Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Réunion du jeudi 23 mai 2024 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ASE
  • PJJ
  • accompagnés
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  • mineur
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La réunion

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La séance est ouverte à dix heures quinze.

Sous la présidence de Mme Laure Miller, présidente, la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance s'est réunie en vue de procéder à l'audition de Mmes Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, Frédérique Botella, sous-directrice adjointe des missions de protection judiciaire et d'éducation, Valérie Gorlin, cheffe du bureau des partenaires institutionnels et des territoires, Alice Bonatti, cheffe de la section de la protection de l'enfance et des relations avec les juridictions, et Marie-Laure Tenaud, cheffe de la mission sur les mineurs non accompagnés.

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Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance avec l'audition de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), représentée par Mmes Caroline Nisand, sa directrice, Frédérique Botella, sous-directrice adjointe des missions de protection judiciaire et d'éducation, Valérie Gorlin, cheffe du bureau des partenaires institutionnels et des territoires, Alice Bonatti, cheffe de la section de la protection de l'enfance et des relations avec les juridictions, et Marie-Laure Tenaud, cheffe de la mission sur les mineurs non accompagnés.

La DPJJ est notamment chargée d'élaborer et de faire appliquer les textes concernant les mineurs en danger, d'assurer leur prise en charge dans les services et établissements de l'État et d'apporter une aide à la décision judiciaire.

Je vous laisserai la parole pour une intervention liminaire d'environ quinze minutes. Nous poursuivrons ensuite nos échanges sous la forme de questions-réponses.

Je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le site internet de l'Assemblée nationale.

En application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire : « Je le jure ».

(Mme Caroline Nisand, Mmes Frédérique Botella, Valérie Gorlin, Alice Bonatti et Marie-Laure Tenaud prêtent successivement serment.)

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

La DPJJ est l'une des cinq directions du ministère de la justice. Elle est composée d'une administration centrale et de services déconcentrés présents sur l'ensemble du territoire national, organisés en neuf directions interrégionales. Elle comporte 228 établissements et services du secteur public, 965 établissements et services associatifs habilités et 9 232 professionnels, dont 55 % d'éducateurs. Nous avons la chance d'avoir une École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) avec onze pôles territoriaux de formation. Grâce à cette organisation, la DPJJ dispose à la fois d'une vision globale à l'échelle nationale et d'une vision au plus près des réalités du terrain.

La DPJJ est chargée de l'ensemble des questions qui intéressent la justice des mineurs et de la concertation entre les institutions intervenant à ce titre. Il est important de préciser que la justice des mineurs concerne à la fois les mineurs en danger, c'est-à-dire la justice civile dans le cadre de la procédure d'assistance éducative, et les mineurs qui ont commis des actes de délinquance, c'est-à-dire la justice pénale. Ces deux champs d'intervention ont de nombreux points communs que la DPJJ rappelle avec constance. En effet, nous promouvons une conception large de la notion de protection de l'enfance, qui englobe à la fois le volet pénal et le volet civil, contrairement aux oppositions caricaturales qui sont parfois faites entre les deux.

Les missions de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sont régies par le décret du 9 juillet 2008 relatif à l'organisation du ministère de la justice, lequel a été modifié en 2017. Elle a pour mission de concevoir les normes et le cadre d'organisation de la protection des mineurs, en lien avec les directions compétentes. Elle garantit une aide aux décisions de l'autorité judiciaire, soit directement, soit par son secteur associatif habilité, par le biais des mesures d'investigation que ses services exercent au civil et au pénal. Elle assure directement, dans ses établissements et services, la prise en charge des mineurs sous main de justice par le biais de mesures éducatives ou de peines. Elle garantit à l'autorité judiciaire, par le contrôle, l'audit et l'évaluation, la qualité de l'aide aux décisions et celle de la prise en charge, quel que soit le statut des services et des établissements sollicités – outre le secteur public, il existe en effet un secteur associatif habilité (SAH). Le décret du 25 avril 2017 précise qu'elle anime et contrôle l'action du ministère public en matière de protection de l'enfance ; cette mission est d'autant plus essentielle que l'autorité judiciaire joue un rôle croissant dans la protection de l'enfance. Enfin, elle conduit la politique de formation de l'ENPJJ, seule école de l'État spécialisée dans la protection judiciaire de l'enfance et de l'adolescence.

Aux côtés des départements, qui sont chefs de file en la matière, la DPJJ joue un rôle important dans la mise en œuvre de la politique de protection de l'enfance. Premièrement, elle joue un rôle normatif. Elle a piloté les travaux d'élaboration des dispositions qui relèvent de la justice des mineurs dans la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite « loi Taquet », et elle a rédigé le décret du 2 octobre 2023 portant diverses dispositions en matière d'assistance éducative. Deuxièmement, elle joue un rôle de pilotage et de gouvernance de la politique publique de protection de l'enfance : elle participe à toutes les instances nationales et locales de gouvernance, aux côtés des autres acteurs concernés, dont la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), les autres administrations centrales, les départements et les associations. Troisièmement, elle est directement concernée par le prononcé et la mise en œuvre des mesures en matière de protection de l'enfance, puisqu'elle est pourvoyeuse de plus de 80 % de ces mesures.Au sein du ministère de la justice, la DPJJ est l'interlocutrice privilégiée des juridictions pour mineurs, avec lesquelles elle entretient des rapports réguliers, sous différents formats : d'une part, par le biais d'une communication descendante, en leur adressant régulièrement des notes et des circulaires et en publiant une newsletter destinée aux magistrats de la jeunesse pour les informer de l'actualité en la matière ; d'autre part, par le biais d'une communication ascendante, puisqu'elle fait remonter chaque année, en vertu du code de l'organisation judiciaire, les rapports d'activité des tribunaux pour enfants. Nous tirons de ces derniers un état des lieux de l'activité des juridictions pour mineurs, de leurs difficultés et des évolutions souhaitables. Nous entretenons aussi des échanges directs avec les juridictions pour mineurs au sein de différents groupes de travail, avec les magistrats du siège et ceux du parquet. Enfin, nous organisons les rencontres de la justice des mineurs, événement national annuel qui permet un lien direct avec les juridictions.

