La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
Présidence de Mme Lisa Belluco.
La mission d'information auditionne conjointement la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et l'Association nationale des directeurs des services d'incendie et de secours (ANDSIS)
La Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) joue un rôle essentiel pour défendre et promouvoir les intérêts des sapeurs-pompiers. Elle représente les pompiers volontaires et professionnels, ainsi que les personnels administratifs, techniques et spécialisés qui travaillent à leurs côtés. Elle participe également à la prévention et à l'éducation aux risques des citoyens.
L'Association nationale des directeurs des services d'incendie et de secours (ANDSIS) rassemble les responsables des SDIS, les services départementaux d'incendie et de secours, qu'elle travaille à développer et à moderniser, en collaboration avec les institutions.
Cette audition est enregistrée et retransmise sur le site de l'Assemblée nationale ; un compte rendu sera publié et annexé à notre rapport.
Nous attendons de vous un éclairage sur les forces et les fragilités de notre modèle de sécurité civile, ainsi que sur les éventuelles réformes ou évolutions que vous estimez envisageables, voire nécessaires. Notre objectif est d'améliorer notre organisation, en tenant compte des expériences passées et des exemples étrangers. Il s'agit de nous donner tous les atouts pour améliorer l'efficacité de vos interventions quotidiennes, en prenant en considération vos contraintes et difficultés, afin notamment de se préparer à affronter les futures crises majeures liées au changement climatique.
Le spectre de la mission d'information est large. Je suis député du Haut-Rhin, et j'ai eu la chance et le plaisir d'être sapeur-pompier, volontaire puis professionnel, pendant plus de trente ans. J'ai également réfléchi à ces thèmes en tant qu'élu local : premier adjoint au maire d'Altkirch, j'ai dû affronter plusieurs crises, en particulier la crise sanitaire.
La FNSPF a été créée en 1882 ; elle descend des caisses de secours des sapeurs-pompiers, instituées lorsqu'il n'existait pas de sécurité sociale pour prendre en charge les suites des accidents du travail. Il s'agissait alors de défendre les intérêts de la profession et de travailler avec les pouvoirs publics pour organiser la sécurité civile. Elle a rédigé les premiers règlements des corps de sapeurs-pompiers, avant que le Gouvernement en reprenne la responsabilité, et a poursuivi l'action sociale des caisses de secours, en créant l'Œuvre des pupilles orphelins des sapeurs-pompiers, association jumelle de la Fédération.
Tout au long de son existence, elle a contribué à renforcer les relations avec le monde institutionnel, à savoir avec le Parlement et le ministère de l'Intérieur, dont nous avons suivi l'évolution. En 1990, la Fédération a ainsi contribué à la création d'une sous-direction des sapeurs-pompiers, grâce à de nouvelles lois relatives au statut ; entre 2011 et 2013, nous avons également œuvré à l'instauration de la direction des sapeurs-pompiers au sein de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).
La Fédération compte aujourd'hui 285 000 adhérents ; elle promeut la qualité de vie et les bonnes relations dans les centres de secours, grâce à son réseau de 7 000 amicales et de 100 unions départementales – l'emblématique campagne annuelle des calendriers en faveur des œuvres sociales va bientôt commencer. Elle a créé les « jeunes sapeurs-pompiers » pour constituer un vivier indispensable au recrutement. Enfin, elle a instauré la réserve citoyenne des anciens, définie par la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, afin de renforcer la continuité du service et de faire en sorte que les sapeurs-pompiers puissent bien vivre dans les casernes, quel que soit leur âge.
L'ANDSIS est plus modeste : nous représentons 220 adhérents – mais c'est un chiffre que nous n'avions encore jamais atteint. Créée en 1985, elle rassemble les directeurs et directeurs adjoints des SDIS, ainsi que les quelque trente titulaires des emplois supérieurs de direction affectés en administration centrale, à la DGSCGC et à l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp) notamment. Le conseil d'administration compte quinze membres, élus pour trois ans parmi les membres actifs.
