J'ai pratiqué le placement à domicile, dont l'intérêt réside dans la disponibilité immédiate d'une place. L'idée initiale était de disposer d'un service de placement en relais pour les moments de crise ou de difficulté. Cela peut être pertinent sous cette condition, mais ce n'est pas une solution aux problèmes de manque de places. En effet, il faudrait qu'une place soit disponible pour l'enfant, place qu'il n'occuperait que sporadiquement, lorsque sa famille est dépassée ou que l'enfant est angoissé.
De nombreuses mesures ont été créées. À l'époque où Mme Cécile Mamelin et moi-même exercions, nous ne disposions que de l'AEMO et du placement. En réalité, les mesures qui se sont ajoutées existaient déjà. Ainsi, le placement à domicile n'est rien d'autre qu'un placement avec des droits de visite et d'hébergement très élargis. Sinon, il s'agit d'une mesure éducative renforcée, où le rythme de présence de l'éducateur est insuffisant. La flexibilité devrait exister dans un cadre plus large, mais toutes ces mesures complexifient le système sans résoudre les problématiques.
De même, la non-exécution des placements n'est pas une nouveauté. Lorsque j'étais juge des enfants, les placements n'étaient déjà pas exécutés. J'ai d'ailleurs eu un différend avec le responsable de l'ASE qui m'avait dit : « il est inadmissible que vous soyez les décideurs, et nous les payeurs ». Peut-être est-ce un problème, mais cela fonctionne ainsi. Si le juge des enfants prend des décisions, mais que l'ASE ne les applique pas, quel est l'intérêt de judiciariser les situations ?
On apprécie l'intervention du juge des enfants lorsque la situation se détériore, car il incarne une figure d'autorité. Cependant, en réalité, le juge n'a aucun pouvoir effectif. Cela ne peut fonctionner que si un véritable travail de partenariat est mis en place, en réunissant tous les acteurs. Or les services éducatifs sont très hiérarchisés. Nous avons affaire à des responsables qui gèrent les dossiers sans être présents quotidiennement dans les familles. Pour établir un partenariat efficace, il faut du temps, une ressource dont nous manquons cruellement. C'est souvent cet aspect qui est sacrifié. La situation est extrêmement complexe.
Lorsque j'étais juge des enfants, j'ai eu le cas d'adolescents non placés faute de lieu d'accueil. Ces situations peuvent conduire à des drames. J'ai connu des enfants qui se sont fait violer, alors même que la mesure de placement était ordonnée. D'autres enfants sont morts, alors même que la mesure de placement était également ordonnée, mais non exécutée.
Je comprends que les services de l'ASE soient tétanisés, car ils ignorent où placer les enfants. On traite les dossiers des enfants comme des pions que l'on déplace, alors qu'il faudrait mener un travail de recherche. Il m'est arrivé de téléphoner aux services de placement pour négocier une place. De surcroît, un placement réussi suppose d'adapter le lieu de placement à la problématique de l'enfant. En réalité, cet aspect n'est nullement pris en compte puisque l'on met les enfants là où on trouve de la place.