Les services de la PJJ exercent directement des mesures d'assistance éducative. Il s'agit des mesures judiciaires d'investigation éducative (Mjie), soit dans le secteur public, soit dans le secteur associatif habilité et, de manière plus résiduelle puisque les départements sont à la manœuvre, des mesures d'action éducative en milieu ouvert (AEMO), notamment pour un public vulnérable. En effet, la PJJ a une expertise reconnue concernant les mineurs non accompagnés et les mineurs de retour de zone d'opérations de groupements terroristes.

Nous participons aussi à l'élaboration des grands plans nationaux en matière de protection de l'enfance : le plan de lutte contre les violences faites aux enfants, la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel et l'exploitation sexuelle, etc.

Nous travaillons en étroite collaboration avec les acteurs qui agissent au service de la protection de l'enfance. Nous œuvrons notamment pour soutenir les associations et les structures de la protection de l'enfance et pour permettre aux services déconcentrés de bénéficier de leur action.

Le rôle de la PJJ en matière de protection de l'enfance a tendance à croître. Si, à partir de 2010, les missions exercées par les services déconcentrés ont été recentrées sur le champ pénal – à l'exception des Mjie, des AEMO et des mesures de protection judiciaire des jeunes majeurs –, de nouveaux textes ont renforcé la compétence de la PJJ en matière de protection de l'enfance. Le décret du 25 avril 2017, en indiquant qu'elle « anime et contrôle l'action du ministère public en matière de protection de l'enfance », lui confie un rôle clé dans l'animation de cette politique publique auprès des parquets.

Le plan stratégique national (PSN) formalise les grandes orientations de la PJJ pour la période 2023-2027. Le premier axe de ce plan est l'affirmation de la place de la PJJ dans la coordination de la justice des mineurs. Une note d'orientation publiée le 12 décembre 2023 réaffirme la place de la PJJ comme interlocuteur privilégié des juridictions des mineurs, en assistance éducative comme au pénal.

La meilleure preuve de la part croissante de la PJJ dans la protection de l'enfance est sa participation aux travaux actuels relatifs aux données statistiques de la protection de l'enfance et sa participation aux groupes de travail État-départements, dont un certain nombre sont copilotés par la DPJJ et la DGCS. La protection de la jeunesse étant de plus en plus judiciarisée, il est important que le ministère de la justice puisse donner sa vision des choses et que le dialogue entre les départements et l'autorité judiciaire soit approfondi, pour le bien des enfants pris en charge.

Voilà un bref panorama des missions de la DPJJ en matière de protection de l'enfance. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

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Nous allons maintenant passer aux questions des députés, en commençant par celles de Mme la rapporteure.

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Je me félicite de votre présence dans cette commission d'enquête, qui s'inscrit dans le contexte plus large d'une mobilisation parlementaire autour de la protection de l'enfance : la délégation aux droits des enfants de l'Assemblée nationale a procédé à plusieurs auditions et le président du Sénat, à la demande d'un groupe politique, a mobilisé le Conseil économique, social et environnemental (Cese), lequel doit rendre prochainement un rapport sur la situation de la protection de l'enfance.

Malgré les avancées des lois du 14 mars 2016 et du 7 février 2022, auxquelles vous avez beaucoup contribué, le secteur est confronté à un choc de ressources humaines et à une croissance – faiblement analysée en France – des problèmes de sureffectif, à un degré catastrophique dans certains territoires, et du nombre de mesures non exécutées. Cette commission d'enquête est l'occasion de pointer, humblement, les manquements des politiques publiques de protection de l'enfance. Nous recevrons également les syndicats de magistrats, dans leur diversité, pour qu'ils nous apportent leur éclairage.

En tant qu'ancienne vice-présidente du département du Val-de-Marne, département qui compte plus de 1 million d'habitants, j'ai toujours très bien travaillé avec la PJJ. Je sais également que tous les problèmes ne viennent pas des départements. Le tableau dressé par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) indique que 121 306 mesures d'AEMO ont été prononcées en 2022, sans en donner le coût budgétaire. De mon expérience, le département paie, mais il a très peu de visibilité sur l'efficacité des mesures financées. Dans mon département, il a fallu mener un important travail budgétaire pour consolider le coût total, qui se montait à 8 millions d'euros. Certains éducateurs des associations habilitées rendaient aux jeunes une visite par mois ; parfois, ils se contentaient de leur téléphoner.

Nous voulons que les jeunes soient accompagnés de la meilleure manière possible, ce qui est difficile en situation de tension maximale. Je constate que les AEMO sont parfois renouvelées – nous avions d'ailleurs lancé un appel à projets en vue de renouveler les AEMO renforcées –, mais sans aucune visibilité ; trois ans plus tard, cela pouvait se terminer par une ordonnance de placement provisoire (OPP), l'enfant étant au plus mal.

En tant qu'élue, il m'est arrivé, lorsque nous nous inquiétions de la situation de certains jeunes confrontés à la prostitution, de demander l'intégralité de leur dossier sous le régime du secret partagé ; on constatait alors que, depuis le début, ils étaient suivis administrativement par la protection de l'enfance, avec AEMO, retour dans la famille, etc., si bien que, lorsqu'ils faisaient l'objet d'une OPP du parquet, le mal était fait : ces adolescents étaient abîmés dans leur construction même, et les éducateurs n'étaient pas armés face à leur situation.

Quand je suis devenue vice-présidente du département du Val-de-Marne en 2011, tous les éducateurs dénonçaient la décision de mettre fin à la prise en charge éducative par la PJJ, après le recentrage de 2010. Ils considéraient que la protection de l'enfance accueillait désormais des enfants qu'elle n'aurait pas dû accueillir – ils évoquaient notamment des cas d'agressions sexuelles. Il arrivait également que des mesures éducatives soient prises dans le cadre des nouvelles missions de la PJJ, mais les différents services ne se parlaient pas : les éducateurs de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ne parlaient pas à ceux de la PJJ. Comment réussir dans ces conditions ?

