La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.
Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition de Mme Alice Grunenwald, présidente de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), première vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants au tribunal pour enfants de Saint-Étienne, et de Mme Muriel Eglin, vice-présidente de l'AFMJF, présidente du tribunal pour enfants de Bobigny
Nous accueillons l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), représentée par sa présidente, Mme Alice Grunenwald, également première vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants au tribunal pour enfants de Saint-Étienne, et Mme Muriel Eglin, vice-présidente de l'AFMJF et présidente du tribunal pour enfants de Bobigny. Merci à vous, Mesdames, d'avoir accepté notre invitation.
Nous avons de nombreuses questions à vous poser, notamment sur l'échec de la déjudiciarisation des mesures de protection de l'enfance, l'exécution des décisions de justice, la place de l'enfant dans la procédure et la désignation d'office par le juge d'un avocat pour l'enfant capable de discernement, une mesure que votre association avait proposée il y a près de trois ans. Si vous en êtes d'accord, je vous propose de commencer par une intervention liminaire d'environ quinze minutes, ce qui nous permettra ensuite d'engager un échange avec la rapporteure et les députés présents.
Avant de vous laisser la parole, je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le site internet de l'Assemblée nationale. En outre, en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire : « Je le jure ».
(Mmes Alice Grunenwald et Muriel Eglin prêtent serment.)
L'AFMJF est représentative de la profession de juge des enfants. Notre double compétence, civile pour l'enfance en danger et pénale pour l'enfance délinquante, est essentielle. Les juges des enfants occupent une place particulière, entre prise en charge individuelle et participation à la définition de la politique publique de protection de l'enfance, tant au niveau local que national.
Nous avons structuré nos propos liminaires en deux parties, constats et propositions. Un premier constat est que le secteur de la protection de l'enfance est en crise, avec une perte de sens du travail effectué pour les travailleurs sociaux, des problèmes de recrutement, une valorisation insuffisante de la profession, une formation continue parfois inadéquate. Il y a aussi un manque criant de moyens, avec des mesures en attente d'exécution pendant de longs mois, que nous avons souvent dénoncées et qui contribuent à la dégradation des situations. Par exemple, une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) non mise en place peut conduire à un placement. Le placement peut également être lié à l'absence de mise en place d'autres mesures de prévention. Il y a aussi des placements non exécutés qui peuvent entraîner des drames. Le manque de moyens conduit également à des prises en charge inadaptées. Vous avez récemment visité une pouponnière et constaté les effets de ce manque de moyens, qui décourage les professionnels.
Je souhaite aborder un second constat, relatif au développement de l'intérim et à la difficulté à trouver des professionnels qualifiés dans le travail social. Cette situation entraîne des sous-effectifs dans les services de protection de l'enfance, tant dans les lieux de placement que pour les mesures en milieu ouvert. Elle augmente également considérablement les coûts de la protection de l'enfance, car les budgets des associations et des conseils départementaux sont absorbés par ces dépenses. Cela dégrade la qualité des prises en charge et l'investissement des professionnels. En effet, lorsque les deux tiers de l'équipe sont des intérimaires présents pour une semaine, un mois ou de manière intermittente, il n'y a plus d'esprit d'équipe. La stabilité de cette dernière, ainsi que la cohérence et la continuité de la prise en charge des enfants sont alors mises à mal – par exemple, lorsqu'un enfant résidant dans un établissement ne sait pas qui sera là pour le petit-déjeuner le lendemain matin. Cette situation peut plus facilement conduire à des maltraitances, notamment en période de tensions. Si aucun lien n'a été créé dans des moments positifs et continus, la violence devient une issue plus probable. Dans certaines structures, on passe même du travail éducatif à une forme de gardiennage des enfants en raison de la succession des professionnels. Même formés initialement, l'absence de sentiment de destin commun au sein d'un service affecte la qualité de la prise en charge et la manière dont les enfants se sentent regardés, accompagnés et soutenus. Nous constatons également une multiplication des situations de danger au sein des structures de protection de l'enfance. Les prises en charge d'enfants dans le cadre du placement ne répondent pas à leurs besoins, et les ruptures dans les parcours des enfants confiés sont fréquentes et multiples. En période de crise, si l'équipe n'est pas suffisamment solide, cela aboutit à des demandes de mainlevée et de réorientation. Ces réorientations successives engendrent des troubles de l'attachement chez les enfants et les adolescents, qui font écho aux troubles de l'attachement constitués durant l'enfance. La situation est assez dramatique.
Nous constatons aussi que la protection de l'enfance se trouve actuellement prise en étau entre divers phénomènes. Nous sommes peut-être dans une phase de transition avec des éléments positifs, mais cela entraîne un degré d'exigence plus élevé auquel nous ne pouvons pas toujours répondre. Par exemple, nous avons amélioré le repérage des situations de maltraitance. Des progrès significatifs ont été réalisés, y compris dans les établissements, avec une meilleure prise en compte des informations préoccupantes et le développement d'outils d'inspection dans certains conseils départementaux, bien que cela ne soit pas généralisé. La tolérance à la violence des familles contre les enfants a également diminué, ce qui est très positif.
Cependant, nous observons une aggravation des situations due à un rétrécissement des actions de prévention, notamment de la prévention spécialisée. Les normes de prise en charge deviennent plus exigeantes, tout comme les exigences de reddition de comptes, nécessitant davantage de professionnels pour les mêmes mesures. Bien que les budgets augmentent, ils ne sont pas toujours à la hauteur des besoins constatés. Les services de l'État ne répondent pas toujours aux besoins des enfants, notamment en matière d'éducation et de santé. Confronté à un degré d'exigence accru, des budgets insuffisants et des normes de prise en charge plus importantes, le système se retrouve étranglé. Dans nos tribunaux, nous constatons que la protection de l'enfance est parfois la solution de dernier recours, tentant de résoudre toutes les difficultés résultant des défauts de prise en charge antérieurs. Un bon exemple de ce phénomène est la question du handicap, notamment concernant les enfants dont les familles ne bénéficient d'aucune aide. Ces familles ne disposent d'aucun répit ni soutien, ce qui les épuise considérablement. Cette fatigue extrême peut conduire à des situations de maltraitance réelle, avec des blessures graves, non seulement pour les enfants en situation de handicap, mais aussi pour leurs frères et sœurs. Cela résulte d'un manque d'intervention précoce.
Le déficit de moyens dans les domaines de la prévention, de la santé, du handicap et du logement est flagrant. Travaillant en Seine-Saint-Denis, je constate quotidiennement les effets de la surpopulation, du mal-logement et de l'absence de logement. Les carences sont également notables au sein de l'éducation nationale. De plus, les dysfonctionnements dans la gestion des conflits parentaux sont préoccupants. Les délais d'attente pour obtenir un rendez-vous auprès du juge aux affaires familiales sont longs, ce qui aggrave les situations. Les couples en conflit ne peuvent pas se séparer correctement, et les mesures que le juge aux affaires familiales peut ordonner sont insuffisantes. Ces insuffisances conduisent à une dégradation des situations, mettant les enfants en danger. Les conflits peuvent dégénérer en l'absence de médiation familiale ou de visites médiatisées. Cela entraîne des ruptures familiales ou des visites inadaptées au contexte dans lequel évoluent les enfants. Ainsi, il devient impossible de soutenir une parentalité fragile, par exemple celle d'un père, ce qui enracine un certain nombre de difficultés.
