Comme vous l'avez rappelé, en tant que comédiennes et comédiens, nous ne sommes pas formés sur ces sujets psychologiques et juridiques. Nous avons dû nous informer seuls. Nous ne prétendons pas être spécialistes de ces questions.
En revanche, nous avons recueilli diverses informations, que nous partageons avec nos collègues. Je pense par exemple à l'existence de la cellule Audiens, au rôle de la CCHSCT, à la possibilité de faire appel aux organisations syndicales et de nous syndiquer, à la présence des référents harcèlement sur les plateaux et des délégués du personnel.
Cependant, étant tous bénévoles, nous ne sommes pas en capacité de prendre en charge l'ensemble de ces responsabilités, qui exigent un travail colossal.
Pour ce qui est des politiques publiques mises en place, elles sont défaillantes, comme dans le reste de la société. Le taux de dossiers classés sans suite s'élève à 86 % pour les violences sexuelles, ce qui est effarant, et atteint 94 % pour les viols. En outre, sur les 6 % de viols jugés, moins de 1 % sont condamnés.
Une proposition de loi intégrale a été formulée récemment. Nous y sommes tout à fait favorables, car nous estimons qu'une réforme de la justice est nécessaire pour une réelle prise en compte des violences sexistes et sexuelles.
J'ai récemment eu l'occasion d'échanger avec un réalisateur et producteur, qui a suivi la formation dispensée par le CNC, mise en place en 2021. Pour bénéficier des aides du CNC, les productrices et producteurs ont l'obligation de suivre une demi-journée de sensibilisation. Celle-ci consiste essentiellement en rappels à la loi sur les risques encourus suite aux violences commises sur les tournages. Ce réalisateur m'a confié qu'il était réticent à l'idée de participer à cette formation, mais qu'il y a appris beaucoup de choses.
Si les employeurs eux-mêmes ne connaissent pas leurs propres obligations, et les conséquences de certains agissements, il paraît difficile de pouvoir agir. C'est pourquoi ces sensibilisations sont très précieuses. À partir de juillet 2024, elles vont être étendues à l'ensemble des équipes de tournage. C'est une décision judicieuse, car tous les professionnels présents sur les plateaux doivent être sensibilisés sur les questions de violences sexistes et sexuelles, de harcèlement et de discrimination.
Au-delà de la prévention et de la sensibilisation, je constate que certains producteurs ne savent pas toujours comme réagir face à ce type d'agissements. Ils n'ont pas toujours défini de protocole. Récemment, une productrice me rapportait qu'une comédienne avait été agressée par un comédien, mais ne souhaitait pas que les faits soient révélés. Or, en tant qu'employeur, cette productrice était dans l'obligation d'agir. Il n'est pas acceptable que le traitement de ces situations soit laissé à l'appréciation de chaque société de production. La loi doit s'appliquer à toutes et tous.
Mais les sociétés de production ne sont pas vraiment des entreprises comme les autres. Les interlocuteurs à contacter en cas de problème sont mal identifiés. À mon sens, un travail doit être mené pour intégrer les spécificités des sociétés de production dans la législation et instaurer un protocole unique pour tous.
En outre, les producteurs ne doivent plus pouvoir s'abriter derrière les dispositions du code pénal, en invoquant la présomption d'innocence. Ce principe demeure évidemment applicable, mais il n'empêche pas les mesures disciplinaires ni les enquêtes internes. Renvoyer le sujet à la justice pénale, c'est faire porter aux victimes la charge de porter plainte, alors qu'il est très éprouvant et long de prendre la parole. Certaines personnes nous rapportent des faits survenus il y a trente ans, et d'autres en viennent à se demander s'il vaut la peine de dénoncer les violences subies. Or, il n'est pas nécessaire qu'une plainte soit déposée pour pouvoir diligenter une enquête interne.
Je constate également que la CCHSCT est très peu connue des comédiennes et comédiens. De mémoire, la victime peut signaler des faits à cette instance dans un délai d'un mois ou un mois et demi. C'est beaucoup trop court, puisqu'il faut parfois plusieurs années pour qu'une victime prenne conscience de la gravité de ce qu'elle a vécu. Il serait donc judicieux de prévoir une information sur l'existence et le rôle de ces structures, et sur la temporalité des procédures.