La séance est ouverte à seize heures trente-quatre.
Mon général, je vous prie tout d'abord d'excuser le Président Gassilloud qui a dû partir en début d'après-midi en Italie dans le cadre d'un déplacement de la commission.
Je voudrais vous dire mon général l'immense plaisir de vous retrouver aujourd'hui, vous qui avez été un fidèle habitué de cette salle de commission en tant que chef d'état-major des armées, de 2017 à 2021. Nous vous avions écouté pour la dernière fois le 7 juillet 2021, lors d'une audition exceptionnelle sur la place des armées dans la société française et la singularité militaire, un thème que nous défendons en commun, peu éloigné de nos préoccupations d'aujourd'hui.
Nous vous avons invité dans le cadre de notre cycle sur la défense globale, en votre qualité de grand chancelier de la Légion d'honneur, que vous êtes depuis le 1er février 2023. Nous souhaitons que vous nous expliquiez l'implication des ordres nationaux dans la cohésion nationale, l'éducation à l'esprit civique et la défense globale, la manière dont ces ordres, par le choix des récipiendaires et leurs actions, peuvent y contribuer et comment les associations de membres se mobilisent pour y concourir.
Dans un texte de novembre 2023, vous avez déploré que la nation n'était pas suffisamment consciente du danger existentiel qu'elle pouvait courir et qu'il appartenait aux politiques de maintenir les esprits armés. L'objet de ce cycle est de rappeler aux citoyens qu'ils sont les véritables remparts de la nation et qu'il ne saurait y avoir de défense efficace sans leur implication personnelle. Nous nous donnons également pour objectif de rappeler aux forces vives de la nation qu'elles doivent aussi s'impliquer. Le ministère des armées n'est pas seul à pouvoir contribuer à la défense de la nation.
Je me réjouis de revenir devant cette commission de défense de l'Assemblée nationale. Vous rappeliez cette ultime séance d'échanges, sous forme de transmission d'un héritage, pour évoquer des sujets qui, pour moi, étaient essentiels. Ils avaient guidé toute ma vie militaire et tout mon mandat de chef d'état-major des armées. Le thème rejoignait celui que vous me demandez de traiter : comment armer psychologiquement et moralement la société ?
J'avais pris mes fonctions de chef d'état-major des armées avec un mandat que m'avait accordé le Président de la République, qui consistait à réaffirmer la singularité militaire, qui avait été niée pendant plusieurs années avant qu'il arrive en fonction. Sans doute le fait de ne pas reconnaître la nécessité d'une telle singularité a-t-elle conduit à désarmer notre société et à éloigner des mentalités et des opinions publiques la perspective de la guerre qui, malgré tout, a toujours existé dans l'histoire des hommes. Elle doit servir à redresser, à renforcer et à réarmer, plus qu'à faire peur ou à tétaniser.
Je relisais récemment un texte de Thucydide sur le dialogue mélien. Il raconte un épisode de la guerre entre Athènes et Sparte, notamment la domination qu'Athènes va imposer à l'île de Mélos, évoquant cette victoire de la force sur le droit. Je suis frappé qu'aujourd'hui, nous connaissions un basculement d'ère stratégique absolument fondamental, dont nous ne me mesurons pas complètement la portée. La précédente ère s'est ouverte avec la fin de la guerre froide, l'effondrement du mur de Berlin, et s'est refermée avec l'invasion d'Ukraine, qui ne faisait que consacrer un déséquilibre des rapports de force, des constitutions, des arsenaux que nous sentions poindre depuis une dizaine d'années. D'ailleurs, si le Président de la République, dans la première loi de programmation, a voulu un redressement de l'effort de défense, c'est parce que nous en étions tous conscients.
Après la victoire des Alliés et du monde occidental, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l'ordre du monde sur lequel nous avons vécu et qui est en train de disparaître était fondé sur le droit. Ce point est actuellement remis en question, ce qui me paraît extrêmement grave, au même titre qu'une remise en cause de l'occidentalisation du monde. Elle se déroule sous nos yeux, alors que ce monde occidental a considéré que le droit qui était le sien devait s'imposer au monde entier, parce qu'il était bon pour la planète et l'ensemble des nations, et qu'il n'avait plus besoin d'être soutenu par la force parce qu'il l'était par la supériorité technologique. Nous redécouvrons malheureusement la brutalité du monde et la barbarie des choses.
J'ai écrit un livre à paraître chez Gallimard, qui s'intitule « Entre guerres », dans lequel j'essaie de parler de ce qu'est la guerre et la façon dont je l'ai vécu, comme jeune officier, lors de la première guerre du Golfe, à Sarajevo, au Rwanda, en Somalie, à travers des expériences de combat et de guerre auxquelles notre société était absolument, totalement, définitivement étrangère, qu'elle ne voulait pas considérer, qu'elle ignorait de manière délibérée. La guerre était devenue ignoble, pas simplement tragique, elle l'est forcément, pas simplement grave mais ignoble au sens propre du terme. La plupart de nos concitoyens considéraient que les armées ou les militaires étaient en quelque sorte la partie la moins évoluée du genre humain qui pouvait se préparer à s'y livrer.
Or, la réalité n'est pas là. La réalité est que la guerre, malheureusement, est une perspective toujours possible, que nous devons tout faire pour l'éviter, mais que la meilleure façon est de s'y préparer et de s'armer psychologiquement, mentalement.
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi notre pays s'est à ce point désarmé. Je ne peux que constater que les déclarations récentes du Président de la République provoquent un émoi important à l'international, mais aussi dans notre société, dans tous les pays de l'Europe et du monde occidental, alors que nous avons face à nous des gens qui ont toujours considéré que la guerre était un horizon possible. Ils se sont armés pour faire face à cette éventualité et ils n'en ont pas peur.
Je ne sais pas d'où vient ce renoncement à la capacité à défendre nos valeurs, à les promouvoir ou à considérer que, parce que menacées, il fallait que nous sachions les défendre. Peut-être est-ce une sorte de disqualification de la guerre, liée d'abord à l'hécatombe des deux conflits mondiaux, mais aussi à la Shoah, dans une sorte de disqualification paradoxale de la guerre. En réalité, la Shoah a pu être arrêtée parce que l'Occident a gagné la guerre qu'il avait accepté de la livrer. Est venu s'ajouter le sentiment presque étonné d'une victoire miraculeuse dans une guerre, la guerre froide, qui n'a jamais été déclenchée. En tout état de cause, cette disqualification de la guerre me paraît participer très largement du désarmement des esprits.