Un autre point concerne les pratiques professionnelles et les réformes, notamment les grandes lois de protection de l'enfance récemment votées. Ces lois apportent des changements significatifs, mais les pratiques professionnelles peinent à évoluer en conséquence. On observe que certaines dispositions ne sont pas ou peu appliquées. Le rapport du Sénat de juillet 2023 l'a bien décrit, notamment en ce qui concerne l'hyperjudiciarisation. Ce point mérite une attention particulière, car il touche au respect des droits des parents et des enfants dans leurs relations avec l'aide sociale à l'enfance (ASE). Les droits des usagers sont souvent négligés et il existe un manque criant de lieux d'accueil pour réunir les fratries, malgré quelques progrès réalisés, notamment avec les villages d'enfants et certains départements. Cependant, dans certains départements, l'offre d'accueil pour réunir les fratries reste très déficitaire. La culture de la réunion des fratries n'est pas suffisamment ancrée. Il y a eu une époque où l'on pensait qu'il valait mieux les séparer, bien que cette idée soit en train de changer. La culture du placement est très forte en France, avec une prédominance institutionnelle et un développement limité du recours au tiers digne de confiance. Les moyens alloués à l'accueil en milieu ouvert sont largement inférieurs à ceux du placement, créant un décalage important. La transition pour adapter le statut de l'enfant est également difficile.
Récemment, on a constaté une forte augmentation des placements précoces, sans parvenir à stabiliser les parcours des enfants. Cela empêche leur retour éventuel au sein de leur famille d'origine ou élargie par le biais de tiers dignes de confiance, ou de trouver une famille de substitution qui pourrait les accompagner tout au long de leur vie, y compris à l'âge adulte. Cette difficulté est particulièrement marquée pour les sortants de l'ASE. Nous alertons sur l'augmentation significative des placements précoces et la nécessité de formuler des propositions pour faire évoluer cette situation. Cette tendance conduit en effet à un isolement et à une précarité des jeunes sortants de l'ASE, créant parfois une forme de double peine. En effet, il n'est pas rare que ces jeunes aient été placés dès leur naissance. Par exemple, à 18 ans, après un parcours difficile au sein de l'ASE, une jeune femme enceinte peut être considérée à risque, entraînant le placement de son enfant. Cette situation est encore extrêmement fréquente et suscite une grande inquiétude.
Le climat de défiance entre les différents acteurs, notamment entre la justice et les départements, ainsi qu'entre les parents et les services du département, peut également poser problème. Bien que ce climat ne soit pas systématique, il peut entraver la co-construction nécessaire à tous les niveaux, entre parents et services, ainsi qu'entre services et justice. Il est essentiel de favoriser cette co-construction. Par ailleurs, la place du juge des enfants au sein du dispositif mérite d'être interrogée. C'est d'ailleurs le thème du colloque de l'AFMJF qui se tiendra demain. Il est crucial de définir clairement l'office du juge dans un dispositif qui a beaucoup évolué avec les différentes lois récentes.
Nous évoluons dans un système décentralisé qui, non pas en raison de la décentralisation elle-même, mais en raison de la manière dont elle est parfois mise en œuvre, engendre une véritable inégalité de traitement des enfants et des familles sur les territoires. Les dispositifs prévus par la loi ne sont pas tous appliqués ou le sont dans des conditions très disparates. L'État régule peu les disparités territoriales, sans même sanctionner l'absence de mise en place de dispositifs ou l'inexécution de missions. La question des mineurs non accompagnés constitue souvent une pomme de discorde entre l'État et les départements. Une part importante de jeunes se déclarent mineurs pour bénéficier d'un accompagnement, ce qui découle notamment de l'absence de prise en charge des jeunes majeurs migrants. Si nous assurions une prise en charge des jeunes majeurs, nous aurions moins de jeunes cherchant à bénéficier d'une prise en charge en tant que mineurs. Les inégalités sont parfois flagrantes concernant les prix de journée, les refus d'exécution de décisions ou l'inadéquation des outils d'évaluation, malgré le renforcement des exigences en la matière par la loi du 14 mars 2016. Nous observons parfois une souffrance généralisée des familles, des enfants, des travailleurs sociaux, des cadres de la protection de l'enfance et des magistrats. Lorsqu'on a un an de délai de mise en œuvre des mesures éducatives prononcées, cela complique la réflexion collective sur notre système.
Malgré ce constat alarmant, il est indéniable que la protection de l'enfance demeure un vivier de pratiques innovantes. Vous en avez certainement entendu parler aujourd'hui. De nombreuses associations et départements portent des projets novateurs et fédérateurs qui fonctionnent et apportent du sens. La perte totale de sens n'est donc pas une fatalité. On peut citer la démarche prospective sur la protection de l'enfance à l'horizon 2035, les conférences des familles, les villages d'enfants, certains fonctionnements de centres parentaux très innovants, ainsi que les dispositifs de parrainage. La grande majorité des professionnels restent mobilisés et dévoués pour permettre aux dispositifs de fonctionner. Cependant, nous restons très inquiets quant à la pérennité de ce système en souffrance.
Vu le temps restant pour nos propos liminaires, je vais vous indiquer nos onze propositions sans les développer en détail.
La première urgence concerne la revalorisation du travail social et la mise en place d'une politique de recrutement accompagnée de moyens supplémentaires pour faire face à la crise actuelle.
La deuxième proposition porte sur les mécanismes d'évaluation et de contrôle du respect des lois, de la qualité de l'accompagnement en protection de l'enfance et du respect des droits fondamentaux de l'enfant et de sa famille.
La troisième proposition vise le développement massif de la prévention et des moyens alloués aux AEMO, afin que le placement ne soit plus ordonné en raison de la précarité, de la pauvreté ou de la défaillance d'autres politiques publiques.
Ensuite, nous devons passer d'une logique de suppléance à une logique de co-construction avec les familles et les enfants, dans le respect de l'autorité parentale et des droits de chacun, afin d'adapter l'aide aux besoins effectifs des enfants et des familles.
La cinquième proposition consiste à garantir le respect du recours prioritaire à la famille élargie comme première protectrice de l'enfant après les parents.
La sixième proposition vise à prévenir les placements précoces par un soutien massif de la parentalité et des lieux d'accueil adaptés, tels que les lieux d'accueil parent-enfant et les accueils de jour.
La septième proposition est de développer des outils d'évaluation précis des compétences parentales. Il est essentiel de disposer des ressources nécessaires afin de repérer plus rapidement et plus tôt les enfants pour lesquels une suppléance durable doit être organisée. Il est également important de favoriser, et peut-être de manière plus rapide, le maintien ou le retour de ces enfants au sein de leur famille.
La huitième proposition consiste à favoriser dès que possible, pour les enfants qui ne pourront pas retourner dans leur famille, la construction de liens affectifs durables et non institutionnels, tels que la famille élargie, le parrainage, le mentorat ou l'adoption. Il est impératif de progresser sur ce point, car bien que ce sujet soit discuté depuis longtemps, sa mise en pratique tarde à se concrétiser.
La neuvième proposition concerne une évaluation des adaptations du statut de l'enfant prévues par la loi du 14 mars 2016. Bien que cette loi soit empreinte de bonnes intentions, nous constatons peu d'évolutions concrètes, tant du côté des juridictions que des conseils départementaux, pour entreprendre des demandes de changement de statut.
La dixième proposition vise à prévoir que les enfants protégés soient désignés comme prioritaires dans la mise en œuvre des politiques publiques de l'État. Il ne s'agit pas seulement des enfants placés, mais également de ceux bénéficiant de mesures en milieu ouvert dans le cadre de la protection de l'enfance. Ces enfants doivent être prioritaires pour bénéficier de traitements, de prises en charge en santé et de scolarités adaptées, à l'image des bourses automatiques pour les enfants issus de l'ASE, dans Parcoursup par exemple, ou encore du dispositif « Santé protégée », qui est particulièrement intéressant. Cela permettrait de compenser les effets du danger et de commencer à prendre en charge les situations les plus difficiles. Les parents des autres enfants, de ceux qui ne sont pas protégés et n'ont pas besoin de protection, savent se mobiliser pour exiger des mesures de soutien. Mais les parents des enfants protégés, souvent démunis, ne savent pas se mobiliser de la même manière. Ils ont besoin d'une compensation, d'une forme de discrimination positive pour rétablir un peu d'égalité.
