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Intervention de Marie Lemarchand

Réunion du jeudi 30 mai 2024 à 15h00
Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Marie Lemarchand, membre du conseil d'administration de l'ADA :

Merci de nous recevoir, même si nous aurions préféré ne pas avoir besoin d'être présentes ici.

Ce matin même, j'ai reçu un appel concernant une demande de mise en relation avec une comédienne qui a été violée par un réalisateur. Nous recevons quasi quotidiennement des messages de ce type, qui sont aussi à l'origine de la création de l'ADA.

Comme l'a rappelé Iris Brey ici même, l'ADA a été constituée autour des questions de représentation et de tournage des scènes d'intimité parce que de nombreuses comédiennes se trouvent en danger sur les plateaux. Il est urgent de remédier à cette situation.

Les comédiennes ont commencé à parler de leur expérience, ce qui constitue en soi un acte très fort. En effet, quelle que soit notre génération, nous avons appris à nous méfier les unes des autres, voire à nous détester. Ce phénomène de mise en concurrence nous isole, de sorte que nous ignorons que d'autres ont pu subir ce que nous avons nous-mêmes vécu : harcèlement, agressions sexuelles, viol, viol aggravé… Cette omerta est extrêmement puissante. C'est pourquoi le simple fait de se parler est à la fois douloureux et jovial, car cela nous aide à reprendre du pouvoir sur nos propres vies, sur notre métier et sur le lien qui nous unit. Ces questions traversent notre métier et les différentes filières qui le composent.

Grâce à ce lien, nous sommes beaucoup plus fortes, ensemble. L'une de nous disait récemment : « Si l'on passe autant de temps à nous diviser, c'est parce qu'ensemble, nous sommes plus fortes ». En nous parlant, nous comprenons mieux les mécanismes en action, qui font partie d'un système bien rodé, dans lequel la concurrence est sciemment organisée et entretenue précisément pour que ces abus puissent se perpétuer.

La création de notre association a été motivée par le besoin de se réapproprier nos corps, nos récits, notre métier, nos vies, et d'interroger les rapports de pouvoir, les conditions de travail, la verticalité – ce système pyramidal dans lequel, jusqu'à présent, nous avions très peu notre mot à dire.

Ces réunions entre actrices ont débuté à la fin de l'année 2021. En mai 2022 a été publiée une tribune dénonçant ces violences, ainsi que les discriminations, au sein de notre industrie. Cette tribune affirmait que « le cinéma français a intégré un système dysfonctionnel qui broie et anéantit depuis des générations ». Elle a trouvé un écho chez nombre d'actrices qui avaient subi silencieusement des violences et qui ont rejoint l'association.

Aujourd'hui, nous sommes entre soixante-quinze et quatre-vingts membres au sein de l'ADA. Le conseil d'administration, qui fonctionne de manière horizontale, compte dix-sept membres.

Face au nombre, à l'ampleur et à la gravité des récits, nous ne pouvons absolument pas considérer que les faits évoqués relèvent d'un autre monde ou d'un autre temps. Il s'agit de situations récurrentes et répétées, et c'est pourquoi nous nous comprenons les unes les autres.

Les victimes n'ont pas d'âge, les agresseurs non plus. Les violences sont de nature différente : sexiste, sexuelle, raciste, homophobe, transphobe… Elles sont aussi liées au physique, à l'âge, à l'état de santé, à la classe sociale, et peuvent être d'ordre économique.

À l'ADA, nous avons commencé par créer un espace de parole, pour sortir de l'isolement mais aussi de la honte, et pour s'allier de manière à faire front. À côté de cet espace de dialogue, pensé comme un rempart, nous avons voulu ouvrir un espace de questionnement sur les représentations : qui est représenté, et comment ? Qui n'est pas représenté ?

Nous estimons que les représentations livrées ne peuvent pas être dissociées de leurs conditions de production : l'œuvre de fiction ne peut pas être séparée de ses conditions de fabrication.

Cet espace de parole et de sécurité est confidentiel, et non mixte. C'est aussi un espace de réflexions interprofessionnelles. Nous travaillons avec d'autres professionnels du secteur : réalisateurs, directeurs de casting, scénaristes, etc. Nous sommes aussi en dialogue avec les institutions.

Cet espace a aussi une vocation de politisation et de professionnalisation, pour rappeler que nous exerçons un métier. Cette réalité est beaucoup trop souvent oubliée, y compris par nous-mêmes. Nous nous sommes donc syndiquées, car notre méconnaissance du droit du travail nous est extrêmement préjudiciable et nous rend très vulnérables. De manière générale, le droit du travail est facilement laissé de côté dans notre profession.

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