Les notions d'honneur, de service, de mérite portées par les ordres nationaux, la Légion d'honneur et l'ordre national du Mérite, me paraissent absolument centrales dans ce qui devrait être un ferment de citoyenneté et un ferment de volonté de bâtir un édifice ensemble.
Quand j'ai pris mes fonctions de grand chancelier de la Légion d'honneur, le Président de la République m'a fait part de son souci de voir des ordres nationaux dont la perception dans l'opinion publique était dégradée. Il craignait qu'ils soient perçus comme le signe d'un entre-soi de personnes riches, puissantes, d'un monde très parisien de la politique, des affaires, de la communication, auquel les citoyens n'ont pas accès. Il craignait aussi, et ce n'est pas contradictoire, qu'ils soient comme le témoin d'usure de la haute fonction publique, avec une sorte d'automaticité dans la promotion à partir d'une certaine ancienneté dans le service. Il m'a demandé de voir comment corriger cet état de fait.
Lui-même avait pris des décisions très dures concernant cette dévalorisation qu'il pressentait de l'image de nos ordres nationaux dans l'opinion publique. Celle-ci est grave parce qu'il nous faut des exemples, que nous ayons envie de les suivre, qu'ils soient inspirants. Il faut, au milieu des concitoyens, des personnes qui se distinguent par la qualité de leur service et de leur engagement et qui paraissent comme des modèles dignes d'être suivis.
Le Président de la République, pour revaloriser la Légion d'honneur, avait été très sévère puisqu'il avait diminué les contingents annuels à moins de 1 300 par an pour la Légion d'honneur. Ces deux dernières années, il a même demandé que ne soient pas acceptées dans l'ordre plus de 400 personnes par contingent. Nous avons ainsi descendu les contingents annuels à 800 personnes.
Le premier effet a été une très forte réduction du nombre global de décorés, inférieur à 80 000 décorés de la Légion d'honneur l'année dernière. Je rappelle que la quantité qui avait été fixée par le général de Gaulle au début des années 1960 était de 125 000 décorés. Il avait déjà été sévère, pour revaloriser cette décoration, puisqu'au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la France comptait plus de 320 000 décorés de la Légion d'honneur, notamment en raison des guerres qu'elle avait traversées.
Par ailleurs, il avait souhaité la création de l'ordre national du Mérite, en 1963, pour mettre un terme à la prolifération des ordres ministériels et à leur trop grande quantité de récompenses. La France comptait alors 17 ou 18 ordres ministériels et plus de 32 000 décorés dans ceux-ci chaque année. Aujourd'hui, nous avons entre 3 000 et 3 500 décorés de l'ordre national du Mérite par an.
Hier soir, j'ai rencontré le Président de la République pour lui soumettre les prochains contingents triennaux. J'ai fait avec lui le constat que sa volonté de revaloriser la Légion d'honneur et l'ordre national du Mérite n'avait pas été couronnée de succès. Au contraire, la réduction drastique des contingents a conduit à une accentuation des défauts de ces ordres, c'est-à-dire une concentration encore plus marquée sur l'administration centrale des ministères et de l'Île-de-France. Nous avons des ordres nationaux qui ont du mal à irriguer la totalité du territoire et qui continuent à se concentrer sur une partie de l'administration, de la haute fonction publique ou des lieux de pouvoir.
C'est à l'opposé de ce que recherche le Président, des ordres nationaux qui vivent au rythme de la société, qui sachent distinguer dans des métiers nouveaux, des mérites nouveaux, et qui soient capables d'aller chercher des profils différents, plus près du terrain, de ceux qui agissent concrètement et au contact des populations, et mieux répartis sur l'ensemble du territoire national.
J'ai donc formulé des propositions pour répondre à cette préoccupation du Président. D'abord, j'ai proposé de desserrer la contrainte qui pesait sur les contingents. Le Président de la République m'a accordé de revenir à plus de 1 200 propositions par an pour la Légion d'honneur.
Nous avons aussi choisi de revitaliser ce qu'on appelle l'initiative citoyenne. Le problème des ordres nationaux est la difficulté des capteurs. Nos ministres n'ont pas de capteurs. Même si le grand chancelier dispose d'un contingent, ce sont les ministres qui font les propositions, qui ont général, dans leur cabinet, une personne en charge de l'établissement des propositions. Certains ministères sont extrêmement bien organisés, notamment celui des armées, avec une tradition de chancellerie très ancienne, ce qui n'est pas toujours le cas de la plupart des autres. Les ministres manquent de capteurs pour identifier ceux qui devraient être distingués dans les ordres nationaux.
Je considère que députés et sénateurs sont parfaitement légitimes à proposer des personnes puisqu'ils sont au contact du terrain, des électeurs, des élus locaux. J'attends donc d'eux qu'ils fassent des propositions et identifient ceux qui mériteraient d'être récompensés et distingués. Il ne s'agit pas de privilégier ses amis, mais vraiment de réaliser un acte civique, un devoir.
Le Président m'a donné son accord pour revitaliser l'initiative citoyenne. Elle permet à 50 citoyens de désigner une personne qu'ils trouvent absolument admirable, de monter un dossier de mémoire de proposition de la Légion d'honneur ou de l'ordre national du Mérite, et, ayant réuni ces 50 signatures, de remettre cette proposition au préfet pour qu'il la transmette au ministère concerné et que le ministre l'adresse ensuite à la grande chancellerie.
Cette initiative citoyenne, créée à l'époque du Président Sarkozy, est malheureusement tombée en désuétude. Elle a été mal suivie par les préfets, qui ont perdu une partie des effectifs qui leur permettaient de réaliser ce travail. Elle n'est pas suffisamment attractive pour les ministres. Elle ne fonctionne pas. J'ai donc proposé au Président de la République de créer des contingents dédiés à cette initiative citoyenne. La transmission des mémoires interviendrait par deux voies, la voie actuelle et une voie directe à la grande chancellerie de la Légion d'honneur. Cette dernière et le conseil de l'ordre auraient ainsi la possibilité de s'en emparer directement. Cette démarche me paraît de nature à créer une sorte de choc et à capter ceux qui méritent de l'être, des gens au contact des populations, dans les territoires, les départements, les villes moyennes et grandes, des PME, des exemples qui puissent être contemplés et servent de source d'inspiration.