Depuis 1985, l'ANDSIS se consacre essentiellement à l'étude des organisations et des missions des services d'incendie et de secours, et de la sécurité civile en général. Elle apporte son expertise à la préparation des textes législatifs et réglementaires afférents. Enfin, elle veille à la sauvegarde des intérêts moraux et matériels et à l'évolution du cadre statutaire des titulaires des emplois supérieurs de direction.
Comment participez-vous à la réflexion sur l'évolution du modèle de sécurité civile ? Celle-ci rassemble de nombreux acteurs, comme les associations agréées. Quelles sont vos relations avec les services de l'État et vos autres partenaires ?
La DGSCGC est notre interlocuteur privilégié et nous entretenons de très bonnes relations de travail, qu'il s'agisse de la direction des sapeurs-pompiers ou des autres services du ministère de l'intérieur. Nous participons régulièrement aux missions parlementaires et avons ainsi contribué à l'élaboration de la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, ainsi qu'à la loi visant à consolider le modèle de sécurité civile tout en valorisant le volontariat des sapeurs-pompiers du 25 novembre 2021, dite loi Matras, avec l'aide de la direction générale pour les aspects institutionnels. Cette collaboration a donc abouti à des avancées.
Nous travaillons également avec des associations, comme le Conseil national de la protection civile (CNPC), qui regroupe toutes les associations du secteur, y compris la nôtre, ainsi que la Croix-Rouge, la Fédération nationale de la protection civile, la Croix-Blanche et de nombreuses autres associations agréées. Évidemment, nous collaborons avec l'ANDSIS, dont je suis membre. Nos points de vue convergent souvent.
Notre travail institutionnel prend appui sur notre réseau d'unions départementales, dont les représentants rencontrent les élus sur le terrain, afin de comprendre leur vision de la sécurité civile et les aspects majeurs des textes en préparation, de leur faire connaître notre point de vue et de leur transmettre les éléments dont nous disposons.
L'ANDSIS est régulièrement auditionnée par le Parlement. Nos interlocuteurs privilégiés sont le ministère de l'intérieur, en particulier la DGSCGC, pour travailler le plus en amont possible à l'évolution des cadres statutaires, en particulier par voie réglementaire.
Nous participons à des instances essentielles pour la sécurité civile, comme la Conférence nationale des services d'incendie et de secours (CNSIS), lieu d'échange et d'orientation pour l'État et les collectivités territoriales, ou le conseil d'administration de l'Ensosp.
Nous entretenons également des liens avec les autres acteurs de la sécurité civile. Au niveau national, nous travaillons avec le ministère de l'intérieur, plus précisément avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Les moyens sont plus limités à l'échelle des zones, alors qu'il s'agit d'un échelon essentiel de notre organisation ; depuis quelques années, l'Association encourage les progrès en la matière. Le département constitue le cadre le plus pertinent pour organiser la sécurité civile, sous la responsabilité du préfet. À ce niveau, la coordination avec les autres acteurs, notamment les associations agréées, s'est renforcée au fil des crises, en particulier celle liée au covid. Auparavant, les relations étaient plus distantes, consacrées à la préparation des gestions de crise, par exemple avec des exercices interservices. Il faut poursuivre l'effort pour mieux organiser la collaboration, car les intervenants sont nombreux – éducation nationale, collectivités territoriales, associations agréées notamment. La mission Falco sur la modernisation de la sécurité civile et la protection contre les risques majeurs a émis des propositions pertinentes sur le pilotage à l'échelle du département, par exemple pour améliorer la résilience de la population.
Les travaux de notre mission d'information pourraient se poursuivre jusqu'au printemps, mais les auditions montrent déjà que ces aspects seront essentiels.
Pourriez-vous apporter des précisions concernant le fonctionnement des SDIS : leur administration, leurs missions, les budgets alloués ? Ils ne sont pas tous identiques, mais souvent leur composition et leur fonctionnement sont semblables.
