La réunion

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La séance est ouverte à quinze heures.

La commission procède à l'audition de Mme Noémie Kocher, actrice et scénariste.

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Madame, comme vous le savez, notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans divers secteurs tels que le cinéma, le spectacle vivant, la mode, l'audiovisuel et la publicité. Elle doit permettre d'identifier les responsabilités de chacun et de proposer des solutions pour remédier à cette situation que nous déplorons tous.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez éclairer la commission d'enquête sur le parcours des victimes qui décident de parler et se battent pour obtenir la condamnation de leur agresseur. Nous aimerions comprendre ce que cela peut leur coûter et les étapes qui vous ont personnellement conduite à vous exprimer sur ce que vous avez vécu, à porter plainte, puis à traverser la procédure judiciaire. Je rappelle pour ceux qui nous regardent que vous avez dénoncé des faits, il y a très longtemps, en 2001. Aujourd'hui, on parle beaucoup de la libération de la parole et du mouvement #MeToo après l'affaire Weinstein. Suite aux révélations de Judith Godrèche, nous faisons face à de nouvelles révélations et à la prise de conscience de certains problèmes. Ce qui me frappe, et c'est pourquoi votre présence est importante, est la chose suivante : cela fait plus de 20 ans que vous avez dénoncé ces faits, et, depuis, il ne s'est pas passé grand-chose. Avant vous, d'autres faits avaient été révélés. Je pense notamment à Maria Schneider, dont la personne, le parcours et la vie m'émeuvent particulièrement, et qui avait dénoncé des faits analogues. Il est essentiel pour nous de souligner que vous représentez des modèles exemplaires sur cette question.

Après votre propos liminaire, Madame la rapporteure Francesca Pasquini vous posera des questions sur votre parcours et votre histoire. Je tiens à rappeler que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relatif au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment. Vous devez donc dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à déclarer « Je le jure. »

(Mme Noémie Kocher prête serment.)

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Noémie Kocher, actrice

C'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui. C'est également une forme de victoire, une reconnaissance de ce que j'ai vécu. Je souhaite vous lire une phrase prononcée par Jean-Claude Brisseau lors de son procès, le 3 novembre 2005 : « Je suis conscient d'avoir fait beaucoup de mal et je regrette toute cette souffrance. C'est le cinéma, quelque part, qui veut ça ». Notre avocate a rétorqué : « L'art n'est pas dérogatoire aux dispositions du code pénal ». J'ai porté plainte contre Jean-Claude Brisseau en juin 2001 pour harcèlement sexuel et escroquerie. Nous étions deux plaignantes. Le chef d'escroquerie a été utilisé par notre avocate, Maître Claire Doubliez, pour attirer l'attention du doyen des juges sur notre plainte, car nous cumulions tous les tabous. Aujourd'hui, elle porterait plainte pour harcèlement sexuel et agression sexuelle.

En 2003, deux autres plaignantes nous ont rejointes. La procédure a duré quatre ans et demi. Rien ne nous a été épargné, ni la médiatisation violente et brutale en faveur de notre agresseur, soutenue par une certaine presse, ni la pétition du monde du cinéma. Malgré cela, Jean-Claude Brisseau a été condamné pour harcèlement sexuel en 2005, sur ma personne et celle de ma co-plaignante. Les deux autres plaignantes ont été déboutées. L'une d'elles, Julie Quéré, a eu le courage de faire appel de cette décision. Jean-Claude Brisseau a été condamné en 2006 au tribunal civil pour agression sexuelle.

J'éprouve une infinie reconnaissance envers la justice, malgré la violence inhérente à une telle procédure. Dans les années 2000, la société n'était absolument pas prête à nous écouter. Pourtant, la justice nous a entendues. Aujourd'hui, à la lumière de tout ce que nous découvrons sur l'ampleur du phénomène des violences sexuelles et le faible nombre de condamnations en la matière - en 2020, 94 % des plaintes pour viol ont été classées sans suite - je réalise que cette condamnation relève presque du miracle. Est-ce parce que notre avocate a, pour la première fois, démontré à une cour ce qu'est le phénomène d'emprise, cette violence silencieuse dont on ne parlait absolument pas à l'époque ? Est-ce parce lié à notre juge, Madame Corinne Goetzmann, qui allait d'ailleurs devenir une grande juge ? Est-ce parce que les gendarmes, notamment un gendarme dont le nom m'échappe malheureusement, ont mené une enquête longue, minutieuse et approfondie, dévoilant un véritable système de prédation ? Peut-être étions-nous tout simplement crédibles, nous quatre, les plaignantes, ainsi que les 17 femmes et jeunes femmes qui ont accepté de témoigner dans cette affaire et que j'ai contactées une à une. Étions-nous crédibles parce que nous racontions toutes la même chose ? Ce que je sais, c'est qu'un combat en justice demande une énergie folle. Je crois avoir atteint mes limites. Cela n'aurait pas été possible sans le soutien et l'entourage de mes proches, de mes amis et de ma famille. Après 2005, j'ai enfoui cette histoire, refusant d'en parler, par honte. Il aura fallu attendre 2017 avec l'affaire Weinstein puis 2019 avec la prise de parole courageuse et très solitaire d'Adèle Haenel, et maintenant cette vague de témoignages depuis décembre 2023-2024, incluant celui de Judith Godrèche. Il aura fallu tout ce temps pour que je prenne conscience de l'importance de notre action, pour que je ne craigne plus de m'exprimer devant la presse ou devant vous, sans crainte de voir ma parole décrédibilisée ou niée. Il aura fallu 23 ans pour que je me reconstruise.

Ce que nous avons vécu, je l'ai qualifié de « triple peine ». La première peine, ce sont les violences sexuelles elles-mêmes. La seconde peine, c'est la violence générée par la procédure judiciaire. La troisième peine, c'est le traitement médiatique de notre affaire. Je ne souhaite à personne cette triple peine. Il est grand temps que notre société change et cesse de broyer les corps des femmes, des enfants et des hommes en toute impunité.

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Je tiens à vous assurer que nous prenons la mesure de ces triples peines que vous avez évoquées et du courage nécessaire pour surmonter ces épreuves. Souvent, on préfère taire ces expériences par honte ou par désir de tourner la page. Cependant, entendre d'autres victimes et d'autres affaires peut raviver notre détermination à soutenir ces femmes et ces hommes qui continuent de dénoncer les violences.

Je souhaiterais connaître votre point de vue sur la persistance de ces systèmes de violence au fil du temps. Vous avez décrit votre procédure comme une sorte d'alignement des étoiles, où il vous est difficile de savoir si c'est votre crédibilité qui a joué un rôle ou si vous avez eu la chance de rencontrer des personnes compétentes qui ont su recueillir votre parole et avancer dans le bon sens. Comment percevez-vous le fait que, près de 25 ans plus tard, les mêmes problèmes continuent d'être dénoncés ? L'industrie du cinéma affirme qu'elle était au courant, mais personne n'a agi. Ce paradoxe est également visible dans cette commission d'enquête, où des chartes émergent, peut-être grâce à cette commission d'enquête ou grâce à des prises de parole courageuses comme celle de Judith Godrèche. Il est paradoxal de constater que, malgré des décennies d'expérience dans ce milieu, il faut encore un nombre incalculable de victimes pour que tout le monde prenne enfin ses responsabilités et que l'on témoigne. Il est impératif de ne plus faire peser la charge de la preuve sur les victimes.

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Noémie Kocher, actrice

Votre question est très vaste. Je vais aborder le sujet des chartes. L'association professionnelles des actrices et acteurs de France associés (AAFA) dont je fais partie a élaboré un code de conduite en 2018-2019 et nous tentons depuis de le faire signer par les différentes associations et syndicats sans y parvenir. Nous découvrons que ce qui se passe dans le milieu du cinéma et dans les milieux artistiques est peut-être plus exacerbé que dans d'autres secteurs. Cependant, nous faisons face aujourd'hui à un changement de paradigme sociétal, une réflexion de fond. Nos milieux sont représentatifs du monde dans lequel nous vivons, de notre société, qui accepte de broyer les corps des femmes, des enfants et des hommes en toute impunité.

On dit souvent que la parole s'est libérée, mais je crains que ce ne soit pas tout à fait le cas. Je pense que la société n'était pas prête à nous entendre. On ne voulait pas entendre. Vous avez cité Maria Schneider, mais plusieurs femmes et actrices ont témoigné sans que leurs paroles soient prises en considération. Pire encore, elles ont été blacklistées ! À ce phénomène s'est ajoutée la peur de s'exprimer. Nous travaillons dans des métiers où la précarité est énorme. Le public ne voit que les stars, mais il ignore à quel point chaque année est incertaine en termes de revenus pour la grande majorité. Nous exerçons des métiers de passion, mais des métiers extrêmement précaires. Perdre un emploi peut entraîner des conséquences financières considérables pour chacun d'entre nous.

Il existe un système de subordination et de domination extrême. Toutes les formes de violences, qu'elles soient psychologiques, sexuelles, physiques, administratives, économiques ou gynécologiques, suivent le même schéma. Elles commencent par la séduction et aboutissent à l'impunité, en passant par l'inversion de la culpabilité, ce qui pousse les victimes à se sentir fautives et à se taire. Ce qui me frappe le plus, c'est l'ampleur du phénomène et sa prévalence dans toutes les couches de la société. Les violences y sont systémiques. Nous sommes confrontés à un changement profond qui doit s'opérer.

Il y a 25 ans, ou même 23 ans, lorsque j'ai porté plainte, je ne sais pas exactement ce qui m'a poussée à le faire. Plusieurs éléments ont joué un rôle. Une chose m'a aidée : j'avais obtenu ce rôle à jouer, je devais tourner. Mon contrat avait été négocié, et nous étions clairement dans un cas de licenciement abusif. Immédiatement, des agents ont réagi et nous avons saisi le conseil de prud'hommes. Par la suite, j'ai rejoint une association extraordinaire, l'Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), qui était la seule de ce type à l'époque. Mes interlocutrices ont nommé ce qui m'était arrivé. J'ai raconté mon histoire et elles m'ont dit qu'il s'agissait d'un délit, que cela s'appelait le harcèlement sexuel.

J'ai éprouvé une immense révolte et un profond sentiment d'injustice. Ma foi en l'être humain et en la justice, bien que peut-être naïve, m'a poussée à agir. Lorsque j'ai découvert que nous étions plusieurs à partager cette expérience, cela a renforcé ma détermination. De nombreuses victimes le confirment : parler permet de prévenir d'autres souffrances. Cette responsabilité m'a incitée à porter plainte. Cependant, il est essentiel d'être solidement épaulé par ses proches. Sans le soutien de ma famille, de mon mari de l'époque et de mes amis, j'aurais été anéantie. Le fait d'être deux à porter plainte, chacune avec des compagnons eux aussi très affectés, a grandement facilité notre démarche.

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On constate que le soutien apporté, le rôle des associations, ainsi que la sororité vous ont donné la force nécessaire pour avancer. Toutefois, je suis très surpris par le fait que vous nous avez indiqué avoir ressenti de la honte en 2005, après le jugement. On pourrait penser qu'une femme, après avoir gagné, éprouverait de la fierté. Pouvez-vous nous expliquer cela ? Cela pourrait nous aider à comprendre pourquoi nous éprouvons tant de peur.

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Noémie Kocher, actrice

La presse a commencé à s'emparer de l'affaire au moment de la garde à vue de Jean-Claude Brisseau. Notre avocate a alors conseillé à ma co-plaignante et moi-même de faire entendre notre voix, car des informations erronées circulaient.

Nous avons rencontré une journaliste du Monde qui avait promis de ne pas révéler nos noms, mais elle n'a pas tenu parole. Heureusement, le nom d'actrice de ma co-plaignante n'est pas son nom civil, donc personne n'a su qui elle était. En revanche, mon nom a été exposé et traîné dans la boue. Des écrits abjects, à caractère sexuel et scabreux, ont été publiés. C'était absolument horrible. Je me souviens d'avoir craint que des personnes de mon entourage lisent ces articles dans Le Monde. Je voulais simplement passer à autre chose et ne plus en parler.

Nous n'avons même pas vraiment réalisé que nous avions gagné. Il fallait tourner la page et oublier tout cela. En octobre 2017, je me trouvais dans un train en partance pour l'Allemagne afin d'y rencontrer un agent, lorsque tout a ressurgi. J'ai pris conscience que je n'avais pas encore surmonté ces événements. La condamnation n'a pas suffi pour me réparer ou me guérir. Les violences sexuelles, comme toutes les grandes douleurs de la vie, laissent des cicatrices indélébiles. On apprend à vivre avec, mais on ne s'en remet jamais complètement. La honte était immense et toutes les victimes vous le diront.

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Pourquoi les personnes travaillant dans ce milieu, souvent précaires, trouvent-elles difficile de dénoncer les abus ? La peur d'être blacklisté est un facteur majeur, comme vous l'avez mentionné. Cependant, lorsqu'une victime prend la parole, on pourrait s'attendre à ce que ceux qui craignent des représailles choisissent de ne pas parler, de ne pas soutenir, de ne pas traîner dans la boue. Pourtant, dans votre cas, nous avons observé des tribunes en soutien à Jean-Claude Brisseau, et plus récemment une tribune en soutien à Gérard Depardieu. Pourquoi, au lieu de rester silencieux par peur, certains prennent-ils l'initiative de rédiger des tribunes de soutien ? Est-ce une spécificité française de considérer les auteurs de tels actes comme intouchables, au point de compromettre la lucidité des personnes ?

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Noémie Kocher, actrice

Je pense que nous touchons à une spécificité très française. Bien que je vienne de Suisse et du Canada, et que je vive en France depuis 30 ans, j'ai constaté que l'artiste en France est surprotégé. Nous l'avons observé dans l'affaire Gabriel Matzneff à la télévision. Jean-Claude Brisseau disait : « C'est le cinéma qui veut ça, au nom de la création, on peut détruire. » Il existe une forme de corporatisme et une toute-puissance du réalisateur ou de la réalisatrice dans le cinéma français. Dans le milieu de l'audiovisuel, le pouvoir est plus horizontal, donc les choses sont différentes.

Pourquoi les soutiennent-ils ? Parce que nous sommes dans la thématique classique qui consiste à s'interroger sur la séparation de l'artiste et de l'œuvre. Personnellement, je ne peux pas séparer l'artiste de son œuvre. Je pense que l'on est son œuvre, mais chacun devrait pouvoir décider pour lui-même. Il est important que chacun puisse avoir son avis. Je réalise que les actrices, dans l'imaginaire collectif, ne sont souvent pas très respectables lorsqu'elles n'ont pas de pouvoir. On associe beaucoup de choses négatives aux actrices très connues, notamment celles qui sont bankable.

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En 2017, vous avez écrit être passée d'objet à sujet, ce qui est une évolution significative. Pouvez-vous nous rappeler où vous en étiez dans votre carrière au moment des faits ? Comment les événements se sont-ils déroulés entre 2001 et 2005, puis après 2005 ? Ce n'était pas votre premier film avec M. Brisseau, mais le deuxième.