J'ai aussi demandé au Président de la République s'il était possible que j'aille faire une communication au conseil des ministres, prévue par le Code de la Légion d'honneur, pour sensibiliser les ministres. Par ailleurs, j'irai dans les réunions des chefs d'administrations déconcentrées qu'organisent les ministres, des préfets, des patrons d'agence régionale de santé et des directeurs d'académie pour expliquer ce dont a besoin l'ordre, des gens inspirant le civisme, montrant l'exemplarité du service et de l'engagement au profit des concitoyens.
Oui. Je sens ce désarmement depuis longtemps. Il m'inquiète encore plus aujourd'hui parce qu'il apparaît comme évident.
Je ne vais pas me prononcer sur la déclaration du Président de la République sur l'éventualité d'un engagement en Ukraine. Simplement, ce qui me frappe, c'est que depuis deux ans, j'entends sur tous les plateaux de télévision, toutes les chaînes de radio, des commentateurs déclarant : « Armons-nous et partez », et, avec un sens moral très développé, ajouter : « Nous sommes prêts à nous faire tuer jusqu'au dernier Ukrainien ». Or, les Ukrainiens au bout d'un moment ne veulent plus se faire tuer, ils sont épuisés par la guerre qu'ils mènent. Ils ont des problèmes de recrutement, d'appel de plus en plus importants, une population qui a diminué, qui vieillit, qui souffre terriblement. Soit nous sommes prêts à nous faire tuer, soit nous n'y sommes pas prêts, mais nous ne pouvons pas exiger des autres qu'ils se fassent tuer pour nous.
Cette guerre, si nous considérons qu'elle nous concerne, nous devons imaginer que peut-être, un jour, elle nous concernera réellement, jusqu'à ce que notre jeunesse ou notre population doive s'y engager d'une manière ou d'une autre. En revanche, la guerre par procuration, à laquelle nous nous sommes habitués depuis si longtemps, me parait une illusion absolue.
Lorsque j'étais à l'IHEDN, pour un séminaire de rentrée, nous avions été reçus à Biarritz par M. André Lamassoure, qui nous racontait son expérience récente au forum de Davos. Avec sa verve habituelle et son talent, il y avait développé le miracle européen et cette première historique, un continent qui avait été au bord du suicide à travers les deux conflits mondiaux et qui s'en était rendu compte, avait inventé un nouveau mode de construction d'une entité politique supranationale pour préserver définitivement la paix en son sein. Il s'attendait à un tonnerre d'applaudissements, mais un grand Indien lui avait dit : « Vous ne voulez peut-être plus la guerre, mais je vous prédis que le siècle prochain sera un siècle de fer et de sang. Vous, vous ne la voulez peut-être pas, mais nous, on la fera ».
Le problème n'est pas limité à l'Ukraine. Nous faisons tous le dos rond en pensant qu'une fois le conflit ukrainien terminé, nous pourrons reprendre nos affaires comme avant. Ce ne sera pas le cas. Les déséquilibres, ne serait-ce que des arsenaux, qui se créent depuis dix ans, quinze ans, s'accentuent. La Russie est aujourd'hui lancée dans la production d'un arsenal qui lui permet d'avoir des obus, des pièces, des munitions, des engins en grande quantité, même si ce n'est pas en grande qualité. Nous, Européens, n'avons pas en réalité enclenché cette production de guerre. Ce déséquilibre ne sera pas résolu si nous n'acceptons pas l'idée qu'il faille le limiter et s'armer contre des gens qui, eux, ne considèrent pas que la guerre soit ignoble, même si elle est une barbarie ; sans cela, nous nous mettrons en situation de faiblesse et de soumission d'une façon ou d'une autre.
Je reviens aux ordres nationaux : que comptez-vous faire pour desserrer les contraintes et revitaliser l'initiative ?
Je vous l'ai dit, je vais m'adresser aux élus, puis à tous les représentants des administrations déconcentrées de l'État pour qu'ils cherchent partout. Il n'y a quasiment aucun professeur, aucun proviseur, aucun directeur d'école qui soit proposé pour l'ordre national du Mérite. Il y a des effets pervers, l'éducation nationale considère que les Palmes académiques, à sa main, suffisent, donc personne ne pense à aller décerner un ordre national à tel proviseur, professeur ou directeur d'école particulièrement méritant. Nous devons lutter contre cela.
Par ailleurs, je vais demander aux associations de décorés, qui maillent le territoire, la section des membres de la Légion d'honneur, l'association nationale de l'ordre national du Mérite ou des médaillés militaires de mettre en œuvre cette initiative citoyenne, en étant attentif au fait qu'ils aillent chercher des gens qui ne sont pas décorés.
J'en déduis que la problématique n'était pas tant celle de la quantité que de la qualité des récipiendaires.
Nous étions effectivement face à un problème de qualité, mais la réduction de la quantité n'a rien résolu. Au contraire, à trop la limiter, nous n'aurons plus personne à voir. Quand vous avez moins de 80 000 décorés de la Légion d'honneur, avec une moyenne d'âge qui augmente, ils sont de moins en moins visibles. J'insiste auprès de ceux qui sont décorés pour qu'ils portent leurs décorations, qu'ils en soient fiers.
Dans le paysage géopolitique contemporain, marqué par des tensions croissantes et des défis sécuritaires divers, l'implication des ordres nationaux dans la cohésion nationale et la défense globale va au-delà de la simple reconnaissance honorifique individuelle. Elle symbolise également l'excellence et le dévouement au service de la nation.
Dans cet esprit, les différents ordres nationaux et ministériels du Morbihan ont choisi de se réunir, sous le pilotage de l'association des Palmes académiques du Morbihan (AMOPA 56), avec l'expérience des anciens auditeurs IHEDN pour travailler sur le thème : « Pour une culture des valeurs de la République, de l'individu au citoyen ». J'étais ce samedi matin à leur assemblée générale en tant qu'officier des Palmes académiques. Nous avons lancé l'initiative « Génération AMOPA 56 », qui a pour objectif d'associer les jeunes à ces travaux.
Une étude a été lancée pour prendre en compte les ordres relevant de la Légion d'honneur, de l'ordre national du Mérite, de l'ordre des Palmes académiques, mais également de l'ordre du Mérite agricole, de l'ordre de la jeunesse, des sports et de l'engagement associatif et du Souvenir français. Le fruit de ce travail croisé doit alimenter en propositions les ordres, nos décideurs et les représentants de l'État, du Département et nos ministères de tutelle. Cette démarche est aussi l'occasion de dynamiser chaque section départementale en transversalité. Les échanges ont permis à chaque groupe de retenir la thématique phare qu'il souhaite approfondir, l'exemplarité, la citoyenneté, l'engagement, la transmission, la solidarité et l'éducation.