Le SDIS est un établissement public autonome. Il ne dépend pas du conseil départemental. Le président du conseil départemental en est président de droit, mais il peut déléguer la présidence. Le conseil d'administration est composé de représentants du département, des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Leur participation respective au financement entre en compte pour la répartition des sièges. En moyenne, les versements du département sont proches de ceux des communes, mais on observe de fortes disparités : en Essonne, le département assume l'essentiel du financement ; c'est parfois l'inverse ailleurs. La répartition est souvent héritée de la situation qui précédait la loi du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers, dite de départementalisation. En réalité, cette loi a mutualisé les moyens au niveau départemental, pour remédier aux fortes dissensions en matière d'organisation d'un département. L'établissement public ainsi créé donne les moyens de fonctionner au corps de secours, constitué de l'ensemble des centres.
Cette structure s'est adaptée aux différentes évolutions législatives, même à la tentative de subordonner le SDIS au conseil général, avec la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité. La loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, qui définit l'organisation encore en vigueur, leur a rendu leur position initiale.
Cette organisation tire sa force de sa souplesse et de la proximité des élus locaux, en particulier des maires, premiers maillons de la gestion de crise dans les territoires. Le lien avec les élus est indispensable, en particulier à l'échelon communal, car ils constatent les difficultés que nous rencontrons au quotidien et peuvent donc adapter les budgets en conséquence. Ces dernières années, nous avons connu une évolution majeure : le nombre d'interventions de secours d'urgence aux personnes est passé de 2 à 4 millions ; les SDIS ont acheté plus de 1 000 ambulances et véhicules de secours et d'assistance aux victimes (VSAV) supplémentaires pour s'adapter.
L'organisation doit encore gagner en cohérence. L'atomisation des moyens disponibles en 100 SDIS est une force, mais il manque une direction générale pour jouer le rôle de chef d'orchestre et des échelons intermédiaires.
Avant la loi de 1996, les services d'incendie et de secours étaient organisés au niveau communal et intercommunal. Avec un peu plus de vingt ans de recul, on constate que la création des SDIS a constitué un véritable progrès pour le service public, partout en France. La doctrine relative aux moyens humains et matériels, notamment les casernements, a été harmonisée, comme la formation des sapeurs-pompiers. Le satisfecit est général.
La loi prévoyait que les moyens devaient être transférés dans un délai de cinq ans au service départemental. La première phase qui a suivi, de 2000 à 2010 environ, a vu l'harmonisation des pratiques et l'augmentation des moyens ; de 2010 à 2020, on observe une stabilisation. Le rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) sur le financement des SDIS éclaire le processus.
Les SDIS sont des établissements publics atypiques parce qu'ils sont communs à différentes collectivités territoriales – départements, communes, EPCI – et parce qu'ils relèvent à la fois de la tutelle de ces derniers et de celle de l'État. La doctrine est nationale, mais le principe de subsidiarité offre la souplesse nécessaire pour bien s'adapter à chaque territoire, comme l'expérience de la crise sanitaire l'a montré. Ils peuvent réagir très vite, en accord avec le préfet et le conseil d'administration. La question s'est posée d'une organisation supradépartementale, mais l'organisation départementale a fait ses preuves.
Les sapeurs-pompiers se sont perfectionnés et professionnalisés, en particulier dans le domaine du secours à la personne et des soins d'urgence. La loi Matras l'a reconnu : ces activités constituent désormais leur mission prépondérante. Pendant la crise sanitaire, grâce à cette évolution et à l'organisation départementale placée sous l'égide du préfet, la grande majorité des Français ont pu être vaccinés. Toutefois, cela engendre des frais supplémentaires, comme l'achat de VSAV, et cela impose un renforcement de la formation.
Nous avons auditionné d'autres acteurs de la sécurité civile, comme l'Ensosp et des élus. Certains ont regretté les fermetures de casernes, ce qui peut sembler paradoxal, au regard de vos arguments.