La dernière proposition est de mieux articuler les rôles de l'État et des départements. Cela passe d'abord par le développement de mécanismes de soutien aux départements, comme la généralisation de la contractualisation entre l'État et les départements. Il est essentiel de définir des objectifs pluriannuels pour éviter le saupoudrage et le traitement au cas par cas, permettant ainsi d'investir, car l'investissement en protection de l'enfance est nécessaire. Il y a également besoin de contrôle : celui-ci doit être conjoint avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou avec l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) pour s'assurer que les départements remplissent correctement leur mission de contrôle et d'inspection. Certains départements le font, d'autres moins. En cas de manquement avéré des départements dans la mise en œuvre des textes légaux, il faut envisager la mise en place de mécanismes de sanction ou de contraintes par l'État. Il est donc nécessaire de réfléchir à la manière dont ces mécanismes pourraient être instaurés.
Je vous remercie pour vos interventions ainsi que vos propositions. Vous représentez deux juridictions différentes et vous exercez des compétences relevant à la fois du pénal et du civil, ce à quoi vous tenez. Par ailleurs, il est évident que ce n'est pas la même chose d'être dans un tribunal avec deux ou trois juges que dans de grandes juridictions bien plus importantes.
J'aimerais que vous puissiez revenir sur les relations entre la justice et les travailleurs sociaux, notamment concernant la compréhension des décisions de chacun, qui est une problématique importante. Il est observé, lors de visites médiatisées ou de retours en famille durant les week-ends, que les familles peuvent parfois perturber l'enfant. Lors de la visite d'une pouponnière près de Clermont-Ferrand effectuée par une délégation de la commission d'enquête vendredi dernier, nous avons pu observer que certains considéraient que le lien avec la famille n'était pas une bonne idée pour un enfant en particulier.
Une réalité factuelle est apparue avec la pandémie de la covid-19 : tous les rapports ont montré que les enfants étaient plus apaisés, en partie parce qu'il y avait moins d'interactions et plus de référents, les gens étant restés sur place. Cependant, nous manquons de travaux de recherche, d'observations et de ce que l'on appelle des « recherches-actions » pour évaluer et éclairer les politiques publiques de manière clinique.
Vous avez également évoqué la nécessité de repenser ce qui avait été prévu par la loi du 14 mars de 2016, à savoir permettre à ces enfants, qui peuvent avoir des parcours longs, de ne pas être questionnés chaque année sur leur maintien au sein de la protection de l'enfance ou sur le retour chez leurs parents. Il existe aussi une certaine instabilité dans les décisions de justice, ce qui complique également l'approche des éducateurs. J'aimerais connaître votre avis sur cette question.
Concernant l'AEMO, actuellement, les mesures éducatives se résument souvent à une visite mensuelle, voire à un simple appel téléphonique. Ce n'est pas ainsi que l'on peut espérer des améliorations après un an. De plus, la guidance parentale, qui consiste à accompagner les parents, est essentielle. Je crois fermement en la mobilisation autour des parents. À mon avis, l'AEMO renforcée est plus efficace. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet, car les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) au 31 décembre 2022 montrent que l'AEMO est largement utilisée. Elle peut être renouvelée sur une, deux, voire trois années. Bien que je ne dispose pas de statistiques, il est évident que de nombreuses ordonnances de placement provisoire (OPP) sont prises en raison d'urgences mal anticipées. Ainsi, il est légitime de se demander si l'AEMO constitue toujours une réponse adéquate.
Quel est votre avis sur les placements éducatifs à domicile (PEAD) ? Sur les AEMO renforcés ? À quelles autres pratiques, telles que le tiers digne de confiance, les juges ont-ils recours ? Vous semblez indiquer que ce type de pratiques n'est pas encore très répandu. Comment se construisent les partenariats entre les différents acteurs de la protection de l'enfance ? Pourriez-vous préciser le nombre de mesures civiles que vous suivez et les délais associés ? Quelles sont les conséquences du nombre significatif de dossiers suivis sur votre capacité à accompagner les familles ?
Enfin, pourquoi la déjudiciarisation prévue par la loi du 5 mars 2007 n'a-t-elle pas fonctionné comme prévu ? Environ 80 % des mesures sont d'ordre judiciaire, bien que ce chiffre varie, certains départements atteignent 75 %, d'autres 70 % et d'autres 90 %.
Le premier point que vous avez abordé soulève de nombreuses problématiques, notamment sur les retours des services éducatifs ou des éducateurs concernant les décisions des juges. En tant que juge des enfants depuis 2001, je constate que cette question est récurrente. Il est important de comprendre que, face à une même situation, les éducateurs peuvent avoir des positions très variées et des perspectives différentes. Je me souviens d'une audience avec trois enfants d'une même fratrie, placés dans trois services différents, chacun ayant une vision distincte de la famille. Les avis allaient de visites strictement médiatisées à la possibilité de rendre l'enfant, et cela ne dépendait pas de l'âge des enfants. Il faut donc reconnaître que nous sommes dans un domaine où il n'existe pas de vérité absolue. La position que l'on adopte sur une famille, un enfant ou une relation parent-enfant reste subjective. La difficulté pour le juge des enfants réside dans la distinction des critères de danger. Par ailleurs, les services éducatifs éprouvent parfois des difficultés à fournir des éléments objectifs au-delà de leur ressenti sur une situation.
Un autre point crucial est que, pour obtenir ces éléments objectifs, il est nécessaire de se donner les moyens de vérifier. Prenons l'exemple d'un premier enfant d'une mère de 18 ans, placé dès la naissance. Cette mère n'a jamais eu l'occasion d'exercer son rôle. Dès lors, il est impératif de lui permettre de passer de véritables moments avec son enfant pour pouvoir évaluer ses capacités. Sinon, on reste sur l'idée préconçue que cette mère ne pourra pas construire un lien avec son enfant – ceux qui ont déjà été parents et celles qui ont déjà été mamans savent que le lien avec son enfant ne se construit pas en une seconde. Aucun parent ne crée ce lien facilement. Parfois, nous n'avons pas les éléments d'évaluation nécessaires pour affirmer qu'il est impossible de laisser cet enfant avec ce parent. Nous pouvons être amenés à prendre des décisions en l'absence d'éléments caractérisant clairement un danger, soit parce que ces éléments ne nous ont pas été expliqués de manière claire, soit parce que nous pouvons avoir un avis différent.
Toutes les situations existent. Il y a également de nombreuses situations où j'ai pu accorder des droits supérieurs à ceux proposés par l'ASE, et ces décisions se sont très bien déroulées. Ces droits ne se traduisent pas nécessairement par des échecs. Parfois, les juges des enfants ont permis de faire avancer des situations et ont conduit l'ASE à proposer le retour de l'enfant chez ses parents six mois, un an, voire deux ans après. Il est difficile de juger les situations uniquement à travers le prisme de celles qui se sont dégradées par la suite. D'autres situations évoluent différemment. Nous n'avons pas la prétention de toujours prendre la bonne décision. En tant que juges des enfants, nous essayons de prendre la décision la plus juste en fonction des éléments qui nous sont fournis. La protection de l'enfant demeure au centre des décisions, mais il est également essentiel de procéder à une analyse fine des situations et de disposer d'éléments objectifs permettant de prendre des décisions éclairées.
La question de la stabilité des parcours est également primordiale. Nous rencontrons des difficultés à appliquer pleinement tous les cadres existants. Il s'agit d'abord de co-construire avec les parents dès le départ, de pouvoir évaluer précisément ce qui est réalisable ou non, et ensuite de déterminer de manière rigoureuse l'incapacité parentale durable et d'en tenir compte. Il est indéniable que des progrès sont faits dans ce domaine. Les lois existent. Tant que l'on est chez le juge des enfants, nous travaillons sur la parentalité. C'est une réalité incontournable. Si nous ne pouvons plus travailler sur la parentalité, nous sortons du cadre du juge des enfants, ce qui signifie qu'à un moment donné, il faut stabiliser la situation autrement, par une adaptation du statut. Le temps du juge des enfants se situe entre les mesures administratives actuelles, le retour de l'enfant dans sa famille, la fin de la procédure et l'adaptation du statut. Cependant, pour une grande majorité des enfants relevant de la protection de l'enfance, le temps du juge des enfants ne s'achève pas. Nous ne parvenons ni à clore la procédure, ni à adapter le statut. Par conséquent, une réflexion collective s'impose sur ce sujet.