Pensez-vous que ces initiatives locales constituent la bonne voie à suivre ? À l'échelle nationale, comment les ordres nationaux peuvent-ils renforcer encore davantage la cohésion nationale et la défense globale ?
Ces initiatives sont intéressantes en ce sens qu'elles viennent du terrain, sans renoncer à récompenser des hauts fonctionnaires qui servent admirablement et qui se dévouent au bien commun en servant l'État.
L'exemplarité est aussi un sujet important au conseil de l'ordre de la Légion d'honneur, parce qu'il renvoie aux affaires disciplinaires qu'elle traite, avec des polémiques récurrentes et des scandales parce que des personnes décorées ont des comportements inadaptés ou qu'elles sont traduites en justice.
La grande chancellerie s'interdit absolument de sanctionner ou de traiter disciplinairement une affaire qui fait l'objet d'un traitement par la justice et pour laquelle un jugement définitif n'a pas été rendu. La présomption d'innocence joue. Nous considérons donc que tant que toutes les procédures d'appel n'ont pas été épuisées, il n'est pas question pour nous de nous substituer aux juges, d'autant que nous n'avons pas les moyens d'investigation ni de la police ni de la justice. Cette pratique conduit au paradoxe qui est que quand une affaire ne fait pas l'objet d'un traitement par la justice, le conseil de l'ordre est libre d'agir comme il l'entend, sans remettre en cause la présomption d'innocence. Par exemple, si des comportements scandaleux sont prescrits lorsqu'une plainte a été posée, le conseil de l'ordre redevient libre de s'en saisir.
Nos concitoyens attendent qu'une personne décorée, si elle a un comportement contraire à l'honneur, à la décence, soit sanctionnée. Le sujet est très délicat. Nous pensons tous à tel ou tel acteur célèbre. Un traitement disciplinaire par le conseil de l'ordre peut donner lieu soit à une exclusion, soit à une suspension pour un temps donné, soit à un blâme, appelé censure dans les procédures de l'ordre, une lettre écrite par le grand chancelier à l'intéressé. Mais ce traitement disciplinaire ne peut exister, en cas de plainte, qu'une fois un jugement définitif obtenu.
J'ai demandé qu'on redouble d'exigence vis-à-vis du comportement d'honorabilité des personnes décorées de la Légion d'honneur, en accord avec le Président de la République. Une extrême discrétion est essentielle. Ces procédures n'ont pas à être rendues publiques, sauf une fois que la décision, proposée par le conseil de l'ordre au grand maître, a été prise. Elle fait alors l'objet d'un décret annonçant que la personne est suspendue ou exclue. Je mesure à quel point ce sujet est important, en particulier en ce moment, parce que la société évolue dans toutes les affaires de mœurs et sexuelles.
Nous sommes également face à une difficulté, les tribunaux n'alertent pas systématiquement l'ordre des décisions définitives prises concernant un décoré. Nous devrions pourtant être informés, par la justice ou les préfectures. Je devrais donc faire un rappel auprès des magistrats et des préfets sur ce point. Le code de la Légion d'honneur prévoit aussi qu'une personne punie à un an de prison ferme est automatiquement exclue de l'ordre. Il n'y a même pas à discuter.
Une vingtaine d'affaires disciplinaires, probablement une trentaine par an bientôt, font ainsi l'objet de traitements souvent très délicats par le conseil des deux ordres.
En tout cas, bravo pour ce que vous faites, Madame la députée, c'est très important. Continuez !
Le conseil de l'ordre rejette 15 % des dossiers proposés par les ministres. Ces derniers envoient les mémoires de proposition à la grande chancellerie, qui réalise une étude et vérifie que le dossier soit conforme au code, par exemple que les dix ans d'ancienneté de service pour l'ordre national du Mérite ou les vingt ans pour la Légion d'honneur sont respectés. Elle vérifie aussi que les mérites présentés sont suffisamment étayés pour être pris en compte. Ensuite, une enquête d'honorabilité est menée. Par ailleurs, on interroge le ministère des finances et celui de l'intérieur pour vérifier que le casier judiciaire est vierge et qu'il n'y a pas de délicatesse avec les impôts, un cas fréquent de rejet de mémoire et de décision disciplinaire du conseil de l'ordre.
Les mémoires de proposition sont ensuite remis au rapporteur, avec l'appréciation de la grande chancellerie. Celui-ci est un membre du conseil de l'ordre compétent dans la matière concernée. Par exemple, M. Amin Maalouf, secrétaire perpétuel de l'Académie française, et Mme Brigitte Lefèvre, ancienne directrice de la danse à l'opéra de Paris, traitent des mémoires de la culture, respectivement pour le conseil de l'ordre national du Mérite et le conseil de l'ordre de la Légion d'honneur. De même, un magistrat, le président Cotte, ancien président de la Cour de cassation, traite des dossiers du ministère de la justice. Un préfet traite de ceux du ministère de l'intérieur. Une ambassadrice, à qui j'ai demandé récemment de rentrer au conseil de l'ordre, Mme Sylvie Bermann, traite de ceux des affaires étrangères.
Le rapporteur étudie ces dossiers, rapporte devant le conseil lors de séances dédiées et propose ou non de les retenir. Ils peuvent faire l'objet d'une acceptation pure et simple du conseil ou donner lieu à des discussions. Les propositions sont ensuite transmises au Président de la République, après que le conseil a statué de façon définitive.
Le processus conduit ainsi à rejeter entre 12 et 15 % des mémoires de proposition adressés par les ministres. Ils sont rejetés ou ajournés, parce que la personne est un peu jeune, que son ancienneté de service est limite, que les mérites paraissent un peu courts. Il est surprenant de constater que la diminution du nombre de propositions des contingents n'a pas permis de réduire cette attrition. Nous n'avons pas reçu de meilleurs dossiers et le conseil de l'ordre a continué à rejeter un pourcentage même un peu plus important qu'auparavant.
J'ajoute qu'une fois qu'un décret est paru pour désigner les personnes qui doivent rentrer dans l'ordre, encore faut-il qu'elles soient reçues par une personne décorée. Des défauts d'honorabilité peuvent survenir entre la parution du décret et la rentrée dans l'ordre. Le code de procédure du code de la Légion d'honneur prévoit qu'un décret annule alors celui par lequel la personne avait été désignée dans l'ordre.