Il est vrai que la départementalisation a amélioré la qualité du service. Néanmoins, selon les dernières statistiques de la DGSCGC, le nombre de centres de secours est tombé de 11 000 à 6 093. Cette diminution a plusieurs causes. D'abord, la Cour des comptes a, pendant un temps, recommandé d'assurer la rentabilité de toutes les structures, y compris des centres de secours, sans prendre en compte la valeur de ce qu'ils sauvent par leurs interventions. Un centre de secours de taille moyenne dans un département rural comme le Haut-Rhin, l'Aude, la Drôme ou la Vienne regroupe environ vingt pompiers, qui effectuent quelque 200 interventions par an, pour un coût allant de 50 000 à 70 000 euros. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) évalue une vie humaine à 3 millions d'euros : en sauvant une seule vie, un tel centre assure une rentabilité de cinquante ans. Il faut développer la notion de valeur du sauvé, afin de fonder notre organisation sur le sens de nos missions. Malheureusement, les statistiques récentes révèlent que le délai d'intervention sur zone, entre la diffusion de l'alerte et l'arrivée du premier véhicule, a augmenté, passant de douze à quatorze minutes. Les médecins insistent sur l'importance de la Golden Hour, l'heure d'or, pour les victimes d'accident de circulation, et sur l'urgence des massages cardiaques ; or la rapidité de l'intervention dépend du maillage territorial. C'est vrai également lors d'un départ de feu de forêt, problème que le réchauffement climatique rend crucial.
Le maillage territorial est essentiel, et nous voulons le renforcer. La mutualisation était nécessaire mais, pendant un temps, on a perdu de vue cette dimension et on a trop conçu la départementalisation avec des chiffres et des tableaux de bord, ce qui a conduit à supprimer des centres de secours. Aujourd'hui, pour affronter le dérèglement climatique et s'adapter à l'évolution des missions, nous devons remobiliser nos effectifs et trouver de nouveaux sapeurs-pompiers volontaires. Sans le maillage territorial, nous n'y arriverons pas. Pour relancer le recrutement, il faut d'abord reconquérir nos territoires, pour être proches des élus et des interventions, à l'instar de la gendarmerie nationale, qui recrée des brigades. On parle d'éduquer la population : le pompier volontaire est le premier citoyen engagé, formé aux gestes de secours.
Lors du congrès de Chambéry, en 2013, le président de la République François Hollande avait proposé d'interdire la suppression de centres de secours sans l'avis de la Conférence nationale des services d'incendie et de secours. Cela n'a pas été suivi d'effet. Nous demandons non seulement qu'aucun centre ne soit fermé, mais que l'on en recrée.
On parle de crise de l'engagement volontaire ; il est aisé de dire que l'on ne trouve plus personne. Bien sûr, recruter n'est pas facile : l'Aveyron, par exemple, compte 95 % de sapeurs-pompiers volontaires ; si on ne se bat pas tous les jours pour aller chercher les gens, pour leur demander de nous rejoindre, le centre de secours finira par mourir. Mais la crise du volontariat est surtout une crise de la disponibilité. On trouve des gens attachés à nos valeurs, à la citoyenneté ; il faut travailler avec les employeurs, avec les collectivités locales, pour libérer davantage nos sapeurs-pompiers volontaires.
Il faut aussi reconquérir le maillage territorial. Lors de la départementalisation, nous nous sommes coupés des élus locaux, notamment des maires, alors que, pour assurer le bon fonctionnement d'un centre de secours, le maire est indispensable ; il est souvent le premier sergent recruteur et, avec le chef du centre et le président de l'amicale, il met du lien dans l'organisation. C'est avec ce triptyque que l'on arrive à faire fonctionner des centres, même dans de toutes petites communes : je pourrais vous citer des centres de secours dans des communes de 100 habitants avec 20 sapeurs-pompiers volontaires. Quand on déploie l'énergie nécessaire, ça marche.
La diminution du nombre des centres d'incendie et de secours est bien réelle. L'ANDSIS n'a pas de position dogmatique sur le sujet, mais nous sommes d'accord avec la Fédération pour considérer que nous sommes arrivés à un seuil en dessous duquel il ne faut pas descendre, sans quoi nous risquerions d'avoir du mal à faire face à de nouvelles crises, mais aussi à toutes les demandes de secours aux personnes – qui sont de plus en plus nombreuses.