Pouvez-vous expliquer pourquoi la France est l'un des pays d'Europe où le nombre de placements d'enfants est le plus élevé ? Nous constatons que la situation est critique et qu'elle nécessite une réflexion nécessairement collective. Je cherche à obtenir votre avis, en tant que juge, sur les pratiques actuelles, tout en réévaluant ce qui est connu à l'aune les besoins fondamentaux des enfants. Le législateur a tenté de progresser, notamment avec la loi du 14 mars 2016, concernant l'adaptation des statuts sur le long terme. Cependant, nous observons des difficultés, y compris dans la mise en œuvre des décisions de justice. Je voudrais savoir s'il existe des lacunes dans le cadre légal actuel. Est-ce un problème lié aux pratiques professionnelles des éducateurs – vous avez mentionné précédemment un manque de documentation adéquate ? Comment améliorer certains parcours d'enfants qui ne devraient pas se retrouver dans ces situations ?
Lorsque j'évoque l'insuffisance des observations, je souligne une difficulté récurrente au moment du placement de l'enfant : l'attention se concentre principalement sur lui, au détriment du travail avec le parent. Je me souviens de débats en Seine-Maritime lors de l'élaboration du schéma départemental de l'enfance, où la question de la visite à domicile annuelle chez le parent avait été soulevée. L'évolution de la situation du parent est essentielle, car l'enfant n'est pas toujours placé en raison d'une mauvaise relation avec celui-ci ; les raisons peuvent être environnementales, entre autres. Pour évaluer la possibilité de mettre en place des visites au domicile du parent, il est indispensable d'avoir une connaissance approfondie de sa situation. Si nous ne visitons pas le domicile du parent, si nous le rencontrons à peine et si nous ne menons pas d'entretien avec lui en dehors des visites médiatisées, il est difficile d'évaluer précisément sa situation. Ce n'est pas seulement une question de documentation, mais aussi de véritable expertise sur l'évolution du parent.
Un autre point concerne la culture du placement en France. Le placement éducatif à domicile (PEAD) en est un exemple significatif. Lorsqu'il s'agit de travailler intensivement avec l'enfant à domicile, cela est souvent assimilé à un placement. Avec ce contrôle exercé sur le parent, l'enfant reste sous la responsabilité du service. Il existe en France une forte culture du placement, qui ne se manifeste pas uniformément dans tous les départements. Des progrès ont été réalisés en termes de moyens alloués au milieu ouvert, notamment avec des mesures d'AEMO intensives. Cependant, il arrive que nous luttions, dans certaines situations, pour obtenir l'intervention de travailleuses familiales. Par exemple, j'avais refusé de placer un bébé à la naissance et avais demandé, avant celle-ci, une intervention significative de travailleuses familiales au domicile. Ces dernières ne sont intervenues qu'aux quatre mois de l'enfant, et seulement pour deux heures. Comme ce travail en milieu ouvert peine parfois à se mettre en place, on privilégie souvent la sécurité du bébé en le plaçant, bien que ce placement ne soit pas toujours sécurisé. Il est légitime de se demander si les pouponnières, lorsqu'elles sont surchargées, répondent pleinement aux besoins fondamentaux de l'enfant.
La question de l'intensité de la prise en charge est essentielle. Avant d'aborder ce point, il convient de revenir sur l'articulation entre le travail du juge et celui de l'éducateur. En 2016, lors de la promulgation de la loi relative à la protection de l'enfant, qui comporte notamment des dispositions sur l'adaptation du statut de l'enfant aux besoins fondamentaux, il a été souligné que sa mise en œuvre nécessitait une évolution culturelle. Il ne s'agissait pas d'une révolution, mais d'une évolution pour tous les professionnels concernés, qu'il s'agisse des juges des enfants ou des travailleurs sociaux. Cette évolution a débuté, mais elle progresse à des rythmes différents selon les lieux et les institutions.
Vous avez également soulevé la question de la formation des magistrats. En quelques mots, les magistrats sont initialement formés comme des généralistes, couvrant toutes les fonctions. Avant leur première prise de fonction en tant que juges des enfants, ils suivent une formation spécifique d'environ cinq mois, comprenant un mois de formation théorique et quatre mois de formation pratique dans un cabinet de juges des enfants. Ils y exercent aux côtés d'un autre juge pour développer leur spécialisation. Cependant, cette spécialisation se construit tout au long de l'exercice de la fonction, notamment grâce aux interactions avec les autres professionnels.
Nous avons besoin de professionnels compétents pour nous fournir des observations concrètes sur l'enfant et nous rappeler ses besoins fondamentaux. En audience, nous faisons face aux enfants, souvent accompagnés d'avocats, de travailleurs sociaux et de leurs parents. Chacun met en avant des éléments importants. Les parents, par exemple, soulignent souvent le manque de soutien dont ils ont souffert. Il est effectivement injuste qu'après quatre mois, seules deux heures d'intervention aient été effectuées par une travailleuse familiale, alors que des interventions plus précoces auraient pu être bénéfiques. Cela représente une perte de chance pour l'enfant. Une fois cette chance perdue, le lien ne s'est pas créé. Est-il juste de faire attendre l'enfant encore plus longtemps ?
Nous sommes confrontés à des questions extrêmement complexes, et l'évolution amorcée par la loi de 2016 ne peut se réaliser en six mois. Nous avons besoin de temps et de collaboration. Une idée très intéressante a été proposée : la construction de formations communes par les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE). Il serait souhaitable que ces formations soient reconnues au titre de la formation continue des magistrats et qu'elles comptent ainsi dans les jours de formation obligatoire. Nous avons en effet la chance de bénéficier d'un système de formation continue obligatoire d'une semaine par an. Il est également essentiel que cette formation soit, notamment pour les jeunes professionnels, axée sur l'exercice concret des fonctions actuelles, plutôt que sur des projections dans des fonctions futures. Il est pertinent de se former aux besoins fondamentaux de l'enfant lorsqu'on est juge des enfants, plutôt que de se préparer à la tenue des audiences correctionnelles qui auront lieu dans deux ans.
Cela nécessite aussi une réflexion sur la durée des fonctions. Autrefois, les juges des enfants restaient très longtemps en poste, ce qui les rendait très spécialisés, mais peu enclins à se remettre en question. Une volonté de promouvoir la mobilité a émergé, visant une meilleure agilité professionnelle et une curiosité intellectuelle accrue, ce qui est très intéressant. Cependant, il ne faut pas que cette mobilité soit trop fréquente. Un juge des enfants doit pouvoir rester quatre ou cinq ans sur un poste pour mettre en place des partenariats, se former, connaître les secteurs et les familles, et être identifié. La continuité d'intervention du juge des enfants est importante pour les familles, les enfants et les travailleurs sociaux. La confiance se construit avec le temps.
En matière de formation, l'École nationale de la magistrature a également tenté de mettre en place des initiatives très intéressantes. Le cycle approfondi d'études sur la justice des mineurs est une formation de deux ans comprenant des modules de deux à trois jours. Ces modules abordent des questions spécifiques telles que le développement et la prise en charge des enfants, avec un accent particulier sur les sciences humaines. Cette formation inclut une partie théorique enrichie par des apports expérientiels, provenant à la fois de pratiques professionnelles, de témoignages d'anciens enfants placés, de parents, d'intervenants extérieurs, comme l'association ATD-Quart monde sur les problèmes de logement. Cette formation exige un véritable engagement de la part des juges des enfants, qui y consacrent deux à trois jours tous les deux mois pendant deux ans. Parmi les modules proposés, certains sont communs avec des psychologues ou des membres de la PJJ et sont également ouverts aux inspecteurs de l'ASE. Je considère que cette approche représente l'avenir et permettra une évolution culturelle nécessaire pour mieux appréhender les questions de statut et comprendre les besoins de l'enfant. Cela illustre bien l'importance de la connaissance réciproque dans notre domaine.