L'implication des trois ordres nationaux dans la cohésion nationale et la défense globale participe non seulement à la reconnaissance de ceux qui se sont distingués dans les services éminents rendus à la nation, mais elle constitue aussi un véhicule essentiel à la diffusion et au rayonnement du lien armée nation auquel nous sommes tous très attachés. Nous le voyons régulièrement avec les anciens combattants. Les décorations consacrent des états de service et des participations au combat. Elles jouent un rôle structurant dans les armées et dans le monde d'anciens combattants, d'autant qu'elles s'accompagnent souvent de primes spécifiques.
Cependant, nombre de médaillés militaires qui peuvent prétendre à la Légion d'honneur et dont les dossiers sont diligentés par les différentes chancelleries se voient remettre l'ordre national du Mérite, dont le rang hiérarchique est inférieur à la plus haute distinction des titulaires. « La rouge », distinction d'excellence depuis le Premier Empire, semble difficilement atteignable pour ceux qui ont été engagés en service commandé, à moins de l'obtenir au prix ultime du sang. J'aurais voulu recueillir votre avis sur cette redirection et sur les raisons pour lesquelles cette pratique est devenue courante au sein de la grande chancellerie.
Enfin, afin de renforcer au mieux la cohésion nationale et faire participer les plus jeunes au devoir de mémoire, de nombreux anciens combattants souhaiteraient que les descendants des récipiendaires puissent porter, à titre honorifique, la décoration d'un parent sur la poitrine droite, comme c'est le cas dans d'autres pays comme le Royaume-Uni. Une telle mesure serait-elle bénéfique pour la cohésion nationale ?
Le président de la SNEMM a effectivement, à plusieurs reprises, attiré mon attention sur les plaintes de ceux qui, d'abord, considéraient qu'il y avait moins de médailles militaires qu'avant, et ensuite, qu'ils avaient des difficultés à accéder à la rouge.
Il n'est pas vrai que le nombre de médailles militaires diminue. Proportionnellement, il y a en a plus qu'à l'époque de l'armée de la conscription. En revanche, nous avons été une armée très engagée en opérations extérieures. Le contingent n'évoluant pas de façon très importante, voire diminuant quelque peu, nous avons arrêté de donner des médailles militaires à l'ancienneté parce que l'on a donné des médailles militaires à des gens qui étaient cités au combat. Le fait d'être cité au combat a asséché une partie des médailles qui, auparavant, étaient dévolues à des sous-officiers anciens, adjudant, adjudant-chef arrivant en fin de carrière. Je le regrette, et en même temps, je ne trouve pas qu'il soit anormal de récompenser des gens cités, prioritairement, que des gens ayant simplement le mérite de l'ancienneté.
L'ordre national du Mérite est une très très belle décoration. Je trouve absolument scandaleux que des gens la déprécient. Pour qui se prennent-ils ? Il se trouve que j'ai commencé par avoir « la rouge » au feu. J'étais très jeune. Ensuite, on m'a remis « la bleue », qui était la décoration de mon père, sous-marinier qui avait commandé un SNLE, qui n'avait pas eu « la rouge » et qui est mort jeune. J'étais tellement fier qu'on me remette la bleue que je trouve presque choquant d'entendre « Oh, ce n'est que la bleue ! ».
Ensuite, des critères très sévères et très précis permettent d'éviter des injustices ou des différences de traitement. Le nombre de citations, l'ancienneté, le nombre de séjours sont pris en compte pour décider de promouvoir quelqu'un de la médaille militaire à l'ordre national du Mérite dans un premier temps, à la Légion d'honneur dans un deuxième temps, si des mérites nouveaux le justifient. Je n'en suis pas choqué. De même que le fait de passer directement de la médaille militaire à la Légion d'honneur soit rare, pour des gens qui ont eu des citations importantes, me paraît tout à fait normal. Je rappelle que la médaille militaire est placée avant l'ordre national du Mérite dans la hiérarchie des décorations nationales. Ayant été une armée très engagée, nous avons plus de jeunes combattants qu'avant qui ont la médaille militaire.
Par ailleurs, je considère qu'il y a eu une déviation, une « perversion » entre guillemets. La médaille militaire, c'était la Légion d'honneur des sous-officiers et des militaires du rang. Les hommes que j'ai perdus en ex-Yougoslavie, qui sont morts au combat en montant à l'assaut, ont eu la médaille militaire, pas la Légion d'honneur. Quand je suis arrivé au cabinet du ministre comme colonel, à l'époque du président Sarkozy, des revendications demandaient que les militaires du rang et les sous-officiers reçoivent la Légion d'honneur, comme les officiers. Or, les officiers n'avaient pas la médaille militaire.
Depuis, on donne la médaille militaire et la Légion d'honneur aux sous-officiers et aux militaires du rang qui sont morts au champ d'honneur. De ce fait, on donne plus aux sous-officiers et surtout, on a dévalorisé la médaille militaire. Avant, elle était la plus haute distinction qui puisse être donnée à un officier, c'est la médaille des maréchaux de France. Il faut avoir commandé une armée devant l'ennemi pour en être décoré quand on est un officier. Je rappelle que Foch ne portait que la médaille militaire, comme le maréchal Pétain et le maréchal Joffre. Dans ce cas, on la porte avant la Légion d'honneur. Il n'y a malheureusement plus d'officiers en activité qui aient la médaille militaire, mais elle était une décoration absolument magnifique. Nous devons faire attention à ce qu'elle ne soit pas dévalorisée.
Enfin, le travail d'un grand chancelier est de lutter constamment contre les bonnes idées qui veulent créer de nouvelles décorations, de nouvelles occasions de port, ce qui risque de brouiller le sens de notre action. Je ne suis pas favorable au port de l'autre côté d'une décoration, même lors d'une cérémonie, qui est possible pour les compagnons de la Libération, qui sont une exception.
Je suis souvent allé en Afrique, où les décorations se transmettent de père en fils. En Côte d'Ivoire ou au Gabon, nous invitions tous les anciens combattants aux cérémonies du 11 novembre. Nous avions des messieurs vénérables absolument extraordinaires, qui avaient été tirailleurs sénégalais, qui avaient fait la Première Guerre mondiale, des anciens couverts de gloire et d'honneur qu'on respectait infiniment. Nous voyions aussi de très jeunes gens qui venaient au buffet de la cérémonie et qui portaient les décorations parfois de leur arrière-grand-père. C'est une tradition africaine, mais je ne pense pas qu'il faille qu'elle devienne une tradition nationale française.