L'implantation des centres de secours est le résultat de l'histoire et de la volonté d'élus. Vous le savez bien, certains territoires en comportaient énormément, d'autres beaucoup moins. J'ai eu l'occasion de commander trois corps départementaux très différents les uns des autres : dans l'un, le nombre de centres était insuffisant ; dans un autre, les centres étaient nombreux au regard du bassin de population, et la charge opérationnelle des sapeurs-pompiers volontaires peu importante : il devenait alors difficile de les convaincre de se former pour un tout petit nombre d'opérations. Il faut donc écouter aussi les demandes de regroupements – qui partent souvent, d'ailleurs, de relations amicales. Il y a eu de vrais succès.
Pour autant, la population française continue d'augmenter, donc la charge opérationnelle, notamment du secours à personne, suit le même mouvement. On voit plutôt aujourd'hui une amélioration de la couverture, avec même des créations de centres d'incendie et de secours, ce que l'on ne voyait plus il y a dix ans. Je le redis, nous ne sommes pas dogmatiques : il arrive que l'organisation actuelle soit bonne ; parfois, il faudra la renforcer.
J'insiste moi aussi sur l'importance du maillage territorial. D'abord, cela permet d'assurer la proximité du service public – nos concitoyens y sont attachés – et une bonne qualité de service, en l'occurrence des interventions rapides. Mais c'est tout aussi important pour répondre aux grandes crises, aux tempêtes ou aux inondations de ces derniers jours par exemple. Le renforcement de notre présence partout sur le territoire est rendu possible par le volontariat ; or, un centre de secours, c'est un centre de recrutement : si nous voulons recruter, le maillage doit être très serré.
Vous avez évoqué une crise de disponibilité. Certains de nos interlocuteurs ont rappelé qu'en parallèle de la départementalisation, on a assisté à une rationalisation – disons-le comme cela – de l'implantation des services de santé, avec des fermetures de services, notamment des urgences, qui rallongent les trajets des pompiers qui amènent des victimes à l'hôpital. Cela affecte-t-il la motivation des sapeurs-pompiers volontaires, et le bon vouloir de leurs employeurs ?
Oui. En zone rurale, un sapeur-pompier volontaire qui n'a pas quatre heures devant lui ne se déclare pas disponible, car il est rare que le trajet entre le lieu de l'intervention et l'hôpital dure moins d'une heure.
Si un sapeur-pompier volontaire s'est senti utile, lors d'une intervention pour un accident de la circulation par exemple, le chef d'entreprise qui l'a libéré sera fier lui aussi d'avoir libéré son salarié, et celui-ci se déclarera à nouveau disponible. En revanche, un pompier qui a perdu quatre heures sur son temps de travail pour une intervention non urgente, due par exemple à la défaillance d'un transport sanitaire privé, peut perdre de vue le sens de sa mission, et son employeur lui reprochera plus facilement son absence.
Nous devons continuer à travailler avec le ministère de la santé pour organiser nos réponses d'urgence sur l'ensemble du territoire ; souvent, nous ne sommes pas traités comme des partenaires : nous subissons les réorganisations des services des urgences et la désorganisation du système de soins. Le centre d'incendie et de secours devient alors une rustine.
Inversement, les sapeurs-pompiers ont besoin d'intervenir, de sortir ; si on ne fait pas assez appel à eux, ils perdent aussi le sens de leur mission.
Nous devons tous – avec notre direction générale, avec le ministère de la santé, mais aussi localement avec nos centres hospitaliers – expliquer que le territoire n'est pas homogène. Tel centre de secours pourra faire telle intervention le dimanche, mais peut-être pas le lundi ; certaines missions pourront être assurées en ville, mais pas en zone rurale. Je ne remets nullement en cause l'organisation de la régulation, mais elle est conçue pour la ville, alors que nous nous occupons à 90 % du territoire rural.
