Je souhaite aborder un second constat, relatif au développement de l'intérim et à la difficulté à trouver des professionnels qualifiés dans le travail social. Cette situation entraîne des sous-effectifs dans les services de protection de l'enfance, tant dans les lieux de placement que pour les mesures en milieu ouvert. Elle augmente également considérablement les coûts de la protection de l'enfance, car les budgets des associations et des conseils départementaux sont absorbés par ces dépenses. Cela dégrade la qualité des prises en charge et l'investissement des professionnels. En effet, lorsque les deux tiers de l'équipe sont des intérimaires présents pour une semaine, un mois ou de manière intermittente, il n'y a plus d'esprit d'équipe. La stabilité de cette dernière, ainsi que la cohérence et la continuité de la prise en charge des enfants sont alors mises à mal – par exemple, lorsqu'un enfant résidant dans un établissement ne sait pas qui sera là pour le petit-déjeuner le lendemain matin. Cette situation peut plus facilement conduire à des maltraitances, notamment en période de tensions. Si aucun lien n'a été créé dans des moments positifs et continus, la violence devient une issue plus probable. Dans certaines structures, on passe même du travail éducatif à une forme de gardiennage des enfants en raison de la succession des professionnels. Même formés initialement, l'absence de sentiment de destin commun au sein d'un service affecte la qualité de la prise en charge et la manière dont les enfants se sentent regardés, accompagnés et soutenus. Nous constatons également une multiplication des situations de danger au sein des structures de protection de l'enfance. Les prises en charge d'enfants dans le cadre du placement ne répondent pas à leurs besoins, et les ruptures dans les parcours des enfants confiés sont fréquentes et multiples. En période de crise, si l'équipe n'est pas suffisamment solide, cela aboutit à des demandes de mainlevée et de réorientation. Ces réorientations successives engendrent des troubles de l'attachement chez les enfants et les adolescents, qui font écho aux troubles de l'attachement constitués durant l'enfance. La situation est assez dramatique.
Nous constatons aussi que la protection de l'enfance se trouve actuellement prise en étau entre divers phénomènes. Nous sommes peut-être dans une phase de transition avec des éléments positifs, mais cela entraîne un degré d'exigence plus élevé auquel nous ne pouvons pas toujours répondre. Par exemple, nous avons amélioré le repérage des situations de maltraitance. Des progrès significatifs ont été réalisés, y compris dans les établissements, avec une meilleure prise en compte des informations préoccupantes et le développement d'outils d'inspection dans certains conseils départementaux, bien que cela ne soit pas généralisé. La tolérance à la violence des familles contre les enfants a également diminué, ce qui est très positif.
Cependant, nous observons une aggravation des situations due à un rétrécissement des actions de prévention, notamment de la prévention spécialisée. Les normes de prise en charge deviennent plus exigeantes, tout comme les exigences de reddition de comptes, nécessitant davantage de professionnels pour les mêmes mesures. Bien que les budgets augmentent, ils ne sont pas toujours à la hauteur des besoins constatés. Les services de l'État ne répondent pas toujours aux besoins des enfants, notamment en matière d'éducation et de santé. Confronté à un degré d'exigence accru, des budgets insuffisants et des normes de prise en charge plus importantes, le système se retrouve étranglé. Dans nos tribunaux, nous constatons que la protection de l'enfance est parfois la solution de dernier recours, tentant de résoudre toutes les difficultés résultant des défauts de prise en charge antérieurs. Un bon exemple de ce phénomène est la question du handicap, notamment concernant les enfants dont les familles ne bénéficient d'aucune aide. Ces familles ne disposent d'aucun répit ni soutien, ce qui les épuise considérablement. Cette fatigue extrême peut conduire à des situations de maltraitance réelle, avec des blessures graves, non seulement pour les enfants en situation de handicap, mais aussi pour leurs frères et sœurs. Cela résulte d'un manque d'intervention précoce.
Le déficit de moyens dans les domaines de la prévention, de la santé, du handicap et du logement est flagrant. Travaillant en Seine-Saint-Denis, je constate quotidiennement les effets de la surpopulation, du mal-logement et de l'absence de logement. Les carences sont également notables au sein de l'éducation nationale. De plus, les dysfonctionnements dans la gestion des conflits parentaux sont préoccupants. Les délais d'attente pour obtenir un rendez-vous auprès du juge aux affaires familiales sont longs, ce qui aggrave les situations. Les couples en conflit ne peuvent pas se séparer correctement, et les mesures que le juge aux affaires familiales peut ordonner sont insuffisantes. Ces insuffisances conduisent à une dégradation des situations, mettant les enfants en danger. Les conflits peuvent dégénérer en l'absence de médiation familiale ou de visites médiatisées. Cela entraîne des ruptures familiales ou des visites inadaptées au contexte dans lequel évoluent les enfants. Ainsi, il devient impossible de soutenir une parentalité fragile, par exemple celle d'un père, ce qui enracine un certain nombre de difficultés.