La société est plus capable de se défendre si les mérites en son sein sont reconnus sur la base de critères partagés. À ce titre, votre audition est la bienvenue. Je crois que nous nous sommes objectivement désarmés avec la fin de la conscription, avec des coupes budgétaires au moins de 2007 à 2015, des faits très objectifs dont la responsabilité incombe plutôt à d'autres forces politiques, qui semblent redécouvrir la guerre, que la nôtre. Il n'est pas étonnant que la population, qui a entendu pendant des années que le sujet guerrier ou le budget militaire n'avaient pas lieu d'être, ait acquis la conviction que la guerre était une affaire lointaine, voire révolue. En revanche, je vois un grand bon sens chez celles et ceux qui observaient, par exemple, qu'avec 20 000 hommes déployables, comme l'affirme le CEMAT dans une tribune récente, il ne soit pas très raisonnable de penser à un déploiement au sol en Ukraine, alors que les Ukrainiens eux-mêmes concèdent avoir perdu au moins 31 000 hommes en deux ans de guerre. Ces ordres de grandeur sont de nature à tempérer les enthousiasmes belliqueux.
Par ailleurs, du point de vue intellectuel, chez ceux qui ont fait part de leur émoi après les propos du Président de la République, il convient de distinguer les intérêts et les valeurs. Si l'on croit que la guerre en Ukraine est d'abord une guerre de valeurs, peut-être pouvons-nous arriver à la conclusion qu'il faut livrer un combat, notamment au sol, et nous engager, indépendamment de la volonté d'autres éventuels alliés. Nous ne pouvons pas simplement déplorer l'idée que la population se serait désarmée moralement, intellectuellement, psychologiquement au sujet de la guerre. Le débat public pourrait s'approfondir sur ces sujets. Critiquer simplement les propos du Président ne revient pas à avoir poussé des cris d'orfraie.
En outre, trois sujets affectent la crédibilité de la Légion d'honneur et des différentes distinctions : l'idée de l'entre-soi, de la récompense d'un petit milieu, celle de l'automatisme et celle de la superficialité. De nombreuses affaires défraient régulièrement la chronique. L'exemplarité des personnes promues n'est pas toujours évidente. Je pense à Abdel Fattah Al-Sissi, le dictateur égyptien. Nous avons un grave problème lorsque des personnalités qui ont notoirement porté atteinte aux droits humains sont considérées comme de grands représentants ou des personnes ayant rendu d'insignes services à la nation française. Je pense aussi à quelqu'un comme Patrick Kron, qui a bradé Alstom, qui a plaidé coupable aux États-Unis, mais qui, pour n'avoir jamais été condamné en France, n'a sans doute jamais fait l'objet d'une procédure. Je peux donner d'autres exemples. Peut-être pourrez-vous me donner l'issue de la procédure qui pourrait avoir été diligentée dans le cas de l'affaire Bansard, qui implique votre prédécesseur. Le général Puga a-t-il eu affaire à une enquête interne ?
Enfin, je dirais que nous avons peut-être des exemples de moindre qualité. D'une certaine façon, la troisième République, la quatrième et les débuts de la cinquième se donnaient Marie Curie pour modèle. Les grands médias permettaient de véhiculer ces images. Je crains que Marie Curie ne soit plus exactement le modèle qu'on donne aux petites filles désormais. En tant que grand chancelier, pourriez-vous entreprendre une action particulière vis-à-vis des médias, afin de promouvoir des modèles consensuels, plus stimulants que certains qui nous sont donnés dans le débat public ?