Je regrette de voir perdurer ces dysfonctionnements et je souhaiterais avoir votre éclairage. À l'époque, mon département avait élaboré un protocole avec la PJJ – notre interlocutrice était Mme Catherine Mathieu –, qui fonctionnait très bien pour les situations complexes. Ma première question est donc la suivante : existe-t-il des protocoles PJJ-département partout en France métropolitaine et dans les outre-mer ? Au-delà des appels à projets en matière d'AEMO, pour lesquels c'est déjà le cas, il me semble que ce serait une bonne manière de travailler. Nous avons su développer une culture commune dans mon département, mais cela ne fait pas une politique à l'échelle nationale. Je ne parle pas de la réunion, une fois par an, de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), ni des dix départements qui expérimentent un comité départemental pour la protection de l'enfance (CDPE), qui ne changent rien à la vie des enfants. Je parle de travailler concrètement, main dans la main. L'administration fonctionne trop en silos.

Je dis toujours qu'investir dans l'enfance, c'est investir dans l'avenir : la protection de l'enfance représente un investissement de 10 milliards d'euros. On ne peut pas simplement dire aux départements qu'ils devront financer 200 000 AEMO, sans plus de précisions – sans travail de recherche, sans une connaissance affinée des territoires, sans détail budgétaire. Cela ne donne pas de bons résultats.

La recherche clinique en neurosciences nous apprend que les enfants victimes de maltraitance perdraient jusqu'à vingt ans d'espérance de vie ; selon une étude britannique, ils représenteraient, tout au long de leur vie, un coût annuel équivalant à 38 milliards de dollars pour la société française. Je participe à toutes les réunions sur la politique de la protection de l'enfance depuis dix ans, et c'est toujours une catastrophe. Qu'est-ce qui freine les politiques publiques ? Que deviennent ces jeunes ? Je suis intéressée par vos chiffres en la matière. On sait qu'ils sont peu diplômés et que leur sortie du dispositif est difficile. Combien de fois la PJJ a-t-elle demandé à la protection de l'enfance de mon département de l'aider à accompagner des jeunes majeurs qui sortaient de ses services ou qui avaient basculé dans la radicalisation, notamment dans le cas des retours de Syrie ! Nous n'étions pas les seuls à les prendre en charge ; il y avait parfois jusqu'à cinq services autour d'un enfant. Quand il s'agissait d'une jeune fille enceinte, elle ne pouvait pas être suivie par la PJJ, qui n'a pas de service dédié. C'est pourquoi il faut trouver des solutions ensemble à l'échelle du territoire.

J'ai beaucoup de respect pour le travail de la PJJ : les éducateurs que j'ai rencontrés sont des gens formidables et ses restaurants d'application, comme ceux des Apprentis d'Auteuil, sont de belles expériences qui permettent aux jeunes de retrouver un cadre. J'invite d'ailleurs tous les élus à participer aux portes ouvertes de la PJJ dans leur territoire afin de mesurer son action. Nous fonctionnons trop en silos : cela ne peut pas durer.

Nous luttons pour faire évoluer les normes d'encadrement. Les pouponnières sont soumises à des normes choquantes datant de 1974, et d'autres structures en manquent. Je souhaiterais savoir s'il existe des normes d'encadrement au sein des foyers de la PJJ – je ne parle pas des centres éducatifs fermés, mais bien des foyers.

Le budget de la protection de l'enfance est de l'ordre de 10 milliards d'euros par an. Quel est celui de la PJJ ? Les députés se battent pour augmenter ces financements, mais on nous répond que ce n'est pas la priorité. Ce n'est pas acceptable. Il faut absolument trouver des solutions pour que ces enfants aient un meilleur avenir.

Je suis consciente que vos budgets ne sont pas à la hauteur de nos ambitions. Je le sais d'autant plus qu'à l'époque, nous avons en grande partie financé une école destinée aux enfants de la PJJ et l'avons dotée d'outils innovants, en dehors des financements prévus.

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

Comme vous, nous constatons que les acteurs du secteur travaillent en silos et que leur articulation est insuffisante. Le principe de subsidiarité n'est pas respecté, ce qui occasionne une judiciarisation excessive de la protection de l'enfance. En principe, pourtant, l'autorité judiciaire ne devrait intervenir que de manière résiduelle dans ce domaine. Or plus de 80 % des mineurs bénéficient d'une prise en charge sur décision judiciaire ; ce n'est pas sans conséquences sur le fonctionnement de la justice, ni sur les mesures proposées.

Les mesures ordonnées par l'autorité judiciaire sont mises en œuvre bien trop tardivement, voire ne sont pas exécutées – c'est dramatique. Cela conduit à demander à la PJJ des mesures d'investigation éducative, pour s'assurer que des éducateurs se rendent dans les familles et suivent les mineurs. Ces effets collatéraux sont régulièrement dénoncés par les magistrats des mineurs.

Le manque de places d'accueil a aussi des conséquences sur les décisions de l'autorité judiciaire : la solution optimale – placement, suivi en milieu ouvert – ne peut pas nécessairement être retenue.

Nous souffrons aussi d'un manque criant de statistiques uniformisées, qui permettraient de juger de l'efficacité de cette politique publique. Nous disposons, d'une part, des statistiques des départements, qui ne sont pas harmonisées, et d'autre part, de celles, très limitées, du ministère de la justice – le tout, sans interopérabilité. Le logiciel Parcours que nous déployons actuellement devrait nous offrir une meilleure visibilité, mais son implémentation demandera plusieurs années et implique une refonte des dispositifs de remontée des données. Là encore, nous sommes dépendants des crédits qui nous sont alloués.

Par ailleurs, les départements et la PJJ sont confrontés à une crise d'attractivité des métiers de la filière socio-éducative. Nous n'avons pas suffisamment de candidats aux concours, ce qui nous conduit à recruter des contractuels insuffisamment formés : ils sont 22 % au niveau national et peuvent atteindre 40 % à 45 % dans certains territoires, notamment dans les métiers de l'hébergement, les plus difficiles, qui requièrent du personnel aguerri. Cette situation constitue un risque pour les mineurs : il faut posséder un socle commun de connaissances pour leur offrir une prise en charge de qualité, d'autant qu'ils présentent de plus en plus de troubles mentaux, de problèmes de santé et d'addictions.