J'appuie ces propos. Souvent, les agences régionales de santé (ARS) décident de l'implantation d'un plateau technique sans aucune concertation avec les sapeurs-pompiers, alors que c'est nous qui amenons à l'hôpital la majorité des victimes et des patients qui ont besoin de soins d'urgence. C'est l'une de nos demandes : nous souhaiterions être partie prenante des décisions des ARS et des conférences nationales des urgences, afin de pouvoir expliquer nos contraintes et montrer aux décideurs de la santé l'impact de leurs décisions sur notre organisation. Fermer tel ou tel service entraîne souvent des dysfonctionnements des services de secours.
Nous faisons le même constat d'un problème de fond en matière de gouvernance. La mission de secours à personne est partagée. La conférence régionale de la santé et de l'autonomie, réunie au niveau de chaque ARS, ne comporte qu'un représentant des SDIS de la région : c'est un problème. Nous sommes très peu impliqués, au niveau régional comme départemental, et nous n'avons pas l'occasion d'expliquer les effets de bord de telle ou telle décision. Notre apport ne tient qu'aux bonnes relations humaines que nous pouvons avoir avec les dirigeants de l'ARS.
En ce qui concerne notre pratique quotidienne, je voudrais soulever la question de la coordination en matière de secours aux personnes. Notre constat est le même que celui de la Fédération : nous sommes tout à fait satisfaits de la régulation médicale par le centre 15 et nous n'avons jamais demandé à ne plus y être associés. Nous pensons simplement que la gestion opérationnelle des demandes d'alerte n'est pas bonne : on pourrait, au lieu de séparer le 15 d'un côté et le 18 et le 112 de l'autre, gérer toutes les alertes sur une même plateforme, avec les mêmes interlocuteurs, afin de mieux savoir qui envoyer dans telle ou telle situation. Nous sommes aussi satisfaits des services d'accès aux soins mis en place par les hôpitaux : il y a une vraie demande d'accès à des soins non programmés. Mais j'insiste sur le fait qu'il ne faut pas mélanger l'urgent et le non urgent.
Vous avez parlé d'un manque d'échelons intermédiaires dans le fonctionnement des SDIS. Pouvez-vous développer ce point ?
Historiquement, les pompiers étaient communaux. Puis est intervenue la départementalisation. L'échelon départemental est cohérent et nous ne souhaitons pas le remettre en cause. En revanche, nous n'avons pas d'échelon régional et, à l'échelle de la zone, les états-majors de zone n'ont qu'un rôle de coordination opérationnelle. Au niveau national, nous disposons d'une direction générale.
Nous sommes favorables à une réflexion sur un échelon intermédiaire supplémentaire, peut-être au niveau de la zone, dont les attributions pourraient être élargies, par exemple à l'organisation des concours ou à la gestion des carrières des officiers.
Cela permettrait aussi une meilleure mutualisation des SDIS. Nous mutualisons déjà beaucoup, mais de notre propre initiative. Presque tous les SDIS réalisent par exemple leurs achats dans le cadre de groupements d'achats communs, mais il n'y a pas de directive nationale.
Dans la région Occitanie, les SDIS de l'ancienne région Languedoc-Roussillon sont plutôt tournés vers la mutualisation avec la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, quand les SDIS de l'ancienne région Midi-Pyrénées sont plutôt tournés de l'autre côté. Une meilleure coordination serait préférable, pour les achats d'ambulances par exemple. C'est ce que nous attendrions d'un échelon intermédiaire.
Je souscris à ce qui vient d'être dit. Un autre exemple : la formation des sapeurs-pompiers est assurée en régie à 90 %, SDIS par SDIS. Nous travaillons évidemment entre nous pour accueillir des stagiaires d'autres départements, mais une coordination zonale nous permettrait d'aller plus loin. Les achats ont été cités, mais on pourrait évoquer tous les services support d'un établissement public comme le nôtre. De gros états-majors ont été constitués, mais nous pourrions sans doute les optimiser en renforçant les moyens au niveau de la zone.