La société est plus capable de se défendre si les mérites en son sein sont reconnus sur la base de critères partagés. À ce titre, votre audition est la bienvenue. Je crois que nous nous sommes objectivement désarmés avec la fin de la conscription, avec des coupes budgétaires au moins de 2007 à 2015, des faits très objectifs dont la responsabilité incombe plutôt à d'autres forces politiques, qui semblent redécouvrir la guerre, que la nôtre. Il n'est pas étonnant que la population, qui a entendu pendant des années que le sujet guerrier ou le budget militaire n'avaient pas lieu d'être, ait acquis la conviction que la guerre était une affaire lointaine, voire révolue. En revanche, je vois un grand bon sens chez celles et ceux qui observaient, par exemple, qu'avec 20 000 hommes déployables, comme l'affirme le CEMAT dans une tribune récente, il ne soit pas très raisonnable de penser à un déploiement au sol en Ukraine, alors que les Ukrainiens eux-mêmes concèdent avoir perdu au moins 31 000 hommes en deux ans de guerre. Ces ordres de grandeur sont de nature à tempérer les enthousiasmes belliqueux.
Par ailleurs, du point de vue intellectuel, chez ceux qui ont fait part de leur émoi après les propos du Président de la République, il convient de distinguer les intérêts et les valeurs. Si l'on croit que la guerre en Ukraine est d'abord une guerre de valeurs, peut-être pouvons-nous arriver à la conclusion qu'il faut livrer un combat, notamment au sol, et nous engager, indépendamment de la volonté d'autres éventuels alliés. Nous ne pouvons pas simplement déplorer l'idée que la population se serait désarmée moralement, intellectuellement, psychologiquement au sujet de la guerre. Le débat public pourrait s'approfondir sur ces sujets. Critiquer simplement les propos du Président ne revient pas à avoir poussé des cris d'orfraie.
En outre, trois sujets affectent la crédibilité de la Légion d'honneur et des différentes distinctions : l'idée de l'entre-soi, de la récompense d'un petit milieu, celle de l'automatisme et celle de la superficialité. De nombreuses affaires défraient régulièrement la chronique. L'exemplarité des personnes promues n'est pas toujours évidente. Je pense à Abdel Fattah Al-Sissi, le dictateur égyptien. Nous avons un grave problème lorsque des personnalités qui ont notoirement porté atteinte aux droits humains sont considérées comme de grands représentants ou des personnes ayant rendu d'insignes services à la nation française. Je pense aussi à quelqu'un comme Patrick Kron, qui a bradé Alstom, qui a plaidé coupable aux États-Unis, mais qui, pour n'avoir jamais été condamné en France, n'a sans doute jamais fait l'objet d'une procédure. Je peux donner d'autres exemples. Peut-être pourrez-vous me donner l'issue de la procédure qui pourrait avoir été diligentée dans le cas de l'affaire Bansard, qui implique votre prédécesseur. Le général Puga a-t-il eu affaire à une enquête interne ?
Enfin, je dirais que nous avons peut-être des exemples de moindre qualité. D'une certaine façon, la troisième République, la quatrième et les débuts de la cinquième se donnaient Marie Curie pour modèle. Les grands médias permettaient de véhiculer ces images. Je crains que Marie Curie ne soit plus exactement le modèle qu'on donne aux petites filles désormais. En tant que grand chancelier, pourriez-vous entreprendre une action particulière vis-à-vis des médias, afin de promouvoir des modèles consensuels, plus stimulants que certains qui nous sont donnés dans le débat public ?
Tous les partis politiques ont participé au désarmement budgétaire, à la déconstruction de l'appareil de défense français, dans une sorte d'unanimisme, pour bénéficier des dividendes de la paix.
Vous parliez d'un débat public. Je suis frappé de la difficulté à l'alimenter. Je me félicite de ce qui a été créé par le président Sarkozy, notamment l'article 35 de la Constitution, qui oblige, dans les trois jours qui suivent le déclenchement d'une opération à l'extérieur, de faire une information au Parlement. Je crois que cet article 35 prévoit également qu'au bout de quatre mois d'opérations, un nouveau débat intervienne. Exigez-le. Même si j'ai toujours été très attaché à la stricte subordination du chef d'état-major des armées au Président de la République, chef des armées, je pense effectivement que ces engagements doivent faire l'objet de débats. Sans débat, on n'attire pas l'attention de l'opinion publique. Je n'ai jamais vu aucun militaire ni aucun des ministres en charge – et pas Mme Darrieusecq ici présente !- s'y dérober.
Sur l'Ukraine, ce qui m'avait frappé c'était d'entendre des gens dire : « on est prêt à se faire tuer jusqu'au dernier Ukrainien ». On ne combat pas par procuration. Cette prise de conscience face à la guerre en Ukraine devrait nous aider à mesurer la gravité de la situation et à éviter des proclamations morales inutiles. Est -ce que je considère qu'il faut que mes compatriotes se fassent tuer ou est-ce que je considère qu'il ne faut pas qu'ils s'impliquent ? Le débat doit être posé en ces termes, des bases saines de discussion, en argumentant sur les raisons pour lesquelles il faut ou non se faire tuer. En revanche, proclamer « Faisons-nous tuer la main sur le cœur jusqu'au dernier des Ukrainiens » est une forme d'hypocrisie ahurissante. Je n'ai pas entendu ces déclarations de la part de politiques, mais de commentateurs de tous ordres.
Vous évoquez l'exemplarité et vous citez le maréchal Sissi et d'autres. Ces décorations sont particulières. Elles ne sont pas celles remises en accueillant les gens dans un ordre. Quand on décerne la Légion d'honneur ou l'ordre national du Mérite, ce n'est pas l'insigne qui compte, mais le fait que les personnes rentrent dans un ordre. Elles s'associent à une communauté qui se définit comme une élite du service du bien commun et de ses compatriotes.
Les décorations remises à des étrangers n'obéissent pas à cette logique. Elles peuvent intervenir lors de visites protocolaires, une pratique internationale qui existe depuis toujours. Ainsi, lorsque M. Zelensky vient en France, le Président de la République peut lui remettre les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur. Il s'agit d'un instrument, d'une grammaire de relations internationales. Le Président de la République décide seul de la façon dont il joue avec cette grammaire.
J'ai reçu hier des journalistes qui préparent un article sur les ordres nationaux. Ils m'ont interrogé sur le fait que nous n'avions pas retiré la Légion d'honneur à M. Poutine. Je leur ai fait remarquer que nous l'avions remise à M. Zelensky. Celui-ci aurait pu la refuser, mais il ne l'a pas fait. Je ne m'estime pas en position de porter de jugement et d'appréciations pertinentes sur ces sujets de relations diplomatiques.