Dans un tel contexte, comment avancer ? Il ne suffit évidemment pas d'assister à des commissions – vous l'avez souligné –, même s'il est important que l'État soit représenté dans les instances de gouvernance nationale des dispositifs en question. Je suis cependant persuadée que c'est au niveau local que nous pouvons faire avancer les choses. Nos services déconcentrés s'efforcent d'assurer une présence dynamique de l'État dans les territoires, tout particulièrement dans les instances quadripartites, pleinement opérationnelles : elles sont l'occasion de dresser un état des lieux avec les départements, les magistrats du siège, ceux du parquet et la PJJ, de fixer des objectifs communs en matière de délais d'exécution des décisions de justice, d'identifier des dysfonctionnements et d'élaborer des solutions. Tous les départements n'en sont malheureusement pas dotés. Nous élaborons un décret qui vise à institutionnaliser ces commissions quadripartites, afin qu'elles se tiennent partout de manière régulière – idéalement, quatre fois par an –, sans dépendre du bon vouloir des départements. Nos services déconcentrés œuvrent résolument en ce sens.

Nous misons aussi beaucoup sur les CDPE, qui, pour le moment, sont expérimentés dans dix départements. Ils ont le mérite de mobiliser les acteurs des commissions quadripartites, mais aussi le préfet, le président du conseil départemental, divers acteurs du champ de la protection de l'enfance et les agences régionales de santé (ARS) – la présence de ces dernières étant essentielle pour mieux prendre en charge les problèmes d'addictions et de santé mentale.

Il nous paraîtrait utile d'unifier les observatoires départementaux de la protection de l'enfance et les CDPE ; la gouvernance de ces instances y gagnerait en lisibilité.

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Avez-vous connaissance du budget des AEMO à l'échelle nationale ?

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

Nous ne le connaissons pas, car nous avons peu de retours des départements en la matière.

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Quel est le budget de la PJJ au niveau national ? Comment est-il réparti dans les territoires ?

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

Nous vous en communiquerons le détail. Dans les grandes lignes, le budget global s'établit à 1 milliard d'euros ; il se répartit à parts presque égales entre les dépenses de personnel – compte d'affectation spéciale Pensions compris – et de fonctionnement. Parmi les mesures que finance la PJJ, 60 % sont de nature pénale et 40 % relèvent de l'investigation, au civil comme au pénal.

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Je tiens tout d'abord à saluer l'organisation, par le tribunal de Meaux, d'une journée de réflexion fort intéressante sur les mineurs victimes de violences sexuelles. J'y avais assisté, à l'époque, en tant qu'avocate. Les parlementaires mériteraient d'être invités à de tels événements.

Je m'interroge sur les suites données aux signalements pour maltraitance. En Seine-et-Marne, un enfant de trois ans, le petit Bastien, est décédé après avoir été enfermé dans une machine à laver. Il avait fait l'objet de neuf signalements et de trois informations préoccupantes – il était parfois laissé nu sur le balcon, à pleurer, entre autres exemples. Comment expliquer que la PJJ n'en ait pas été informée ou n'ait pas réagi ? Quel dysfonctionnement a pu se produire ?

Ne devrait-on pas faire de la protection de l'enfance une priorité nationale ?

Les parlementaires ne devraient-ils pas être conviés à certaines instances ou disposer d'un droit de visite dans les établissements qui accueillent des enfants ?

Vos services ne gagneraient-ils pas en efficacité s'ils n'étaient pas scindés entre les mineurs délinquants et les autres ?

Enfin, comment expliquer que les décrets d'application de la loi Taquet n'aient pas encore tous été pris ?

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

Je ne saurais répondre sur le cas précis du petit Bastien. J'imagine que cette situation a fait l'objet d'un retour d'expérience, pour identifier la faille : la cellule départementale de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (Crip) a-t-elle été saisie ? L'autorité judiciaire l'a-t-elle été ? Pourquoi n'y a-t-il pas eu de prise en charge ? Cette situation dramatique illustre la nécessité de mieux articuler les acteurs de la protection de l'enfance.

Il est important de préciser que la PJJ n'intervient qu'en aval de la chaîne de signalement, pour appliquer des décisions de justice. Il revient à la Crip d'émettre des signalements à partir des remontées qui lui parviennent. Il arrive aussi que les parquets soient destinataires d'informations préoccupantes et saisissent le juge des enfants pour qu'une mesure de protection soit prise. Nous nous efforçons cependant d'être présents en amont ; ainsi, nous détachons des éducateurs de la PJJ au sein des Crip pour harmoniser le dispositif de signalement et transmettre des informations de meilleure qualité à l'autorité judiciaire, afin qu'elle intervienne plus rapidement. Nous diffusons régulièrement à nos services déconcentrés les numéros d'appel dédiés au signalement de violences faites aux enfants et d'agressions sexuelles.

Je suis convaincue que la protection de l'enfance doit être érigée en priorité nationale. Les pouvoirs publics semblent en prendre conscience – en témoigne l'organisation de groupes de travail, auxquels nous participons et qui, je l'espère, connaîtront une traduction opérationnelle. Il s'agit en particulier d'assurer une meilleure articulation entre l'ASE et la PJJ.

Notez que les parlementaires peuvent désormais accéder à certains établissements accueillant des mineurs. En outre, nous organisons régulièrement des opérations portes ouvertes. Les parlementaires y sont invités et peuvent ainsi découvrir la façon dont nous fonctionnons, en milieu ouvert ou en structure d'hébergement. Les élus se montrent intéressés par ces événements.

Vous déplorez que la prise en charge soit scindée entre les mineurs délinquants et les autres. Comme je l'ai rappelé, la PJJ a dû se recentrer, en 2010, sur le champ pénal et les mineurs délinquants. Toutefois, nous intervenons aussi, par le biais des Mjie civiles, dans le champ propre de la protection de l'enfance. Nos éducateurs et nos professionnels tiennent à conserver une expertise en la matière.

Enfin, l'ensemble des décrets d'application relevant de la PJJ ont été pris.