Vous avez mentionné la notion de temps d'appropriation des politiques publiques. Pouvez-vous mesurer le temps nécessaire pour que ces politiques soient effectivement mises en œuvre ? Le législateur fixe une ligne directrice à suivre, mais nous constatons des inégalités territoriales dans la mise en œuvre de diverses politiques publiques, comme la santé et l'éducation. À la suite de la décentralisation, certaines politiques publiques ont fait l'objet d'une bonne appropriation, mais d'autres, comme le projet pour l'enfant issu de la loi du 5 mars 2007, ne sont toujours pas mises en œuvre. Il existe également des résistances dans les pratiques professionnelles. Dans vos domaines de compétence, pouvez-vous quantifier le délai entre le moment où le législateur décide d'agir sur des problématiques spécifiques, comme celles du parcours des enfants, et le moment où ces mesures sont effectivement mises en place ? Il est essentiel de rappeler que le temps des enfants n'est pas celui des politiques publiques. Les enfants grandissent sans que nous leur offrions les ressources nécessaires, malgré les dispositions législatives en vigueur. Comment justifier des délais de cinq, dix ou vingt ans pour la mise en œuvre de ces politiques sur le terrain ?
Il est difficile de répondre de manière générale, car certaines choses évoluent plus rapidement que d'autres. Par exemple, je me souviens qu'en 2002, lorsque l'on a annoncé que les familles pourraient consulter les rapports établis par les services de l'ASE, cela a provoqué un véritable séisme. Tout le monde pensait que cela ne serait jamais possible, mais cela s'est mis en place relativement vite. Il y a eu une réelle adaptation des écrits professionnels en un temps assez court. Pour d'autres aspects, comme l'audition de l'enfant, le travail est encore en cours. Les dispositions relatives au tiers digne de confiance commencent à peine à être mises en œuvre.
Les réflexions autour des adaptations du statut ont débuté, notamment avec l'idée de créer un véritable projet construit pour chaque enfant, ainsi qu'un lien avec un adulte ressource qui soit durable et gratuit. Ce lien n'est pas toujours affectif. Parfois, il peut s'agir de l'assistante familiale qui maintient un lien gratuit avec l'enfant, mais c'est de moins en moins fréquent. Je suis des enfants depuis plus de vingt ans et, auparavant, beaucoup plus d'enfants conservaient des liens durables avec leurs assistants familiaux et avaient des parcours linéaires avec eux. C'est devenu plus complexe.
Les adaptations du statut ont commencé de manière très différenciée selon les départements. Par exemple, la commission d'examen de la situation et du statut des enfants confiés (Cessec) va seulement commencer ses travaux dans la Loire, huit ans après la création de ce dispositif. D'autres départements l'ont mise en place immédiatement. Cela progresse tout de même un peu plus rapidement que la déjudiciarisation des décisions.
Il faut absolument penser ces adaptations du statut avec l'enfant dans un projet positif pour celui-ci, sans nécessairement se précipiter vers le délaissement. En effet, un enfant qui se sent abandonné par tous perçoit cette décision comme extrêmement violente, surtout lorsqu'il est dans une institution où il va très mal, sans lien extérieur et avec peu de liens au sein de celle-ci. Comment envisager l'adaptation du statut de l'enfant en fonction de ses besoins spécifiques ? Ce travail avance lentement et nécessitera du temps.
Décider de la rupture des liens avec la famille est une question complexe qui doit être individualisée. On ne peut se contenter de généralités. Par exemple, les juges québécois adaptent les temporalités des mesures de protection de l'enfance aux différentes situations. Ils considèrent qu'un enfant placé à 7,8 ou 9 ans, ayant construit des liens avec ses parents, ne comprendrait pas nécessairement une rupture de lien après deux ou trois ans sans retour dans sa famille. Il est donc crucial de considérer le parcours de chaque enfant. Certains enfants, malgré leur parcours en protection de l'enfance, ne peuvent accepter une coupure des liens avec leurs parents. Cependant, la situation diffère pour les enfants placés très précocement par rapport à ceux placés plus tardivement.
Pour revenir sur l'intensité de l'intervention, il est évident, lors des audiences, que les familles reconnaissent les bénéfices d'une intervention plus intensive. Elles se sentent aidées, écoutées, soutenues et constatent des effets concrets dans leur quotidien, notamment dans l'accompagnement des démarches. Cela leur redonne confiance en elles et dans le travail effectué, permettant ainsi de surmonter les difficultés. Cette approche est bien plus efficace qu'un entretien mensuel, comme cela se faisait classiquement dans l'AEMO, avec des techniques de travail différentes. Certaines situations familiales peuvent progresser avec ce type d'approche classique, notamment car cela rappelle le cadre judiciaire, mais cela devient de moins en moins fréquent. Il est clair que plus l'intervention est soutenue, multifactorielle et construite autour des besoins spécifiques de l'enfant et des ressources ou des manques de la famille, plus elle est efficace et permet des interventions plus courtes.
Il est également essentiel de savoir s'arrêter, car des interventions trop longues peuvent devenir contre-productives. En tant que travailleur social, lorsqu'un lien est établi avec une famille et que l'on se sent utile, dire au revoir n'est pas facile. Cependant, cela doit être envisagé dès le début du parcours et vécu comme une victoire pour tous lorsque la porte se ferme. Il est toutefois nécessaire que les services de droit commun, de soutien et d'accompagnement, qui seront indispensables car les difficultés ne disparaîtront pas d'elles-mêmes, soient disponibles. Un accompagnement par le service social ou la protection maternelle et infantile (PMI) doit être accessible pour prendre le relais d'une mesure judiciaire. Or ce n'est pas toujours le cas et nous observons de nombreuses situations dans lesquelles les mesures se prolongent simplement parce que les autres institutions censées répondre aux besoins de l'enfant ou de la famille ne sont pas présentes. Cela concerne également le logement, l'école et la santé. C'est pourquoi nous proposons que les enfants bénéficiant d'une mesure de protection de l'enfance soient prioritaires pour bénéficier des mesures liées aux autres politiques publiques, y compris celles de l'État.
Concernant le placement à domicile, la Cour de cassation a récemment rendu un avis sur une mesure de placement à domicile qu'elle a jugée comme relevant en réalité du milieu ouvert. Nous devons nous interroger sur la nature du placement à domicile et sur la répartition des responsabilités qu'il implique. Ce type de placement, qui n'en est pas véritablement un, soulève la question de la frontière entre une intervention très intense et le transfert de responsabilités concernant la prise en charge de l'enfant. Il est vrai qu'il peut exister une confusion entre une AEMO intensive, renforcée par des possibilités d'hébergement ponctuel, et un placement à domicile sans solution de répit ou de repli. Il est nécessaire de se réunir pour réfléchir à cette problématique. L'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), qui a réalisé une étude sur ce sujet, nous y invite.
