COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 7 février 2024
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
La séance est ouverte à 15 heures 02.
Notre premier point à l'ordre du jour est la proposition de résolution européenne visant à soutenir l'accord trouvé en trilogue le 13 décembre 2023 concernant la directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme. Je donne la parole à sa rapporteure.
J'aimerais dédier cette proposition de résolution européenne à Frank, coursier Uber eats de 18 ans, fauché par un camion pendant une course à Pessac. Tant de livreurs travaillent 12 heures par jour, 7 jours sur 7 pour des courses à moins de 5 euros. Je voudrais la dédier également aux chauffeurs VTC, dont Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, avait expliqué qu'il valait mieux être chauffeur Uber plutôt que de vendre de la drogue à Stains et qui se retrouvent endettés car sous-payés et épuisés. Je voudrais la dédier également aux artisans taxis qui, eux aussi, sont victimes de cette concurrence déloyale. Je pense à Mohamed, taxi parisien, qui m'avait adressé un courrier poignant en 2017 m'alertant sur la faillite de nombre de ses collègues, plongeant certains dans la détresse et d'autres jusqu'au suicide. Je souhaite la dédier à celles et ceux qui, dans beaucoup d'autres secteurs, n'ont plus droit à un CDI ni même à un CDD et à qui on demande de se créer un statut d'auto-entrepreneur pour aller travailler en tant que caissière à Monoprix, aide-soignante dans un EHPAD, agent de nettoyage. Je souhaite la dédier aux chefs d'entreprise, de la livraison et d'autres secteurs, qui ne peuvent plus suivre cette concurrence déloyale à moins de plonger eux-mêmes dans l'illégalité et de ne plus déclarer leurs salariés.
Je souhaite, mes chers collègues, que tous ensemble nous puissions la dédier à tous les députés européens français, tous groupes confondus, qui depuis 2021 travaillent sur ce sujet et ont réussi à s'accorder ensemble en février dernier sur une directive en faveur de la présomption de salariat, à l'instar de l'actuel ministre Stéphane Séjourné alors président du groupe Renew. Je souhaite tout particulièrement dédier cette résolution à Mme Sylvie Brunet, députée européenne du MODEM, auteure du premier rapport à l'origine de cette bataille politique et bien évidemment à ma collègue insoumise, Mme Leïla Chaibi, qui n'a pas ménagé ses efforts pour la voir aboutir, ainsi qu'au commissaire européen à l'emploi, Nicolas Schmit, qui attend beaucoup du vote de cette résolution.
Depuis une quinzaine d'années, l'essor des plateformes numériques d'emploi est exponentiel. Il touchera plus de 45 millions de personnes en 2025 et ne cesse de s'étendre à de nouveaux secteurs. Les conséquences de cette « ubérisation » de l'économie sont désastreuses et hélas bien documentées.
Elles sont économiques : le manque à gagner est considérable pour nos comptes sociaux, estimés à plusieurs milliards d'euros, autant d'argent qui ne bénéficie pas à notre système de santé et de protection sociale – sans compter les formes d'optimisation voire d'évasion fiscale pratiquées par ces plateformes. Les professions réglementées, les artisans, sont également les premiers à souffrir de cette concurrence déloyale.
Les conséquences sont aussi et surtout sociales. Non seulement les plateformes détournent le statut d'indépendant afin d'échapper à leurs obligations d'employeur, mais les travailleurs subissent les conséquences néfastes de ces pratiques dérogatoires au droit commun : absence de protection sociale, précarisation, management algorithmique dangereux. Leurs conditions de travail constituent ainsi un véritable retour au tâcheronnat du XIXe siècle.
Aujourd'hui les seuls gagnants de l'absence de régulation sont les grandes plateformes, notamment américaines. C'est pourquoi la Commission européenne a présenté le 9 décembre 2021 une directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme. Son objectif est notamment de créer une présomption de salariat et une régulation du management par algorithmes. Le Parlement européen a également proposé des mesures protectrices pour les travailleurs.
Au terme d'âpres discussions entre les États membres, le Conseil est revenu en grande partie dans son accord du 12 juin 2023 sur les avancées proposées par la Commission. Le Parlement européen a de son côté consenti de nombreuses concessions afin de parvenir à un accord équilibré bien que très éloigné des ambitions initiales du texte.
Un accord a enfin été trouvé lors du trilogue du 13 décembre 2023, permettant d'établir un texte équilibré. Celui-ci a été salué par un grand nombre d'acteurs, dont les membres de la majorité présidentielle du groupe Renew Europe au Parlement européen. Cet accord prévoit que si un travailleur satisfait à deux indicateurs de subordination sur cinq, ce dernier sera présumé salarié, et il reviendra à la plateforme d'apporter la preuve qu'elle n'est pas son employeur.
Or, à la surprise générale, cet accord n'a pas été validé en COREPER et depuis décembre 2023, les négociations ne parviennent pas à aboutir, notamment du fait de l'opposition du gouvernement français, qui ne cesse depuis 2021 de proposer des amendements vidant le texte de son contenu normatif ou établissant des exceptions le rendant inopérant.
Où en est-on aujourd'hui ?
Nous sommes à la veille du trilogue qui va réunir les trois institutions européennes et décider du texte.
Selon le commissaire européen Nicolas Schmit, à ce stade de la négociation, « on se heurte à des demandes inacceptables pour le Parlement mais aussi pour la Commission, telle que la demande de dérogation générale, soutenue par la France. » Non seulement parce que cette disposition rendrait la directive inopérante, mais parce qu'elle créerait un terrible précédent. Selon M. Schmit, « il serait particulièrement grave qu'un accord collectif dont la représentativité est discutable puisse déroger à des règles européennes. Ce serait affaiblir la législation sociale européenne dans son ensemble. Jusqu'ici la Commission européenne s'y est toujours refusée. »
Pour résumer, au terme de deux ans de discussions et alors que la fin de la législature se profile, deux scénarii catastrophes pourraient se produire. Soit une absence d'accord, du fait des positions irréconciliables du Conseil et du Parlement européen. Soit l'adoption d'un accord a minima qui serait moins protecteur pour les travailleurs des plateformes.
Dans les deux cas tout le monde serait perdant : les travailleurs bien sûr, mais aussi les vrais indépendants, les professions réglementées, les comptes de la sécurité sociale, les États qui tenteraient d'adopter une réglementation protectrice et les plateformes qui accordent des droits à leurs travailleurs.
En réalité les seuls gagnants seraient les plus grandes plateformes. Cela en dit long sur les capacités de lobbying de certaines d'entre elles. Le sujet n'est pas nouveau, notre Assemblée y a consacré une commission d'enquête dont j'ai été la rapporteure. La question était alors : comment Uber, une multinationale américaine qui a érigé l'illégalité en principe de fonctionnement, a-t-elle pu bénéficier d'un soutien direct et opaque d'un ministre contre l'avis même de son Gouvernement pour s'implanter en France ? À l'approche des élections européennes, la question est : quels sont les intérêts que défend aujourd'hui la majorité présidentielle ?
Nous sommes à la veille d'une décision historique. Soit un texte ambitieux est adopté, qui respecte notre modèle social européen, soit c'est le modèle des grandes plateformes américaines de dérégulation sociale sauvage qui s'impose. C'est une question de politique majeure. Veut-on casser le salariat et rétablir une nouvelle forme d'exploitation ? L'Allemagne avait annoncé s'abstenir en raison de l'absence d'accord au sein de la coalition gouvernementale, et ne participe que peu aux discussions, ce qui modifie l'équilibre des voix au sein du Conseil. Dès lors le poids de la France et sa responsabilité sont centraux dans l'adoption de la directive.
Hélas, aucun débat n'a été proposé à l'Assemblée nationale sur ce texte pourtant capital. Nous pensons que la représentation nationale doit se saisir du sujet et qu'il faut absolument revenir à l'accord trouvé en trilogue le 13 décembre 2023 sous présidence espagnole.
C'est ce que propose ce projet de résolution européenne. Soutenir cette résolution c'est soutenir l'accord européen qui pourra changer la vie de million de travailleurs et travailleuses. Soutenir cette résolution, c'est aussi soutenir un travail européen transpartisan, mené et voté par l'ensemble des députés européens français, tous groupes confondus.
Nous allons rejeter cette proposition de résolution pour différentes raisons. Madame la rapporteure, vous êtes ici atteinte de « sur-transpositionnite » aiguë. La négociation européenne n'est pas terminée et vous voudriez nous faire adopter une version qui n'a pas encore fait l'objet d'un accord au Conseil.
Votre résolution est complotiste. Vous affirmez que c'est la France qui bloque l'accord au Conseil, mais cela est faux. Le 13 décembre, l'Estonie, la Bulgarie, l'Irlande, la Grèce, l'Italie n'ont pas soutenu la position de la présidence espagnole. Puis la France a soutenu les textes présentés par la présidence belge, mais ceux-ci n'ont pas trouvé de majorité. Naturellement, notre groupe soutiendra l'accord qui sera trouvé au sein du trilogue.
Pour satisfaire votre vision dogmatique de l'économie, vous êtes prête à sacrifier des centaines de milliers d'emplois et à aller contre la volonté même de ces travailleurs qui souhaitent être indépendants des plateformes. L'adoption trop hâtive de la directive pourrait remettre en cause l'existence de ces nouveaux acteurs économiques, ce qui est peut-être votre objectif, et menacer l'existence du statut d'indépendant, cher à notre pays.
La France a choisi une voie unique et innovante pour accompagner les acteurs économiques via la création d'un dialogue social entre plateformes et représentants des travailleurs. Ce dialogue fonctionne, il a obtenu des avancées sur le revenu minimal, les modalités de rupture, la liberté de choix des courses pour le chauffeur, même s'il reste du travail. La justice de notre pays a déjà procédé à de nombreuses requalifications lorsqu'elle constate un lien de subordination. La France joue ainsi depuis le début un rôle moteur pour que la directive soit rédigée de façon à ce qu'elle respecte les différents équilibres : pas de sur transposition, pas de dogme économique, mais la volonté de réguler les nouveaux usages économiques dans l'intérêt des travailleurs, de l'économie et des usagers.
Pour toutes ces raisons, nous nous opposerons à cette proposition de résolution européenne.
La proposition de directive visant à améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques est une avancée en faveur des droits des travailleurs en Europe. Les négociations en trilogue, qui ont eu lieu mi-décembre 2023, ont été confrontées à un blocage de la part de douze États membres, parmi lesquels se trouvent la France et l'Italie, les pays baltes et les pays scandinaves. La Présidence belge du Conseil de l'Union européenne a récemment présenté un texte de compromis. Ce texte vise à défendre les droits fondamentaux de millions de travailleurs. Cependant, malgré ces quelques avancées, plusieurs questions ne sont pas abordées par la proposition de directive, notamment la présence de travailleurs illégaux au sein de certaines plateformes de livraison. Quelles mesures sont envisagées par l'Union européenne pour lutter contre l'emploi des travailleurs illégaux ?
Il faut mesurer la situation absurde et scandaleuse dans laquelle nous nous trouvons. L'Union européenne propose un progrès social pour les travailleurs des plateformes, mais qui s'y oppose ? La France. Le président Macron entretient avec les plateformes une relation de grande proximité et même de complicité. Au-delà de cette corruption au sommet de l'État, c'est une certaine conception de l'emploi qui s'impose, un emploi sans droit. Depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Élysée, les droits des salariés et leur nombre reculent pour la première fois dans notre histoire. Face à la diminution des CDI, l'auto-entrepreneuriat explose. Leur nombre a plus que doublé depuis 2017. Le message que nous voulons porter est donc le suivant : est-ce que nous sommes au service d'Uber ou au service de l'intérêt général ?
Nous nous interrogeons sur la pertinence d'examiner cette résolution qui porte sur un accord provisoire alors qu'un nouveau trilogue aura lieu demain sur la base d'une proposition révisée. Au fond, vous nous parlez ici d'un texte qui n'existe plus et dont tous les acteurs s'entendent à dire qu'il doit évoluer.
Nous devons être prudents quant au risque de requalification massive des indépendants. La France est l'un des pays parmi les plus avancés sur le sujet de la protection des travailleurs indépendants. En effet, la jurisprudence française permet une présomption de salariat sur le fondement de trois critères cumulatifs que sont la rémunération, la prestation et le lien de subordination. De même, je dois ici citer les dernières avancées nationales relatives au dialogue social. Des accords entre plateformes et travailleurs ont été signés, fixant par exemple l'instauration d'un revenu minimum horaire garanti à 7,65 euros net par course ou la liberté du chauffeur de refuser des courses en deçà d'un montant qu'il a lui-même fixé. Tous ces accords sont la preuve de l'engagement de la France sur le sujet.
Si le groupe démocrate votera contre votre proposition de résolution européenne, nous restons convaincus que le dialogue social entre les plateformes et les travailleurs doit se poursuivre et que les conditions de travail de ces derniers doivent être améliorées au niveau européen. Nous faisons confiance à nos institutions européennes pour trouver le meilleur accord possible qui sera adopté je l'espère par une majorité d'États.
Il est nécessaire de trouver un accord au niveau européen pour les travailleurs des plateformes. Nous ne pouvons pas nous contenter d'une situation où les différences de régime juridique créent d'un pays à l'autre des injustices quant à leurs droits. Cependant, dans un secteur qui valorise la flexibilité et l'indépendance des travailleurs, la généralisation du salariat ne peut constituer une solution viable.
En France, la protection des travailleurs passe par des accords par secteurs d'activité. Des accords ont d'ailleurs d'ores et déjà été signés, notamment dans les secteurs des VTC et de la livraison, afin de fixer le cadre du dialogue social, de garantir un revenu minimum et de permettre une liberté dans le choix des courses. Nous abordons ce débat dans la double perspective suivante : renforcer la cohérence du statut des travailleurs européens des plateformes et préserver au maximum leur indépendance.
La position de la France au Conseil est parfaitement cohérente. Le seuil à partir duquel s'applique la présomption de salariat doit rester suffisamment élevé pour éviter de pénaliser les travailleurs indépendants. Le groupe Horizon et apparentés votera donc contre cette proposition de résolution européenne.
Les travailleurs des plateformes sont bien dépendants de ces dernières, tant dans leurs horaires de travail, la nature de leurs prestations que dans le prix de leurs services. Ces plateformes font appel à des algorithmes pour assigner les tâches, surveiller et évaluer les travailleurs. J'ajoute que les stéréotypes sexistes et discriminatoires véhiculés par la gestion algorithmique amplifient les inégalités entre les hommes et les femmes.
Le projet de directive vise à établir des droits minimaux pour toute personne exécutant un travail sur une plateforme, proposer une définition commune de ce type de travail, garantir le droit des États de requalifier le statut des travailleurs, affirmer le caractère précaire de ces relations de travail et admettre la possibilité de contester cette requalification via une procédure juridictionnelle. Dans ces conditions, nous apportons notre accord à cette proposition de résolution européenne.
Avant même que ne soit présentée la directive visant l'amélioration des conditions de travail pour les travailleurs des plateformes, la France a fait pression auprès de la Commission européenne. Pourquoi ? Pour qu'elle abandonne le principe de présomption de salariat pour les travailleurs. La proximité du gouvernement avec les lobbies des plateformes a été révélée par le scandale des Uber files en juillet 2022.
Quel est le résultat de ce soutien inconditionnel aux plateformes ? Les travailleurs des plateformes sont 28 millions en Europe, dont 300 000 en France. Parmi eux, près de 5,5 millions seraient considérés à tort comme des travailleurs indépendants. Leurs conditions de travail sont intolérables entre la durée du travail à rallonge, les accidents mortels liés au travail de nuit, les salaires de misère, les violences multiples de la part des clients et les absences de mission. En plus de cela, les travailleurs des plateformes n'ont pas accès au chômage et à la retraite.
Dans le même temps, les bénéfices sont records pour les employeurs, comme en témoignent les 3 millions d'euros saisis sur un compte de la plateforme Deliveroo. Malgré de nombreuses décisions de justice depuis 2016, qui vont toutes dans le sens de la reconnaissance du statut de salarié pour certains travailleurs des plateformes, le gouvernement français s'obstine à maintenir leur statut fictif de travailleur indépendant.
L'accord en trilogue européen, qui permet la reconnaissance de la présomption de salariat en revenant aux fondamentaux de ce qu'est le lien de subordination et en inversant la charge de la preuve, est nécessaire et équilibré. Refuser cet accord, c'est favoriser le délitement du sens du travail et nourrir la précarisation de l'ensemble des travailleurs. Pour toutes ces raisons, les députés communistes et ultramarins du groupe GDR soutiendront cette proposition de résolution.
Je tiens à exprimer notre ferme soutien à la proposition de résolution relative à la directive sur les travailleurs des plateformes. Cette proposition cruciale pour l'avenir du travail en Europe a été mûrement réfléchie et longuement discutée puisque les premiers travaux datent d'il y a plus de 10 ans. Dans un contexte d'évolution rapide du marché du travail numérique, nous avons décidé de soutenir ce texte pour plusieurs raisons politiques essentielles.
Tout d'abord, il respecte les souverainetés nationales en permettant aux tribunaux de chaque pays de statuer sur une requalification contractuelle. De plus, le refus de la création d'un tiers statut, entre auto-entrepreneur et salarié, qui aurait pu créer une confusion supplémentaire et empiéter sur le droit national, est une victoire significative. Cela démontre notre détermination à protéger notre législation nationale contre les innovations législatives, selon nous, inappropriées de la part de Bruxelles.
Nous souhaiterions aussi que soient abordés des sujets cruciaux comme le travail illégal, que nous voudrions voir figurer dans cette proposition de résolution et l'utilisation d'algorithmes, soulignant notre préoccupation constante pour le droit des travailleurs et la transparence dans le numérique.
En soutenant cette proposition de résolution, nous manifestons notre volonté de lutter contre l'exploitation humaine et d'assurer des conditions de travail équitables pour tous. Je suis ravie de voir autant de monde aujourd'hui et j'ose espérer que le nombre fera apparaître un vote positif pour cette proposition.
Nous appelons à soutenir cette proposition de résolution. Elle s'inscrit d'abord pleinement dans les travaux de notre commission, puisque dès janvier 2021, nous avions présenté avec Carole Grandjean, alors députée LaREM un rapport sur la protection sociale des travailleurs et travailleuses des plateformes numériques. Nous constations la nécessité de produire une régulation efficace du secteur du fait du déséquilibre de la relation de travail et de l'incertitude de leur statut.
Outre les effets négatifs sur la santé et le manque de protection sociale, « l'uberisation » de l'économie accroît le risque de pauvreté et d'instabilité économique. Nous avions plaidé pour l'adoption d'une directive relative au travail sur les plateformes, afin de clarifier les règles, de stabiliser le fonctionnement du secteur et de consolider le socle européen des droits sociaux.
Cette directive et le soutien que la représentation nationale y apporte, participent du processus de conquête de nouveaux droits sociaux, étape essentielle pour construire une citoyenneté sociale européenne qui offre des droits et des garanties à tous les travailleurs. Ce point est souligné par les travaux interdisciplinaires menés en Europe, notamment par le projet CEPASSOC sur la protection sociale des travailleurs.
Enfin, on ne peut déplorer le manque d'adhésion de certaines catégories de la population au projet européen et ne pas saisir l'opportunité de concrétiser la citoyenneté sociale européenne grâce à ce type de directive.
Monsieur Haddad, avoir pour seul argument la thèse complotiste ferait rire si le sujet n'était pas sérieux. Vous avez déjà utilisé cet argument dans le cadre de la commission d'enquête parlementaire que vous avez présidée. Un consortium de journalistes se saisissant d'une quantité importante de données relèverait donc du complotisme ? Mais voir du complot là où il n'y en a pas, c'est cela, le complotisme.
En revanche, ce qui est vrai et nous a été confirmé par le commissaire Nicolas Schmit nous a confirmé que la France jouait un rôle déterminant dans le torpillage de cette directive. La France essaie en effet d'imposer une dérogation générale qui permettrait aux États membres organisant un dialogue social entre les travailleurs des plateformes et ces dernières de se soustraire aux obligations prévues par la directive. Le précédent ainsi créé aurait pour effet que tout progrès social instauré au niveau européen pourrait faire l'objet d'une dérogation dès lors qu'un État membre affirmerait mener un dialogue social sur le sujet.
Le projet de directive établit qu'un travailleur est considéré comme salarié s'il remplit deux critères révélateurs d'un lien de subordination sur cinq. Par exemple, si le travailleur ne fixe pas lui-même ses tarifs, c'est qu'il n'est pas indépendant. Mais pour la France, si un accord sur un tarif minimum a été passé dans le secteur concerné entre les plateformes et les représentations des travailleurs, alors le critère du tarif ne peut pas être invoqué. Avec la dérogation française, il serait encore plus difficile pour un travailleur de faire reconnaître son lien de subordination et d'obtenir sa requalification. La position française est alignée sur les plateformes et « roule » pour Uber. L'exécutif français ne s'oppose pas aux accords de libre-échange de la même façon qu'il se range du côté des plateformes et s'oppose au progrès social. Par conséquent, qui, ici, est dogmatique ? C'est vous qui incarnez le dogmatisme de l'ultralibéralisme.
Un autre de vos arguments est intéressant : celui de la préservation des vrais indépendants. Je suis cette fois d'accord avec vous, mais le meilleur moyen de les protéger est de requalifier les faux indépendants en salariés, de ne pas appeler faussement « indépendants » ceux qui sont en réalité dans un rapport de subordination et qui organisent ainsi une concurrence déloyale vis-à-vis des vrais indépendants.
J'ai parlé du nombre de petites entreprises et d'artisans subissant actuellement une concurrence déloyale de la part de ces plateformes. Selon la directive dans son état du 13 décembre, c'est à ces dernières de démontrer qu'elles ont affaire à de vrais indépendants.
J'entends également dire qu'il n'y a pas lieu aujourd'hui de voter car il n'y aurait pas encore d'accord signé. Mais c'est « le serpent qui se mord la queue ». En réalité, il y a un accord provisoire - et votre députée européenne Mme Sylvie Brunet s'en est félicitée - mais les négociations qui doivent reprendre demain ne reprendront pas sur la base de cet accord, sauf si nous prenons ici nos responsabilités en votant pour cette proposition de résolution et en faisant pression pour que l'exécutif français, non seulement respecte la représentation nationale, mais respecte la représentation européenne. Sans cela, la France imposera sa ligne et sa dérogation générale, dont nous n'avons jamais discuté à l'Assemblée nationale et qui n'a jamais été débattue par le Parlement européen.
Les collègues du Rassemblement national m'ont également opposé les mesures européennes envisagées sur les travailleurs illégaux, mais ne nous trompons pas de débat : nous parlons ici des travailleurs des plateformes. Dès lors que le statut de travailleurs salarié est reconnu, cette question se pose dans le cadre du salariat et la circulaire Valls s'applique en matière de régularisation. Mais la situation n'est pas la même dans chaque pays.
Je souhaite remercier mes collègues des groupes, GDR, écologistes et socialistes pour leurs interventions. Nous partageons cette volonté de participer à l'histoire de l'Europe sociale.
Pour les collègues du groupe Démocrate, attention à ce que votre vote ne défasse pas ce qu'ont fait vos collègues au niveau européen ! C'est la première fois, non seulement que l'Union européenne peut porter un tel progrès social, mais aussi que nous pouvons être fiers de l'œuvre accomplie collectivement. Voter contre cette résolution, c'est voter contre le travail accompli par Mme Brunet. Il est essentiel de soutenir cet accord et que ce travail puisse se poursuivre dans l'hémicycle.
Amendement n° 1 de Mme Joëlle Mélin
Si les plateformes de livraison de repas contrôlaient la régularité des livreurs, ils auraient 80 % de coursiers en moins. Ce n'est pas nous qui le disons, mais Serge Slama, professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes.
L'angle mort de la directive concerne les travailleurs illégaux. À Bruxelles, une enquête judiciaire a permis d'établir que 55 % des coursiers contrôlés n'avaient pas de papiers. Malgré ce scandale révélé par les Uber files, les plateformes ont fermé les yeux.
La France s'en était emparée et plusieurs pistes avaient été mises sur la table pour lutter contre les fraudes et la sous-location de comptes, ce que l'on retrouvait en partie dans le Plan national de lutte contre le travail illégal (2023-2027). Il faut dire qu'au niveau européen, cette question a été balayée.
Vous avez dit, Madame la rapporteure, que nous avions en France la circulaire Valls. Or, sauf erreur de ma part, ni la loi Hortefeux de 2007, ni la circulaire Valls de 2012 ne tiennent compte des autoentrepreneurs.
Il s'agit donc d'un sujet politique essentiel qui ne figure pas dans votre proposition. Nous demandons à tous nos collègues de bien vouloir l'y inclure.
Je donnerai un avis défavorable à cet amendement pour les raisons suivantes.
D'abord, la sous-location frauduleuse des comptes est en réalité assez marginale, puisqu'elle concernerait 2 500 cas sur 60 000 livreurs Uber actifs, pour prendre cet exemple.
Il y a un vrai problème concernant la révision de la circulaire Valls de 2012, qui ne prend pas en compte les travailleurs indépendants. Or, l'effet de la directive, par la requalification en salariat du statut des livreurs en situation de subordination – vis-à-vis de l'application et de son algorithme – est justement de les faire rentrer dans le cadre de la circulaire Valls.
L'amendement est rejeté.
Amendement n° 2 de Mme Joëlle Mélin
Il s'agit d'un amendement de précision qui vise à ajouter après l'alinéa 21 l'alinéa suivant : « Considérant que de nombreux États européens réagissent, et que la justice donne raison à de nombreux travailleurs des plateformes dont le statut d'autoentrepreneur ne correspond pas à la réalité, que le lien de subordination est progressivement reconnu, imposant de fait aux plateformes une requalification progressive des contrats ». Cette réalité juridique qui concerne beaucoup de pays devrait, selon nous, en devenir également une dans cette directive.
. Sur le fond, je dirais qu'un nombre croissant d'États plaident pour une réglementation européenne dont la France cherche à diluer les effets. Votre amendement est cependant satisfait par l'alinéa 22 de la proposition de résolution, avec la référence à l'accord issu du trilogue, qui était équilibré, ainsi que par la référence à la jurisprudence aux alinéas 12, 13, 19 et 20
L'amendement est retiré.
Amendement n° 3 de Mme Constance Le Grip
Par cet amendement, nous souhaitons supprimer l'alinéa 22 de la proposition de résolution européenne portée par le groupe LFI. En effet, l'accord provisoire auxquels les colégislateurs étaient parvenus sous présidence espagnole en décembre 2023 a été remis en cause. Le 22 décembre, la présidence espagnole a officiellement constaté que la majorité requise concernant cet accord provisoire entre les représentants permanents des États membres n'avait pas pu être atteinte. La présidence belge a repris les négociations avec les représentants du Parlement européen afin de parvenir à un nouvel accord sur la forme définitive de la directive. Il ne saurait être question d'inviter le gouvernement français à soutenir un accord qui est loin d'être abouti, et n'existe donc pas encore formellement.
Je donnerai un avis défavorable à cet amendement visant à vider la proposition de résolution européenne de son contenu. Comme nous l'a rappelé le Commissaire européen à l'emploi et aux droits sociaux, M. Nicolas Schmit lors de son audition, le texte issu du trilogue du 13 décembre est un compromis équilibré entre les positions du Conseil et du Parlement européen, lequel avait consenti à de nombreuses concessions. Cet accord provisoire du 13 décembre a été rompu, principalement par le gouvernement français entraînant avec lui, la Bulgarie, la République tchèque, la Grèce, la Hongrie. L'Irlande, l'Italie et les pays baltes. Ce, sur la ligne de défense des lobbies d'Uber.
Le Commissaire européen, inquiet lors de son audition, affirmait « nous nous heurtons à des demandes inacceptables pour le Parlement européen et la Commission, telle que la demande de dérogation générale soutenue par la France. […] Il serait particulièrement grave qu'un accord collectif, dont la représentativité est discutable, puisse déroger à des règles européennes ». Seules les grandes plateformes sont gagnantes avec la dernière version du texte. Nous invitons donc le gouvernement à revenir sur un texte qui serait plus protecteur pour les travailleurs des plateformes.
Par ailleurs, en supprimant l'alinéa 22, vous supprimez le contenu de la résolution. Une réécriture aurait pu être proposée afin qu'un débat ait lieu dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Nous aimerions, de manière transparente, que l'exécutif partage ses positions. Nous connaissons les attentes des différents groupes au Parlement européen – dont le groupe Renew, qui ont su converger. L'exécutif peut-il indiquer devant l'ensemble de la représentation nationale s'il défend les intérêts d'Uber ou l'intérêt général ?
Je donne un avis défavorable à cet amendement, qui vise d'une part à s'opposer à l'accord du 13 décembre, et d'autre part, à empêcher notre représentation nationale d'avoir un débat en toute transparence sur nos attentes concernant la directive européenne.
Notre commission a été saisie à plusieurs reprises de propositions de résolutions européennes ou de rapports dont les recommandations ou les propositions étaient préalables aux décisions du Parlement européen ou du Conseil et pour lesquelles elle exprimait un soutien ou une demande vis-à-vis de l'exécutif. Les avis sur la réforme budgétaire de l'Union européenne, sur les instruments du marché unique ou sur la zone euro ont été rendus avant ou pendant des négociations. Je ne vois pas d'inconvénient à soutenir cette proposition de résolution européenne. Il est important d'afficher une volonté collective.
L'Europe propose un progrès sur la question des travailleurs des plateformes. Cependant, le Président de la République et les députés de la majorité enlisent le débat et alimentent le dégoût de l'Europe, qui va être présentée comme responsable. Aujourd'hui, c'est la faute de la France, du Président de la République. Ce n'est pas première fois que la France bloque des progrès sociaux. Le congé parental, projet sur lequel le Parlement européen et la Commission européenne avaient fait part de leur volonté d'avancer ensemble, en est un exemple. La France a également fait partie des États ayant freiné le processus en cours sur la taxe sur les transactions financières. Est-on au service d'Uber comme le laissent penser les documents parus sur les liens entre Emmanuel Macron et la République en marche et les lobbyistes d'Uber ? S'agit-il de soutenir les parlementaires européens qui, ensemble, ont pensé ce progrès ou l'objectif est-il de soutenir, par servilité, un Président de la République isolé sur le sujet ?
L'exposé des motifs de cet amendement impliquerait que nous ne puissions plus introduire de propositions de résolution européenne au sein de cette commission des affaires européennes. L'objectif d'une proposition de résolution est de donner l'avis de l'Assemblée nationale sur une discussion ayant lieu au Parlement européen, au Conseil ou à la Commission européenne. Or, cet amendement vise à supprimer l'objet même de la résolution en indiquant qu'il faudrait une autre base de travail que l'accord du trilogue. Suivant la logique de l'amendement proposé, le pouvoir législatif ne pourrait plus s'exprimer sur des politiques qui sont définies au niveau de l'Union européenne.
Nous sommes opposés à cet amendement qui met à mal notre souveraineté. Depuis dix ans, l'Union européenne travaille à trouver une solution à ce phénomène problématique qui doit être régulé.
Comme l'a dit Benjamin Haddad, notre pays est engagé à travers ses représentants au sein du Conseil de l'Union européenne à trouver un texte qui serait le fruit d'un compromis. Nous défendrons l'accord trouvé en trilogue.
L'amendement est rejeté.
J'en reviens donc à la mise aux voix de l'article unique de la proposition de résolution européenne.
La proposition de résolution européenne est rejetée.
Mon intervention sera brève et se résumera à une question, que j'ai voulue volontairement provocatrice : sommes-nous en train de tuer notre industrie française et européenne avec la réforme du marché carbone européen ?
Évidemment, nous devons nous féliciter de l'aboutissement des réformes du Pacte vert européen, parmi lesquelles l'évolution du marché des crédits carbone. Évidemment, nous pouvons être satisfaits que l'Union européenne soit le leader mondial dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, avec un mécanisme propre à fixer un prix du carbone de plus en plus ambitieux. Évidemment, nous ne pouvons que nous réjouir de la création du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui permettra à l'Europe de sortir d'une forme de naïveté climatique en incitant les autres États membres à respecter des normes protectrices du climat par la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Néanmoins, en travaillant sur ce sujet, je me suis rendu compte qu'au-delà des motifs de satisfaction de façade, l'ensemble de ces évolutions présentait des dangers pour notre économie. Nous avons en effet « sauté sans parachute » et élargi un dispositif qui n'avait pas vraiment convaincu jusqu'ici.
Je m'explique. Le marché carbone européen, créé en 2005, avait un objectif principal : la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, afin de permettre aux secteurs exposés à la concurrence internationale de rester compétitifs, les institutions de l'Union européenne ont prévu l'allocation de quotas carbone gratuits. Cette allocation, particulièrement généreuse, couplée à la récession de 2008, a ainsi fait chuter le prix du quota carbone autour de 5 euros la tonne en 2013. Il était alors beaucoup plus intéressant de payer pour les émissions produites, que d'investir dans la décarbonation des processus de production. Si des réformes paramétriques et une reprise de l'activité économique depuis 2021 ont permis d'atteindre aujourd'hui le prix de 90 euros la tonne, la plupart des études montrent tout de même les effets très limités du marché carbone sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre depuis sa création.
Face à ce constat, une décision s'imposait : la réforme du système d'échange de quotas carbone, de manière à atteindre des objectifs climatiques de plus en plus ambitieux avec le Pacte vert pour l'Europe. Nous ne pouvons que souscrire à cette nécessité. Ce sont les modalités de la réforme qui suscitent néanmoins notre inquiétude : nous avons créé de nouveaux instruments, sans être certains qu'ils fonctionnent. Si, et personne ne le souhaite, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ne fonctionnait pas en pratique, l'industrie européenne se retrouverait nue, sans protection, face à la concurrence des pays tiers, au premier rang desquels figurent les États-Unis et la Chine.
La réforme du marché carbone prévoit en effet la suppression progressive des quotas gratuits dans l'Union européenne, de manière à rehausser le coût de la tonne de carbone et à atteindre nos objectifs climatiques et environnementaux. La réforme prévoit également l'extension du marché carbone à de nouveaux secteurs : le transport routier, le transport maritime et le bâtiment.
La contrepartie de la suppression de ces quotas, qui expose donc l'industrie européenne à la concurrence internationale, est la création du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Mais ce mécanisme est vicié dès sa création pour trois raisons.
La première raison tient au fait que ce mécanisme ne couvre pas les produits finis. Ainsi, si un importateur fait venir de Chine une tonne d'acier, l'entreprise exportatrice chinoise paiera alors des certificats carbone correspondant aux émissions. En revanche, si un importateur fait venir de Chine une voiture dans laquelle se trouve une tonne d'acier transformé, l'entreprise exportatrice n'aura pas à payer les certificats carbone correspondant aux émissions. Cette lacune est extrêmement préoccupante pour tous les secteurs aval de notre industrie. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pose un problème pour la compétitivité à l'export des produits européens : c'est la seconde raison. Les secteurs couverts par le MACF ne bénéficient plus de quotas gratuits et voient leur compétitivité réduite à l'export du fait du renchérissement de leurs coûts de production. En revanche, la concurrence extra européenne ne sera pas soumise à une tarification carbone équivalente pour les produits ne franchissant pas les frontières européennes. La troisième raison est en lien avec les méthodes de vérification des émissions dans les pays tiers. Comment s'assurer que les méthodes de mesure des quotas refléteront fidèlement l'intensité carbone des produits ? Les conclusions du rapport vont même plus loin : les bureaux de certification pourraient en effet être captifs d'un nombre limité de clients industriels dans les pays tiers, produisant ainsi des comptes carbone en deçà des émissions réelles. Les acteurs en charge de l'audit, rémunérés par les acteurs audités, seront ainsi sujets à d'importants conflits d'intérêts qu'il faut prévenir.
Je crois donc qu'il y a un consensus politique sur les objectifs à atteindre : la décarbonation de l'économie pour atteindre les objectifs climatiques d'une part, et la préservation de la compétitivité de note industrie d'autre part. Le rapport que je vous soumets aujourd'hui ne remet évidemment pas en cause ces deux cibles.
Mais dans le climat d'auto-satisfaction générale autour de la réforme du marché carbone, je crois qu'il est important que des voix s'élèvent pour faire connaître la possibilité d'un péril pour l'industrie européenne. Le bon fonctionnement de cette réforme relève du pari, et nous espérons tous qu'il sera payant. Mais la croyance n'est pas un moyen efficace pour la conception de politiques publiques : il est absolument nécessaire, face à l'ensemble des écueils que je viens de mentionner, si nous ne parvenons pas à effectuer les ajustements nécessaires, de prévoir une porte de sortie du marché carbone et du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières en cas d'échec.
Sans remettre en cause la nécessité de donner un prix au carbone, ce rapport s'interroge donc sur le choix des instruments choisis pour parvenir à cet objectif : inefficace dans ses premières phases, potentiellement dangereux pour la compétitivité européenne à l'avenir, le marché carbone européen suscite de nombreuses interrogations critiques.
Votre rapport s'intéresse à un sujet central à la fois pour notre souveraineté énergétique, française et européenne, pour notre souveraineté industrielle et pour notre engagement à respecter l'Accord de Paris sur le climat.
Sur le marché carbone, comme dans d'autres domaines, l'Europe a su rompre avec un certain nombre de dogmes archaïques et apprendre de ses erreurs. Elle a d'abord corrigé des dysfonctionnements majeurs, identifiés depuis longtemps, des marchés carbone en introduisant un fond stratégique pour réguler le nombre de quotas et éviter ainsi des prix qui ont trop longtemps fait l'objet de spéculation. L'Union a aussi su élargir le champ du marché carbone en intégrant des secteurs – comme le secteur maritime. Ce choix était indispensable si l'on souhaite à la fois respecter l'équité avec les autres secteurs de notre industrie et lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. L'Union européenne a ensuite accepté de mettre en place une taxe carbone aux frontières qui est longtemps restée un vœu pieux des autorités françaises. Enfin, l'Europe a admis la nécessité d'accompagner au niveau européen les classes moyennes et populaires dans la transition écologique en mettant en place un fonds de solidarité.
À l'évidence, nous sommes toutefois aujourd'hui à mi-chemin. Nous avons ouvert des brèches idéologiques extrêmement importantes mais nous ne sommes pas arrivés au terme de ce qu'il faut entreprendre pour assurer cette souveraineté énergétique dans une manière qui soit soutenable sociable et industriellement. Trois éléments me paraissent importants.
Premier élément, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ne concerne pas les produits finis. Il est désormais nécessaire qu'il puisse s'étendre à d'autres secteurs de notre industrie, en particulier le secteur automobile, qui est soumis à une concurrence féroce, notamment venue de Chine. Depuis 1995, nous avons davantage baissé nos émissions de gaz à effet de serre que notre empreinte carbone pour une raison simple : nous avons en partie importé des biens que nous produisions autrefois sur notre sol. C'est ce que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières entend corriger.
Deuxième élément, les quotas gratuits n'étaient pas la meilleure façon de soutenir notre industrie. Il faut mettre en place des programmes ciblés, innovants : l'assouplissement du régime des aides d'État, notamment face à l'Inflation Reduction Act (IRA) américain, nous en offre la possibilité mais il faut maintenant, sur ce sujet aussi, que l'on monte en puissance.
Troisième point important : le fonds européen de solidarité. À ce stade, il n'est alimenté qu'à hauteur de 25 % par les quotas carbone. Cela est insuffisant. Il faut que l'on puisse augmenter les recettes et les ressources de ce fonds pour assurer une transition juste.
Vous soulignez dès le début de votre rapport que le système d'échange de quotas d'émission a manqué sa cible principale : inciter les secteurs couverts à la décarbonation. La raison : le prix de la tonne de CO2 émise était trop faible pour inciter à décarboner. Pourtant, l'idée de ce système d'échange reposait justement sur ce principe. Le prix du quota de CO2 devait rendre plus intéressant le prix des investissements dans la transition écologique des entreprises par rapport à l'achat de quotas. Le prix de la tonne de CO2 était de 5 euros entre 2013 et 2018 et de 90 euros en 2023. Vous expliquez dans votre rapport qu'un prix de 250 euros serait nécessaire pour obtenir les effets escomptés.
Ce prix faible découlait de l'octroi d'un trop grand nombre de quotas gratuits aux entreprises. Nous avons mis en place une sorte de demi-mesure pour lisser la transition écologique des entreprises et éviter d'accélérer la désindustrialisation de nos économies européennes. Or, le constat est sans appel : l'industrie aurait sans doute fourni les mêmes efforts de décarbonation sans l'existence de ce système. Pire, les réductions des émissions des entreprises européennes pourraient s'expliquer par la désindustrialisation du continent et les délocalisations. De là à penser que ce système en est en partie la cause, il n'y a qu'un pas...
Comme vous le notez dans votre rapport, la suppression des quotas gratuits augmenterait le différentiel de compétitivité de l'industrie de l'Union européenne avec les entreprises des États tiers. Ainsi, au lieu de pousser les entreprises étrangères à devenir plus écologique, ce système pousserait à la désindustrialisation et à la délocalisation.
Finalement, la seule vertu que vous trouvez à ce système est qu'il a permis la comptabilisation des émissions et d'instituer une sorte de culture du carbone au sein des milieux industriels. Toutefois, l'Europe ne semble pas faire le même constat d'inefficacité. Avec le vote d'avril dernier visant à réformer ce système, l'Union européenne a introduit de nouveaux secteurs dans le marché tels que le transport routier, le transport maritime et le bâtiment. Surtout, le texte adopté par le Parlement européen prévoit l'instauration de quotas d'émission à partir de 2027 sur les carburants et le chauffage des particuliers. Disposez-vous d'une estimation de cette future taxe pour un ménage moyen français ? Pensez-vous que ce système se révélera in fine bénéfique ?
Selon votre rapport, le marché carbone européen « n'a pas permis de donner un prix au carbone compatible avec les ambitions climatiques de l'Union européenne. Il est indispensable de ménager une porte de sortie. » Nous partageons cette conclusion.
Entré en vigueur en 2005, le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne, qui avait pour objectif une diminution des émissions de gaz à effet de serre des secteurs industriels énergivores, des producteurs d'électricité et des compagnies aériennes, est un échec patent presque vingt ans plus tard. Le mécanisme de quotas gratuits a conduit les entreprises à mettre en place des stratégies de revente des droits à polluer qui ont permis aux industries les plus polluantes d'encaisser jusqu'à 50 milliards d'euros entre 2008 et 2019. En raison d'un prix du carbone bien trop faible sur le marché, il n'a pas contribué de manière significative à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En ne prenant pas en compte les émissions liées au transport des importations, il a rendu impossible de réellement favoriser les productions écologiques et de proximité, jalon pourtant indispensable à la bifurcation idéologique. Surtout, le principe de marchandisation de droits à polluer sous-tend l'idée qu'à partir du moment où une entreprise paie, peu importe le prix, elle est légitime à polluer, et ce malgré tous les effets négatifs sur l'environnement, qui sont irréversibles et ne peuvent être compensés par l'argent. Il faut en finir avec ce système.
Il y a urgence : l'Organisation météorologique mondiale indiquait que l'année 2023 était la plus chaude jamais enregistrée et appelle à réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre. Nous devons basculer de la marchandisation à la planification de la bifurcation écologique. Le principe directeur de cette nouvelle politique – la règle verte – consiste à ne pas prélever sur la nature plus que ce qu'elle peut reconstituer, ni produire plus de pollution et de déchets qu'elle ne peut en supporter. Cela passe par plusieurs mesures. Dans les transports, secteur fortement émetteur puisqu'il concentre 31 % des émissions, il existe plusieurs solutions : l'augmentation du fret, l'interdiction des lignes aériennes pour lesquelles il existe une alternative en train, ou la mise en place immédiate d'un moratoire sur toutes les nouvelles infrastructures routières – comme l'A69 – ou aéroportuaires pour permettre un état des lieux des alternatives. En ce qui concerne les émissions de la France à l'étranger, l'instauration d'une taxe kilométrique aux frontières, fixée en fonction de la distance parcourue par les produits importés, permettrait de dissuader les délocalisations et l'importation de produits trop éloignés. Un moratoire sur l'ensemble des accords de libre-échange, ce grand déménagement du monde qui participe amplement à accélérer la crise, doit également être mis en place. Le mot d'ordre doit être « un protectionnisme écologique et solidaire » afin de relocaliser les productions essentielles dans notre pays et permettre l'autonomie.
La réforme du marché du carbone rend la lutte contre le réchauffement climatique prioritaire, avec des objectifs très ambitieux. Votre regard est sévère, vous parlez d'un éventuel « cheval de Troie » pour les entreprises européennes ! Il faut, en effet, sur ces questions, maintenir un équilibre entre recherche de compétitivité et lutte contre le réchauffement climatique. D'évidence vous ne croyez pas à cette réforme, vous dites « il faut réfléchir à d'autres moyens pour atteindre un prix de carbone sur les marchés mondiaux ». Quelle serait « la porte de sortie » en cas d'échec de cette réforme ? À supposer que cette réforme soit maintenue, existe-t-il des moyens pour accompagner les petites et moyennes entreprises pour conserver leur pouvoir d'achat ?
Je salue la qualité de ce rapport dont je ne peux que partager les conclusions. Tout d'abord, je suis en total accord avec votre appréciation sévère, mais ô combien objective, de l'efficacité du marché carbone européen et de son projet de réforme. Je suis aussi en accord total également avec votre analyse des risques inhérents à un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières vis-à-vis de l'industrie européenne et française.
Je présenterai deux remarques. La première concerne l'alignement permanent de la politique européenne sur la doxa libérale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce dogmatisme libéral annihile toute capacité de mettre en place des systèmes ou des mécanismes efficaces pour réindustrialiser notre pays. Le meilleur exemple est la critique portée par le rapporteur sur le risque majeur de contournement et d'adaptation des grands groupes transnationaux et des pays tiers du nouveau mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Les instruments choisis ne sont pas les bons, pour la simple et bonne raison que le capital européen a pesé de tout son poids pour ne pas être entravé dans sa liberté de poursuivre ses stratégies financières. Stratégies qui sont assises sur les délocalisations industrielles dans les pays à bas coûts de main-d'œuvre et les importations de produits finis. On ne peut pas continuer à vouloir décarboner sans s'attaquer à la financiarisation et au coût du capital dans la gestion de nos entreprises industrielles. Je salue d'ailleurs votre proposition d'instaurer un mécanisme bien plus simple, fondé sur une taxation à l'entrée sur le marché européen basée sur le mix énergétique et électrique du pays d'origine. Certes, il y a incompatibilité avec le actuel de l'OMC. La simple raison climatique nous appelle pourtant à franchir le pas au plus vite.
Ma deuxième remarque porte sur l'enjeu déterminant de l'électrification rapide des processus de production de notre industrie. Plutôt que de poursuivre dans la voie aussi obsessionnelle qu'inefficace des outils de la finance carbone, le levier prioritaire devrait être celui de l'incitation à l'électrification de tous les usages actuels, avec la maîtrise et la sécurisation des prix de l'électricité pour nos consommateurs industriels. Si, comme on le dit souvent, l'électricité est l'industrie de demain, alors il faut sécuriser les industriels sur le long terme avec des prix réglementés et bas. Quitte à paraphraser le très libéral économiste Ricardo pour essayer de convaincre les plus libéraux de cette commission, il faut que les industriels soient incités au plus vite à bénéficier de l'avantage comparatif majeur que constitue une électricité décarbonée à des prix stables sur longue période, inférieurs aux prix du pétrole, au gaz ou au charbon dans la détermination des coûts de production. Nous savons tous que le mix électrique français sera pour cela un atout considérable pour peu que l'on ne se laisse pas séduire par les sirènes de la libéralisation aveugle ou de l'abandon d'une filière aussi essentielle que notre industrie électronucléaire. Cela ne surprendra personne, mais je suis plus que jamais convaincu que nous n'y arriverons pas sans la reconstruction d'un grand service public de l'énergie, autour d'Electricité de France (EDF) et d'ENGIE renationalisés, et en sortant l'électricité des mécanismes de marchés européens.
Tout d'abord rappelons que l'accord sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) a été obtenu sous la présidence française, en mars 2022. Dans le rapport d'information portant observations sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, j'avais déjà alerté la commission sur les risques que ce mécanisme pourrait induire en termes de délocalisation, en termes de comportement environnemental moins strict et de divergences de compétitivité. Vous semblez très prudent sur la mise en œuvre de ce mécanisme, alors que sa mise en œuvre visait justement à éviter les risques de distorsion de concurrence. Que préconisez-vous comme « porte de sortie » afin que l'Union européenne puisse atteindre ses objectifs climatiques d'ici 2030 ?
Il est évident que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières doit s'accompagner de mesures anti-dumping pour protéger nos entreprises de la concurrence internationale. Malheureusement, le dogmatisme écologique se trouve, une fois de plus, à l'œuvre. Le MACF qui devait permettre de redonner une place vitale à nos entreprises, va provoquer l'effet inverse. L'accélération du calendrier de la fin des quotas d'émission gratuits d'ici 2034 ne permettra pas aux entreprises de faire les investissements nécessaires pour s'adapter. Ces quotas gratuits étaient une manière de soutenir nos entreprises face aux distorsions de concurrence avec les pays tiers. Mais surtout, ainsi que vous le rappelez dans votre rapport, le MACF concerne les produits simples et non les produits finis, ce qui inéluctablement créera des distorsions. Ce dispositif menace ainsi des centaines d'emplois ainsi que les exportations de l'Union européenne. Ainsi sa mise en œuvre aura pour conséquence la suppression d'1 % des emplois dans l'Union européenne, dont 27 000 dans l'industrie française d'après un rapport de la Fabrique de l'industrie. Aucune étude d'impact n'a été faite, ni aucune expérimentation n'est prévue afin d'anticiper les conséquences de ce mécanisme sur l'économie de l'Union européenne. Et nous ne prenons pas en compte les surcoûts occasionnés pour la compétitivité européenne à propos de marchés non soumis aux mêmes exigences réglementaires environnementales : je pense en particulier aux engrais azotés qui représentent une part considérable de la consommation en France, alors que la colère des agriculteurs gronde partout en Europe.
L'Union européenne doit sortir impérativement de son dogmatisme écologique et se reconnecter au réel. Pour rappel, la Chine et les États-Unis représentent près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre, alors que l'Union européenne, seulement 7 %. Au regard des conclusions de votre rapport, ne faut-il pas mettre fin à la course effrénée, à une écologie punitive pénalisante pour nos entreprises, mais instaurer des mesures de décarbonation neutres grâce à l'innovation ?
L'agriculture produit 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Je soutiens votre proposition d'augmenter le crédit carbone à 200 euros, mais comment peut-on atteindre cet objectif ? Le marché du carbone volontaire ne serait-il pas un moyen pour réconcilier agriculture et écologie, par la création d'un revenu complémentaire ? Par ailleurs, les rendements des entreprises possédant des crédits carbone ne sont pas inférieurs à celles qui n'en possèdent pas, ce qui plaide pour un comportement vertueux. J'ai une question spécifique, on parle même de créer des micro-forêts à Paris. Aussi les associations pourraient-elles obtenir des crédits carbone ?
Concernant le marché du carbone bis, un plafonnement de la tonne de CO2 est prévu à 45 euros jusqu'en 2030, ce qui n'est en réalité pas un véritable plafond, car il repose sur un mécanisme de stabilisation hasardeux. A partir de 2030, ce plafond n'existera plus et les citoyens européens paieront pour se chauffer et se déplacer un prix fluctuant. L'extension du marché du carbone laisse présager une envolée des prix de l'énergie comme en 2020 et 2021, alors que les entreprises continueront à bénéficier de quotas gratuits jusqu'en 2034. Comment l'analysez-vous et quel est votre avis ?
Pour éviter tout malentendu, je précise que je souscris à l'intégralité des objectifs de décarbonation des économies française et européenne. Mon propos ne remet pas du tout cela en cause. Il convient d'inscrire notre réflexion dans une culture du résultat dans notre politique. Le temps est court et pour paraphraser M. Jancovici : « c'est un fusil à un seul coup ».
Pour répondre à M. Amiel, le rapport fait état d'une réussite du marché du carbone, liée au changement de culture au sein des entreprises, qui prennent désormais en compte la comptabilisation de leurs émissions. Pour mettre en œuvre des mécanismes, la première chose à savoir est ce que nous émettons. Il faudrait par ailleurs que le prix du carbone soit stable.
Pour répondre à M. Sabatou, je ne suis pas « eurobéat » et je considère comme étant un danger mortel pour l'Europe de poursuivre des politiques qui ne marchent pas. Nous avons besoin de nous projeter et que nos politiques fonctionnent.
Pour en revenir au point de départ, nous avons pris conscience de la problématique écologique et de la nécessité d'agir sur nos émissions. Le problème de départ est celui du GIEC et de nos émissions et, partant de là, nous définissons des quotas. Si l'économie va mal le politique va faire le choix d'augmenter le nombre de quotas, et inversement. Mais ce système n'obéit à aucune logique. Nous ne sommes pas allés vers la régulation par les prix, mais par les quantités : c'est un problème. Les différentes crises telles que celle des gilets jaunes et les crises actuelles n'incitent pas à aller dans cette direction, mais ce serait une idée indispensable. Il convient de pouvoir s'adapter en temps réel. Vous m'interrogez sur la porte de sortie : c'est le dernier recours. Si les choses se sont mal passées et que nous avons été incapables de corriger la trajectoire erronée, il faudra envisager la sortie. Seront posées la question du financement et la méthode de compensation de cette sortie. Mais la sortie sera sans doute trop tardive car cela voudrait dire que nous avons suffisamment souffert pour en arriver à cette extrémité.
Pour répondre à Mme Obono, il y a une partie du débat sur laquelle nous sommes en désaccord, c'est la vision du marché. Mon approche est que le marché est utile mais qu'il ne faut pas le laisser faire n'importe quoi. Sur le protectionnisme, le risque est à mon sens de raidir les échanges avec vos interlocuteurs.
En réponse aux questions de Mme Thillaye et de M. Chassaigne sur la « porte de sortie », ce que nous voyons avec le marché du carbone et le MACF, c'est qu'une vision française s'est imposée. Lorsque nous nous donnons les moyens, nous y arrivons. Plus nous avançons et plus les objectifs deviennent ambitieux et difficiles à accomplir. Nous agissons ainsi en raison du réchauffement climatique et de l'impact des activités humaines sur ce dernier. Ces activités humaines sont liées à des consommations énergétiques. Je suis libéral, en ce qui me concerne, mais le libéralisme tient avec des règles. Les gains réalisés avec le marché du carbone se font hélas avec les délocalisations et la baisse des activités. Le problème est que dans la constitution du marché carbone, personne n'est allé interroger les industries pour leur demander ce qu'elles auraient voulu faire, alors qu'elles sont le principal acteur.
M. Chassaigne, vous évoquez un problème de mesure des émissions réelles de carbone dans les produits tiers. En réponse à ce problème, il nous a été proposé pendant les auditions de faire certifier les émissions par des bureaux d'audit sur place. Se posera alors la question du conflit d'intérêts pour ces bureaux d'audit, qui risquent d'être captives de leur plus gros clients et donc d'émettre des certificats de complaisance. L'idée que nous proposons dans le rapport est donc de se fonder sur la composition du mix énergétique national pour déterminer les émissions liées à la production de tel ou tel produit. Nous pourrions ainsi asseoir une taxe carbone sur le mix énergétique.
Concernant la maîtrise des prix de l'électricité que mentionne M. Chassaigne, l'économie libérale n'empêche pas la subvention. Si nous souhaitons jouer sur le carbone pour rendre nos économies compétitives, nous pourrons agir sur ce volet.
Pour répondre à Mme Tanguy, il y a un risque de contournement sur les investissements en zone euro et notamment dans notre marché. Il est donc indispensable d'avoir des points d'étapes et des mécanismes de corrections.
En réponse à M. de Fournas, pour les produits finis il y a un risque de perte de valeur ajoutée sur le sol européen. Sur la question des engrais azotés, je l'avais proposé comme amendement sur la loi pour l'accélération de la production d'énergies renouvelables (ENR) : je le reproposerai peut-être pour la loi d'orientation agricole (LOA).
Il est vrai que l'Union européenne ne représente que 7% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Pour résoudre le problème du réchauffement climatique, il faudra appréhender le sujet à l'échelle mondiale, de façon globale, en incluant par exemple la question des transferts de technologies. Il faut accélérer et devenir des meneurs dans ce domaine.
Pour répondre à Mme Saint-Paul sur l'agriculture et son entrée dans le marché carbone, il faudra changer les mentalités et s'interroger sur le pourcentage du revenu des agriculteurs issu du fonctionnement du marché du carbone. Se pose également la question de la renaturation.
La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.
La Commission a nommé sur proposition de M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade :
– Mme Aurélie Trouvé, rapporteure sur la proposition de résolution européenne, invitant le Gouvernement français à soutenir un moratoire sur tous les accords de libre-échange non encore entrés en vigueur et à mettre en place des prix planchers des matières premières agricoles au niveau européen (n°°2122).
La séance est levée à 17 heures 20.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Henri Alfandari, M. David Amiel, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Pierrick Berteloot, M. Manuel Bompard, M. Stéphane Buchou, M. André Chassaigne, Mme Annick Cousin, Mme Laurence Cristol, M. Grégoire de Fournas, M. Thibaut François, Mme Félicie Gérard, M. Benjamin Haddad, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, Mme Nicole Le Peih, Mme Joëlle Mélin, Mme Lysiane Métayer, Mme Louise Morel, Mme Danièle Obono, Mme Nathalie Oziol, Mme Béatrice Piron, M. Jean-Pierre Pont, M. Richard Ramos, Mme Sandra Regol, M. François Ruffin, M. Alexandre Sabatou, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Nicolas Sansu, Mme Danielle Simonnet, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye, Mme Aurélie Trouvé, M. Frédéric Zgainski
Assistait également à la réunion. – M. Stéphane Vojetta