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L'aide sociale à l'enfance repose à 90 % sur des mesures judiciaires. Paradoxalement, cette judiciarisation – que vous jugez excessive – entraîne une insécurité juridique croissante pour les enfants concernés. En raison du manque de places dans les établissements d'accueil, 77 % des juges des enfants ont déjà renoncé à demander le placement d'un enfant. Cela aboutit à des situations insensées de maintien à domicile auprès de parents pourtant défaillants, voire violents. D'autres décisions de placement ne sont pas appliquées ; cela peut avoir des conséquences dramatiques, quand on sait que 34 % des enfants décédés sous les coups de leurs parents vivaient dans une famille connue par les services de l'ASE. Comment résoudre cette situation et pallier le manque d'avocats chargés de veiller au respect des droits des enfants pendant la procédure et tout au long de leur placement ? Les associations préconisent la désignation obligatoire d'un avocat chargé de s'assurer que les intérêts des enfants sont défendus et que les décisions sont exécutées ; elles recommandent également qu'un greffier soit présent pendant l'audience. Qu'en pensez-vous ?

Ces cinq dernières années, les signalements pour proxénétisme sur mineur dans les structures d'accueil ont augmenté de 62 % ; les jeunes filles placées et les mineurs non accompagnés représentent 70 % à 80 % des victimes. Comment expliquer qu'autant d'enfants placés se prostituent ? Quels contrôles effectuent les services de l'ASE pour lutter contre le proxénétisme et l'enrôlement dans des réseaux ? Les professionnels sont-ils suffisamment formés à ces sujets ? Quelles mesures sont prises lorsqu'une victime est identifiée ?

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

Les juridictions pour mineurs souhaiteraient que des avocats interviennent systématiquement aux côtés des jeunes en matière d'assistance éducative. Malheureusement, nous n'avons pas de budget pour financer cette proposition. Les juridictions déplorent aussi le manque de greffiers. De fait, certains juges des enfants sont contraints de tenir leurs audiences en assistance éducative sans greffier, alors que la loi exige leur présence. Quant aux administrateurs ad hoc, la loi Taquet préconise qu'ils soient davantage présents auprès des jeunes mineurs, mais là encore, nous nous heurtons à un problème de financement. Au sein du ministère de la justice, le service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes pilote un groupe de travail sur le sujet. Le problème est toujours le même : qui finance ?

Concernant le proxénétisme au sein des foyers de l'ASE, je ne peux pas vous répondre car je ne sais pas ce qu'il se passe au sein de ces foyers. Toutefois, la PJJ est très impliquée dans le plan de lutte contre la prostitution des mineurs et la prise en compte du proxénétisme.

Nous finançons un dispositif expérimental créé par l'association Koutcha, qui vise à accueillir dix jeunes victimes de différentes formes d'exploitation – proxénétisme, mendicité forcée. Ils sont ainsi « mis au vert » dans un centre d'hébergement dont l'adresse est très soigneusement gardée afin d'éviter que les réseaux qui les exploitent ne les retrouvent et ne leur fassent reprendre le chemin des trafics en question. Nos professionnels sont très sensibilisés et sont formés à ce sujet. En Île-de-France, nous assurons également un suivi renforcé des victimes de proxénétisme. Enfin, nous participons au plan national de lutte contre l'exploitation et la traite des êtres humains.

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La question de la double compétence civile-pénale revient souvent dans nos échanges avec les personnels de la PJJ, les organisations syndicales ainsi que les personnels de l'ASE. Tous nous font part de leur sentiment d'être bloqués par leur hiérarchie ; vous semblez partager leur diagnostic. Votre orientation vers le pénal plutôt que vers le civil répond-elle à une injonction politique, ou bien est-ce la conséquence des difficultés budgétaires que vous avez évoquées ?

Concernant la baisse des moyens, le coup de rabot de 10 milliards d'euros concernera la PJJ à hauteur de 38 millions d'euros. Sur quel secteur cela va-t-il porter ? Quelles difficultés cela posera-t-il à la PJJ ?

Je souhaite vous interroger également sur le recours à l'intérim, qui semble assez régulier, certains professionnels y trouvant leur compte car ils perçoivent une prime d'intérim. Quels problèmes cela pose-t-il ?

Quand on discute avec les jeunes majeurs issus de l'ASE, la question du couperet des 18 ans revient régulièrement, concernant par exemple la poursuite d'études supérieures. Les jeunes de l'ASE bénéficient automatiquement d'une bourse à l'échelon 7, mais qu'est-il prévu pour les jeunes majeurs de la PJJ ? Assurez-vous un suivi des jeunes de plus de 18 ans ?

Enfin, s'agissant des mineurs non accompagnés, quel impact ont eu les articles 39 et 44 de la loi « immigration » (loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration) sur le travail de la PJJ auprès de ces jeunes ?

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

S'agissant de la double compétence civile et pénale, qui était jusqu'en 2010 l'essence du travail de la PJJ, il ne m'appartient pas de discuter les choix politiques ayant abouti à un recentrage de notre activité sur le champ pénal. Je ne peux, de ma place, décider de réinvestir le champ civil ; les moyens actuels n'y suffiraient d'ailleurs pas. Cela étant, il ne s'agit pas d'une question de moyens mais d'une volonté politique, qui est totalement assumée de notre côté. Je ne peux donc pas vous répondre.

Nous intervenons dans le champ pénal en investissant le secteur de la protection de l'enfance et en étant présents dans la gouvernance des instances existantes. Nous avons à cœur d'éviter toute rupture dans le parcours des mineurs, même si nous sommes quand même limités à cet égard. Certes, le budget alloué à la PJJ a subi un coup de rabot de 33 % mais nous avons fait en sorte qu'il ne concerne pas les mesures déjà mises en œuvre à l'égard des mineurs, qui sont sanctuarisées. Dans le cadre du programme 182, que je pilote, et en lien avec le garde des sceaux, nous avons fait le choix de différer certaines opérations, essentiellement immobilières, afin que ces 38 millions n'affectent pas les actions éducatives décidées par la PJJ. Ce choix a été fait au profit des mineurs, qui ne doivent pas subir les conséquences d'une réduction des budgets.

