C'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui. C'est également une forme de victoire, une reconnaissance de ce que j'ai vécu. Je souhaite vous lire une phrase prononcée par Jean-Claude Brisseau lors de son procès, le 3 novembre 2005 : « Je suis conscient d'avoir fait beaucoup de mal et je regrette toute cette souffrance. C'est le cinéma, quelque part, qui veut ça ». Notre avocate a rétorqué : « L'art n'est pas dérogatoire aux dispositions du code pénal ». J'ai porté plainte contre Jean-Claude Brisseau en juin 2001 pour harcèlement sexuel et escroquerie. Nous étions deux plaignantes. Le chef d'escroquerie a été utilisé par notre avocate, Maître Claire Doubliez, pour attirer l'attention du doyen des juges sur notre plainte, car nous cumulions tous les tabous. Aujourd'hui, elle porterait plainte pour harcèlement sexuel et agression sexuelle.
En 2003, deux autres plaignantes nous ont rejointes. La procédure a duré quatre ans et demi. Rien ne nous a été épargné, ni la médiatisation violente et brutale en faveur de notre agresseur, soutenue par une certaine presse, ni la pétition du monde du cinéma. Malgré cela, Jean-Claude Brisseau a été condamné pour harcèlement sexuel en 2005, sur ma personne et celle de ma co-plaignante. Les deux autres plaignantes ont été déboutées. L'une d'elles, Julie Quéré, a eu le courage de faire appel de cette décision. Jean-Claude Brisseau a été condamné en 2006 au tribunal civil pour agression sexuelle.
J'éprouve une infinie reconnaissance envers la justice, malgré la violence inhérente à une telle procédure. Dans les années 2000, la société n'était absolument pas prête à nous écouter. Pourtant, la justice nous a entendues. Aujourd'hui, à la lumière de tout ce que nous découvrons sur l'ampleur du phénomène des violences sexuelles et le faible nombre de condamnations en la matière - en 2020, 94 % des plaintes pour viol ont été classées sans suite - je réalise que cette condamnation relève presque du miracle. Est-ce parce que notre avocate a, pour la première fois, démontré à une cour ce qu'est le phénomène d'emprise, cette violence silencieuse dont on ne parlait absolument pas à l'époque ? Est-ce parce lié à notre juge, Madame Corinne Goetzmann, qui allait d'ailleurs devenir une grande juge ? Est-ce parce que les gendarmes, notamment un gendarme dont le nom m'échappe malheureusement, ont mené une enquête longue, minutieuse et approfondie, dévoilant un véritable système de prédation ? Peut-être étions-nous tout simplement crédibles, nous quatre, les plaignantes, ainsi que les 17 femmes et jeunes femmes qui ont accepté de témoigner dans cette affaire et que j'ai contactées une à une. Étions-nous crédibles parce que nous racontions toutes la même chose ? Ce que je sais, c'est qu'un combat en justice demande une énergie folle. Je crois avoir atteint mes limites. Cela n'aurait pas été possible sans le soutien et l'entourage de mes proches, de mes amis et de ma famille. Après 2005, j'ai enfoui cette histoire, refusant d'en parler, par honte. Il aura fallu attendre 2017 avec l'affaire Weinstein puis 2019 avec la prise de parole courageuse et très solitaire d'Adèle Haenel, et maintenant cette vague de témoignages depuis décembre 2023-2024, incluant celui de Judith Godrèche. Il aura fallu tout ce temps pour que je prenne conscience de l'importance de notre action, pour que je ne craigne plus de m'exprimer devant la presse ou devant vous, sans crainte de voir ma parole décrédibilisée ou niée. Il aura fallu 23 ans pour que je me reconstruise.
Ce que nous avons vécu, je l'ai qualifié de « triple peine ». La première peine, ce sont les violences sexuelles elles-mêmes. La seconde peine, c'est la violence générée par la procédure judiciaire. La troisième peine, c'est le traitement médiatique de notre affaire. Je ne souhaite à personne cette triple peine. Il est grand temps que notre société change et cesse de broyer les corps des femmes, des enfants et des hommes en toute impunité.