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Intervention de Isabelle Santiago

Réunion du jeudi 23 mai 2024 à 10h00
Commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Santiago, rapporteure :

Je me félicite de votre présence dans cette commission d'enquête, qui s'inscrit dans le contexte plus large d'une mobilisation parlementaire autour de la protection de l'enfance : la délégation aux droits des enfants de l'Assemblée nationale a procédé à plusieurs auditions et le président du Sénat, à la demande d'un groupe politique, a mobilisé le Conseil économique, social et environnemental (Cese), lequel doit rendre prochainement un rapport sur la situation de la protection de l'enfance.

Malgré les avancées des lois du 14 mars 2016 et du 7 février 2022, auxquelles vous avez beaucoup contribué, le secteur est confronté à un choc de ressources humaines et à une croissance – faiblement analysée en France – des problèmes de sureffectif, à un degré catastrophique dans certains territoires, et du nombre de mesures non exécutées. Cette commission d'enquête est l'occasion de pointer, humblement, les manquements des politiques publiques de protection de l'enfance. Nous recevrons également les syndicats de magistrats, dans leur diversité, pour qu'ils nous apportent leur éclairage.

En tant qu'ancienne vice-présidente du département du Val-de-Marne, département qui compte plus de 1 million d'habitants, j'ai toujours très bien travaillé avec la PJJ. Je sais également que tous les problèmes ne viennent pas des départements. Le tableau dressé par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) indique que 121 306 mesures d'AEMO ont été prononcées en 2022, sans en donner le coût budgétaire. De mon expérience, le département paie, mais il a très peu de visibilité sur l'efficacité des mesures financées. Dans mon département, il a fallu mener un important travail budgétaire pour consolider le coût total, qui se montait à 8 millions d'euros. Certains éducateurs des associations habilitées rendaient aux jeunes une visite par mois ; parfois, ils se contentaient de leur téléphoner.

Nous voulons que les jeunes soient accompagnés de la meilleure manière possible, ce qui est difficile en situation de tension maximale. Je constate que les AEMO sont parfois renouvelées – nous avions d'ailleurs lancé un appel à projets en vue de renouveler les AEMO renforcées –, mais sans aucune visibilité ; trois ans plus tard, cela pouvait se terminer par une ordonnance de placement provisoire (OPP), l'enfant étant au plus mal.

En tant qu'élue, il m'est arrivé, lorsque nous nous inquiétions de la situation de certains jeunes confrontés à la prostitution, de demander l'intégralité de leur dossier sous le régime du secret partagé ; on constatait alors que, depuis le début, ils étaient suivis administrativement par la protection de l'enfance, avec AEMO, retour dans la famille, etc., si bien que, lorsqu'ils faisaient l'objet d'une OPP du parquet, le mal était fait : ces adolescents étaient abîmés dans leur construction même, et les éducateurs n'étaient pas armés face à leur situation.

Quand je suis devenue vice-présidente du département du Val-de-Marne en 2011, tous les éducateurs dénonçaient la décision de mettre fin à la prise en charge éducative par la PJJ, après le recentrage de 2010. Ils considéraient que la protection de l'enfance accueillait désormais des enfants qu'elle n'aurait pas dû accueillir – ils évoquaient notamment des cas d'agressions sexuelles. Il arrivait également que des mesures éducatives soient prises dans le cadre des nouvelles missions de la PJJ, mais les différents services ne se parlaient pas : les éducateurs de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ne parlaient pas à ceux de la PJJ. Comment réussir dans ces conditions ?

Je regrette de voir perdurer ces dysfonctionnements et je souhaiterais avoir votre éclairage. À l'époque, mon département avait élaboré un protocole avec la PJJ – notre interlocutrice était Mme Catherine Mathieu –, qui fonctionnait très bien pour les situations complexes. Ma première question est donc la suivante : existe-t-il des protocoles PJJ-département partout en France métropolitaine et dans les outre-mer ? Au-delà des appels à projets en matière d'AEMO, pour lesquels c'est déjà le cas, il me semble que ce serait une bonne manière de travailler. Nous avons su développer une culture commune dans mon département, mais cela ne fait pas une politique à l'échelle nationale. Je ne parle pas de la réunion, une fois par an, de l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), ni des dix départements qui expérimentent un comité départemental pour la protection de l'enfance (CDPE), qui ne changent rien à la vie des enfants. Je parle de travailler concrètement, main dans la main. L'administration fonctionne trop en silos.

Je dis toujours qu'investir dans l'enfance, c'est investir dans l'avenir : la protection de l'enfance représente un investissement de 10 milliards d'euros. On ne peut pas simplement dire aux départements qu'ils devront financer 200 000 AEMO, sans plus de précisions – sans travail de recherche, sans une connaissance affinée des territoires, sans détail budgétaire. Cela ne donne pas de bons résultats.

La recherche clinique en neurosciences nous apprend que les enfants victimes de maltraitance perdraient jusqu'à vingt ans d'espérance de vie ; selon une étude britannique, ils représenteraient, tout au long de leur vie, un coût annuel équivalant à 38 milliards de dollars pour la société française. Je participe à toutes les réunions sur la politique de la protection de l'enfance depuis dix ans, et c'est toujours une catastrophe. Qu'est-ce qui freine les politiques publiques ? Que deviennent ces jeunes ? Je suis intéressée par vos chiffres en la matière. On sait qu'ils sont peu diplômés et que leur sortie du dispositif est difficile. Combien de fois la PJJ a-t-elle demandé à la protection de l'enfance de mon département de l'aider à accompagner des jeunes majeurs qui sortaient de ses services ou qui avaient basculé dans la radicalisation, notamment dans le cas des retours de Syrie ! Nous n'étions pas les seuls à les prendre en charge ; il y avait parfois jusqu'à cinq services autour d'un enfant. Quand il s'agissait d'une jeune fille enceinte, elle ne pouvait pas être suivie par la PJJ, qui n'a pas de service dédié. C'est pourquoi il faut trouver des solutions ensemble à l'échelle du territoire.

J'ai beaucoup de respect pour le travail de la PJJ : les éducateurs que j'ai rencontrés sont des gens formidables et ses restaurants d'application, comme ceux des Apprentis d'Auteuil, sont de belles expériences qui permettent aux jeunes de retrouver un cadre. J'invite d'ailleurs tous les élus à participer aux portes ouvertes de la PJJ dans leur territoire afin de mesurer son action. Nous fonctionnons trop en silos : cela ne peut pas durer.

Nous luttons pour faire évoluer les normes d'encadrement. Les pouponnières sont soumises à des normes choquantes datant de 1974, et d'autres structures en manquent. Je souhaiterais savoir s'il existe des normes d'encadrement au sein des foyers de la PJJ – je ne parle pas des centres éducatifs fermés, mais bien des foyers.

Le budget de la protection de l'enfance est de l'ordre de 10 milliards d'euros par an. Quel est celui de la PJJ ? Les députés se battent pour augmenter ces financements, mais on nous répond que ce n'est pas la priorité. Ce n'est pas acceptable. Il faut absolument trouver des solutions pour que ces enfants aient un meilleur avenir.

Je suis consciente que vos budgets ne sont pas à la hauteur de nos ambitions. Je le sais d'autant plus qu'à l'époque, nous avons en grande partie financé une école destinée aux enfants de la PJJ et l'avons dotée d'outils innovants, en dehors des financements prévus.

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