Oui. Je sens ce désarmement depuis longtemps. Il m'inquiète encore plus aujourd'hui parce qu'il apparaît comme évident.
Je ne vais pas me prononcer sur la déclaration du Président de la République sur l'éventualité d'un engagement en Ukraine. Simplement, ce qui me frappe, c'est que depuis deux ans, j'entends sur tous les plateaux de télévision, toutes les chaînes de radio, des commentateurs déclarant : « Armons-nous et partez », et, avec un sens moral très développé, ajouter : « Nous sommes prêts à nous faire tuer jusqu'au dernier Ukrainien ». Or, les Ukrainiens au bout d'un moment ne veulent plus se faire tuer, ils sont épuisés par la guerre qu'ils mènent. Ils ont des problèmes de recrutement, d'appel de plus en plus importants, une population qui a diminué, qui vieillit, qui souffre terriblement. Soit nous sommes prêts à nous faire tuer, soit nous n'y sommes pas prêts, mais nous ne pouvons pas exiger des autres qu'ils se fassent tuer pour nous.
Cette guerre, si nous considérons qu'elle nous concerne, nous devons imaginer que peut-être, un jour, elle nous concernera réellement, jusqu'à ce que notre jeunesse ou notre population doive s'y engager d'une manière ou d'une autre. En revanche, la guerre par procuration, à laquelle nous nous sommes habitués depuis si longtemps, me parait une illusion absolue.
Lorsque j'étais à l'IHEDN, pour un séminaire de rentrée, nous avions été reçus à Biarritz par M. André Lamassoure, qui nous racontait son expérience récente au forum de Davos. Avec sa verve habituelle et son talent, il y avait développé le miracle européen et cette première historique, un continent qui avait été au bord du suicide à travers les deux conflits mondiaux et qui s'en était rendu compte, avait inventé un nouveau mode de construction d'une entité politique supranationale pour préserver définitivement la paix en son sein. Il s'attendait à un tonnerre d'applaudissements, mais un grand Indien lui avait dit : « Vous ne voulez peut-être plus la guerre, mais je vous prédis que le siècle prochain sera un siècle de fer et de sang. Vous, vous ne la voulez peut-être pas, mais nous, on la fera ».
Le problème n'est pas limité à l'Ukraine. Nous faisons tous le dos rond en pensant qu'une fois le conflit ukrainien terminé, nous pourrons reprendre nos affaires comme avant. Ce ne sera pas le cas. Les déséquilibres, ne serait-ce que des arsenaux, qui se créent depuis dix ans, quinze ans, s'accentuent. La Russie est aujourd'hui lancée dans la production d'un arsenal qui lui permet d'avoir des obus, des pièces, des munitions, des engins en grande quantité, même si ce n'est pas en grande qualité. Nous, Européens, n'avons pas en réalité enclenché cette production de guerre. Ce déséquilibre ne sera pas résolu si nous n'acceptons pas l'idée qu'il faille le limiter et s'armer contre des gens qui, eux, ne considèrent pas que la guerre soit ignoble, même si elle est une barbarie ; sans cela, nous nous mettrons en situation de faiblesse et de soumission d'une façon ou d'une autre.