Un autre point concerne les pratiques professionnelles et les réformes, notamment les grandes lois de protection de l'enfance récemment votées. Ces lois apportent des changements significatifs, mais les pratiques professionnelles peinent à évoluer en conséquence. On observe que certaines dispositions ne sont pas ou peu appliquées. Le rapport du Sénat de juillet 2023 l'a bien décrit, notamment en ce qui concerne l'hyperjudiciarisation. Ce point mérite une attention particulière, car il touche au respect des droits des parents et des enfants dans leurs relations avec l'aide sociale à l'enfance (ASE). Les droits des usagers sont souvent négligés et il existe un manque criant de lieux d'accueil pour réunir les fratries, malgré quelques progrès réalisés, notamment avec les villages d'enfants et certains départements. Cependant, dans certains départements, l'offre d'accueil pour réunir les fratries reste très déficitaire. La culture de la réunion des fratries n'est pas suffisamment ancrée. Il y a eu une époque où l'on pensait qu'il valait mieux les séparer, bien que cette idée soit en train de changer. La culture du placement est très forte en France, avec une prédominance institutionnelle et un développement limité du recours au tiers digne de confiance. Les moyens alloués à l'accueil en milieu ouvert sont largement inférieurs à ceux du placement, créant un décalage important. La transition pour adapter le statut de l'enfant est également difficile.
Récemment, on a constaté une forte augmentation des placements précoces, sans parvenir à stabiliser les parcours des enfants. Cela empêche leur retour éventuel au sein de leur famille d'origine ou élargie par le biais de tiers dignes de confiance, ou de trouver une famille de substitution qui pourrait les accompagner tout au long de leur vie, y compris à l'âge adulte. Cette difficulté est particulièrement marquée pour les sortants de l'ASE. Nous alertons sur l'augmentation significative des placements précoces et la nécessité de formuler des propositions pour faire évoluer cette situation. Cette tendance conduit en effet à un isolement et à une précarité des jeunes sortants de l'ASE, créant parfois une forme de double peine. En effet, il n'est pas rare que ces jeunes aient été placés dès leur naissance. Par exemple, à 18 ans, après un parcours difficile au sein de l'ASE, une jeune femme enceinte peut être considérée à risque, entraînant le placement de son enfant. Cette situation est encore extrêmement fréquente et suscite une grande inquiétude.
Le climat de défiance entre les différents acteurs, notamment entre la justice et les départements, ainsi qu'entre les parents et les services du département, peut également poser problème. Bien que ce climat ne soit pas systématique, il peut entraver la co-construction nécessaire à tous les niveaux, entre parents et services, ainsi qu'entre services et justice. Il est essentiel de favoriser cette co-construction. Par ailleurs, la place du juge des enfants au sein du dispositif mérite d'être interrogée. C'est d'ailleurs le thème du colloque de l'AFMJF qui se tiendra demain. Il est crucial de définir clairement l'office du juge dans un dispositif qui a beaucoup évolué avec les différentes lois récentes.