Nous avons recours à l'intérim de manière marginale, lorsque nous sommes coincés, sans titulaire ni contractuel, et parce qu'il faut assurer la continuité des missions. Cela reste résiduel et ceux qui acceptent de faire de l'intérim y trouvent leur compte sur le plan financier.

Concernant le couperet des 18 ans, le code de la justice pénale des mineurs a élargi la compétence de la PJJ aux jeunes majeurs jusqu'à l'âge de 21 ans. Cela n'est donc pas inéluctable : nous pouvons continuer à nous occuper des jeunes jusqu'à 21 ans afin que des mineurs arrivant en fin de prise en charge ne se retrouvent pas laissés-pour-compte. Nous négocions leur prise en charge avec les départements, dans le cadre de la protection des jeunes majeurs. La négociation est très serrée – je ne vais pas vous dire que c'est facile – mais plus il y a de liens entre les départements et les services de la PJJ, mieux cela se passe.

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Marie-Laure Tenaud, cheffe de la mission sur les mineurs non accompagnés

Vous nous avez posé plusieurs questions relatives à la loi « immigration », qui relève plus spécifiquement de la compétence du ministère de l'intérieur.

L'article 39 prévoit le recueil des empreintes digitales et photographiques des mineurs soupçonnés d'avoir participé à la commission d'une infraction. La création de ce fichier ne relevant pas de la compétence de la PJJ, je ne pourrai donc pas répondre à cette question.

La loi Taquet a prévu la prise en charge des mineurs non accompagnés jusqu'à 21 ans dans le cadre d'un contrat jeune majeur. L'article 44 permet au président du conseil départemental d'interrompre un tel contrat si une obligation de quitter le territoire français (OQTF) a été prononcée contre le jeune. Nous n'avons pas reçu d'informations faisant état d'un recours massif à cette disposition par les présidents des conseils départementaux.

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En 2023, plus de 35 000 jeunes ont été accompagnés par l'ASE et par la PJJ. Selon le rapport de la commission de l'insertion des jeunes du 23 juin 2023, les jeunes adultes passés par la protection de l'enfance, plus isolés que les autres à leur majorité, ne sont pas suffisamment accompagnés par les dispositifs relevant de l'État et des départements. Selon vous, qu'est-ce qui pousse les jeunes issus de l'ASE vers la délinquance ? Quel est le niveau de responsabilité des structures d'accueil des départements et de l'État ? Quels faits sont majoritairement reprochés à ces jeunes ?

En 2017, la sénatrice communiste Cécile Cukierman, dans son avis sur les crédits de la PJJ, recommandait de renforcer l'articulation avec les départements et soulignait que la coordination avec les services de l'ASE n'était pas efficiente dans les départements. Il me semble que ce n'est pas vraiment mieux aujourd'hui. Quel est votre avis sur ce point ?

Enfin, une question qui s'adresse à Mme Tenaud, une certaine classe politique voudrait faire croire aux Français que la raison de tous leurs maux est l'immigration. Les mineurs non accompagnés sont leur nouvelle cible. Pourtant, selon les chiffres de la mission sur les mineurs non accompagnés, qui a été créée au sein de la PJJ en 2013, il y a une baisse globale des présentations des MNA au pénal, le nombre d'incarcérés et de déférés diminue. En 2022, 15,1 % des mineurs incarcérés en France étaient des mineurs non accompagnés, en 2023, ce chiffre est passé à 8,9 %. Connaissez-vous les raisons de cette baisse sachant que, dans le même temps, le nombre de mineurs non accompagnés présents dans le territoire a augmenté ?

L'ASE et la PJJ recherchent des familles d'accueil pour des jeunes ayant commis des faits de délinquance. Pour certains jeunes, c'est un dispositif plus adapté que les centres éducatifs, qui peut être bénéfique pour leur parcours. Or le nombre de familles d'accueil a drastiquement chuté depuis plusieurs années. Ainsi, le département de l'Hérault en comptait treize il y a une dizaine d'années ; aujourd'hui, il n'en reste qu'une seule. Pourtant, selon un responsable d'unité éducative de la PJJ, n'importe qui peut devenir famille d'accueil, il n'y a pas beaucoup de conditions à remplir. Comment expliquer cette forte baisse ?

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

La réponse à votre question sur ce qui pousse les jeunes de l'ASE vers la délinquance mériterait une étude sociologique. Je ne suis malheureusement pas en mesure de vous dire ce qu'il en est en la matière. Néanmoins, nous savons que les jeunes faisant l'objet d'une prise en charge pénale cumulent plusieurs vulnérabilités. Une étude que nous avons réalisée met en évidence qu'au moins deux tiers des enfants placés en centres éducatifs fermés sont issus des publics de l'ASE. C'est pourquoi je dis qu'il y a un cumul des vulnérabilités. On le sait : la précarité, les violences, les parcours de vie chaotiques sont des facteurs qui peuvent pousser vers des parcours d'ordre pénal – attention, il ne s'agit pas de dire que c'est général. Je ne peux pas vous dire beaucoup plus ; cela mériterait une véritable étude sociologique.

Nous menons des recherches, nous avons un service de recherche à la PJJ en lien avec l'institut de recherche des études judiciaires ; on essaie de déterminer ce qu'il en est. Il est très difficile d'établir des cohortes ; il faudrait avoir des remontées d'informations avec des outils statistiques fiables, mais on essaie néanmoins d'avancer sur la question pour reconstituer le trajet des mineurs qui sont passés par plusieurs dispositifs – départementaux, judiciaires. Il est important pour nous de savoir ce qu'ils deviennent ensuite : est-ce que la prise en charge permet de les remettre dans un dispositif d'insertion ? Notre ambition est de les aider à sortir de cette trajectoire difficile et à trouver une voie d'insertion, qu'elle soit scolaire ou professionnelle. Tel est l'objectif sur lequel nous sommes concentrés ; cela fait d'ailleurs partie des politiques prioritaires du Gouvernement.

J'ai déjà répondu en partie à votre deuxième question. Nous poussons pour qu'il y ait une meilleure coordination avec les services de l'ASE, au travers des instances dont je vous ai parlé, qui ne sont pas simplement des instances formelles au niveau national mais des instances locales, au plus près du terrain.

