Tous les partis politiques ont participé au désarmement budgétaire, à la déconstruction de l'appareil de défense français, dans une sorte d'unanimisme, pour bénéficier des dividendes de la paix.
Vous parliez d'un débat public. Je suis frappé de la difficulté à l'alimenter. Je me félicite de ce qui a été créé par le président Sarkozy, notamment l'article 35 de la Constitution, qui oblige, dans les trois jours qui suivent le déclenchement d'une opération à l'extérieur, de faire une information au Parlement. Je crois que cet article 35 prévoit également qu'au bout de quatre mois d'opérations, un nouveau débat intervienne. Exigez-le. Même si j'ai toujours été très attaché à la stricte subordination du chef d'état-major des armées au Président de la République, chef des armées, je pense effectivement que ces engagements doivent faire l'objet de débats. Sans débat, on n'attire pas l'attention de l'opinion publique. Je n'ai jamais vu aucun militaire ni aucun des ministres en charge – et pas Mme Darrieusecq ici présente !- s'y dérober.
Sur l'Ukraine, ce qui m'avait frappé c'était d'entendre des gens dire : « on est prêt à se faire tuer jusqu'au dernier Ukrainien ». On ne combat pas par procuration. Cette prise de conscience face à la guerre en Ukraine devrait nous aider à mesurer la gravité de la situation et à éviter des proclamations morales inutiles. Est -ce que je considère qu'il faut que mes compatriotes se fassent tuer ou est-ce que je considère qu'il ne faut pas qu'ils s'impliquent ? Le débat doit être posé en ces termes, des bases saines de discussion, en argumentant sur les raisons pour lesquelles il faut ou non se faire tuer. En revanche, proclamer « Faisons-nous tuer la main sur le cœur jusqu'au dernier des Ukrainiens » est une forme d'hypocrisie ahurissante. Je n'ai pas entendu ces déclarations de la part de politiques, mais de commentateurs de tous ordres.
Vous évoquez l'exemplarité et vous citez le maréchal Sissi et d'autres. Ces décorations sont particulières. Elles ne sont pas celles remises en accueillant les gens dans un ordre. Quand on décerne la Légion d'honneur ou l'ordre national du Mérite, ce n'est pas l'insigne qui compte, mais le fait que les personnes rentrent dans un ordre. Elles s'associent à une communauté qui se définit comme une élite du service du bien commun et de ses compatriotes.
Les décorations remises à des étrangers n'obéissent pas à cette logique. Elles peuvent intervenir lors de visites protocolaires, une pratique internationale qui existe depuis toujours. Ainsi, lorsque M. Zelensky vient en France, le Président de la République peut lui remettre les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur. Il s'agit d'un instrument, d'une grammaire de relations internationales. Le Président de la République décide seul de la façon dont il joue avec cette grammaire.
J'ai reçu hier des journalistes qui préparent un article sur les ordres nationaux. Ils m'ont interrogé sur le fait que nous n'avions pas retiré la Légion d'honneur à M. Poutine. Je leur ai fait remarquer que nous l'avions remise à M. Zelensky. Celui-ci aurait pu la refuser, mais il ne l'a pas fait. Je ne m'estime pas en position de porter de jugement et d'appréciations pertinentes sur ces sujets de relations diplomatiques.
Nous cherchons absolument à faire respecter l'exemplarité. J'en ai parlé. La question est toujours délicate sur les affaires scandaleuses. Le conseil en instruit sans que vous en soyez informés puisque la discrétion est essentielle. Ensuite, il fait des propositions au grand maître. Je ne crois pas que M. Kron ait fait l'objet de la moindre instruction par le conseil de l'ordre.
L'affaire Bansart, c'est l'article de Mediapart. J'ai lu les articles. J'ai répondu aux journalistes de Mediapart que les personnes qui ont été décorées et reçues dans les ordres sur recommandation de M. Bansart ont eu des mémoires parfaitement constitués, qui mettaient en évidence leurs mérites, lesquels mémoires ont été présentés au conseil de l'ordre et elles ont été jugées comme devant être reçus dans les ordres. J'encourage les députés et les sénateurs à faire des propositions, et utiliser l'initiative citoyenne.
J'ajoute que les décorations des étrangers sont un moyen essentiel de soft power pour la France. Malheureusement, les postes diplomatiques et les consulats ne parviennent pas à conserver la mémoire des décorés. Par ailleurs, les décorations des personnes étrangères ne font pas l'objet de publications au Journal officiel. Si on n'alerte pas les postes diplomatiques qui ont fait les demandes que les personnes sont décorées, ils l'apprennent trop tard, par hasard, et nous perdons toute une partie du bénéfice de ces ordres. Je vais donc travailler à l'établissement de listes de ces amis de la France, qui servent nos intérêts, qui défendent nos valeurs, notre vision des choses. Ces communautés que nous créons à l'étranger, même si elles n'appartiennent pas à l'ordre, doivent être identifiables. On y travaille.
En outre, à chaque promotion, le service de communication de la grande chancellerie envoie à tous les journalistes, à l'AFP, la liste des décorés, avec des portraits de gens méconnus, admirables par leur dévouement, qui appartiennent au secteur associatif, au monde des sciences, de l'université. En plus, nous respectons une absolue parité. Or, les dépêches de l'AFP qui servent ensuite à tous les médias évoquent uniquement les célébrités. Les petites gens n'intéressent pas.
Des journalistes m'ont demandé si un ouvrier ou un simple bénévole avait autant de chances qu'un patron ou un président d'association de recevoir la Légion d'honneur. La réponse est non. La Légion d'honneur et l'ordre national du Mérite sont aussi une élite. Je pars du principe que le président d'une association qui aura commencé par y militer, qui se sera engagé dans le bureau, qui aura consacré plus de temps, est plus méritant que le simple bénévole. Il sera rarement président s'il n'a pas été préalablement bénévole. Quant à distinguer un ouvrier, je pense que celui qui aura un engagement syndicaliste, qui aura donné du temps et de l'énergie pour cela, est plus méritant que celui qui vient simplement travailler.
Le musée de la Légion d'honneur, gratuit, est un très beau musée mais il a un défaut, il est un peu trop un musée de phaléristique, une véritable splendeur avec des décorations extraordinaires, des ordres internationaux magnifiques, un manteau de l'ordre du Saint-Esprit… Mais j'ai demandé qu'il soit révisé. Je vais recruter un conservateur dans les semaines qui viennent, avec un plan d'action constitué après avoir réuni un comité d'experts du Centre Pompidou, d'Orsay, etc. Je veux montrer des personnalités décorées, qui incarnent ces valeurs, plus que des décorations et de très beaux objets. C'est aussi un moyen de communiquer.
Il y a aussi les maisons d'éducation de la Légion d'honneur qui n'accueillent que des filles. Chaque année, la distribution des prix est présidée par une femme qui vient faire un discours et qui se propose comme exemple à nos jeunes filles. Notre future astronaute, Sophie Adenot, est d'ailleurs décorée et également ancienne demoiselle des maisons d'éducation de la Légion d'honneur.