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Intervention de Muriel Eglin

Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 18h00
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Muriel Eglin :

La question de l'intensité de la prise en charge est essentielle. Avant d'aborder ce point, il convient de revenir sur l'articulation entre le travail du juge et celui de l'éducateur. En 2016, lors de la promulgation de la loi relative à la protection de l'enfant, qui comporte notamment des dispositions sur l'adaptation du statut de l'enfant aux besoins fondamentaux, il a été souligné que sa mise en œuvre nécessitait une évolution culturelle. Il ne s'agissait pas d'une révolution, mais d'une évolution pour tous les professionnels concernés, qu'il s'agisse des juges des enfants ou des travailleurs sociaux. Cette évolution a débuté, mais elle progresse à des rythmes différents selon les lieux et les institutions.

Vous avez également soulevé la question de la formation des magistrats. En quelques mots, les magistrats sont initialement formés comme des généralistes, couvrant toutes les fonctions. Avant leur première prise de fonction en tant que juges des enfants, ils suivent une formation spécifique d'environ cinq mois, comprenant un mois de formation théorique et quatre mois de formation pratique dans un cabinet de juges des enfants. Ils y exercent aux côtés d'un autre juge pour développer leur spécialisation. Cependant, cette spécialisation se construit tout au long de l'exercice de la fonction, notamment grâce aux interactions avec les autres professionnels.

Nous avons besoin de professionnels compétents pour nous fournir des observations concrètes sur l'enfant et nous rappeler ses besoins fondamentaux. En audience, nous faisons face aux enfants, souvent accompagnés d'avocats, de travailleurs sociaux et de leurs parents. Chacun met en avant des éléments importants. Les parents, par exemple, soulignent souvent le manque de soutien dont ils ont souffert. Il est effectivement injuste qu'après quatre mois, seules deux heures d'intervention aient été effectuées par une travailleuse familiale, alors que des interventions plus précoces auraient pu être bénéfiques. Cela représente une perte de chance pour l'enfant. Une fois cette chance perdue, le lien ne s'est pas créé. Est-il juste de faire attendre l'enfant encore plus longtemps ?

Nous sommes confrontés à des questions extrêmement complexes, et l'évolution amorcée par la loi de 2016 ne peut se réaliser en six mois. Nous avons besoin de temps et de collaboration. Une idée très intéressante a été proposée : la construction de formations communes par les observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE). Il serait souhaitable que ces formations soient reconnues au titre de la formation continue des magistrats et qu'elles comptent ainsi dans les jours de formation obligatoire. Nous avons en effet la chance de bénéficier d'un système de formation continue obligatoire d'une semaine par an. Il est également essentiel que cette formation soit, notamment pour les jeunes professionnels, axée sur l'exercice concret des fonctions actuelles, plutôt que sur des projections dans des fonctions futures. Il est pertinent de se former aux besoins fondamentaux de l'enfant lorsqu'on est juge des enfants, plutôt que de se préparer à la tenue des audiences correctionnelles qui auront lieu dans deux ans.

Cela nécessite aussi une réflexion sur la durée des fonctions. Autrefois, les juges des enfants restaient très longtemps en poste, ce qui les rendait très spécialisés, mais peu enclins à se remettre en question. Une volonté de promouvoir la mobilité a émergé, visant une meilleure agilité professionnelle et une curiosité intellectuelle accrue, ce qui est très intéressant. Cependant, il ne faut pas que cette mobilité soit trop fréquente. Un juge des enfants doit pouvoir rester quatre ou cinq ans sur un poste pour mettre en place des partenariats, se former, connaître les secteurs et les familles, et être identifié. La continuité d'intervention du juge des enfants est importante pour les familles, les enfants et les travailleurs sociaux. La confiance se construit avec le temps.

En matière de formation, l'École nationale de la magistrature a également tenté de mettre en place des initiatives très intéressantes. Le cycle approfondi d'études sur la justice des mineurs est une formation de deux ans comprenant des modules de deux à trois jours. Ces modules abordent des questions spécifiques telles que le développement et la prise en charge des enfants, avec un accent particulier sur les sciences humaines. Cette formation inclut une partie théorique enrichie par des apports expérientiels, provenant à la fois de pratiques professionnelles, de témoignages d'anciens enfants placés, de parents, d'intervenants extérieurs, comme l'association ATD-Quart monde sur les problèmes de logement. Cette formation exige un véritable engagement de la part des juges des enfants, qui y consacrent deux à trois jours tous les deux mois pendant deux ans. Parmi les modules proposés, certains sont communs avec des psychologues ou des membres de la PJJ et sont également ouverts aux inspecteurs de l'ASE. Je considère que cette approche représente l'avenir et permettra une évolution culturelle nécessaire pour mieux appréhender les questions de statut et comprendre les besoins de l'enfant. Cela illustre bien l'importance de la connaissance réciproque dans notre domaine.

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