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Noémie Kocher, actrice

À l'âge de 30 ans, j'étais en pleine ascension professionnelle. J'obtenais des premiers rôles à la télévision et au cinéma, ce qui signifiait que ma carrière démarrait véritablement. La procureure avait déclaré que Jean-Claude Brisseau nous avait « brisé les ailes », et c'est exactement ce que j'ai ressenti. J'étais en plein essor, puis tout s'est effondré et il a fallu rebondir.

À partir du moment où Jean-Claude Brisseau a quitté ma vie, en juin 2001, j'ai commencé à travailler énormément. Cette période a été marquée par une emprise psychologique intense. Il est essentiel de comprendre ce qu'est l'emprise. J'avais des migraines, j'avais énormément maigri, je ne dormais plus et je souffrais d'aménorrhée depuis quatre mois. La violence psychologique exercée par les prédateurs ou les agresseurs est dévastatrice. En pleine ascension, j'ai fini par chuter. Cependant, durant la procédure, je me suis mise à écrire, redevenant ainsi pleinement actrice de ma parole. Je suis devenue mère et cette procédure a représenté une forme de renaissance, malgré la honte persistante.

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Le périmètre de notre commission d'enquête couvre à la fois les personnes majeures et les personnes mineures. À ce sujet, quelle est votre position sur l'annonce récente de la présence obligatoire d'un référent enfant ainsi que sur le rôle de coordinateur d'intimité ? Selon vous, ces dispositifs, tels qu'ils sont actuellement conçus ou en place, permettront-ils de réguler et de pallier les situations que vous avez pu rencontrer ? Ce matin, nous avons auditionné l'Association des Responsables de Distribution Artistique (ARDA). Pensez-vous que le moment du casting représente une période de vulnérabilité particulière, étant donné la situation intermédiaire dans laquelle on se trouve alors ? Pensez-vous qu'il soit nécessaire d'aller plus loin ou de réfléchir à d'autres solutions ?

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Noémie Kocher, actrice

Hier, j'ai échangé avec des délégués de l'Union Syndicale de la Production Audiovisuelle (USPA). Nous avons abordé la question de l'encadrant enfant, dispositif qui est déjà en vigueur dans le secteur du cinéma mais qui n'est pas encore obligatoire à la télévision. Ce sujet les préoccupe et je partage leur point de vue, il est nécessaire que cette obligation soit étendue à la télévision.

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C'est une annonce très récente de la ministre de la culture à Cannes. Jusqu'à aujourd'hui, ça n'était pas obligatoire, y compris dans le cinéma.

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Noémie Kocher, actrice

Dans le cinéma, il est impératif que la coordination d'intimité devienne obligatoire également. L'acteur sur un plateau est très vulnérable, car ce que l'on attend de lui, ce sont ses émotions et sa vulnérabilité. Tout ce qui peut encadrer le plateau est donc essentiel. Nous avons des maîtres d'armes, des régleurs de cascades et des spécialistes des combats pour les scènes de violence. De même, il est absolument nécessaire que l'intimité, la nudité et les scènes d'amour soient gérées par un professionnel dédié. Cela ne nuirait pas à la créativité du réalisateur, bien au contraire. La gestion de ces scènes est chorégraphique et n'est pas particulièrement agréable à tourner. Lorsque j'enseigne à de jeunes réalisateurs et comédiens, je consacre beaucoup de temps à leur expliquer comment aborder ces scènes, car il n'existe actuellement aucune formation spécifique pour protéger les acteurs. Je cherche à mettre en place une formation de coordinatrice d'intimité, car cela n'existe pas en France pour le moment. Je sais que l'ARDA travaille sur ce sujet depuis 18 mois. Il est fondamental que ce rôle soit encadré de manière rigoureuse et qu'il ne soit pas confié à n'importe qui. Il faut une véritable compréhension de la situation des acteurs et avoir une expérience de jeu pour saisir pleinement les enjeux. Tout le monde dans l'industrie cinématographique devrait suivre un stage pour comprendre ce que signifie être acteur ou actrice, y compris les réalisateurs et les scénaristes. Je crois qu'il y a beaucoup de craintes concernant la définition d'un acteur ou d'une actrice, ainsi que les fantasmes associés.

La question du casting est primordiale, notamment pour les enfants. Habituellement, ils viennent accompagnés de leurs parents, mais ils passent le casting seuls, car la présence des parents peut perturber l'enfant. Il serait nécessaire que la production veille à ce qu'une personne de référence soit présente lors des castings d'enfants, afin de garantir leur bien-être. S'agissant des adultes, comme cela a probablement été évoqué avec l'ARDA il existe des mesures simples à mettre en place, telle que l'interdiction de castings dans des lieux non appropriés, comme des appartements, sauf exceptions.

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Dans la charte de l'ARDA, il est désormais stipulé qu'un local adapté est nécessaire. Cela semble relever du bon sens.

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Noémie Kocher, actrice

Je viens du Québec, où tout est déjà réglementé. Le casting y est extrêmement encadré. Par exemple, il est interdit de demander de la nudité lors du premier casting. Personnellement, on ne m'a jamais demandé de nudité dans un casting et je n'ai pas connaissance de telles pratiques dans le secteur de l'audiovisuel ou du cinéma. Pour des publicités de soutien-gorge, que j'ai refusées, il est courant de demander aux participants d'être en maillot de bain ou en petite tenue. Au Québec, il est permis de demander de la nudité, partielle ou totale, lors du callback, mais je ne comprends pas l'intérêt de cette pratique.

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Les représentants de l'ARDA nous ont affirmé qu'ils n'étaient pas opposés à l'interdiction de la nudité pour les mineurs, mais également pour les adultes. Leur charte stipule clairement que la nudité est totalement interdite pour les mineurs. Pour les adultes, elle est interdite sans le consentement des parties concernées. Nous leur avons demandé s'ils soutiendraient une interdiction totale. Ils ont répondu que cela leur semblait aller dans la bonne direction.

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Vous êtes enseignante désormais. Nous avons également auditionné des représentants d'écoles de cinéma et de théâtre. Préparez-vous vos élèves aux dangers auxquels ils peuvent être exposés ? Par exemple, les sensibilisez-vous à ce qu'il faut accepter ou refuser lors d'un casting ? Leur apprenez-vous à connaître leurs propres limites et à dire non lorsque celles-ci sont dépassées, surtout lorsqu'ils se retrouvent seuls, sans l'accompagnement d'un coordinateur ou d'une coordinatrice d'intimité ?

En tant qu'enseignante, j'éprouve des difficultés à séparer l'œuvre de l'artiste, surtout lorsque l'artiste est impliqué dans des faits criminels ou délictueux ayant causé du tort à autrui. Faut-il enseigner les œuvres en tenant compte des actions de leurs auteurs ?

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Noémie Kocher, actrice

J'enseigne la scène d'amour, la scène de nudité. Il est intéressant de noter que, très souvent, dans les scénarios, il est simplement écrit : « ils font l'amour », ce qui ne signifie strictement rien. Il faudrait scénariser ces scènes, qui doivent exister uniquement lorsqu'elles ont un sens narratif. Je fais partie d'une génération d'actrices qui ont été souvent dénudées sans véritable raison narrative, probablement pour satisfaire le réalisateur en premier lieu. Les actrices de ma génération, celles qui m'ont précédée et même celles un peu plus jeunes, étaient systématiquement dénudées.

J'enseigne donc les limites et tout ce que je peux pour que les futures actrices et acteurs puissent se protéger des violences sexuelle et psychologique. On ne mesure pas toujours l'impact de la violence psychologique sur un plateau de tournage, comme lorsque l'on pousse quelqu'un à pleurer ou à crier avec brutalité. Ce n'est pourtant pas nécessaire pour accomplir notre travail. Il est très facile de prendre le pouvoir sur de jeunes actrices et acteurs désireux de bien faire et d'être aimés, surtout si l'on est pervers. Il existe un réel danger, et je pense que les écoles devraient inclure un module de prévention. Nous souhaitions créer un tel module et le proposer dans toutes les écoles, y compris les écoles privées. Vous avez mentionné la possibilité de dire non, comme le soulignait l'ARDA, en parlant du consentement. Or, lorsqu'on se trouve en position de casting, il est fréquent qu'on nous demande de nous montrer sous un certain jour. Cette situation est particulièrement délicate pour les actrices et acteurs, surtout en début de carrière. Cela nous place dans des positions d'extrême vulnérabilité.

S'agissant des œuvres de Jean-Claude Brisseau, nous n'avons jamais cherché à le censurer. Notre objectif était qu'il cesse ses pratiques tout en continuant à réaliser des films. J'ai même initié une contre-pétition pour exprimer cette position. Deux films de Jean-Claude Brisseau, Choses secrètes et Les Anges exterminateurs, nécessitent que les spectateurs soient informés. Ce qui est à l'écran n'est pas de la fiction, mais bien notre souffrance à l'état pur. Je me suis reconnue dans ces films, ainsi que d'autres personnes. Jean-Claude Brisseau a utilisé la matière de notre souffrance pour réaliser deux films financés par le Centre National du Cinéma et de l'image animée (CNC). Il se vantait de réaliser ses films uniquement avec l'argent du CNC. J'avais alerté le CNC à l'époque, mais personne ne m'avait répondu. Ces faits sont extrêmement graves et méritent d'être connus.

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Votre témoignage est extrêmement précieux pour nous. Ma question porte sur l'utilisation des œuvres d'un artiste comme justification de la défense de sa personne. Je souhaite revenir sur le cas de Jean-Claude Brisseau et de son film Les Anges exterminateurs. J'ai consulté la page Wikipédia, où il est décrit que ce film répond aux accusations portées contre lui. Ce film inclut une scène où le réalisateur demande à des femmes de se masturber devant lui. Mon questionnement porte sur la manière de traiter ce type d'œuvre. Quelle approche peut-on envisager ? La question de la censure se pose également. Quel type de contextualisation pourrait être mis en place ? Si une rétrospective Brisseau était organisée par une structure soucieuse de lutter contre les violences faites aux femmes, quel type de contextualisation permettrait de reprendre le pouvoir sur ce récit et de montrer ces œuvres sous le prisme de l'impunité que l'art peut conférer ?

Certaines œuvres de Jean-Claude Brisseau ont pu m'émouvoir profondément. Cependant, la question de la séduction y est omniprésente, et j'ai du mal à la dissocier de ce que l'on sait des pratiques de ce cinéaste dans sa manière même de créer. Il est essentiel enfin de considérer la question de la protection des personnes citées, comme c'est le cas pour Gabriel Matzneff, où des vies intimes sont dévoilées. Quels seraient alors les moyens pour empêcher cela, si la personne concernée ne le demande pas explicitement ?

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Noémie Kocher, actrice

C'est un devoir d'information, il ne s'agit pas de censurer les films de Jean-Claude Brisseau. La première occurrence de ses agissements a eu lieu sur le tournage de Noces Blanches, film qui l'a rendu très célèbre. La mère de Vanessa Paradis a témoigné dans cette affaire. Il est important de savoir qu'il n'a jamais cessé ses pratiques, malgré les condamnations. J'ai reçu des témoignages de femmes ayant subi ces violences bien après sa condamnation. Il a donc continué jusqu'à sa mort. Une des deux jeunes femmes a porté plainte en 2007, pour viol. Il y a eu un vice de procédure, et Jean-Claude Brisseau a été entendu en tant que témoin assisté. Il a continué ses agissements, et cela s'est poursuivi sur d'autres tournages également.

C'est une question extrêmement complexe. Par exemple, a-t-on le droit de s'emparer de la vie de quelqu'un et d'en faire une fiction ? Comment réguler cela sans censurer la fiction ? C'est un vrai débat à mener. Je n'ai pas la réponse, mais je peux réagir aux œuvres existantes de grands cinéastes comme Roman Polanski, même si je ne souhaite pas m'exprimer sur cette affaire. Il est de notre devoir d'informer sur ce que ces hommes ont fait au nom de leur art. Ce devoir d'information est immense et devrait également être pris en charge par les institutions du cinéma, comme les cinémathèques. Il ne s'agit pas nécessairement de juger, mais d'informer et de requestionner la place de l'art dans nos sociétés. Il est difficile d'aimer des artistes et de découvrir les hommes qu'ils sont. Ce n'est pas simple, mais nous devons le dire et le savoir.

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Je vous remercie pour vos propos qui rejoignent largement les préoccupations de notre commission d'enquête. Ce matin, lors des deux auditions que nous avons menées, nous avons entendu des remarques similaires. J'ai une question assez simple pour mieux comprendre votre métier. Dès lors qu'un acteur ou qu'une actrice a atteint un certain niveau de notoriété, doit-il ou doit-elle encore passer des auditions ou cela dépend-il du rôle, du film, des producteurs ?

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Noémie Kocher, actrice

Les mots revêtent une importance capitale. Dans nos métiers, on parle « d'avoir un nom ». Ceux qui détiennent le pouvoir sont ceux qui ont un nom. Cela signifie que les autres n'ont pas de nom, ce qui est assez violent en réalité ! On dit que ceux qui ont des noms ne passent plus d'auditions. À mon stade, par exemple, je peux me voir offrir un rôle de dix jours sur France Télévisions sans passer de casting, et six mois plus tard, devoir auditionner pour un rôle de deux jours. Cela dépend de nombreux facteurs.

Je rappelle toutefois que notre métier consiste à passer des castings et des auditions. Cependant, en principe, plus on est connu, moins on passe de castings. On nous propose directement des rôles, et ce sont les acteurs et actrices qui décident s'ils acceptent ou non. Le rapport de pouvoir s'inverse alors.

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Certains films sont même produits précisément parce qu'on a convaincu certains acteurs d'y jouer.

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Noémie Kocher, actrice

Absolument. Cela est vrai aussi des pièces de théâtre.

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Avec l'émergence des mouvements #MeToo ces dernières années, avez-vous observé un changement d'attitude de la part de la nouvelle génération, notamment des réalisateurs ou des personnes en position de pouvoir ?

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Noémie Kocher, actrice

Je constate effectivement un changement, et ce n'est pas une question de génération. Ce changement est perceptible également chez les cinquantenaires et les sexagénaires. Dans le secteur audiovisuel, il existe désormais une préoccupation de ne pas blesser les acteurs, de faire preuve de vigilance. Nous assistons à un véritable changement de paradigme.

Mon seul espoir est que cette réflexion soit sincère et non motivée par la peur. J'espère que la standing ovation reçue par Judith Godrèche était authentique et non un simple phénomène de mode. Ce processus prendra du temps. Face à tout changement sociétal, de nombreuses personnes vont se remettre en question et réfléchir aux rapports entre hommes et femmes, ainsi qu'aux rapports de domination. Cependant, je constate un changement palpable depuis quelques mois qui conduit à mieux encadrer les castings et la coordination d'intimité.