Nous cherchons absolument à faire respecter l'exemplarité. J'en ai parlé. La question est toujours délicate sur les affaires scandaleuses. Le conseil en instruit sans que vous en soyez informés puisque la discrétion est essentielle. Ensuite, il fait des propositions au grand maître. Je ne crois pas que M. Kron ait fait l'objet de la moindre instruction par le conseil de l'ordre.
L'affaire Bansart, c'est l'article de Mediapart. J'ai lu les articles. J'ai répondu aux journalistes de Mediapart que les personnes qui ont été décorées et reçues dans les ordres sur recommandation de M. Bansart ont eu des mémoires parfaitement constitués, qui mettaient en évidence leurs mérites, lesquels mémoires ont été présentés au conseil de l'ordre et elles ont été jugées comme devant être reçus dans les ordres. J'encourage les députés et les sénateurs à faire des propositions, et utiliser l'initiative citoyenne.
J'ajoute que les décorations des étrangers sont un moyen essentiel de soft power pour la France. Malheureusement, les postes diplomatiques et les consulats ne parviennent pas à conserver la mémoire des décorés. Par ailleurs, les décorations des personnes étrangères ne font pas l'objet de publications au Journal officiel. Si on n'alerte pas les postes diplomatiques qui ont fait les demandes que les personnes sont décorées, ils l'apprennent trop tard, par hasard, et nous perdons toute une partie du bénéfice de ces ordres. Je vais donc travailler à l'établissement de listes de ces amis de la France, qui servent nos intérêts, qui défendent nos valeurs, notre vision des choses. Ces communautés que nous créons à l'étranger, même si elles n'appartiennent pas à l'ordre, doivent être identifiables. On y travaille.
En outre, à chaque promotion, le service de communication de la grande chancellerie envoie à tous les journalistes, à l'AFP, la liste des décorés, avec des portraits de gens méconnus, admirables par leur dévouement, qui appartiennent au secteur associatif, au monde des sciences, de l'université. En plus, nous respectons une absolue parité. Or, les dépêches de l'AFP qui servent ensuite à tous les médias évoquent uniquement les célébrités. Les petites gens n'intéressent pas.
Des journalistes m'ont demandé si un ouvrier ou un simple bénévole avait autant de chances qu'un patron ou un président d'association de recevoir la Légion d'honneur. La réponse est non. La Légion d'honneur et l'ordre national du Mérite sont aussi une élite. Je pars du principe que le président d'une association qui aura commencé par y militer, qui se sera engagé dans le bureau, qui aura consacré plus de temps, est plus méritant que le simple bénévole. Il sera rarement président s'il n'a pas été préalablement bénévole. Quant à distinguer un ouvrier, je pense que celui qui aura un engagement syndicaliste, qui aura donné du temps et de l'énergie pour cela, est plus méritant que celui qui vient simplement travailler.
Le musée de la Légion d'honneur, gratuit, est un très beau musée mais il a un défaut, il est un peu trop un musée de phaléristique, une véritable splendeur avec des décorations extraordinaires, des ordres internationaux magnifiques, un manteau de l'ordre du Saint-Esprit… Mais j'ai demandé qu'il soit révisé. Je vais recruter un conservateur dans les semaines qui viennent, avec un plan d'action constitué après avoir réuni un comité d'experts du Centre Pompidou, d'Orsay, etc. Je veux montrer des personnalités décorées, qui incarnent ces valeurs, plus que des décorations et de très beaux objets. C'est aussi un moyen de communiquer.
Il y a aussi les maisons d'éducation de la Légion d'honneur qui n'accueillent que des filles. Chaque année, la distribution des prix est présidée par une femme qui vient faire un discours et qui se propose comme exemple à nos jeunes filles. Notre future astronaute, Sophie Adenot, est d'ailleurs décorée et également ancienne demoiselle des maisons d'éducation de la Légion d'honneur.
Nous ne pouvons qu'approuver vos propos, les droits internationaux disparaissent et beaucoup s'en affranchissent, les rendant très fragiles. Vous avez parlé du désarmement des esprits, des disqualifications de la guerre et de quelles vont être nos capacités à défendre nos valeurs et à nous réarmer psychologiquement. L'enjeu est majeur.
Le réarmement d'une nation n'est pas seulement militaire, il est aussi un réarmement psychologique, être tous tendus vers un même objectif, être solidaires et faire preuve de résilience dans la vie de la cité pour atteindre collectivement cet objectif. Dans ce domaine, nous avons encore beaucoup de travail. Je fonde cependant beaucoup d'espoirs dans le fait que notre société va avancer vers un réarmement psychologique efficace, avec une jeunesse que trouve formidable dans ses engagements.
La Légion d'honneur ou l'ordre national du Mérite obligent ceux qui les détiennent à l'honorabilité, à l'exemplarité, personnellement, mais aussi socialement. Compte tenu de l'attrition progressive du nombre de récipiendaires, de leur âge, je souhaiterais savoir comment transmettre ces valeurs, ces reconnaissances de la nation, pour qu'elles soient un moteur pour notre jeunesse. Dans mon département, les associations de récipiendaires se rendent dans les écoles, les collèges, les lycées, remettent des prix pour des lycéens méritants et sont dans toutes les cérémonies patriotiques. Elles font la promotion des valeurs que représentent les ordres. Comment améliorer encore cette transmission auprès de nos jeunes ?
Dans un réarmement psychologique, notre société a besoin de personnes très méritantes, des modèles qu'on a envie de suivre, d'égaler, des militaires, des sportifs, de la vie économique, des professeurs à l'école. Comment toucher plus la jeunesse de façon positive ? Nous avons une jeunesse qui sait s'engager sur de nombreux sujets, pour l'environnement, contre les discriminations, dans les armées. Elle est essentielle dans ce réarmement, d'autant que les jeunes sont aussi très influents sur leurs parents.
Je ne peux que m'associer à vos propos. La fondation Un avenir ensemble a été créée par le général Kelche, grand chancelier de la Légion d'honneur qui précédait le général Georgelin. Elle vise à donner l'opportunité à des décorés de parrainer de jeunes gens méritants issus de milieux modestes et qui, parce qu'ils sont méritants et qu'ils ont l'envie de progresser, peuvent faire des études supérieures.
Cette fondation, présidée par le grand chancelier de façon automatique, dispose d'un encours d'un millier de jeunes gens, pour un parrainage qui dure huit ans. Elle a un accord avec l'éducation nationale pour que les recteurs d'académie, en liaison avec les proviseurs, proposent à certains élèves d'accéder à ce dispositif. Ils bénéficient de bourses et d'aides données par la fondation, pour laquelle je recherche en permanence des mécènes. D'ailleurs, la SMLH s'engage à soutenir, à appuyer et à accompagner son action.