La baisse du nombre de familles d'accueil constitue une véritable difficulté parce que ce dispositif est particulièrement adapté à la prise en charge de nos mineurs. Nous en sommes tellement persuadés que nous venons de mettre en place une campagne de communication pour recruter de nouvelles familles. Celles que nous avons déjà recrutées arrivent à un moment de leur vie où elles prennent leur retraite et ne veulent plus renouveler leur engagement en la matière. Ce problème d'ordre démographique nous amène à devoir renouveler les familles d'accueil. Nous avons lancé une campagne de communication sur les réseaux sociaux et par le biais d'affiches pour recruter de nouvelles familles, notre mot d'ordre étant que tout le monde peut être famille d'accueil.

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

Il faudrait que je vérifie ce qu'il en est mais je ne vois pas pourquoi cette campagne ne serait pas diffusée en outre-mer. Notre objectif est que toutes les familles, dans leur diversité, se sentent concernées – couples, avec ou sans enfants, de deux hommes ou deux femmes, etc. Toute la diversité des familles est concernée ; c'est le message que nous voulons faire passer dans cette campagne de communication.

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Marie-Laure Tenaud, cheffe de la mission sur les mineurs non accompagnés

Je vous remercie de rappeler que la quasi-totalité des mineurs non accompagnés présents dans le territoire national ont une volonté d'intégration manifeste. Au cours de l'année 2023, 19 370 mineurs non accompagnés ont été pris en charge par les services de l'ASE et seuls un très petit nombre d'entre eux sont délinquants et mettent en tension les services de la justice, de l'ASE et de la PJJ. On a noté, au cours de la dernière année, une baisse manifeste du nombre de mineurs non accompagnés délinquants : comme vous l'avez rappelé, la proportion de mineurs non accompagnés détenus dans les lieux d'incarcération pour mineurs a fortement baissé, passant de 22 à 7 %. Je n'ai pas vraiment d'explication à vous donner, mais ce que l'on sait, c'est que les services de justice et de police identifient mieux désormais les majeurs qui se font passer pour mineurs, en interrogeant les services étrangers. L'entrée en vigueur du code de justice pénale des mineurs est un autre élément d'explication.

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Vous avez déploré le manque de transversalité et le fait que le travail se fait en silos. Espérons qu'avec les CDPE, les choses vont s'améliorer et qu'il y aura davantage d'échanges entre tous les acteurs – ARS, maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), etc.

Les auditions nous ont montré que la question de la formation reste centrale. Quel regard portez-vous sur le contenu de la formation des travailleurs sociaux et de l'ensemble des professionnels au contact des enfants ? Le fait qu'il existe une formation spécifique pour chaque métier – éducateur spécialisé, éducateur de la PJJ –, avec des approches différentes, est peut-être un frein aux échanges sur le terrain. Comment favoriser la transversalité entre les différents champs pour rendre le système plus efficient et éviter les doublons ? Il arrive que certaines familles soient accompagnées par plusieurs personnes, par exemple au titre de l'AEMO et d'une mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial, et que ces dernières échangent peu entre elles, moins par mauvaise volonté que par manque de temps. Comment éviter cela ?

Par ailleurs, comment renforcer les liens entre le champ de la protection de l'enfance et ceux de l'insertion et de l'aide au logement, qui ont chacun leur langage et leurs objectifs, afin de mieux accompagner les jeunes majeurs ? Lorsque j'étais éducatrice spécialisée, j'ai constaté combien les jeunes âgés de 18 à 21 ans se retrouvent dans le vide, alors qu'un travail en amont permettrait d'éviter certaines situations dramatiques.

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Vous avez dit que les 38 millions d'euros d'économies ne concerneraient pas les mesures mises en œuvre à l'égard des mineurs, mais on nous annonce un nouveau coup de rabot de 10 milliards d'euros d'ici la fin de l'année concernant toutes les dépenses publiques. Vous a-t-on informée que des économies supplémentaires pourraient être demandées à la PJJ ?

Vous avez dit que le déploiement du logiciel Parcours pourrait prendre beaucoup de temps : pouvez-vous nous donner un ordre d'idée ? Notre commission d'enquête bute vraiment sur le manque de données et la faiblesse des remontées d'information. Il paraît donc essentiel d'accélérer la cadence.

Vous avez dit clairement que, selon les départements, les liens avec la PJJ sont plus ou moins faciles – et nous n'avons pas eu la liste des dix départements qui ont accepté le protocole. Selon vous, qu'est-ce qui peut expliquer ces différences de situation ? Vous dites ne pas savoir ce que l'AEMO coûte aux départements, mais je sais pour ma part qu'un placement en milieu ouvert coûte deux fois moins cher qu'un placement en foyer : c'est le genre de choses que l'on peut apprendre quand on creuse un peu la question au niveau départemental. Les départements ayant eux-mêmes des contraintes budgétaires, c'est un peu le serpent qui se mord la queue… Notre collègue Jean-Claude Raux a rappelé que 77 % des juges ont déjà renoncé à des mesures de placement, parce qu'ils savaient qu'il n'y avait pas de place en foyer : c'est donc qu'ils sont informés du nombre de places disponibles et qu'il doit y avoir des remontées à ce sujet. La PJJ demande-t-elle officiellement aux départements des remontées sur le coût des mesures et sur les mesures non exécutées ?

Au sujet des signalements « enfant en danger », vous avez évoqué la Crip, qui a connu quelques dysfonctionnements en Seine-Maritime : il est arrivé que des signalements prennent beaucoup de temps, parce que personne ne répondait. L'expérimentation que vous avez évoquée, consistant à placer des éducateurs de la PJJ au sein de la Crip, a-t-elle lieu dans tous les départements ? Avez-vous déjà des retours à son sujet ?

Enfin, vous avez soulevé de façon très franche la question de l'attractivité des métiers. Pouvez-vous nous donner le taux de contractuels parmi les professionnels de la PJJ et le montant du salaire d'entrée ? Vous avez dit que vous recrutez désormais des gens sans formation : quel est le taux de personnes diplômées dans vos services ? Et je terminerai par une question plus philosophique : comment peut-on espérer faire mieux avec moins ?