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Merci pour votre témoignage. Nous avons abordé la question de la formation tout à l'heure et je souhaiterais savoir si une prise en charge psychologique est prévue durant cette formation, pendant le tournage, et même au-delà des scènes de violence ou d'intimité. Vous avez précisé qu'il est nécessaire d'être vulnérable et de laisser passer les émotions, ce qui implique une certaine fragilité, quel que soit le rôle joué.

Par ailleurs, au cours de votre carrière, avez-vous identifié des profils types d'agresseurs ou de victimes ? Est-ce une question de personnalité ou de domination ?

Enfin, vous avez évoqué le travail collectif sur les plateaux. La responsabilité des événements qui s'y déroulent est donc collective. Avez-vous rencontré des témoins de ces situations ? Quelle a été leur réaction, et quelle a été la vôtre face à leur réaction - ou à leur absence de réaction ?

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Noémie Kocher, actrice

Des élèves m'ont également posé cette question à ma connaissance, il n'existe pas d'aide psychologique spécifique. Cependant, c'est un métier que l'on choisit, et nous acceptons de jouer avec nos émotions. Peter Brooke a une très belle phrase : « jouer est un jeu ». Cela fait partie de notre travail de ne pas se laisser emporter par nos propres émotions. C'est difficile, la ligne est ténue entre le fait de rester dans la lumière et le fait de basculer dans la noirceur. Si l'on est bien encadré dans les scènes difficiles d'intimité ou de violence, cela constitue déjà de bons garde-fous. Il faut apprendre à se connaître, comprendre ses limites, et chercher un suivi psychologique si nécessaire. Dans une équipe soudée, ces sujets sont partagés entre acteurs et avec la réalisation. La violence psychologique existe sur les plateaux, elle est silencieuse et invisible. Il y a peut-être une piste de réflexion à explorer.

Ai-je constaté un profil type d'agresseur ? Il s'agit d'hommes ayant du pouvoir et une certaine aura. Parmi les réalisateurs ? Oui. Parmi les producteurs ? Je n'ai pas personnellement vécu ce genre de situations avec des producteurs, mais je sais que d'autres les ont vécues. Dès qu'il y a une relation de subordination, des abus peuvent survenir, par exemple dans les équipes techniques, avec les chefs de poste.

Votre troisième question portait sur le déroulement des événements. J'ai été renvoyée du film de Jean-Claude Brisseau dix jours avant le tournage parce que j'avais refusé une agression sexuelle. Je n'en ai pas parlé à l'équipe du film et j'ai perdu tout contact avec eux. J'ai pu en discuter avec la comédienne qui allait participer au film, mais tout s'est arrêté là. J'en ai parlé à des personnes travaillant dans l'audiovisuel et je me souviens avoir été très écoutée par quelques personnes à qui j'ai confié mon histoire : un réalisateur, un auteur et une actrice très connue à la télévision. Tous m'ont dit que ce n'était pas normal et m'ont encouragée à agir. Je vais nommer une personne qui m'a apporté un soutien immense. Sa participation et son audition chez les gendarmes ont été déterminantes pour le verdict. Il s'agit de Bertrand Tavernier, un ami à qui j'ai tout raconté. Il m'avait conseillé de saisir conseil de prud'hommes, d'engager une procédure en droit d'auteur, et de porter plainte au pénal. Les personnes à qui j'en ai parlé m'ont immédiatement crue et soutenue. Cependant, il s'agissait de mes proches, de personnes qui me connaissaient et avec qui je travaillais. Tous ont accepté de rédiger des attestations et de témoigner.

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Vous êtes, d'une certaine manière, un modèle. Quel message pourriez-vous adresser à vos consœurs du théâtre et du cinéma pour les encourager à porter plainte ? Nous constatons de nombreuses condamnations, dans la presse, ainsi que des faits relatés, mais peu de dépôts de plainte. Est-ce parce que les plaintes aboutissent peu ?

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Noémie Kocher, actrice

Je ne peux pas imaginer que ces femmes, ces hommes, ces enfants ne soient pas habités par la même révolte. Je peux leur dire que le silence tue, pas la parole. En outre, il faudrait simplifier les procédures judiciaires. Quatre ans et demi de procédure, c'est beaucoup, beaucoup trop long. Certains aspects devraient être modifiés, comme le délai de prescription. Pour les agressions et le harcèlement, il est de six ans, ce qui est extrêmement court. Pour le viol, il ne devrait pas y avoir de délai de prescription, car une victime peut avoir besoin de beaucoup de temps pour réaliser ce qui s'est passé. Personnellement, j'ai rapidement compris ce qui m'était arrivé grâce aux femmes de l'AVFT, car j'ai rencontré deux jeunes femmes qui racontaient des expériences similaires. Si j'ai compris que j'avais vécu un harcèlement sexuel, cela m'a pris des années pour réaliser que j'avais subi une agression sexuelle.

De nombreuses associations existent aujourd'hui, comme l'AAFA, #MeTooMedia, et l'ARDA. Elles sont là pour écouter et pour aider. J'ai encore aidé quelqu'un aujourd'hui, mais il doit se passer quelque chose au niveau de la justice. La loi sur le harcèlement sexuel a changé en 2012. À notre époque, la répétition des faits était un critère déterminant. C'est pour cette raison que les deux premières plaignantes ont été déboutées, car quatre ou cinq occurrences ne suffisaient pas... Aujourd'hui, une seule suffit. A l'inverse, une étape supplémentaire a été ajoutée, prétendument pour désengorger la justice. Si dans mon affaire, nous avons pu saisir immédiatement le procureur avec une plainte avec constitution de partie civile, aujourd'hui, il faut d'abord être auditionnée par la police.

Recevoir la parole des victimes n'est pas une tâche simple. Il serait judicieux de former deux ou trois policiers par commissariat, spécialisés dans la réception de la parole des victimes, après qu'ils auront suivi des formations longues et approfondies. Personnellement, je reçois ces témoignages, mais je ne suis pas formée pour cela et parfois, je craque car il est difficile d'accueillir la violence des autres. C'est une piste à explorer, au sein des commissariats.

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Noémie Kocher, actrice

Alors c'est formidable !

Il faut questionner le consentement du point de vue de l'introduction du consentement positif. Plutôt que de vérifier s'il y a eu menace, violence, contrainte ou surprise pour la victime, assurons-nous que l'agresseur a obtenu le consentement de la victime. Il s'agit de changer de paradigme et de se concentrer davantage sur l'agresseur et sa personnalité plutôt que sur celle de la victime. La tribune du journal Le Monde détaille parfaitement tous les points sur lesquels nous souhaitons que la justice évolue afin de faciliter le dépôt de plainte.

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Vous avez soulevé, Monsieur le Président, la question de ce que l'on peut dire aux femmes pour les encourager à porter plainte. Nous savons la difficulté actuelle à faire aboutir une plainte. Vous avez également souligné, madame, qu'un homme condamné peut fort bien être accusé, recevoir d'autres plaintes en justice, et continuer à être produit et financé par le CNC.

Dans le cadre de cette commission, notamment, nous réfléchissons à l'introduction de la notion de consentement dans la définition pénale du viol. Concernant la régulation dans le monde du cinéma, seriez-vous favorable à ce que le CNC conditionne ses aides c'est-à-dire adopte des règles qui lui seraient propres et donc indépendantes du cadre judiciaire, permettant ainsi un engagement fort en la matière ? Pourrait-on envisager de ne plus financer les films d'une personne déjà condamnée pour ce type d'actes dans le cadre de sa pratique professionnelle ?

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La question que je souhaite poser est en lien avec l'intervention de ma collègue Sarah Legrain. Vous avez dit avoir alerté le CNC. Si je vous ai bien entendue, Jean-Claude Brisseau a poursuivi ses activités jusqu'à la fin de sa vie. Le CNC a-t-il continué à financer ses films malgré cette alerte ? Et quelle réponse avez-vous reçue, le cas échéant, après avoir signalé ces faits ?

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Noémie Kocher, actrice

J'avais adressé une lettre, que je conserve encore, au CNC ainsi qu'au ministère du Travail. Aucun des deux n'a répondu, mais j'ai gardé toutes les correspondances. Le film Les Anges exterminateurs a été réalisé avec les fonds du CNC. Quant aux films suivants, je ne sais pas. Ce serait intéressant de se renseigner à ce sujet.

À cette époque, la société ne se préoccupait pas des violences sexuelles, surtout dans le milieu du cinéma. Nous n'étions pas dans une période où la dénonciation de la violence était prise en compte.

J'ai également contacté le CNC pendant la procédure, mais il n'y a eu aucune répercussion. Je pense simplement que ce n'était pas une question d'actualité. Aujourd'hui, cela devient un sujet, car les aides sont désormais conditionnées, même si la situation au CNC envoie un mauvais signal avec un président impliqué dans une affaire de violence sexuelle et qui continue d'exercer ses fonctions.

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Je tiens, au nom de tous mes collègues, à vous remercier sincèrement pour le courage que vous avez eu en 2001 et celui que vous avez encore aujourd'hui.

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Noémie Kocher, actrice

Laissez-moi apporter une ultime précision. Il serait souhaitable que les référents sur les plateaux soient des personnalités indépendantes, sans lien avec la production.

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Sur un plateau de cinéma, le producteur est l'employeur. À ce titre, il est le garant, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, du respect de la sécurité et de la santé de ses employés.

Nous avons identifié au cours de nos auditions des pistes d'amélioration ainsi que des vides juridiques, qui nécessitent une prise en compte de la société et du milieu professionnel concerné. Il est possible que les procédures soient longues, mais si les tribunaux croulent sous ces questions, cela signifie que certaines pratiques doivent évoluer.

La commission procède à l'audition M. Didier Huck, président de la fédération des industries du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia (Ficam) et M. Jean-Yves Mirski, délégué général ; M. Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l'audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT) et Mme Salomé Gadafi, membre du conseil national du SPIAC-CGT, secrétaire générale adjointe de la fédération nationale des syndicats du spectacle (FNSAC-CGT).

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Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Comme vous le savez, notre commission d'enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le cinéma, le spectacle vivant, l'audiovisuel, la mode et la publicité. Ces auditions visent à dégager des préconisations pour remédier à ces situations que nous déplorons tous.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous présenter votre fédération et votre syndicat. Dans un second temps, Mme la rapporteure, mes collègues et moi-même vous ferons part de nos questions.

Cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Enfin, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Salomé Gadafi et MM. Laurent Blois, Didier Huck et Jean-Yves Mirski prêtent successivement serment.)

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Didier Huck, président de la fédération des industries du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia (Ficam)

La Ficam réunit l'ensemble des prestataires techniques intervenant dans les productions cinématographiques et audiovisuelles ou dans le domaine de la publicité. La filière comprend plus de 700 entreprises et génère 1,3 milliard d'euros de chiffre d'affaires. Notre fédération compte près de 120 adhérents, qui représentent environ 70 % de la valeur de la filière et opèrent dans les secteurs suivants : les équipements et locaux pour les tournages, les locaux et activités de postproduction d'images, les effets visuels, les postproductions son et postsynchronisations, les doublages et sous-titrages, les préparations en vue de la diffusion dans les salles ou dans les médias, la restauration des copies de films, la sauvegarde et la conservation. La chaîne est assez longue, et couvre des cycles allant de 8-10 mois à 14-16 mois. Dans le domaine des effets visuels, la Fédération intègre aussi des entreprises de services de production en animation, qui ne font pas partie stricto sensu des producteurs.

Notre fédération représente donc des métiers très divers, avec une proportion de femmes et d'hommes variable selon les secteurs. Certains métiers mobilisent des effectifs nombreux, tandis que d'autres – la postproduction son ou image, par exemple – se déroulent en petits groupes. Ainsi, les conditions d'exercice sont très disparates.

Notre secteur n'est pas atypique par rapport aux autres types d'activité. Historiquement, la proportion d'hommes dans les métiers techniques était plus importante qu'ailleurs, car ces activités exigeaient le port de charges lourdes. Le déséquilibre s'atténue progressivement. Aujourd'hui, les femmes représentent 30 % des effectifs, et leur part s'accroît peu à peu. Dans certains secteurs tels que l'animation, la proportion de femmes est quasiment identique à celle des hommes. En raison de la surreprésentation des hommes, les remarques sexistes étaient fréquentes. Toutefois, les comportements s'améliorent.

La particularité de notre secteur tient au fait que le client est le producteur. Un studio de tournage met à disposition du producteur les locaux et les équipes fournissant le matériel, mais le tournage est géré par la production. En postproduction ou dans l'étalonnage, la salle est louée au réalisateur, qui vient avec son propre personnel. De ce fait, nos employés sont souvent moins nombreux dans nos locaux que les personnels extérieurs.

Les agissements répréhensibles sont en nombre limité, et nos entreprises, qui appliquent la tolérance zéro envers ces pratiques, n'hésitent pas à mener des actions vigoureuses pour y mettre fin, dans la limite de leurs pouvoirs. Elles font tout leur possible pour encourager les victimes à se signaler et pour les protéger.

Au sein de la Ficam, une commission sociale traite de ce sujet.

Nous sommes confrontés à deux catégories d'agissements : des faits internes, d'une part, et des faits commis par des personnels des clients sur nos employés – ou réciproquement –, d'autre part. Nous entretenons des relations permanentes avec nos clients, en milieu ouvert ou fermé.

Les agressions sexuelles sont ponctuelles et très variées. Elles sont plutôt morales et peuvent consister en plaisanteries à caractère discriminatoire, en propos à caractère sexiste, raciste, homophobe ou transphobe ou en propositions inappropriées à connotation sexuelle.

Une autre question concerne les agissements se déroulant à l'extérieur des locaux, mais en lien avec le travail. Je pense en particulier aux tournages, mais aussi aux pots conviviaux. Au regard des dispositions légales, ces faits sont identiques.

Dans notre industrie, les remontées les plus courantes concernent des propos déplacés ou agressifs, parfois difficiles à qualifier. Selon le résultat des investigations effectuées, les entreprises procèdent à des licenciements, lorsque les actes sont avérés, ou bien à des avertissements et à des déplacements de postes, lorsque les preuves sont difficiles à réunir.

Il est plus difficile d'agir envers des clients ayant des comportements déplacés. Dans ce cas, la réponse apportée à ces faits dépend de la taille de l'entreprise en question. Soit la société de production possède une organisation suffisante pour traiter ce type de situation, soit sa taille ne lui permet pas de disposer d'un service de ressources humaines efficient. Dans ce cas, la relation avec le fournisseur peut devenir compliquée. Ces événements sont difficilement quantifiables, mais existent.

Dans les milieux ouverts, les risques de dérapage de la part de nos employés sont relativement limités. Dans la postproduction son et image, la situation peut être différente, car deux ou trois employés partagent un studio, où la luminosité est souvent faible. Pour autant, nous n'avons pas eu connaissance de cas graves de passage à l'acte. Les signalements concernent essentiellement des attaques verbales, qui sont inadmissibles et qui sont sanctionnées.

Il conviendrait de s'assurer que tous les opérationnels sont formés, et de réunir l'ensemble des équipes des prestataires et des clients au début de chaque tournage pour un point de sensibilisation.

De plus en plus de participants suivent les formations du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qu'il s'agisse des mandataires ou des personnes exerçant une responsabilité sur les prestataires en production et les prestataires techniques. De fait, nous sommes soumis à cette obligation depuis un an. Cette action porte ses fruits, mais il faudrait étendre ces formations à toutes les personnes assumant un rôle d'encadrement ou de supervision. Il est essentiel de savoir comment réagir à une agression, mais aussi comment répondre à un signalement d'agression.

Tout dépend de la taille de l'entreprise en question. 40 % des adhérents de la Ficam comptent moins de dix salariés, et seuls cinq membres ont plus de 50 salariés.

Il me paraît tout aussi déterminant de former les dirigeants, gestionnaires et managers au traitement des signalements que d'informer les salariés sur la réaction à adopter face à une agression.

Des actions sont menées au sein de notre branche depuis plusieurs années. Ainsi, un accord sur l'égalité entre les femmes et les hommes a été signé en juillet 2018. L'accord étendu, en date de 2020, inclut expressément la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette cause est reprise par la cellule interprofessionnelle initiée par la Fédération des entreprises du spectacle vivant (Fesac), dont M. Mirski est président.

En 2019, le ministère de la culture a lancé un plan de lutte contre le harcèlement. Dans ce cadre, des assises ont été organisées par le CNC.

Par ailleurs, les partenaires sociaux ont créé une cellule d'écoute gratuite et anonyme, à destination des victimes et témoins de violences sexuelles. Elle est désormais active depuis quatre ans, et opérée par Audiens. La Ficam participe à cette initiative.

Nous travaillons aussi avec Audiens en vue de constituer une cellule à même d'informer les responsables d'entreprise ou d'unité ayant eu connaissance de faits à caractère sexiste ou sexuel. De fait, les chefs d'entreprise peuvent se sentir désemparés face à ce type de situation, même s'ils en mesurent la gravité.

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Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l'audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT)

Notre syndicat intervient dans un cadre plus large que celui du collège des employeurs, représenté ici par la Ficam. Notre périmètre englobe les conventions collectives des production cinématographique, audiovisuelle et de films d'animation, les industries techniques et les éditions phonographiques.

Pour l'essentiel, les salariés relevant de notre syndicat sont des intermittents et nous regroupons l'ensemble des techniciens du secteur, depuis l'habillement jusqu'à la direction photographique.

Nous avons engagé un travail de grande ampleur dès la survenue de la covid, qui nous a directement touchés. Il existe deux comités centraux d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) dans la branche, pour les productions audiovisuelle et cinématographique. Je suis d'ailleurs le vice-président du CCHSCT production audiovisuelle, et j'interviens aussi dans le second en tant que délégué général.

Dans ces deux instances siègent des salariés qui interviennent sur les tournages, et qui ont pu être avertis de cas de violence sexiste ou sexuelle. La précarité de notre secteur nous complique beaucoup la tâche. Hormis le champ de la prestation technique, 95 % de nos adhérents travaillent dans des entreprises de moins de 10 salariés, où les dispositions légales de représentativité syndicale ne sont pas appliquées.

Depuis 1936, avec l'apparition des premières organisations syndicales dans la production cinématographique, les partenaires sociaux (producteurs et représentants des salariés) ont construit des dispositifs permettant de répondre à la précarité de certains métiers.

La précarité n'aide pas à rompre le silence, et ce constat vaut aussi pour les quelques cas particulièrement difficiles auxquels nous avons eu affaire récemment, en production cinématographique. Le secteur du film d'animation est encore mal couvert, parce qu'il est petit et que ses salariés, très jeunes, connaissent mal le code du travail.

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Salomé Gadafi, membre du conseil national du SPIAC-CGT, secrétaire générale adjointe de la fédération du spectacle FNSAC-CGT

La FNSAC réunit des syndicats professionnels du spectacle vivant, des artistes plasticiens et des professionnels de l'action culturelle. Certains salariés travaillent dans des environnements isolés, propices aux comportements violents. D'ailleurs, il n'existe pas de comité hygiène et sécurité dans les branches du spectacle vivant et des arts plastiques.

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Vos explications mettent en évidence la problématique des liens de subordination, notamment lorsque les personnels d'un prestataire travaillent dans les mêmes locaux que les équipes d'une société de production.

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Parmi les activités couvertes par cette commission d'enquête, quelles sont, d'après vous, les catégories de métiers les plus exposées à des formes de violence ?

M. Huck, vous avez évoqué la tolérance zéro appliquée par les entreprises membres de votre fédération. Pouvez-vous nous indiquer le nombre de cas de violences à caractère sexiste ou sexuel identifiés, et nous exposer les actions mises en œuvre pour remédier à ces problèmes ? D'autre part, toutes les catégories de personnel impliquées dans un tournage ou dans la réalisation d'un spectacle ont-elles accès à un référent harcèlement ? Enfin, estimez-vous que ces référents sont suffisamment formés ?

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Didier Huck, président de la fédération des industries du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia (Ficam)

Nous ne disposons pas de statistiques à ce sujet, car nos adhérents ne nous transmettent pas de données chiffrées. Les pratiques en cause seraient surtout des propos déplacés ou des invitations, sans passage à l'acte. Quant aux sanctions, elles sont appliquées par les entreprises adhérentes dans le respect du code du travail. Il peut s'agir d'un déplacement de poste, d'une mise à pied, voire d'un licenciement. La première mesure consiste à isoler la victime. Une enquête est ensuite menée, et des sanctions sont prises en fonction des conclusions de cette démarche.

Les grandes entreprises ont l'habitude de publier leurs chiffres dans leurs reportings annuels, au titre de leur politique de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Mais les petites entreprises ne peuvent faire de même.

À mon sens, ces faits se retrouvent dans tous les types de métiers et d'activités : artistes, studios d'animation, personnels administratifs, équipes de manutention, etc.

Dans l'industrie technique, deux tiers des emplois sont occupés par des intermittents, et un tiers par des salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) ou déterminée (CDD). À ma connaissance, les intermittents, dans notre secteur, ne sont pas plus victimes que les salariés permanents.

Au cours des dernières années, les personnels de l'industrie technique n'ont pas vraiment connu de précarité puisque nous faisons face à une pénurie de main-d'œuvre.

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Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l'audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT)

Il existe des métiers en tension car l'activité est extrêmement dense, marquée par le développement des plateformes. Nous connaissons donc une période de plein emploi relatif.

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Salomé Gadafi, membre du conseil national du SPIAC-CGT, secrétaire générale adjointe de la fédération du spectacle FNSAC-CGT

Je voudrais insister sur la violence des propos et comportements sexistes récurrents, subis tout au long d'une carrière. Cette violence est très forte et ne saurait être sous-estimée. De nombreuses personnes ne signalent pas les faits de violence dont elles sont victimes, parce qu'elles ne l'osent pas ou ne le souhaitent pas. Ces agissements sont aggravés par d'autres formes de violence, comme le fait d'être pénalisé dans son salaire ou dans sa progression de carrière parce qu'on est une femme.

En ce qui concerne la formation des référents, des mesures vertueuses ont été mises en place. À titre d'exemple, un salarié peut suivre une formation de référent tout en conservant le bénéfice de ses droits pour des formations professionnelles. Il n'en reste pas moins que nombre de référents ne sont pas formés. La signature de l'avenant sur les violences et harcèlements sexistes et sexuels (VHSS) dans la convention cinéma devrait contribuer à améliorer la situation. Nous espérons que des avenants de ce type seront intégrés dans les autres conventions.

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Il est difficile d'appréhender les faits qui vous sont remontés, M. Huck, car vous parlez de propos déplacés et d'invitations. Vous affirmez que les entreprises adhérentes appliquent la tolérance zéro envers ces faits. Pouvez-vous nous confirmer que chaque situation est traitée ?

Vos adhérents font-ils appel aux syndicats lorsqu'ils ont connaissance de problèmes dans les tournages ou lors des préparations de spectacles ?

Parmi les sanctions évoquées, vous avez fait état de « déplacement de poste ». Faut-il en conclure qu'une personne ayant tenu des propos inadaptés peut être simplement déplacée sur un autre tournage, sans recevoir de réelle sanction ? Cette action ne revient-elle pas à déplacer le problème ?

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Didier Huck, président de la fédération des industries du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia (Ficam)

La sanction est prise en fonction de la gravité des faits, sur la base des éléments disponibles. Si les agissements sont avérés, leur auteur est mis à pied ou licencié. En revanche, lorsque les allégations n'ont pas pu être prouvées et ne sont pas corroborées par d'autres témoignages, la victime et l'agresseur présumé sont séparés. Si ce dernier est de nouveau dénoncé pour des agissements analogues, il est immédiatement licencié.

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Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l'audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT)

Il ne faut pas oublier que cette problématique est relativement nouvelle, puisqu'elle a surtout émergé avec le mouvement MeToo. Je voudrais préciser que le traitement de ces situations dépend aussi du socle social élaboré par les partenaires sociaux, notamment en se dotant d'une convention collective.

L'exercice du droit syndical est très compliqué dans le petit secteur de l'animation. De mon point de vue, le travail que nous menons avec les producteurs de films d'animation est moins performant qu'en production audiovisuelle ou cinématographique.

Au cours des deux dernières années, nous avons été confrontés à trois cas graves, qui ont nécessité l'intervention du CCHSCT. Nous avons même évoqué la possibilité de mandater une commission d'enquête sur quelques tournages, au nom du CCHSCT. Toutefois, nous nous heurtons à une limite : ces dossiers sont éprouvants à traiter. Nous ne sommes pas formés à cette écoute, y compris lorsque nous sommes élus de CCHSCT. Nous avons le sentiment d'être dans une position de voyeurs, mais nous avons impérativement besoin d'informations. Il me semble que ce nous accomplissons de mieux en mieux ce travail, avec l'aide de personnes compétentes.

En production audiovisuelle et cinématographique, je constate une même volonté, parmi les représentants patronaux, de faire cesser les tracasseries tout en traitant les cas les plus lourds. Il subsiste malgré tout des interrogations prégnantes. Que faire lorsqu'aucune plainte n'est déposée par la victime, alors qu'elle a subi des actes apparentés à des viols ; devons-nous saisir la justice ?

Nous pouvons compter sur le soutien du CNC, qui travaille avec nous sur ces sujets. Ainsi, il serait judicieux d'élargir le dispositif sur la conditionnalité des aides dans le cinéma, à la production audiovisuelle.

Nous développons peu à peu des instruments de prévention qui contribuent à libérer la parole des femmes et des hommes concernés.

Le secteur de la prestation technique est très hiérarchisé, ce qui peut entraîner des dérives entre salariés, en raison des liens de subordination.

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Je précise que les « tracasseries » auxquelles vous faites référence s'appellent désormais « outrage sexiste », et sont réprimées comme telles par le code pénal.

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Conformément aux dispositions du code du travail, l'employeur est tenu d'assurer la santé et la sécurité des salariés. M. Huck, j'observe que vous n'avez pas vraiment détaillé le déroulement des enquêtes. Vous avez notamment mentionné la question des preuves, dont l'appréciation est pour le moins complexe. J'ajoute qu'il n'est pas demandé à l'employeur d'établir la matérialité des faits ou la culpabilité de l'agresseur présumé, mais de réunir un faisceau de signes incitant à prendre des précautions. Ce sont deux mesures distinctes.

Vous sentez-vous suffisamment armés sur ce sujet ? Lorsqu'il faut lancer une enquête, êtes-vous en mesure de faire appel à des personnes compétentes pour cette démarche, en interne ou en externe ?

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Didier Huck, président de la fédération des industries du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia (Ficam)

Je vous confirme que c'est bien un faisceau de présomptions qui permet à l'entreprise d'agir et de prendre des mesures de précaution. Toutefois, comme je l'ai précisé, la réponse apportée dépend de la taille de l'entreprise : plus la structure est importante, et plus elle dispose de services formés pour traiter ce type d'événements. Dans mon entreprise, les ressources humaines sont référents, et la quasi-totalité des membres du comité social et économique (CSE) a été formée. Tous sont donc à même de recevoir et traiter les plaintes, de mener les entretiens avec les différentes parties prenantes. Dans une grande entreprise, il est relativement facile de construire un dispositif de ce type.

Nous avons engagé un travail avec Audiens pour créer une cellule à même d'aider les entreprises à traiter une plainte, constatant que les petites structures se trouvent souvent démunies. Même si le mandataire social se doit de protéger la santé et la sécurité de ses employés, le traitement de ces situations ne s'improvise pas. Le simple fait de parler à la victime n'est pas une compétence innée, mais requiert une formation et un accompagnement. Il me paraît donc souhaitable que les entreprises puissent recourir à un support externe.

Je préside le comité d'éthique mondial du Groupe Technicolor Creative Studios. À ce titre, j'ai été amené à mener plusieurs investigations. Les premières enquêtes n'ont pas été aisées. De ce point de vue, la cellule d'accompagnement sur laquelle nous travaillons représenterait une grande avancée. Dans une toute petite entreprise, chacun se connaît, et les équipes sont souvent dépourvues, sans que ce soit une question de mauvaise volonté.

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Votre entreprise est un groupe international, avec un directeur des ressources humaines et des salariés.

Dans une production, le producteur fait appel à des prestataires pour prendre en charge différentes activités. Certains de ces prestataires emploient des intermittents, qui sont subordonnés à l'entreprise sous-traitante, mais travaillent pour une production. Cette imbrication pose-t-elle des difficultés dans l'application du droit du travail ou dans la continuité du lien hiérarchique ?

Prenons un exemple concret. Certains techniciens travaillent sur le plateau en tant qu'intermittents, mais ils peuvent être embauchés par une société prestataire. Comment sont traités les potentiels différends survenant entre ces personnels sous-traitants et les personnels de la société de production ?

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Jean-Yves Mirski

En règle générale, ces situations sont plutôt traitées par le producteur.

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Didier Huck, président de la fédération des industries du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia (Ficam)

Pour ce qui est de la location de l'enlèvement des caméras et autres équipements, les chauffeurs de camion du prestataire font partie de la production. En revanche, tous les personnels peuvent se retrouver dans les locaux du prestataire. Je ne crois pas que la question du lien de subordination soit en cause ici. La problématique porte plutôt sur la promiscuité de ces personnes dans les mêmes locaux, a fortiori lors des tournages en studio.

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Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l'audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT)

Le secteur de la production cinématographique est relativement encadré, puisque les aides du CNC sont conditionnées au recrutement direct des techniciennes et techniciens par le producteur. Par conséquent, le problème que vous soulevez ne se pose pas, a priori. Cela n'empêche pas des pratiques de détournement apparentées à du prêt illégal de main-d'œuvre, contre lesquelles nous nous battons. Pour dégager quelques économies, certaines entreprises peu scrupuleuses ont tendance à employer du personnel au nom de sociétés relevant de conventions collectives moins-disantes au lieu de les recruter en propre.

En production cinématographique ou audiovisuelle, c'est le réalisateur qui donne le la du film ou de la fiction en cours de réalisation. Il est lui-même en lien de subordination avec le producteur.

Le tournage en studio constitue un cas particulier, car il s'accompagne souvent de mise à disposition de matériel (grues, drones, etc.). Il peut aussi y avoir des croisements plus compliqués dans l'événementiel et la production de programmes pour la télévision.

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M. Mirski, vous avez signé en 2018 l'accord de branche sur l'égalité femmes-hommes, au nom de la Ficam. Vous avez également signé, en 2020, le plan d'action pour l'égalité et contre les violences sexuelles et sexistes, au nom de la Fesac. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point et nous dresser un bilan de ces actions ?

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Jean-Yves Mirski

Puisque je serai auditionné prochainement en tant que président de la Fesac, je centrerai aujourd'hui mon propos sur les actions menées par la Ficam.

À la Ficam, nous avons commencé à appliquer le plan d'action pour l'égalité, en nous appuyant sur la cellule dédiée. Celle-ci est d'ailleurs mentionnée dans l'accord signé avec les organisations syndicales. Nous menons actuellement des négociations avec les organisations syndicales, qui portant notamment sur les violences sexistes et sexuelles.

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Les salariés ont-ils bénéficié d'une sensibilisation ou d'une formation sur la réaction à adopter en présence de situations de ce type ? Par ailleurs, en tant qu'employeur, avez-vous un regard sur les éventuelles infractions inscrites au casier judiciaire des salariés ?

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Salomé Gadafi, membre du conseil national du SPIAC-CGT, secrétaire générale adjointe de la fédération du spectacle FNSAC-CGT

L'information au début de chaque projet est désormais obligatoire. Elle peut être assurée par les référents. Cette obligation doit être spécifiée dans chaque contrat. Nous avons demandé qu'elle soit intégrée à la feuille de service, qui est souvent lue plus attentivement que le contrat. L'information doit être diffusée auprès des permanents et des intermittents. Cette mesure est prise en compte dans les accords complétant les conventions collectives et elle est de mieux en mieux respectée.

J'ajoute que les loueurs affichent plus d'informations, à la fois sur les faits de violence et sur les personnes à contacter en cas de problème.

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Jean-Yves Mirski

Notre convention collective des industries techniques prévoit un mécanisme paritaire de certification sociale, qui valide l'accès des industries techniques au fameux contrat à durée déterminée d'usage (CDDU), qui est indispensable à l'emploi des intermittents. Cette certification sociale impose aux entreprises d'observer un certain nombre de normes, en particulier la législation du travail.

Depuis plusieurs mois, les entreprises souhaitant bénéficier de la certification sociale sont invitées à remplir un questionnaire, auquel vient d'être ajoutée la question suivante : « Avez-vous effectué la formation VHSS ? ». Lors des échanges tenus au moment où l'entreprise dépose son dossier, ce point fait l'objet d'une attention particulière.

La commission de certification sociale ambitionne de mener une démarche pédagogique à ce sujet auprès de toutes les entreprises intéressées par la certification. Il pourrait être intéressant de renforcer cette sensibilisation de toutes les entreprises du secteur. Il appartiendra aux partenaires sociaux d'en décider.

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Je comprends que les prestataires souhaitant employer des intermittents du spectacle sont tenus d'obtenir cette certification sociale.

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Jean-Yves Mirski

En effet. Notre convention collective prévoit une telle disposition. C'est une spécificité de notre secteur. La certification sociale est nécessaire pour employer des intermittents.

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Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l'audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT)

Sans être hostiles au principe de cette certification sociale, nous pensons qu'elle ne doit pas être présentée comme la solution miraculeuse à tous les problèmes. Nous préférerions que soit renforcée la présence des inspecteurs du travail dans nos secteurs et la cellule de lutte contre le travail illégal, et que l'État se dote d'instruments de contrôle efficients. Les discussions entre partenaires sociaux, dans le spectacle enregistré, sont relativement apaisées, même si les intérêts des différentes parties ne convergent pas toujours. En revanche, nous avons besoin que l'État nous permette d'appliquer les conventions collectives et les dispositions du code du travail car une partie des violences dont nous parlons trouvent leur origine dans des conditions de travail très éprouvantes, avec un rythme extrêmement lourd.

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Je suis d'accord sur le fait qu'il est difficile de réguler la situation sans contrôles.

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Ce matin, nous avons été informés de feuilles de service fausses, ou doubles. Avez-vous déjà reçu des remontées en ce sens ?

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Mme la rapporteure fait référence à une pratique consistant à remettre aux équipes une feuille de service différente de celle adressée à la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Drieets). Avez-vous constaté ce type d'agissements ?

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Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l'audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT)

Les contrats sont remis aux salariés trop longtemps après la prise de poste. Il existe donc des irrégularités sur les feuilles de service, à l'instar des faits que vous rapportez.

Il y a quelques années, lorsque nous avons négocié la convention collective de la production cinématographique, le CNC avait mandaté à notre demande une enquête sur la durée du travail dans ce secteur. Le rapport n'avait même pas été publié, tant les pratiques relevées enfreignaient le code du travail.

Il me paraît essentiel que la puissance publique s'empare du sujet et engage des mesures pour s'assurer que les normes soient respectées.

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Didier Huck, président de la fédération des industries du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia (Ficam)

Aux États-Unis, certains états tels que la Californie se sont dotés de programmes structurants en vue de combattre les violences sexuelles et sexistes. Ils ont notamment déployé des formations obligatoires pour toute personne ayant un rôle d'encadrement ou de supervision, quel que soit son lieu d'exercice. La formation se déroule en ligne, sur une durée minimum de deux heures, et fait l'objet d'un contrôle et d'une attestation de suivi, adressée à l'inspection du travail.

Sur ce modèle, il me semble indispensable de systématiser les formations, tant auprès des salariés que des employeurs. Personne ne doit pouvoir affirmer qu'il n'était pas informé. Ces formations sont également nécessaires pour pouvoir prononcer des sanctions.

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Je vous remercie pour ces informations. N'hésitez pas à nous envoyer des éléments complémentaires, le cas échéant.

La commission procède à l'audition de Mme Estelle Simon et M. Elrik Lepercq, coprésidents de l'association professionnelle des actrices et acteurs de France associés (AAFA), Mme Alice de Lencquesaing et Mme Marie Lemarchand, membres du conseil d'administration de l'association des acteurs (ADA).

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Notre commission d'enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, de la mode, de la publicité et du spectacle vivant. Nous nous efforçons d'identifier les responsabilités de chacun des acteurs, d'évaluer l'étendue des situations et de proposer des solutions pour remédier à cette situation que nous déplorons tous.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous présenter chacune votre association, dans un court propos introductif. Dans un second temps, Mme la rapporteure, mes collègues et moi-même vous ferons part de nos questions.

Cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Enfin, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Estelle Simon, Alice de Lencquesaing, Marie Lemarchand et M. Elrik Lepercq prêtent serment.)

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

L'AAFA est une association de comédiennes et comédiens professionnels. Elle est née en 2014, du constat qu'il n'existait pas de structure dédiée aux actrices et aux acteurs, contrairement à un grand nombre de nos partenaires (scénaristes, réalisateurs, etc.). Cette situation accentuait notre isolement, car notre métier est un métier solitaire.

L'un des objectifs de notre association consiste à repositionner les actrices et acteurs à leur juste place, tant pour la réflexion que pour la création, et à créer du lien avec nos partenaires.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

L'AAFA défend des valeurs égalitaires et paritaires et s'engage à promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes et la représentation de toutes les diversités.

Notre fonctionnement repose en grande partie sur nos commissions, qui sont l'ADN de notre association. Leur création est soumise au vote du conseil d'administration, mais à l'initiative des adhérents. Nos adhérents ont donc la possibilité de créer des commissions, d'en intégrer, ou simplement de profiter de ce que nous leur proposons.

L'AAFA dispose de trois types de commissions. Tout d'abord, les commissions artistiques, axées sur la création, les échanges artistiques, les ateliers et les rencontres, permettent aux acteurs de travailler avec des réalisateurs, des scénaristes, des directeurs de casting, des coachs, etc.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Nous avons aussi créé des commissions ressources, comme « AAFA Émergence ». Cette structure réunit de jeunes acteurs ayant fait le constat qu'ils avaient besoin de clés en sortant de leur école. Ils ont donc élaboré un guide à destination des comédiens émergents, qui est présenté dans les écoles. Ce guide comprend d'ailleurs un volet important sur les violences et le harcèlement sexistes et sexuels (VHSS).

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

Enfin, l'AAFA comprend aussi des commissions sociétales, à l'instar de « AAFA Tunnel de la comédienne des 50 ans ». Celle-ci a mis en avant la disparition des femmes sur les écrans à partir de cinquante ans. Je citerai également la commission « AAFA Soutien ».

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Cette dernière commission a été créée immédiatement après MeToo car il nous est apparu que nous ne pouvions pas représenter les actrices et acteurs sans leur proposer un espace d'échange au sein de notre association.

Cette commission intervient dans tous les cas d'intimidation, harcèlement, agression sexuelle et abus de pouvoir. Elle recueille les témoignages du passé et du présent, afin d'orienter et d'accompagner dans la limite de ses compétences. Les informations recueillies restent bien évidemment confidentielles. Elle bénéficie du dispositif d'appui juridique de la Fondation des Femmes, ce qui permet aux victimes d'être assistées par des avocats. Depuis peu, nous avons également un partenariat avec l'association Derrière le rideau, qui nous donne accès à une aide juridique.

Parmi les autres actions de cette commission figurent la rédaction et la diffusion d'un code de conduite, destiné à être adopté généralement et annexé à tout contrat de travail. Bien que nous ayons été reçus à plusieurs reprises au ministère de la culture, aucune suite n'a été donnée à cette proposition.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

Ce code de conduite a pour but d'inscrire noir sur blanc les agissements appropriés et ceux qui ne le sont pas. Nous pensons que dans une société où les limites du consentement ne sont pas acquises, il convient de faire évoluer les comportements et en créer de nouveaux.

Si nous commencions chaque tournage et chaque projet artistique en expliquant ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas, si nous faisions signer ce document – et les valeurs qu'il défend – à toute l'équipe, tout le monde serait concerné. Ce serait également un message fort pour les potentielles victimes, qui se placerait du côté des agressés et non des agresseurs.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Une question récurrente soulevée dans cette commission d'enquête concerne les statistiques. Nous ne possédons pas de données quantitatives, considérant qu'un raisonnement par chiffres a un impact négatif. Réduire des vies endommagées à des faits mathématiques contribue, selon nous, à invisibiliser les victimes. Nous savons que 160 000 enfants, soit un sur cinq, sont victimes de violences sexuelles chaque année. Les féminicides sont également comptabilisés tout au long de l'année. Les associations et les autorités se livrent une bataille sur le nombre exact de féminicides en 2023. Ces polémiques occultent l'essentiel, à savoir le viol d'enfants et l'assassinat de femmes. La reconnaissance des chiffres prend le pas sur la souffrance et sur les vies brisées.

Cette analyse s'applique aussi aux VHSS dans notre métier. Nous n'avons plus besoin de chiffres, mais de prendre conscience que, comme dans le reste de la société, les femmes et les enfants sont sous la domination du patriarcat. Tant que cette problématique sociétale ne sera pas résolue, elle sera réduite à des statistiques déshumanisées.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

Contrairement à l'ADA ou à Derrière le rideau, notre association n'a pas été créée aux seules fins de lutter contre les violences sexistes et sexuelles.

Le nombre exact de victimes importe peu. En revanche, il est intéressant que le nombre de témoignages varie en fonction de l'actualité. Lorsqu'une personne célèbre prend la parole à ce sujet, ses déclarations donnent du courage aux autres victimes et contribuent à libérer la parole.

En créant la commission « Soutien », notre objectif était de prendre le temps d'accompagner chaque personne dans la direction de son choix. Comme l'affirmait le collectif MeTooThéâtre, nous ne sommes pas formés à cela. Nous pallions le manque d'un système. Les personnes qui se confient ont besoin d'être crues et comprises. En se confiant à d'autres actrices ou acteurs, elles savent que nous parlons la même langue. Même sans avoir été violés, nous avons subi des attouchements et des violences psychologiques.

Les témoignages que nous avons reçus proviennent essentiellement d'actrices, et très minoritairement d'acteurs, et concernent particulièrement le théâtre ou les écoles de théâtre.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Je voudrais préciser que nous n'avons pas reçu, pour l'instant, de témoignages sur le doublage. Cela ne me surprend pas vraiment, car ce milieu est très refermé sur lui-même. C'est un microcosme dans lequel les violences psychologiques et sexuelles sont des pratiques courantes sur certains plateaux.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

En dressant un état des lieux de la situation, pour préparer l'audition, une évidence nous saute aux yeux : les outils légaux – qu'il s'agisse du code du travail ou du code pénal – existent pour traiter la plupart de ces situations. Ils sont supplémentés par un travail considérable de la société civile, généralement assuré de manière bénévole. Je pense à l'AAFA, à l'ADA, au collectif 50/50, au syndicat français des artistes interprètes (SFA), au Mouvement HF ou encore à la Fondation des femmes, et j'en oublie beaucoup.

Les outils légaux ne sont généralement pas employés, souvent par manque de moyens, c'est-à-dire par manque de volonté politique. En tant qu'acteurs de la société civile, nous voulons vous soumettre nos propositions.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Ces propositions sont les suivantes : la création d'un organisme VHSS indépendant, pour éviter les conflits d'intérêts ; la création d'un code de conduite, à joindre à tous les contrats et à afficher sur les lieux de travail.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

L'obligation légale de coordinatrice et coordinateur d'intimité sur les plateaux de tournage.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

La suspension des personnes impliquées le temps d'une enquête pour VHSS.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

La création d'une assurance VHSS pour les plaignantes, qui permettrait de reconnaître le risque endémique des VHSS, au même titre que la maladie et l'accident ; l'extension de l'obligation d'une référence aux VHSS dans toutes les strates de l'enseignement actoriel, qu'il s'agisse d'écoles publiques ou privées.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Dans un contexte de déficit et de réduction du budget du ministère de la culture, toutes ces actions peuvent paraître coûteuses. Mais la prévention à moyen terme coûte toujours moins cher que la guérison et la gestion de crise.

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Marie Lemarchand, membre du conseil d'administration de l'ADA

Merci de nous recevoir, même si nous aurions préféré ne pas avoir besoin d'être présentes ici.

Ce matin même, j'ai reçu un appel concernant une demande de mise en relation avec une comédienne qui a été violée par un réalisateur. Nous recevons quasi quotidiennement des messages de ce type, qui sont aussi à l'origine de la création de l'ADA.

Comme l'a rappelé Iris Brey ici même, l'ADA a été constituée autour des questions de représentation et de tournage des scènes d'intimité parce que de nombreuses comédiennes se trouvent en danger sur les plateaux. Il est urgent de remédier à cette situation.

Les comédiennes ont commencé à parler de leur expérience, ce qui constitue en soi un acte très fort. En effet, quelle que soit notre génération, nous avons appris à nous méfier les unes des autres, voire à nous détester. Ce phénomène de mise en concurrence nous isole, de sorte que nous ignorons que d'autres ont pu subir ce que nous avons nous-mêmes vécu : harcèlement, agressions sexuelles, viol, viol aggravé… Cette omerta est extrêmement puissante. C'est pourquoi le simple fait de se parler est à la fois douloureux et jovial, car cela nous aide à reprendre du pouvoir sur nos propres vies, sur notre métier et sur le lien qui nous unit. Ces questions traversent notre métier et les différentes filières qui le composent.

Grâce à ce lien, nous sommes beaucoup plus fortes, ensemble. L'une de nous disait récemment : « Si l'on passe autant de temps à nous diviser, c'est parce qu'ensemble, nous sommes plus fortes ». En nous parlant, nous comprenons mieux les mécanismes en action, qui font partie d'un système bien rodé, dans lequel la concurrence est sciemment organisée et entretenue précisément pour que ces abus puissent se perpétuer.

La création de notre association a été motivée par le besoin de se réapproprier nos corps, nos récits, notre métier, nos vies, et d'interroger les rapports de pouvoir, les conditions de travail, la verticalité – ce système pyramidal dans lequel, jusqu'à présent, nous avions très peu notre mot à dire.

Ces réunions entre actrices ont débuté à la fin de l'année 2021. En mai 2022 a été publiée une tribune dénonçant ces violences, ainsi que les discriminations, au sein de notre industrie. Cette tribune affirmait que « le cinéma français a intégré un système dysfonctionnel qui broie et anéantit depuis des générations ». Elle a trouvé un écho chez nombre d'actrices qui avaient subi silencieusement des violences et qui ont rejoint l'association.

Aujourd'hui, nous sommes entre soixante-quinze et quatre-vingts membres au sein de l'ADA. Le conseil d'administration, qui fonctionne de manière horizontale, compte dix-sept membres.

Face au nombre, à l'ampleur et à la gravité des récits, nous ne pouvons absolument pas considérer que les faits évoqués relèvent d'un autre monde ou d'un autre temps. Il s'agit de situations récurrentes et répétées, et c'est pourquoi nous nous comprenons les unes les autres.

Les victimes n'ont pas d'âge, les agresseurs non plus. Les violences sont de nature différente : sexiste, sexuelle, raciste, homophobe, transphobe… Elles sont aussi liées au physique, à l'âge, à l'état de santé, à la classe sociale, et peuvent être d'ordre économique.

À l'ADA, nous avons commencé par créer un espace de parole, pour sortir de l'isolement mais aussi de la honte, et pour s'allier de manière à faire front. À côté de cet espace de dialogue, pensé comme un rempart, nous avons voulu ouvrir un espace de questionnement sur les représentations : qui est représenté, et comment ? Qui n'est pas représenté ?

Nous estimons que les représentations livrées ne peuvent pas être dissociées de leurs conditions de production : l'œuvre de fiction ne peut pas être séparée de ses conditions de fabrication.

Cet espace de parole et de sécurité est confidentiel, et non mixte. C'est aussi un espace de réflexions interprofessionnelles. Nous travaillons avec d'autres professionnels du secteur : réalisateurs, directeurs de casting, scénaristes, etc. Nous sommes aussi en dialogue avec les institutions.

Cet espace a aussi une vocation de politisation et de professionnalisation, pour rappeler que nous exerçons un métier. Cette réalité est beaucoup trop souvent oubliée, y compris par nous-mêmes. Nous nous sommes donc syndiquées, car notre méconnaissance du droit du travail nous est extrêmement préjudiciable et nous rend très vulnérables. De manière générale, le droit du travail est facilement laissé de côté dans notre profession.

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Alice de Lencquesaing, membre du conseil d'administration de l'ADA

Je suppose que vous imaginez de quel ordre peuvent être les pseudo-mises en concurrence entre interprètes, tant masculins que féminins. Lorsque nous nous retrouvons ensemble, il apparaît de manière flagrante que ces mises en concurrence sont un mensonge.

Ce mensonge est alimenté par une forme de mystère qui prévaut dans notre industrie, et peut-être plus particulièrement dans le métier d'interprète. Nous ne sommes que très rarement informés de nos droits tels que prévus par le code du travail.

Les agences artistiques ont leur propre fonctionnement entrepreneurial : les agentes et agents artistiques ne sont payés ni par la production, ni par les interprètes qu'ils représentent. Ils ont un statut indépendant. Le métier d'agent artistique est très mystérieux, et il est difficile de savoir ce qu'ils font précisément.

Cette pseudo-concurrence est alimentée par une forme de mystère sur le métier d'actrice : nous ne devrions pas savoir qui sont les autres actrices passant le casting, ou pour quelles raisons nous ne sommes pas retenues. Ces raisons sont rarement liées aux capacités professionnelles, mais ont plus souvent trait à des aspects physiques.

Les réalisateurs et réalisatrices ne sont pas les seuls à détenir ce pouvoir de décision sur les personnes qu'ils choisissent d'embaucher pour incarner leurs rôles. Les producteurs, les distributeurs et les financeurs donnent aussi leur avis, sans parler des plateformes et des chaînes.

Je souhaiterais aussi préciser qu'à l'ADA, notre rôle consiste à participer aux discussions et réflexions sur les conditions de travail dans notre industrie. Nous organisons des réunions régulières sur ces thématiques. Il nous est apparu indispensable d'inclure nos collègues hommes dans ces travaux.

Il nous est arrivé de proposer des réunions mixtes, en vue d'échanger sur les discriminations raciales, homophobes, transphobes et autres. Mais rapidement, les questions ayant trait aux violences sexistes et sexuelles ont été au centre des réflexions. J'ai été surprise de constater cela, car j'inclinais plutôt à penser que ces questions étaient dépassées. Mais le fait est que la plupart des personnes qui participent à nos réunions ont moins de 35 ans, et toutes ont besoin de parler des violences sexistes et sexuelles subies quotidiennement, sur tous les projets pour lesquels elles sont employées, à toutes les étapes : casting, préparation, répétition ou tournage.

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Vous avez déclaré que ces violences sont facilitées par une méconnaissance du droit du travail et des limites qui ne devraient pas être franchies.

Il est certain que les reconversions professionnelles vers les métiers du cinéma ou du spectacle vivant sont rares. Ces métiers sont souvent choisis sous l'effet d'une passion éprouvée depuis le plus jeune âge, avant d'avoir connu d'autres expériences professionnelles qui auraient permis d'acquérir des rudiments de droit du travail.

À plusieurs reprises, il nous a d'ailleurs été indiqué que les contrats sont souvent remis une fois le travail accompli, que les fiches de service ne sont pas exactes, et que les heures supplémentaires ne sont pas toujours rémunérées. Ces dérives peuvent aussi être considérées comme des violences, au sens large.

Pensez-vous qu'il faudrait demander aux écoles d'intégrer à leurs parcours une formation obligatoire sur le code du travail et les dispositions réglementaires relatives aux VHSS ?

Je voudrais aussi revenir sur la question des chiffres, que nous abordons à chaque réunion de cette commission. Il ne s'agit évidemment pas d'oublier les victimes en se concentrant sur des chiffres déshumanisants. En tant que membre de la délégation aux droits des enfants, il m'arrive fréquemment de mentionner les 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année. Ce chiffre permet de rendre compte de l'ampleur du phénomène, même si nous sommes pleinement conscients qu'une seule victime et une vie brisée sont de trop.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

L'opinion finit par s'habituer à n'importe quel chiffre, aussi élevé fût-il. Il ne faut donc pas oublier de parler de chaque histoire, qui est importante et qui est différente.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

Pour ce qui est de la formation dans les écoles, il manque indéniablement un parcours d'insertion professionnelle dans toutes les écoles dramatiques. Ce parcours existe pourtant dans les écoles supérieures de tous les autres métiers. Il serait donc judicieux d'ouvrir le cursus de première année par une formation sur les VHSS, et de prévoir un rappel au début de chaque année suivante.

S'agissant de la méconnaissance du droit du travail, je dirais qu'elle est propre à notre milieu. Par contraste, les conditions de travail des musiciens classiques sont beaucoup plus encadrées. J'ajoute que la situation est aussi très différente d'un pays à l'autre. Il n'existe quasiment aucune formation au code du travail pour les acteurs. J'ignore ce qu'il en est dans les écoles de réalisation ou de production. Il serait effectivement opportun d'introduire une formation sur cette thématique.

D'ailleurs, les comédiens issus des écoles supérieures ne représentent qu'une fraction des professionnels actifs sur ce marché. Une grande partie des personnes exerçant ce métier ne viennent pas de l'une des treize écoles supérieures d'art dramatique. Elles viennent d'écoles publiques (conservatoires régionaux, départementaux ou municipaux) ou privées, et il faut aussi mener des actions en direction de ces établissements. De fait, les lieux de formation peuvent parfois être à l'origine de certains mécanismes de violence : on y forme des bourreaux, des victimes, mais aussi – et ce point est essentiel – des témoins passifs. C'est d'eux que dépend l'acceptabilité des violences dont il est question ici.

Ces violences sont multiples et diverses. Il peut s'agir d'agressions sexuelles ou d'incitations au viol, mais aussi de coups : certains considèrent qu'il est normal d'asséner des gifles à un acteur.

Nous exerçons un métier, qui suppose une vocation et un engagement, mais aussi des compétences techniques. Traiter ses partenaires avec respect et s'assurer que tous vont bien lors d'une représentation est indispensable. Ceux qui nous incitent à nous faire mal ou à faire mal à nos partenaires sont au mieux des incompétents, et au pire des pervers.

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Alice de Lencquesaing, membre du conseil d'administration de l'ADA

S'il y a peu de reconversions professionnelles dans notre métier, c'est en grande partie à cause du tunnel de la femme de plus de cinquante ans ! Pour pouvoir exercer ce métier, il faut percer avant vingt-cinq ans, comme chez les sportifs de haut niveau.

Pour ce qui est de la diffusion de l'information sur le droit du travail, il me semble que la responsabilité incombe largement aux agences artistiques. Un grand nombre de jeunes actrices et acteurs entrent très tôt chez des agents, sans avoir connaissance de leurs droits et devoirs. À l'époque des imprésarios, des mandats étaient signés entre artistes et agents artistiques. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les contrats sont signés trop tard, sans aucun avenant. J'ignore si vous avez prévu d'auditionner des agences artistiques, mais il me paraît nécessaire d'entendre leur avis à ce propos car ces agences ne respectent pas toujours les dispositions légales. Il leur arrive même d'intimer le silence aux victimes. Ainsi, certaines victimes signalent à leur agent les agressions qu'elles ont subies, et ce dernier leur conseille de ne rien dire.

J'ajoute que notre métier s'exerce dans une temporalité très particulière, très courte et très intense. Pendant les tournages, nous nous retrouvons nombreux pour travailler sur un même projet, concentré sur un bref intervalle de temps et mobilisant des sommes considérables. Dans de telles conditions, il semble inconcevable de pouvoir traiter ce type de problèmes.

Mais une expérience professionnelle se construit sur le long terme. Nous pouvons être amenés à participer à plusieurs projets en l'espace d'une année, et il est donc habituel de revoir plusieurs fois les mêmes personnes au cours de sa carrière.

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Nous avons déjà auditionné les écoles, qui nous ont indiqué que des actions étaient engagées. Nous les avons interrogées sur la mise en place d'un tronc obligatoire concernant les droits et responsabilités des acteurs et des réalisateurs, mais aussi les VHSS.

Mme Lemarchand, j'ai été très sensible à vos propos sur l'omerta dominant le système en place. Vous avez déclaré que ce système était « bien rodé » et organisé pour perdurer ainsi. Pourriez-vous nous décrire le fonctionnement de ce système ? Comment expliquer que ces violences et ces abus puissent se perpétuer ?

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Marie Lemarchand, membre du conseil d'administration de l'ADA

Il y a plusieurs éléments de réponse à votre question.

Vous avez rappelé que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année. Parmi les témoignages que nous recevons, de nombreuses personnes ont été victimes de violences sexuelles dans l'enfance. Nous savons aujourd'hui que les violences subies en tant qu'enfant créent un terrain propice à d'autres violences, car les frontières ne sont pas en place. Il existe un continuum entre la « culture de l'inceste » et la « culture du viol ».

Le cinéma est souvent présenté comme une grande famille. Or, toute famille présente des cas d'omerta et de silence. Le système de l'inceste est régi par la loi du silence.

De ce fait, les victimes se retrouvent dans un environnement dont elles connaissent instinctivement les codes, et ne sont pas en mesure d'identifier les actions relevant de la séduction ou de la prédation. Elles peuvent aussi avoir besoin de se sentir spéciales, différentes et uniques.

Pour comprendre l'ampleur des violences sexuelles dans le milieu du cinéma, et dans la société de manière générale, il faut regarder en face la question de l'inceste, et la pédocriminalité au sens large. D'après moi, pour être en mesure de légiférer sur les violences sexuelles, il faudra commencer par examiner les violences sexuelles sur les enfants.

Quant au parcours des jeunes actrices, il est très souvent lié à une situation de précarité. Une jeune comédienne doit en effet se contenter de journées de tournage très ponctuelles, même s'il peut arriver qu'elle se voie confier des rôles plus importants. C'est pourquoi l'attribution d'un rôle autorise certains comportements de la part de l'agresseur.

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La plupart des agressions dénoncées à votre association ont-elles lieu en dehors du tournage, au moment où la comédienne ou le comédien cherchent un rôle ? La vulnérabilité est-elle plus importante à cet instant ? Ou bien les violences se déroulent-elles tout au long du processus de création du film, y compris pendant la phase de la promotion ?

Nous avons auditionné Noémie Kocher. Elle nous a expliqué que si elle avait eu la force de dénoncer les violences subies, c'est parce qu'elle avait obtenu le rôle souhaité.

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Alice de Lencquesaing, membre du conseil d'administration de l'ADA

Les violences morales et les discriminations d'ordre physique surviennent à toutes les étapes, et plus particulièrement en casting ou en préparation. Il est coutumier de juger des aspects physiques de l'interprète pressentie, de lui demander de mincir ou de lui imposer d'autres exigences.

Les violences sexistes et sexuelles interviennent à toutes les étapes du travail. Noémie Kocher est une victorieuse, et il est précieux d'avoir pu entendre sa parole. Cependant, notre association reçoit aussi de nombreux témoignages d'actrices choisies pour un rôle principal, qui ont supporté des violences en serrant les dents, tout en pensant qu'elles trouveraient peut-être la force de réagir plus tard.

Si ce système est si bien rodé, c'est parce que les agresseurs peuvent continuer d'agir en toute impunité, même si leurs comportements sont connus de tous.

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Marie Lemarchand, membre du conseil d'administration de l'ADA

Plusieurs mois ou années peuvent être nécessaires pour qu'une victime prenne conscience qu'elle a subi une agression sexuelle. Mais le système est aussi conçu de manière à « silencier » la parole de celles et ceux qui sont en capacité de parler. Les producteurs et les agents peuvent leur demander de se taire, pour les besoins du film. Ces comportements sont encore courants, et contribuent à maintenir l'impunité des agresseurs.

S'y ajoute aussi la peur de la précarité : certaines victimes n'osent pas parler par crainte de ne plus pouvoir travailler, et cette menace est tout à fait réelle.

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Comment le silence est-il imposé aux victimes : par des menaces sur la suite de leur carrière, ou d'autres actes plus graves ?

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Alice de Lencquesaing, membre du conseil d'administration de l'ADA

Une réalisatrice ou un réalisateur jouissant d'une grande aura artistique peut être très convaincant, même sans être l'employeuse ou l'employeur. Cette hiérarchie double aggrave les difficultés propres à notre industrie. Aujourd'hui, peu de réalisateurs sont coproducteurs du projet. Ils n'ont donc pas de responsabilité légale envers les actrices ou acteurs, mais exercent pourtant une forte responsabilité morale. D'ailleurs, certains producteurs sont « à la botte » des cinéastes, dont ils excusent toutes les demandes, qu'elles soient légales ou non.

Mais le système est plus pernicieux, car il repose sur des mécanismes sociétaux : toute victime qui s'exprime est exposée à la mise en doute de sa parole, et de nombreux agresseurs restent impunis. Lorsqu'une victime a le courage de parler, ses propos sont souvent minimisés. Bien souvent, les agresseurs possèdent du pouvoir, et leur parole pèse plus que celle de la victime.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Ces propos montrent combien il est important de créer un organe indépendant pour les victimes de VHSS. Il est très délicat d'aller trouver un producteur pour dénoncer des violences, surtout lorsqu'on tient un petit rôle. Cela reviendrait à être juge et partie.

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En réalité, le code du travail est clair, simple et précis sur ce point : l'article L. 4121-1 dispose que l'employeur est le garant de la sécurité et de la santé de l'employé. À ce titre, il porte une grande responsabilité. Or cette disposition est appliquée en dehors de votre secteur. Peut-être conviendrait-il de réfléchir à d'autres mesures, plus adaptées aux spécificités de votre métier : temporalité très resserrée, intimité, concentration d'hommes et de femmes dans le même lieu et le même espace ?

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Si le système actuel ne fonctionne pas, n'y a-t-il pas lieu de le modifier ?

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

Pouvez-vous nous confirmer que les inspecteurs du travail sont un organe indépendant en charge de la protection des personnes, et qu'ils peuvent intervenir dans ce cadre sur des violences sexuelles et sexistes ?

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Certainement. Les inspecteurs du travail ont le pouvoir d'effectuer des contrôles.

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Au fil des auditions, nous constatons que les politiques publiques sont insuffisantes pour garantir la sécurité des actrices et des acteurs et leur permettre de dénoncer les violences subies. J'ai le sentiment que personne n'est prêt à dénoncer des faits à un référent harcèlement lors d'un tournage, car l'impartialité et la capacité d'action de ce référent sont mises en doute. Finalement, il semble plus efficace de se tourner vers des associations comme celles que vous représentez plutôt que d'utiliser des instruments jugés insuffisants ou d'alerter la médecine du travail ou l'inspection du travail.

Vous avez affirmé que bien souvent, les victimes ne sont pas crues lorsqu'elles ont le courage de dénoncer les violences subies. Comment faudrait-il procéder, d'après vous, pour inverser cette tendance ? D'ailleurs, les victimes qui prennent la parole s'exposent aussi au risque de perdre leur travail.

Quel est votre avis sur les politiques mises en œuvre jusqu'à présent ? Quelles seraient vos propositions pour remédier à la situation ? Enfin, d'un point de vue plus philosophique, comment pouvons-nous inverser la tendance ? Les écoles peuvent-elles servir de levier pour former de nouvelles générations d'actrices et d'acteurs prêtes et prêts à secouer le système ?

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Marie Lemarchand, membre du conseil d'administration de l'ADA

Comme vous l'avez rappelé, en tant que comédiennes et comédiens, nous ne sommes pas formés sur ces sujets psychologiques et juridiques. Nous avons dû nous informer seuls. Nous ne prétendons pas être spécialistes de ces questions.

En revanche, nous avons recueilli diverses informations, que nous partageons avec nos collègues. Je pense par exemple à l'existence de la cellule Audiens, au rôle de la CCHSCT, à la possibilité de faire appel aux organisations syndicales et de nous syndiquer, à la présence des référents harcèlement sur les plateaux et des délégués du personnel.

Cependant, étant tous bénévoles, nous ne sommes pas en capacité de prendre en charge l'ensemble de ces responsabilités, qui exigent un travail colossal.

Pour ce qui est des politiques publiques mises en place, elles sont défaillantes, comme dans le reste de la société. Le taux de dossiers classés sans suite s'élève à 86 % pour les violences sexuelles, ce qui est effarant, et atteint 94 % pour les viols. En outre, sur les 6 % de viols jugés, moins de 1 % sont condamnés.

Une proposition de loi intégrale a été formulée récemment. Nous y sommes tout à fait favorables, car nous estimons qu'une réforme de la justice est nécessaire pour une réelle prise en compte des violences sexistes et sexuelles.

J'ai récemment eu l'occasion d'échanger avec un réalisateur et producteur, qui a suivi la formation dispensée par le CNC, mise en place en 2021. Pour bénéficier des aides du CNC, les productrices et producteurs ont l'obligation de suivre une demi-journée de sensibilisation. Celle-ci consiste essentiellement en rappels à la loi sur les risques encourus suite aux violences commises sur les tournages. Ce réalisateur m'a confié qu'il était réticent à l'idée de participer à cette formation, mais qu'il y a appris beaucoup de choses.

Si les employeurs eux-mêmes ne connaissent pas leurs propres obligations, et les conséquences de certains agissements, il paraît difficile de pouvoir agir. C'est pourquoi ces sensibilisations sont très précieuses. À partir de juillet 2024, elles vont être étendues à l'ensemble des équipes de tournage. C'est une décision judicieuse, car tous les professionnels présents sur les plateaux doivent être sensibilisés sur les questions de violences sexistes et sexuelles, de harcèlement et de discrimination.

Au-delà de la prévention et de la sensibilisation, je constate que certains producteurs ne savent pas toujours comme réagir face à ce type d'agissements. Ils n'ont pas toujours défini de protocole. Récemment, une productrice me rapportait qu'une comédienne avait été agressée par un comédien, mais ne souhaitait pas que les faits soient révélés. Or, en tant qu'employeur, cette productrice était dans l'obligation d'agir. Il n'est pas acceptable que le traitement de ces situations soit laissé à l'appréciation de chaque société de production. La loi doit s'appliquer à toutes et tous.

Mais les sociétés de production ne sont pas vraiment des entreprises comme les autres. Les interlocuteurs à contacter en cas de problème sont mal identifiés. À mon sens, un travail doit être mené pour intégrer les spécificités des sociétés de production dans la législation et instaurer un protocole unique pour tous.

En outre, les producteurs ne doivent plus pouvoir s'abriter derrière les dispositions du code pénal, en invoquant la présomption d'innocence. Ce principe demeure évidemment applicable, mais il n'empêche pas les mesures disciplinaires ni les enquêtes internes. Renvoyer le sujet à la justice pénale, c'est faire porter aux victimes la charge de porter plainte, alors qu'il est très éprouvant et long de prendre la parole. Certaines personnes nous rapportent des faits survenus il y a trente ans, et d'autres en viennent à se demander s'il vaut la peine de dénoncer les violences subies. Or, il n'est pas nécessaire qu'une plainte soit déposée pour pouvoir diligenter une enquête interne.

Je constate également que la CCHSCT est très peu connue des comédiennes et comédiens. De mémoire, la victime peut signaler des faits à cette instance dans un délai d'un mois ou un mois et demi. C'est beaucoup trop court, puisqu'il faut parfois plusieurs années pour qu'une victime prenne conscience de la gravité de ce qu'elle a vécu. Il serait donc judicieux de prévoir une information sur l'existence et le rôle de ces structures, et sur la temporalité des procédures.

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Alice de Lencquesaing, membre du conseil d'administration de l'ADA

Des armées conscientes et solides se constituent progressivement dans les écoles, et je m'en réjouis. Cependant, les responsabilités doivent être partagées.

De nombreux outils ont été créés ces dernières années, notamment avec l'aide du collectif 50/50, que vous avez déjà auditionné, mais je n'ai jamais vu le livret blanc ou le guide de prévention imprimé et mis à disposition des personnels sur un plateau de tournage ou dans un bureau de production. Il n'y a pas non plus d'affichage sur les interlocuteurs à contacter en cas de harcèlement ou de violences. Le nom du référent harcèlement est inscrit sur une feuille de service, sachant que ce dernier n'est pas toujours présent physiquement sur le plateau. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il soit possible, pour toute personne travaillant sur un film, d'être en plus référent harcèlement.

Je ne suis pas opposée au fait que ce référent soit payé par la production, puisque ce système fonctionne dans les entreprises des autres secteurs. Mais il doit s'agir d'un poste dédié, et le référent doit avoir la possibilité de relayer l'information à un organe externe – la CCHSCT ou la cellule Audiens. De plus, il est essentiel que ce référent soit formé convenablement.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Comment inverser la tendance ? C'est une vaste question. Nous sommes convaincus que notre code de conduite permettrait d'identifier les comportements inappropriés. Consacrer deux heures à la lecture de ce document, au début d'un tournage, contribuerait à faire changer les mentalités. Il existe certes des pervers, mais certaines personnes sont simplement maladroites, et il est plus facile d'agir sur ces attitudes. Il est primordial d'essayer d'ouvrir cette discussion et de faire évoluer les mentalités.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

J'ajouterai que la formation dans les écoles doit être dispensée dès l'arrivée dans l'établissement, à la fois pour les élèves et pour les professeurs. Certains sont âgés, et n'ont pas toujours conscience que les violences qu'ils ont subies et qu'ils reproduisent ou tolèrent sont illégales.

Il faut aussi expliquer que toutes ces mesures ne visent pas à brider la création, mais à garantir la liberté et la sécurité de tous ceux qui participent à ce travail.

Par ailleurs, les résultats de sondages récents, chez les jeunes hommes en particulier, sont assez inquiétants quant à la conception de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous devons nous attacher à leur montrer que ces mesures peuvent les aider et les protéger eux-mêmes de comportements violents. Car il existe aussi des victimes parmi les jeunes hommes dans les écoles.

S'agissant des effets destructeurs de ces violences sur la carrière des victimes, je me permettrai de rappeler une réalité comptable essentielle : le coût de l'enseignement supérieur en école dramatique est très élevé. Il semble donc inconcevable que la société finance un dispositif éducatif aussi coûteux en sachant que la carrière d'une partie des jeunes acteurs sera brisée par ces violences.

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Marie Lemarchand, membre du conseil d'administration de l'ADA

Sur le plan sociologique, il est nécessaire d'engager une réflexion sur la « culture du viol » dans nos métiers, à savoir une valorisation érotique de la violence. Nous devons aussi combattre l'idée courante selon laquelle un acteur ou une actrice peut tout faire, sans limites. Dans cette « culture du viol », le consentement, mais aussi la sécurité physique et psychique des interprètes, n'ont pas leur place.

Un jeune étudiant arrivant dans une école ne connaît pas bien ses limites et peut tomber sous l'influence d'un enseignant ayant une forte aura, capable de le propulser dans le métier. Il est parfaitement normal de vouloir obtenir des rôles intéressants.

Cependant, il est indispensable d'avoir conscience des limites physiques ou psychiques à ne pas dépasser, à commencer par les actes violents sur soi-même ou sur ses partenaires. Représenter la violence n'implique pas de la subir ou de l'exercer sur d'autres. De même, le fait d'utiliser le vécu traumatique des interprètes pour nourrir leur jeu est une pratique très dangereuse. Cette pénétration de l'intimité psychique d'autres personnes est extrêmement pernicieuse, car elle donne à la victime le sentiment qu'elle a été comprise par un autre dans une zone de vulnérabilité. Ces pratiques, relativement répandues, créent des relations d'emprise et de domination, au point de subjuguer toutes les personnes présentes sur le plateau.

Le respect de l'intimité physique est bien entendu primordial, mais il faut aussi préserver l'intimité émotionnelle. L'une des membres de notre association insistait ainsi sur la différence entre l'intériorité et l'intimité.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

À ce propos, une camarade m'a rapporté s'être présentée à une audition dans laquelle la metteuse en scène avait demandé aux jeunes comédiennes et comédiens d'improviser une scène tirée d'un traumatisme. Cette audition était pourtant subventionnée par un organisme public. À ma connaissance, ce type de situation est rare, mais existe.

Pour ce qui est de la coordination d'intimité, la meilleure métaphore serait celle d'une chorégraphie de combat dans laquelle les acteurs se battraient pour de vrai.

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Merci beaucoup pour vos interventions, qui sont très précieuses pour notre commission d'enquête.

Vous avez pointé les défaillances de la justice. Je partage entièrement cette analyse.

En ce qui concerne les protocoles à mettre en œuvre, les cellules d'écoute et les formations sont en cours de déploiement. Mais le cadre de l'enquête disciplinaire appelle de nombreuses interrogations. Au fil de nos auditions, nous constatons que la désignation de la personne en charge de l'enquête est particulièrement floue. J'ai posé la question à Audiens. Estimez-vous que les enquêtes devraient être réalisées par des organismes extérieurs, ou que des intervenants soient formés pour prendre en charge cette démarche ?

Se pose également la question de la prise de décision : à qui appartient-elle ? Comme vous l'avez rappelé, l'employeur n'a pas besoin d'une décision de justice pour rendre une sanction disciplinaire ou mettre en œuvre des mesures de précaution. L'impunité des agresseurs repose en grande partie sur le fait que la victime ou les témoins ont tout à perdre en dénonçant les violences. Il faut donc que la peur change de camp. Quelles dispositions faut-il prendre pour briser l'impunité et faciliter la dénonciation des violences ?

Vous avez soulevé une autre problématique importante, à savoir la temporalité de l'alerte. Je sais que certains tournages ont mis en place des protocoles de confinement. Est-il envisageable de suspendre le tournage sans causer de préjudice à l'ensemble de l'équipe ? L'objectif serait d'inverser la charge financière de la situation.

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Alice de Lencquesaing, membre du conseil d'administration de l'ADA

Vous avez fait état de protocoles de confinement déployés suite à des enquêtes. À ma connaissance, il n'y a eu qu'une sl mesure de ce type. En l'occurrence, la société de production a agi comme elle a cru bon de le faire, mais s'est retrouvée très démunie. Son témoignage est passionnant à entendre.

Je n'ai jamais eu connaissance des résultats d'une enquête, ni même du lancement d'une enquête.

Il faudrait échanger avec les syndicats de producteurs, qui s'efforcent d'obtenir des compagnies d'assurance une prise en charge des coûts de l'arrêt des tournages en cas d'enquête. Le fait est qu'une journée de tournage est extrêmement coûteuse.

Il faut aussi savoir si l'enquête est demandée directement par l'employeur, ou si les faits ont été relatés à une instance supérieure.

Quant aux actions à mettre en œuvre pour que la peur change de camp et que la dénonciation des faits ne soit plus coûteuse pour la victime, mais pour l'agresseur, il s'agit avant tout de lever l'impunité. J'ai commencé à tourner dans des films mineurs, et je n'ai pas été éduquée à l'écoute ou la circulation de la parole. Aucun agent ne m'a jamais informée de l'existence du code de conduite rédigé par l'AAFA ou du kit de prévention du collectif 50/50. Tout est très nébuleux.

Je note aussi qu'il n'est jamais question d'équipe d'interprètes, alors qu'on parle d'équipe image, d'équipe régie, d'équipe son ou d'équipe mise en scène. Le metteur en scène n'est pas seul : il travaille avec des assistants, un script, qui font partie de son département. À l'inverse, les interprètes ne forment pas une équipe. D'ailleurs, ils sont très peu syndiqués, contrairement aux techniciens.

Autant certains sujets tels que les salaires, les normes de sécurité ou les conditions de travail génèrent des différends entre organisations patronales et représentants des salariés, autant les questions des discriminations et violences sexistes et sexuelles demeurent taboues et vouées au silence. Mais à force, ce silence pèse et les victimes parlent.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Il me semble que si un tournage devait être arrêté en raison de violences, cette situation aurait un effet radical : les producteurs et réalisateurs feraient tout pour éviter un tel scénario. Comme vous le disiez, il faut que la peur change de camp.

À l'occasion d'une table ronde que nous avons organisée, des agents nous ont expliqué que les actrices devaient rester un fantasme dans l'inconscient collectif, un objet séduisant. Il faut savoir qu'un agent protège surtout les comédiens qui lui rapportent le plus d'argent.

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Vous avez cité le cas d'une metteuse en scène ayant demandé aux candidates et candidats, lors d'une audition, de rejouer un traumatisme. Je présume qu'une directrice ou un directeur de casting était également présent. Votre camarade a fait le choix de partir, mais les faits ont-ils été signalés ?

Dans une audition précédente, Noémie Kocher nous a fait part de son expérience. Elle nous a indiqué avoir rédigé un courrier au CNC et un autre au ministère de la culture, pour dénoncer les violences qu'elle avait subies. Or ces courriers sont restés sans réponse. D'autre part, Jean-Claude Brisseau a été condamné, mais cela ne l'a pas empêché de continuer à réaliser des films. Avez-vous connaissance d'autres cas d'acteurs ou de techniciens qui ont dénoncé les agissements de réalisateurs au CNC sans être écoutés ? Faut-il comprendre que les financements publics continuent de profiter à des réalisateurs ou réalisatrices dont les pratiques sont inacceptables ?

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

Dans les auditions de théâtre, la présence d'un directeur de casting est extrêmement rare. En l'occurrence, ma camarade a réagi en racontant l'incident à un ami sur le ton de la plaisanterie, car ces pratiques ne sont pas surprenantes. Il est certain que de nombreux comportements inappropriés ne sont pas rapportés lorsqu'ils sont le fait d'hommes puissants, et les comédiens se passent le mot.

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Marie Lemarchand, membre du conseil d'administration de l'ADA

L'impunité pénale se double d'une impunité sociale. En règle générale, une personne mise en cause, voire condamnée, continue à travailler. Cette impunité sociale est dramatique, car elle montre qu'il est inutile de parler.

Par ailleurs, j'observe qu'il règne une grande confusion entre l'exemplarité et l'impunité. Rien n'empêche de ne pas valoriser des personnes mises en cause, quand bien même les dossiers sont classés sans suite ou se concluent par des non-lieux. Ce ne sont pas des preuves d'innocence, et il vaut la peine de le souligner.

Je confirme que nous devons « nous passer le mot », c'est-à-dire assurer nous-mêmes notre protection, et cette charge est très lourde à porter. En tant qu'association, nous ne savons pas comment agir. Nous accueillons des personnes victimes de violences, parfois très dures. Nous organisons une réunion chaque mois, et nous recevons en moyenne dix témoignages par séance, sans compter ceux qui nous sont rapportés indirectement ou par Instagram.

J'ajoute que dans la plupart des cas, un agresseur s'en prend à plusieurs victimes. Face à ces situations, nous ignorons comment agir. Il faudrait donc envisager de conférer aux associations un statut particulier de lanceur d'alerte. L'absence d'un cadre met en danger physique et psychique les vies d'un nombre considérable de personnes. La proposition de loi intégrale préconise d'ailleurs de prendre en compte la sérialité des violences car les cas isolés sont très rares.

Concernant la protection des interprètes, la coordination d'intimité est une exigence de santé publique, nécessaire pour assurer la protection physique des interprètes mais aussi des équipes techniques. Le rôle de la coordination d'intimité consiste à garantir le consentement de toutes les personnes impliquées dans la fabrication des images. Sans elle, les interprètes peuvent être mis en danger : ils se trouvent livrés à eux-mêmes ou au bon vouloir de la personne dirigeant la scène. En réalité, ces violences sont souvent des violences sexuelles ou des agressions.

Un certain nombre d'actrices nous ont rapporté qu'il était arrivé à plusieurs reprises que leurs parties intimes soient en contact avec celles de leurs partenaires, sans aucune protection.

La coordinatrice d'intimité s'assure du consentement de chacun, examine le scénario pour identifier les scènes nécessitant son intervention et régule les rapports de pouvoir (notamment entre une jeune interprète et un partenaire beaucoup plus âgé). Un beau rôle, la présence de l'équipe de tournage et l'envie de faire plaisir au réalisateur sont autant d'éléments susceptibles d'entraîner une situation traumatisante.

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Nous avons auditionné les coordinatrices d'intimité. De notre point de vue, il serait souhaitable de rendre leur présence obligatoire à chaque scène de nudité. Seriez-vous favorables à cette proposition ?

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Alice de Lencquesaing, membre du conseil d'administration de l'ADA

Je voudrais préciser que nous ne sommes pas toutes et tous d'accord sur le fait de rendre cette disposition obligatoire. En outre, certaines scènes ne sont pas écrites ni pensées comme des scènes d'intimité. C'est pourquoi la coordination d'intimité doit intervenir bien en amont de la préparation du tournage, sur le modèle des dépouillements pour la décoration ou la figuration.

Nous considérons que la coordination d'intimité a une réelle valeur ajoutée sur le plan artistique : elle valorise la réflexion et le travail artistique de la fabrication d'un objet.

D'après moi, la coordination d'intimité ne doit pas être rendue obligatoire, mais doit être obligatoirement proposée. Libre aux équipes d'estimer si elle est nécessaire ou pas. Le simple fait de savoir qu'une coordinatrice d'intimité est présente sur un tournage donne à chacun le sentiment que sa parole sera mieux prise en compte, si le besoin se présente.

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Nous avons bien compris le cercle vicieux qui est en place : en tant que victime, vous préférez ne pas dénoncer les violences subies, car vous devez continuer à travailler.

Dans la fonction publique, l'article 40 du code de procédure pénale oblige une autorité constituée à signaler au procureur de la République des faits inappropriés qui lui ont été rapportés. Quelles mesures pouvons-nous envisager pour protéger les victimes, qui prennent des risques en dénonçant leur agresseur ?

Vous avez proposé de conférer un statut particulier aux associations, pour leur permettre de dénoncer ces agissements. Qu'en pensez-vous ?

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Alice de Lencquesaing, membre du conseil d'administration de l'ADA

Les victimes ont besoin de pouvoir s'adresser à des alliés, qui soient des personnalités humaines.

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Estelle Simon, co-présidente de l'AAFA

Sur ce point, je pense qu'il faudrait aussi que nous puissions bénéficier de formations. Recueillir la parole s'apprend, mais c'est aussi très lourd sur le plan psychologique. D'ailleurs, les deux premiers coréférents qui ont créé la commission AAFA Soutien ont éprouvé le besoin d'une pause, tant leur charge était lourde à porter.

Il est certain que les comédiennes sont plus enclines à s'exprimer auprès de collègues exerçant le même métier.

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Vous avez parlé de formation à l'écoute. Je mentionnerai aussi l'importance de la supervision : les écoutantes doivent disposer d'un lieu pour faire un point sur leur propre situation avant de se trouver en difficulté.

S'il est précieux de recueillir la parole des victimes, il faut aussi pouvoir engager des actions concrètes. Bien souvent, les victimes sont réticentes à l'idée de saisir la justice. Dans ces conditions, il paraît difficile de prendre la responsabilité de déclencher l'article 40 du code de procédure pénale. Ce sujet est d'autant plus délicat que ces personnes ont déjà vu leur consentement bafoué.

Pour contourner cet obstacle, certains proposent d'instaurer des procédures internes permettant de signaler des faits et de prendre des mesures de précaution sans forcément engager d'action en justice. Ainsi, une enquête interne peut être lancée, de manière à recueillir des témoignages et à lancer des actions. À mon sens, il appartient au CNC de se doter de dispositifs de ce type.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

Jusqu'à présent, nous n'avons pas encore étudié la question du financement de la supervision, mais nous commençons à y réfléchir. Nous construisons des partenariats et nous efforçons de répartir le travail d'écoute, mais il est évident que les personnes écoutant une victime qui prend la parole pour la première fois ne peuvent pas renvoyer celle-ci à un autre écoutant.

Les dispositifs légaux et associatifs sont complémentaires. Certaines personnes préfèrent s'adresser à une autorité officielle reconnue, tandis que d'autres font plus facilement confiance à une association de la société civile.

Pour ce qui est du coût, il me semble judicieux de recruter des personnes parmi les associations qui ont déjà formé des intervenants et développé une expertise sur ces actions. C'est une bonne solution pour limiter les coûts de formation. Les coûts de recueil des témoignages sont certes élevés, mais ils restent inférieurs à ceux qu'il faudrait supporter si rien n'était fait. J'en suis convaincu.

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Alice de Lencquesaing, membre du conseil d'administration de l'ADA

Si la parole circule beaucoup, elle se heurte à des obstacles administratifs, de sorte que fréquemment, les signalements effectués ne font l'objet d'aucun retour.

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Marie Lemarchand, membre du conseil d'administration de l'ADA

J'aurais du mal à répondre à votre question sur le statut, car je n'en maîtrise pas tous les tenants et aboutissants. J'ignore si le statut d'autorité constituée est envisageable. Se pose aussi, comme vous l'expliquiez, la difficulté du consentement des personnes concernées. Mais pouvons-nous accepter de prendre le risque que d'autres vies soient mises en danger ?

Nous ne sommes pas des professionnelles du recueil de la parole, et je ne crois pas que nous ayons vocation à l'être. Nous nous attachons donc à rediriger au mieux les personnes écoutées vers des structures spécialisées, vers des associations telles que le Collectif féministe contre le viol (CFCV) ou vers Audiens.

Le coût de la prise en charge est extrêmement élevé pour les victimes : quand bien même celles-ci ne seraient pas blacklistées, elles ne sont pas toujours en mesure d'aller travailler. La procédure pénale est aussi coûteuse, exige beaucoup de temps et peut durer plusieurs années. Sur le plan psychologique, elle est très éprouvante.

Le fait de rencontrer d'autres victimes du même agresseur donne beaucoup de force et permet de se constituer partie civile contre le même individu. Mais ces solutions restent à la charge des victimes.

Il est urgent de légiférer sur ces questions.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

Nous n'avons pas encore abordé les discriminations liées à l'isolement géographique. Je pense ici davantage au milieu du théâtre qu'au cinéma.

Les scènes de théâtre conventionnées et les scènes nationales sont parfois situées dans des lieux isolés, où le fait de prendre la parole conduit à se priver de son unique employeur potentiel sur le territoire concerné. Dans ces lieux isolés, il peut être nécessaire d'effectuer un long trajet à ses propres frais pour pouvoir témoigner en direct. Cette problématique m'a été relatée par une écoutante. La situation reste donc plus facile dans les grandes agglomérations. Je tenais à mettre en avant cette difficulté supplémentaire, à la demande de cette personne.

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Alice de Lencquesaing, membre du conseil d'administration de l'ADA

En tant qu'interprètes, nous rencontrons régulièrement la médecine du travail. Nous pensons qu'il faudrait prévoir, lors de ces entretiens médicaux, des questions plus précises et systématiques sur les violences physiques et psychologiques et les discriminations.

Il faut savoir que les interprètes dans le cinéma et l'audiovisuel, au-delà de trois jours de travail consécutifs, sont reçus par un médecin des assurances, qui est presque toujours la même personne. Ces consultations sont très rapides, et se limitent à valider les aptitudes physiques et psychiques de l'interprète, afin qu'il soit couvert en cas d'accident. De notre point de vue, les médecins des assurances devraient être associés aux mesures de libération de la parole.

Par ailleurs, je voudrais appeler votre attention sur les violences auxquelles sont exposées les personnes de l'habillage, du maquillage et de la coiffure. Elles commencent leur travail très tôt, parfois avant l'arrivée des équipes, dans des lieux clos. Elles sont souvent en face à face avec des interprètes, et se trouvent très exposées aux violences.

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Elrik Lepercq, co-président de l'AAFA

Il serait aussi judicieux d'entendre les syndicats des cascadeurs et cascadeuses.

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Marie Lemarchand, membre du conseil d'administration de l'ADA

Il existe une pratique consistant à extraire des images d'actrices nues dans les films et à les mettre en ligne sur les sites internet. Nous avons très peu de moyens d'action pour mettre fin à ces agissements.

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Il existe des dispositions réglementaires sur l'extorsion et l'utilisation des nus, et elles ont d'ailleurs évolué récemment.

En conclusion, je vous remercie pour vos témoignages. Merci également pour votre implication et votre énergie dans ce travail associatif. Merci pour toutes les victimes et pour tous les autres. Votre travail est très précieux.

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Je voudrais vous remercier à mon tour. Votre vision est importante, de même que vos témoignages sur l'expérience des actrices et des artistes. Nous entendons aussi que d'autres métiers sont très exposés, du fait de l'amplitude horaire ou de la coactivité dans des lieux clos. Nous avons aussi été alertés sur le déroulement des repas.

La séance s'achève à dix-neuf heures trente.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Sarah Legrain, Mme Graziella Melchior, Mme Francesca Pasquini, M. Emeric Salmon, Mme Juliette Vilgrain

Excusé. – M. François Cormier-Bouligeon