Sur l'armement, nous, les armées, n'avons pas réussi à faire ce que nous aurions dû lors de la suspension du service national. Les armées ont disparu du paysage. Ce qu'elles faisaient dans les opérations extérieures n'intéressait personne. Quels qu'aient pu être les efforts consentis, nous n'avons pas réussi à faire prendre conscience de la gravité de ce que faisaient les armées au nom de leurs concitoyens.
Le sujet n'est pas pourquoi vos soldats meurent, mais pourquoi vos soldats tuent en votre nom, parce que quand un soldat tue, au risque de sa vie, il engage la responsabilité de ses concitoyens. Qu'est-ce qui vaut qu'on le fasse ? Nous n'avons pas assez posé cette question, qui présente toute la gravité de l'acte guerrier. Elle devrait interroger nos concitoyens sur les valeurs qui vaillent non pas seulement que je risque ma vie, mais que j'aille jusqu'à commettre cet acte, le tabou absolu, de prendre la vie de quelqu'un d'autre. Ce sujet est au cœur du métier militaire, des armées, mais nous n'avons pas réussi suffisamment à inspirer notre société par ce type de questionnement. Je le regrette. Il faut continuer sans relâche à poser cette question.
J'habite Sauveterre-de-Béarn. Le monument aux morts est un obélisque avec, au pied, une femme en larmes dont on ne voit pas le visage. Ce n'est pas très guerrier et il n'y a pas un seul nom sur le monument. L'explication est à chercher dans le fait que les guerres de religion ont été terribles à Sauveterre-de-Béarn, à la fois la conversion forcée au protestantisme par Jeanne d'Albret et ensuite la reprise en main par Louis XIII et la réinstallation du catholicisme. La conversion forcée des guerres de religion a été tellement terrible, dans un bain de sang tellement épouvantable, que trois cent cinquante ans après, les catholiques et les protestants, au lendemain de la Première Guerre mondiale, n'ont pas voulu que les noms de leurs enfants soient sur le même monument. Dans ce village, il y a donc un monument aux morts pour les catholiques, dans l'église, la liste des morts protestants au temple et un monument républicain sans un seul nom. La profondeur des traces laissées dans l'esprit de la nation, de nos sociétés, par ces sujets aussi graves, nous l'avons oubliée maintenant, mais elle était encore extrêmement vivace chez nos grands-parents. C'est la mesure de cette gravité qu'il faut que nous sachions prendre aujourd'hui et que nous réapprenions à nos concitoyens. C'est à la fois très important et très compliqué.
Je voulais vous dire, au nom du groupe Horizons, notre attachement aux ordres nationaux et cette conviction qu'ils sont une reconnaissance de la nation, mais aussi une obligation, un devoir, une incitation à continuer à être à la hauteur de ces décorations.
En tant que député, je continue à ressentir une vraie difficulté à faire remonter les dossiers qui me semblent mériter attention, ce qui, parfois, tient plus à la bonne relation avec un ministre ou, finalement, à ce qu'il nous doit, pour une raison ou une autre.
Tous les mérites se valent-ils ? Nos ordres rassemblent des mérites extrêmement divers, militaires, artistiques, sportifs, dans le monde des affaires. Ce constat contribue, dans l'esprit de certains, à dévaloriser ces ordres, puisque nos concitoyens introduisent une hiérarchie et peuvent estimer que tous ces mérites ne se valent pas.
De même, n'existe-t-il pas un déséquilibre entre ce que le récipiendaire a offert et ce qu'il reçoit en contrepartie ? Vous pouvez offrir votre vie, vous pouvez offrir du temps et peu recevoir en termes financiers. Vous pouvez être un grand sportif, aller au travail, être un grand patron et recevoir déjà beaucoup en contrepartie. Ne faudrait-il pas introduire cette notion de contrepartie ?
Je redis que la modification du code que nous allons mettre en œuvre devrait permettre d'avoir ce contingent d'initiative citoyenne, pour la prochaine promotion du 14 juillet. Vous n'aurez pas à vous adresser à un ministre. Je rappelle aussi que nous sommes tenus à la stricte parité. Nous avons trop souvent encore des dossiers d'hommes qu'il est difficile de retenir pour cette raison d'exigence de parité. Donc, proposez des dossiers de femmes.
Ensuite, vous avez raison, certains sont déjà très récompensés et rétribués. Le conseil y est très attentif. De grands capitaines d'industrie sont récompensés par leur mérite. On n'arrive jamais, avec une cuillère en argent dans la bouche, à être M. Edelstenne ou M. Trappier. Ils ont atteint les degrés de responsabilité qui sont les leurs parce qu'ils ont énormément travaillé, parce qu'ils ont donné leur temps, pas pour s'enrichir, mais dans le souci de donner le meilleur d'eux-mêmes au service de leur pays. Quelqu'un qui aurait pour seul mérite d'être né riche a objectivement peu de chances d'être récompensé, même si on peut malgré tout penser qu'un citoyen qui crée des emplois, de la richesse apporte beaucoup à son pays.
Il est vrai que l'ordre de Légion d'honneur est universel, comme il l'a été voulu par l'Empereur. Autant de militaires que de civils sont décorés. C'est une déclaration du courage qui est accordée aux savants et une décoration de la science qui est accordée aux soldats. Et les savants sont fiers d'avoir la même décoration et d'appartenir au même ordre que ceux qui ont été des braves et qui ont fait preuve de courage, et les courageux sont fiers d'être récompensés de la même manière qu'un savant ou un grand artiste. Moi qui ne me suis pas beaucoup enrichi au cours de ma carrière, je suis très fier d'avoir la Légion d'honneur dans les conditions dans lesquelles je l'ai eue, et très fier d'avoir cette charge aujourd'hui qui est la mienne.
Un très grand merci, mon général, pour cette audition et les messages que vous avez fait passer à travers elle.
La séance est levée à dix-huit heures dix
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Denis Bernaert, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Christian Girard, M. Loïc Kervran, Mme Lysiane Métayer, Mme Josy Poueyto, M. Aurélien Saintoul
Excusés. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Martine Etienne, M. Emmanuel Fernandes, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Bastien Lachaud, Mme Murielle Lepvraud, M. Olivier Marleix, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Valérie Rabault, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Fabien Roussel, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, Mme Nathalie Serre, Mme Sabine Thillaye