Il est essentiel de noter qu'en cas de placement, les obligations du conseil départemental diffèrent considérablement vis-à-vis de l'enfant. En effet, lorsqu'un enfant est confié en placement au conseil départemental, ce dernier a l'obligation de répondre globalement aux besoins de l'enfant. En revanche, lorsque l'enfant est pris en charge au titre d'une mesure en milieu ouvert, il n'est pas tenu de satisfaire l'ensemble des besoins de l'enfant. Je pense que c'est aussi pour cette raison que, lorsque le placement à domicile permet de répondre aux besoins de santé et de scolarité de l'enfant, parce que le conseil départemental y pourvoit, cette solution est retenue au détriment, peut-être, d'une intervention plus intensive. Cela questionne, d'une part, la priorité à accorder aux enfants protégés, y compris en milieu ouvert, pour l'accès aux soutiens des politiques publiques de l'État et, d'autre part, la notion de prise en charge globale. Ne devrions-nous pas partir des besoins de l'enfant pour définir une prise en charge, en fonction des ressources et des possibilités des parents, qui sont nécessairement évolutives ? Le degré d'intervention du département ou des associations mandatées s'adapterait à ces possibilités. C'est peut-être cela qui permettrait d'apporter une clarification. En tout cas, l'intensité de l'intervention, dès lors qu'elle est construite sur des constats précis des besoins de l'enfant et qu'elle n'est pas standardisée, est très utile et bénéfique pour l'enfant et la famille.
En 2022, les 522 juges des enfants en France ont été saisis de 112 919 nouvelles situations et assuraient en même temps le suivi de 254 462 enfants. Ces données sont issues des chiffres clés du ministère de la Justice. En moyenne, cela représente 487 enfants suivis par juge. Il existe des disparités territoriales, y compris dans les services de l'État. Globalement, les juges des enfants suivent en moyenne entre 350 et 400 dossiers, mais il existe aussi une inégalité en fonction de l'activité pénale, puisqu'ils ont cette double compétence civile et pénale. En 2012, un groupe de travail de magistrats coordonnateurs des tribunaux pour enfants a réfléchi à la charge raisonnable d'intervention pour un juge des enfants. Ils ont proposé qu'un juge des enfants à temps plein puisse suivre 350 dossiers d'assistance éducative pour les cabinets dont l'activité pénale est inférieure à 40 %, donc minoritaire. Si l'activité pénale représente 40 % ou plus de l'activité juridictionnelle, les juges des enfants ne devraient pas gérer plus de 290 dossiers d'assistance éducative.
À titre d'exemple, à Bobigny, chaque juge des enfants traite environ 350 dossiers d'assistance éducative, mais l'activité pénale constitue la moitié de leur charge de travail. Ces disparités sont également observables dans d'autres juridictions. En 2022, une conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires a proposé un référentiel selon lequel un juge des enfants à temps plein, se consacrant uniquement à l'assistance éducative, devrait gérer 450 dossiers. Actuellement, ce chiffre correspond à la charge de travail d'un juge des enfants qui s'occupe également du pénal. Le ministère de la justice élabore actuellement un référentiel de la charge de travail des juges des enfants. Ce travail s'inscrit dans un effort plus large visant à établir des référentiels de charge de travail pour l'ensemble des missions judiciaires, en réponse au mouvement de protestation d'il y a deux ans concernant les conditions de travail et la charge de travail des magistrats. Ce projet implique notamment des juges des enfants, des greffiers et des membres de l'administration centrale.
Je vais aborder la question de la subsidiarité. Vous mentionnez une moyenne nationale de 82 % de mesures judiciaires, mais ce chiffre varie entre 56 % et 95 % selon les départements, ce qui reflète des situations sensiblement différentes. Certaines régions, comme la Bretagne, sont plus déjudiciarisées. Cela ne s'explique pas par une plus grande coopération des familles dans certaines zones par rapport à d'autres, mais plutôt par des pratiques et des cultures professionnelles différentes. Ce n'est pas seulement une question de départements, mais aussi d'institutions judiciaires, car nous avons un rôle à jouer. Personnellement, je suis une fervente partisane de la subsidiarité car elle permet de responsabiliser les familles. Lorsqu'un parent est prêt à collaborer et à recevoir de l'aide, je ne vois pas pourquoi je devrais prendre la décision à sa place. Travailler avec les parents dans ces conditions est vraiment intéressant. Si, malgré tout, le parent n'a pas été capable de prendre la décision ou de comprendre les difficultés qui lui sont reprochées, et que le juge des enfants doit intervenir, il est important de reconnaître son évolution. Même s'il a encore besoin d'aide, il est essentiel de lui signifier qu'il a progressé et qu'il a repris possession de son autorité parentale. Cela peut être un levier pour la participation d'un parent qui prend conscience des besoins de son enfant et de son propre besoin d'aide.
J'ai eu l'opportunité de travailler dans deux départements, notamment en Seine-Maritime, où les inspectrices étaient favorables à la subsidiarité. Nous avons connu des expériences positives. À plusieurs reprises, lors d'audiences de renouvellement de placement, l'inspectrice m'a suggéré de passer à un accueil provisoire en raison de la bonne collaboration de la famille. J'ai ainsi déjudiciarisé des placements pour les transformer en accueils provisoires, et cela s'est très bien déroulé. La famille était partante et l'enfant n'était plus au centre d'un conflit sur les modalités de sa prise en charge. Il y avait une forme de co-construction et de co-éducation entre la famille d'accueil et le parent. Les enfants étaient plutôt équilibrés dans cette situation, sans souffrance. Je n'étais alors pas utile. Lorsqu'on arrive aux audiences et que tout le monde est d'accord sur les modalités – l'enfant, le parent, l'ASE – cela se passe bien.
Une difficulté réside dans la manière dont les départements organisent les mesures administratives. Dans les deux départements où j'ai travaillé, les mêmes services étaient habilités pour l'administratif et le judiciaire, notamment en milieu ouvert. Cela permet, par exemple, lorsqu'une famille bénéficie d'une mesure d'aide éducative à domicile qui ne fonctionne plus de manière satisfaisante, de judiciariser la situation. Surtout, en fin de parcours, lorsque la situation évolue positivement, que la famille est partante pour continuer le travail avec l'éducateur, que les éléments de danger se sont atténués mais qu'il est encore trop tôt pour cesser toute mesure, on peut alors repasser à une mesure administrative et décider que la présence du juge n'est plus nécessaire. Cela a des conséquences sur le nombre de dossiers traités.
Dans les deux départements où j'ai exercé, un travail considérable a été réalisé par le parquet pour instaurer des mesures avec les familles qui collaboraient, ce qui n'était pas toujours le cas. Il ne s'agissait pas seulement d'attendre qu'une famille envoie un courrier recommandé pour demander une mesure, mais de proposer activement ces mesures et de les faire signer par les familles. Le nombre de mesures judiciaires a ainsi diminué. Avec moins de dossiers, le juge peut se concentrer davantage sur les cas compliqués et mieux respecter les délais, sous réserve que le président du tribunal ne lui impose pas d'autres tâches annexes. Les deux parts, administrative et judiciaire, du travail du juge doivent être reconnues. En effet, plus il y a d'administratif, plus les dossiers sont complexes, notamment pour le juge des enfants. Récemment, dans la Loire, le filtre mis en place par le parquet s'est renforcé : malgré une augmentation de 30 % des procédures et des informations préoccupantes (IP) dans tous les départements, nous avons perdu chacun une centaine de dossiers au tribunal pour enfants. Lorsque le filtre est efficace et qu'une véritable politique de subsidiarité est mise en œuvre, le recours au judiciaire diminue, produisant un effet tangible.
Je voudrais apporter quelques précisions. Il ne suffit pas de dire : « il faut faire autrement ». Il convient, en premier lieu, de cesser d'exiger des familles qu'elles signent une demande d'intervention d'aide éducative à domicile (AED) pour obtenir un soutien. Les services doivent être proactifs et identifier les besoins des familles pour y répondre de manière adéquate. La demande se construira d'elle-même. L'adhésion, tout comme la confiance, se bâtit progressivement, elle ne se décrète pas. Nous sommes l'un des pays qui recourt le plus au judiciaire pour la protection de l'enfance, avec un taux de placement supérieur. Là où les mesures administratives prédominent, les services sociaux parviennent à travailler avec les familles en construisant une adhésion. Ils adoptent peut-être une approche initiale plus bienveillante, mais également plus incisive en termes de propositions d'aide et de soutien, sans attendre une demande formelle en trois exemplaires.
Par ailleurs, les magistrats doivent exercer leur rôle de contrôle. L'article 375-2 du code civil dispose que le procureur saisit le juge des enfants d'une requête après avoir vérifié que les conditions prévues par le code de l'action sociale et des familles sont réunies, c'est-à-dire qu'une mesure administrative est insuffisante ou a échoué, ou que la famille s'y oppose. Cette vérification n'est pas toujours effectuée de manière uniforme sur le territoire.
Le contrôle du juge des enfants est crucial. Lorsque le juge constate que la famille demande une intervention, mais qu'il y a peut-être besoin de la présenter différemment, il peut renvoyer au conseil départemental la responsabilité de mettre en place une mesure administrative, plutôt que de recourir immédiatement à une mesure judiciaire. Cela nécessite parfois un travail préalable avec le département, car il arrive que des dossiers soient renvoyés au juge avec la réponse suivante : « nous avons déjà essayé, cela ne fonctionne pas ». Le juge des enfants peut également demander aux services de mesures judiciaires d'investigation éducative de faire le bilan de la situation de danger et de travailler sur des mesures administratives, en collaboration avec les services sociaux, avant l'audience. Ainsi, lors de celle-ci, il sera possible d'acter la fermeture du dossier. Enfin, lors des échéances des mesures d'AEMO, le juge doit se faire connaître auprès des services comme un magistrat qui privilégie le travail dans un cadre administratif. Il est également nécessaire que les conseils départementaux acceptent d'habiliter et de financer les services d'AEMO pour intervenir à la fois dans le cadre judiciaire et administratif. Cela permettrait de maintenir la continuité de l'intervention du service et de l'éducateur. En effet, ce qui nuit le plus aux mesures éducatives, c'est la discontinuité de l'intervention, la perte de l'éducateur apprécié ou le sentiment d'être oublié.
Un autre point essentiel concerne la réflexion plus globale autour de l'enfant. Il est impératif que cette réflexion soit portée dans les instances quadripartites où collaborent les juges pour enfants, le parquet, le conseil départemental et la PJJ. Elle doit également être intégrée dans les instances de pilotage de l'AEMO afin de déterminer comment progresser. En avançant sur tous ces fronts, nous pourrons faire évoluer la question administrative. Un seul aspect ne suffit pas, comme nous le constatons quotidiennement. La protection de l'enfance constitue une chaîne d'intervention, un véritable écosystème où chaque mouvement impacte l'ensemble. Il est indispensable de travailler sur tous les aspects dans les différentes instances : le statut des enfants, la responsabilité des familles, les dimensions administratives et judiciaires, pour mieux s'appuyer sur les ressources familiales internes ou la famille élargie.
Je constate des différences marquées entre les services. Certains n'ont aucun problème à proposer une mesure administrative, tandis que d'autres préfèrent s'en tenir aux procédures judiciaires. Les services qui ont adopté des méthodes de travail participatives, en impliquant les familles dès que possible, trouvent plus de facilité à gérer des mesures administratives. En revanche, certains services trouvent complexe et insécurisant de ne pas recevoir des décisions directement du juge et de devoir les construire en collaboration avec les familles. Cette question de culture est également importante, car travailler en administratif signifie négocier en permanence avec les familles, impliquant un lien constant.
Madame Eglin, vous avez mentionné que les normes de prise en charge deviennent de plus en plus exigeantes, tout comme les redditions de comptes. Pourriez-vous fournir un exemple concret afin que nous comprenions bien ce que cela implique en termes de charges de travail supplémentaires ?
Il semble que la question des taux d'encadrement dans les établissements de placement ait évolué. Mon conseil départemental a indiqué que cette mise en œuvre est particulièrement lourde. Concernant le travail avec les assistantes familiales, les relais des assistantes familiales, le financement, leur formation et les congés, nous, juges des enfants, constatons une augmentation des exigences. Les mesures éducatives prononcées aujourd'hui sont beaucoup plus courtes qu'il y a vingt ans. Autrefois, de nombreuses mesures duraient deux ans ; aujourd'hui, la norme est d'un an ou moins. Par conséquent, les rapports éducatifs sont plus fréquents car la mesure doit être plus rythmée. Si l'on se dirige vers une intervention plus intensive, il faut également davantage rendre compte.
La question de la pluridisciplinarité est également cruciale lors de l'évaluation des informations préoccupantes. Par exemple, la loi du 14 mars 2016 a introduit des éléments médicaux lors du bilan. De même, le rapport de l'ASE, qui doit être établi lorsqu'un enfant est confié, nécessite des éléments médicaux et pluridisciplinaires. Le conseil départemental doit soumettre ce rapport au juge des enfants. Cette exigence n'existait pas avant 2016. Cette évolution, bien que positive pour l'enfant et la qualité de la prise en charge, engendre également des coûts supplémentaires.
Dans vos préconisations, vous avez proposé des mesures extrêmement intéressantes. Avez-vous des exemples concrets de départements où cette articulation en écosystème est déjà mise en œuvre avec succès ? Il ne s'agit pas de stigmatiser qui que ce soit. Mais en examinant les recours à l'AED, on observe que de nombreuses décisions s'inscrivent dans l'historique de pratiques professionnelles sur des périodes très longues, dans des zones soit rurales, soit périurbaines. Lors du transfert de compétences de l'État aux départements – nous l'avons constaté dans le Puy-de-Dôme – il y a eu un transfert du bâti et d'expériences. Alors que le bâti est resté identique, les pratiques professionnelles ont dû évoluer avec la décentralisation, mais le mode de fonctionnement initial n'a pas changé. Ces difficultés existent aussi pour le recrutement des assistants familiaux, car beaucoup partent à la retraite, alors même que ces difficultés de recrutement avaient déjà été évoquées lors des débats sur la loi du 7 février 2022.
Lors de notre discussion, vous avez mentionné la Bretagne. Historiquement, cette région comptait un nombre plus élevé d'AED. Nous constatons donc que les pratiques évoluent difficilement sur le long terme. Actuellement, cette situation est exacerbée par des problèmes de recrutement de professionnels, rendant l'accompagnement des enfants particulièrement complexe. À travers vos exemples et vos pratiques, ainsi que ce qu'il se passe dans les différents départements, pourriez-vous nous fournir des illustrations où ce fonctionnement entre les services de l'État, les services départementaux et les associations habilitées est efficace ?
Nous ne pouvons pas répertorier les situations de manière exhaustive sur l'ensemble du territoire, mais nous savons qu'il existe de nombreux endroits où des initiatives intéressantes se développent. Toutefois, les dynamiques varient selon les régions, en fonction de leur histoire et de leurs besoins spécifiques. Concernant le PEAD, les approches divergent également, car chaque département a instauré des dispositifs distincts. Bien que nous partions, comme vous l'avez mentionné, d'un contexte historique, il est possible de co-construire des solutions adaptées. Cependant, cela nécessite du temps et une volonté de collaboration.
Du côté de la justice, notamment des parquets, les petites juridictions sans parquet spécialisé pour les mineurs rencontrent des difficultés à se mobiliser sur la protection de l'enfance, en particulier au sein des instances partenariales. Pourtant, leur rôle est essentiel dans le dispositif, tout comme celui du juge des enfants, qui constitue la porte d'entrée dans le système et joue un rôle déterminant. Même parmi les juges des enfants, des difficultés peuvent survenir. Néanmoins, de nombreuses initiatives intéressantes émergent. Par exemple, la Haute-Savoie se distingue par son modèle de tiers dignes de confiance. Cette initiative récente résulte de l'action d'une association qui a proposé un dispositif novateur. Aujourd'hui, d'autres associations s'inspirent de ce modèle et se développent ailleurs, comme c'est le cas pour les villages d'enfants.
Plusieurs départements ont déjà mis en place des initiatives depuis un certain temps. D'autres, notamment depuis la loi du 7 février 2022, ont sollicité les associations gérant des villages d'enfants pour en bénéficier. J'ai récemment discuté avec des directeurs chargés de l'enfance et des familles ; l'idée est de mieux repérer les bonnes pratiques et de les diffuser plus efficacement. L'ONPE et d'autres instances jouent un rôle clé dans cette démarche. Nous avons encore des progrès à réaliser pour que, malgré les différences historiques, chacun puisse s'inspirer et parvenir à une position commune.
Certaines mesures imposées par la loi doivent être mises en œuvre par les départements. Par exemple, certains départements continuent de considérer les centres parentaux comme des structures maternelles ou presque exclusivement maternelles. D'autres ont mis en place des centres parentaux véritablement consacrés à la protection de l'enfance, offrant un accueil 24 heures sur 24 pour les bébés, si nécessaire. Ainsi, une jeune fille de 16 ans qui ne peut pas gérer son enfant la nuit bénéficie d'un soutien adapté. J'ai travaillé avec de tels centres parentaux ; ils offrent une sécurité accrue pour l'enfant. Mais certains départements n'ont pas instauré de structures intermédiaires entre le centre parental et le centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) mère-enfant. Ces structures ne sont pas suffisamment protectrices et ne peuvent pas assurer pleinement la mission de protection de l'enfance. Elles accueillent principalement des mères déjà très autonomes, qui n'ont pas le même besoin de soutien.
Effectivement, il existe des éléments structurels importants à considérer. La loi a défini des instances de concertation très intéressantes, à condition de les faire vivre et d'y participer. Par exemple, dix départements ont candidaté à l'expérimentation des comités départementaux de protection de l'enfance (CDPE). Cette initiative est extrêmement pertinente. Avant l'instauration de ces comités départementaux, il y avait déjà des expériences de contractualisation. Il est essentiel de se demander combien de départements ont associé les juges des enfants à la définition des éléments de cette contractualisation. De même, combien de préfets ont sollicité les services de la PJJ pour apporter leur expertise et un véritable regard sur la protection de l'enfance ? Ces questions sont fondamentales.
Prenons l'exemple de la Seine-Saint-Denis, que je connais bien. Le conseil départemental a intégré dans la contractualisation toutes les demandes du tribunal concernant l'expression des besoins. Cela inclut notamment des équipes dédiées pour les mesures administratives, pour l'aide à la gestion du budget familial dans un cadre administratif, ainsi que pour développer le placement des fratries. Ces besoins avaient été identifiés comme manquants. La contractualisation constitue un véritable levier pour que l'État puisse encourager et aider les départements à adopter des dispositifs parfois non encore mis en place ou mis en place de manière disparate selon les territoires.
Il est essentiel que les juges des enfants comprennent l'importance de leur présence au sein des structures dédiées. Cela implique également de leur dégager du temps et de permettre aux magistrats coordonnateurs des tribunaux pour enfants de bénéficier d'une véritable décharge afin de s'y consacrer pleinement. Actuellement, cette décharge existe dans les grandes juridictions, mais elle est inexistante dans d'autres tribunaux. Par ailleurs, l'École nationale de la magistrature organise désormais une formation pour les magistrats coordonnateurs. Ces magistrats, responsables de la coordination des tribunaux pour enfants, se regroupent pour échanger sur leurs pratiques. Une attention particulière est portée à la question des partenariats avec le secteur associatif, la PJJ et les conseils départementaux. L'objectif est de déterminer comment collaborer efficacement pour aider les juges des enfants, initialement formés pour traiter des situations individuelles, à appréhender les politiques publiques dans toutes leurs dimensions. Les cultures professionnelles sont très différentes ; il est crucial de parvenir à un langage commun. Pour cela, une formation adéquate est nécessaire.
J'aimerais aborder une dernière question avant de conclure nos échanges, celle des mesures non exécutées. Les décisions sont prises dans un environnement sociétal en dégradation, marqué par un manque de travaux de recherche et d'évaluation. Vous l'avez mentionné précédemment et nous le constatons également : il y a une augmentation importante des demandes d'accueil de tout-petits. Ces besoins n'avaient peut-être pas été identifiés auparavant. Sur quels critères auraient-ils pu être identifiés pour déterminer, par exemple, qu'il était nécessaire de prévoir cent ou soixante places supplémentaires ? Cela démontre un manque de construction et de partage, ainsi qu'une évaluation insuffisante des besoins du territoire pour élaborer une politique publique et des accompagnements cohérents. Cette situation conduit à des sureffectifs qui me préoccupent profondément. De plus, cela se conjugue avec le problème majeur des mesures non exécutées. Certains juges ne prononcent pas certaines mesures, sachant qu'elles ne seront pas exécutées, ce qui est extrêmement préoccupant.
La question des mesures inexécutées est dramatique. La protection de l'enfance repose sur un écosystème ou une chaîne ; lorsqu'un maillon dysfonctionne, c'est toute la chaîne qui s'effondre. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, lorsqu'un juge des enfants prononce une mesure en milieu ouvert, celle-ci est mise en place en moyenne quatorze mois après avoir été prononcée. Certaines mesures peuvent être mises en place six mois après, d'autres deux ans après, ce qui n'a plus de sens. Je pourrais vous raconter de nombreuses histoires concrètes d'enfants victimes de violences familiales qui finissent en placement d'urgence simplement parce que la mesure n'a pas été exécutée. Il serait pertinent d'examiner les décisions qui restent inexécutées. Cela varie selon les départements. En Seine-Saint-Denis, par exemple, ce sont principalement les mesures de milieu ouvert et le placement à domicile qui posent problème. Les placements, en général, sont exécutés, en particulier les placements d'urgence. Cependant, dans d'autres départements, certains juges des enfants connaissent cinquante ou soixante situations de placements inexécutés, ce qui est extrêmement grave. Il serait intéressant d'analyser ces situations.
Le département pilote certains dispositifs et contrôle l'organisation des placements, mais il n'exerce pas ce contrôle sur les associations d'AEMO. Comment garantir un recrutement adéquat alors qu'il existe des difficultés de recrutement dans certains secteurs ? Par exemple, l'AEMO intensive rencontre moins de difficultés de recrutement que l'AEMO classique, cette dernière faisant l'objet d'une perte de sens des professionnels. Il est important d'étudier ces questions de manière approfondie, au-delà des simples chiffres, pour comprendre comment se construit une politique de protection de l'enfance au niveau local. À Bobigny, le taux de placement a augmenté d'une année sur l'autre par rapport à la part des mesures de milieu ouvert. La part de mesures d'investigation a également augmenté. Nous cherchons à explorer des alternatives au milieu ouvert, car les délais d'attente sont trop longs et nous savons que cela ne fonctionne pas. Nous finissons par adopter des mesures en fonction de leur disponibilité plutôt qu'en fonction des besoins réels de l'enfant. Ce système devient incohérent, d'où l'importance de comprendre où se situe le problème. Cela nous permettra peut-être de déterminer où concentrer nos efforts.
Alors que nous évoquons la revalorisation du travail social, la meilleure rémunération et la reconnaissance du travail des éducateurs, il faut noter que les agences d'intérim d'éducateurs ne rencontrent pas de difficultés de recrutement, contrairement aux services d'AEMO. De même, les lieux de placement qui fonctionnent bien ne connaissent pas de problèmes significatifs de recrutement. Il est donc essentiel de réfléchir également à cet aspect.
Nous vous remercions très sincèrement pour cette audition et pour vos réponses qui vont nourrir les travaux de cette commission d'enquête.
La séance s'achève à dix-neuf heures trente.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Christine Le Nabour, Mme Laure Miller, Mme Isabelle Santiago, M. Hervé Saulignac
Excusées. – Mme Béatrice Descamps, Mme Astrid Panosyan-Bouvet