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

La question de la formation est effectivement centrale. Comme j'ai eu l'occasion de le dire dans mon propos liminaire, nous sommes très fiers de l'ENPJJ, qui fait un excellent travail. Il faut savoir que la formation qui y est dispensée ne s'adresse pas qu'aux lauréats des concours de la PJJ et que son catalogue de formation est ouvert aussi au personnel des départements. C'est la seule école d'application en France qui met vraiment l'accent sur la protection de l'enfance et le fait qu'elle soit ouverte au personnel des départements permet d'harmoniser la formation des différents acteurs.

Vous avez posé la question des doublons. Il est vrai que lorsque plusieurs mesures concernent la même famille, les personnes chargées de les appliquer ont peu d'échanges entre elles. Nous prônons une meilleure articulation entre les différents acteurs dans le cadre des groupes de travail auxquels nous participons et des instances locales que nous cherchons à généraliser. Il est insupportable que chacun travaille de son côté, sans échanger avec les autres : instaurer davantage de transversalité est vraiment l'une de nos priorités.

Nous sommes tellement convaincus de la nécessité de travailler à l'insertion, aussi bien des mineurs que des jeunes majeurs, que nous avons présenté au garde des sceaux un plan Insertion, qu'il a accueilli favorablement et validé. Grâce aux moyens qui nous ont été alloués l'année dernière, nous avons ainsi pu créer, dans notre schéma d'emplois, 92 équivalents temps plein pour des correspondants insertion, qui ont précisément vocation à faire l'interface entre tous les acteurs. La formation qualifiante dont ils bénéficient à l'ENPJJ vise à en faire des experts en matière d'insertion, qui est notre objectif phare. Plutôt que de multiplier les dispositifs, il s'agit de mettre nos mineurs et nos jeunes majeurs à niveau sur le plan scolaire et en matière de formation professionnelle pour qu'ils puissent, grâce au correspondant insertion, intégrer les dispositifs de droit commun en la matière – qu'ils soient en milieu ouvert ou en hébergement.

Nous venons de faire un bilan de la Crip, en adressant un questionnaire aux départements qui en ont fait l'expérimentation. Même si les résultats sont un peu hétérogènes, ils sont globalement positifs et nous souhaitons vraiment généraliser ce dispositif. Cela va nous coûter des équivalents temps plein – 0,2 par éducateur de la PJJ – mais cela vaut le coup, car c'est une vraie plus-value.

L'attractivité des métiers est un grand sujet. Comme je vous l'ai dit, on compte 22 % de contractuels au niveau national et 40 à 45 % dans certains centres d'hébergement, ce qui n'est pas satisfaisant. Afin de fidéliser et de former nos contractuels, nous avons créé des concours à affectation locale : les contractuels qui sont reçus, et qui bien souvent n'ont pas envie de changer de région, restent dans le service où ils étaient employés. Nous faisons beaucoup d'efforts pour que les contractuels qui ont donné satisfaction passent des concours et deviennent titulaires, avec la formation qui va avec, car de l'attractivité de nos métiers et de la fidélisation de notre personnel découle la qualité de la prise en charge de nos mineurs.

La question du salaire est importante, mais je ne suis pas sûre de pouvoir vous donner une réponse précise. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a eu une revalorisation des salaires versés aux éducateurs et qu'ils sont passés, au niveau statutaire, de la catégorie B à la catégorie A. Je ne dis pas que tout est parfait, mais je crois que le salaire d'entrée est compris entre 1 800 et 2 000 euros, ce qui est mieux qu'au niveau des départements.

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Effectivement, le personnel des départements est moins bien payé, et celui des structures qui travaillent pour le département, encore moins bien.

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

Il faut toutefois faire une distinction entre les éducateurs et les directeurs de service. Pour les directeurs de service, le salaire d'entrée est plus élevé, mais il évolue peu par la suite, si bien que le salaire proposé dans le milieu associatif peut être plus intéressant.

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Vous avez dit à plusieurs reprises que vous aviez parfois du mal à obtenir des informations des départements, par exemple le coût de certaines mesures. Comment analysez-vous ce problème de coopération ? Pensez-vous que cela traduit, de la part de certains départements, une forme de réticence qui peut s'expliquer par le fait qu'on leur délègue une politique qu'ils n'ont pas toujours les moyens d'assurer ? Ou bien faut-il y voir une forme de désintérêt de leur part ?

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Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

Je ne parlerais pas forcément d'un défaut de coopération. Il y a surtout un problème de remontée d'information, lié au fait que les départements n'ont pas tous les mêmes systèmes d'information. Par ailleurs, ils n'ont pas non plus les mêmes indicateurs, ce qui fait qu'on a beaucoup de mal à avoir des données fiables.

Nous essayons de fiabiliser nos données grâce à l'application Parcours. J'ai dit qu'il y avait eu des difficultés de mise en place, mais nous avons vraiment pris les choses à bras-le-corps depuis 2019 et différents lots ont été déployés successivement. Le premier, qui a donné lieu à une formation très soutenue au niveau de l'ENPJJ, concerne la saisie des informations par les services eux-mêmes, adossée à un système d'infocentre, qui nous permet déjà de faire remonter certaines informations et de les exploiter. Pour que les choses se fassent dans de bonnes conditions, il faut aussi élargir le dispositif au service associatif habilité. À l'heure actuelle, on enregistre les données, mais le délai de latence est considérable. Il faudrait aussi que l'autorité judiciaire puisse accéder au système, ce qui suppose une interopérabilité avec les données judiciaires. Tout cela est prévu, mais il y aura plusieurs phases, car on ne peut pas tout faire en même temps.

Nous veillerons à ce que tout cela se mette en place à notre niveau car, comme j'ai eu l'occasion de le dire, une politique publique qui ne peut pas être évaluée à partir de données fiables n'est pas une bonne politique publique.

La séance s'achève à douze heures.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Ingrid Dordain, Mme Alma Dufour, Mme Karine Lebon, Mme Laure Miller, M. Jean-Claude Raux, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago