Le premier point que vous avez abordé soulève de nombreuses problématiques, notamment sur les retours des services éducatifs ou des éducateurs concernant les décisions des juges. En tant que juge des enfants depuis 2001, je constate que cette question est récurrente. Il est important de comprendre que, face à une même situation, les éducateurs peuvent avoir des positions très variées et des perspectives différentes. Je me souviens d'une audience avec trois enfants d'une même fratrie, placés dans trois services différents, chacun ayant une vision distincte de la famille. Les avis allaient de visites strictement médiatisées à la possibilité de rendre l'enfant, et cela ne dépendait pas de l'âge des enfants. Il faut donc reconnaître que nous sommes dans un domaine où il n'existe pas de vérité absolue. La position que l'on adopte sur une famille, un enfant ou une relation parent-enfant reste subjective. La difficulté pour le juge des enfants réside dans la distinction des critères de danger. Par ailleurs, les services éducatifs éprouvent parfois des difficultés à fournir des éléments objectifs au-delà de leur ressenti sur une situation.
Un autre point crucial est que, pour obtenir ces éléments objectifs, il est nécessaire de se donner les moyens de vérifier. Prenons l'exemple d'un premier enfant d'une mère de 18 ans, placé dès la naissance. Cette mère n'a jamais eu l'occasion d'exercer son rôle. Dès lors, il est impératif de lui permettre de passer de véritables moments avec son enfant pour pouvoir évaluer ses capacités. Sinon, on reste sur l'idée préconçue que cette mère ne pourra pas construire un lien avec son enfant – ceux qui ont déjà été parents et celles qui ont déjà été mamans savent que le lien avec son enfant ne se construit pas en une seconde. Aucun parent ne crée ce lien facilement. Parfois, nous n'avons pas les éléments d'évaluation nécessaires pour affirmer qu'il est impossible de laisser cet enfant avec ce parent. Nous pouvons être amenés à prendre des décisions en l'absence d'éléments caractérisant clairement un danger, soit parce que ces éléments ne nous ont pas été expliqués de manière claire, soit parce que nous pouvons avoir un avis différent.
Toutes les situations existent. Il y a également de nombreuses situations où j'ai pu accorder des droits supérieurs à ceux proposés par l'ASE, et ces décisions se sont très bien déroulées. Ces droits ne se traduisent pas nécessairement par des échecs. Parfois, les juges des enfants ont permis de faire avancer des situations et ont conduit l'ASE à proposer le retour de l'enfant chez ses parents six mois, un an, voire deux ans après. Il est difficile de juger les situations uniquement à travers le prisme de celles qui se sont dégradées par la suite. D'autres situations évoluent différemment. Nous n'avons pas la prétention de toujours prendre la bonne décision. En tant que juges des enfants, nous essayons de prendre la décision la plus juste en fonction des éléments qui nous sont fournis. La protection de l'enfant demeure au centre des décisions, mais il est également essentiel de procéder à une analyse fine des situations et de disposer d'éléments objectifs permettant de prendre des décisions éclairées.
La question de la stabilité des parcours est également primordiale. Nous rencontrons des difficultés à appliquer pleinement tous les cadres existants. Il s'agit d'abord de co-construire avec les parents dès le départ, de pouvoir évaluer précisément ce qui est réalisable ou non, et ensuite de déterminer de manière rigoureuse l'incapacité parentale durable et d'en tenir compte. Il est indéniable que des progrès sont faits dans ce domaine. Les lois existent. Tant que l'on est chez le juge des enfants, nous travaillons sur la parentalité. C'est une réalité incontournable. Si nous ne pouvons plus travailler sur la parentalité, nous sortons du cadre du juge des enfants, ce qui signifie qu'à un moment donné, il faut stabiliser la situation autrement, par une adaptation du statut. Le temps du juge des enfants se situe entre les mesures administratives actuelles, le retour de l'enfant dans sa famille, la fin de la procédure et l'adaptation du statut. Cependant, pour une grande majorité des enfants relevant de la protection de l'enfance, le temps du juge des enfants ne s'achève pas. Nous ne parvenons ni à clore la procédure, ni à adapter le statut. Par conséquent, une réflexion collective s'impose sur ce sujet.