâches. En effet, lorsqu'on est constamment sous pression, à tenter de respecter les délais, de tenir les audiences et de rédiger les décisions, on finit par perdre le sens de nos fonctions. C'est ce que nous avons exprimé dans une tribune en 2021. Cette réalité est ressentie dans toutes les fonctions, mais peut-être plus particulièrement chez les juges des enfants. Comme Mme Cécile Mamelin, j'ai quitté cette fonction avec un profond désenchantement. Ce n'est pas le cas de tout le monde. Certains juges des enfants restent passionnés, exercent de nombreuses années et continuent d'y croire. Cependant, il faut vraiment avoir la foi et lutter sans relâche. Être juge des enfants est épuisant car on se sent souvent démuni.