La loi Matras répond, je crois, à certaines de ces demandes.
Vous parliez de l'explosion du secours à personne et de la nécessité de discuter avec le ministère de la santé. Pensez-vous qu'il faille redéfinir les missions des sapeurs-pompiers, peut-être pour les alléger ?
Quelles sont vos relations avec les autres acteurs de la sécurité civile, notamment avec les associations agréées ? Notre mission d'information vise aussi à mettre en lumière les disparités qui existent dans le territoire. Que pensez-vous par exemple des réserves communales de sécurité civile, dont le domaine n'est pas tout à fait le même que le vôtre ? Peuvent-elles vous appuyer, vous soulager ?
Les missions des sapeurs-pompiers n'ont jamais été définies, et tant mieux. Personne n'aurait pu prédire que nous vaccinerions à si grande échelle, que nous ferions des tests covid dans les Ehpad, ou que nous pomperions 500 000 mètres cubes par heure, comme c'est le cas actuellement dans le Nord et le Pas-de-Calais. Nous nous adaptons en permanence aux évolutions de la société : en ce moment, des Apple Watch font résonner des alertes dans nos centres opérationnels départementaux d'incendie et de secours (Codis), et nous envoyons des ambulances, sans que personne ne nous ait appelés.
Certains risques augmentent considérablement, comme le risque électrique, avec les batteries – dans une maison peuvent se trouver les deux trottinettes des enfants et les deux vélos des parents, ce qui multiplie les risques d'incendie s'ils sont équipés de batteries.
Nous surveillons les massifs forestiers avec des caméras, et l'intelligence artificielle nous aide à détecter les fumées. Nous stockons aussi de l'eau, en raison des sécheresses dans les départements du Sud. Des travaux ont été réalisés, dans les Pyrénées-Orientales notamment, pour en stocker dans les caves coopératives. Parfois, nous apportons de l'eau potable à des habitants qui n'en ont plus. Quand il y a de la neige, nous sommes les seuls capables d'acheminer des médicaments partout. Cela, nous l'avons toujours fait. Avec le dérèglement climatique, nous faisons face aussi aux tornades, à des feux de forêts de plus en plus étendus géographiquement.
En somme, nos missions évoluent et la protection des populations n'a pas de limites. Nous nous en félicitons : nous sommes les soldats de la vie, les soldats du climat.
Nous avons bien sûr besoin d'un coup de main de l'État. Cela se concrétise avec les pactes capacitaires, qui permettront à certains SDIS d'acheter des équipements complémentaires dont ils ont besoin.
Cela a été dit, nous avons besoin d'être mieux intégrés à différents échelons, afin d'expliquer notre organisation et de mieux distinguer l'urgent et le non urgent. Sur le reste, nous devons rester les soldats de la protection des populations.
En ce qui concerne les associations agréées, le rapport Falco ouvrait la possibilité de transformer le directeur départemental des services d'incendie et de secours en directeur départemental de la protection civile. Ce serait une très bonne chose. Au cours de la crise sanitaire, nous nous sommes aperçus que les associations agréées avaient perdu un grand nombre de ressources. Nous les avons associées à notre action : elles ont participé à nos centres de vaccination, aux campagnes de dépistage… Une coordination départementale de l'ensemble de la protection civile serait donc très utile. Cela permettrait d'éviter les petites oppositions qui peuvent parfois se faire jour, comme sur le secours en spéléologie.
S'agissant des réserves communales de sécurité civile, elles nous semblent indispensables dans le cadre des plans communaux et intercommunaux de sauvegarde (PCS et PCIS). Dès lors qu'un PCS est déclenché, un grand nombre de SDIS envoient des officiers auprès du maire, premier garant de la sécurité civile : les réserves de sécurité civile nous soutiennent pour apporter une réponse à la population, immédiatement mais aussi à plus long terme, en aidant les gens à rentrer chez eux après des inondations, par exemple. La loi Matras prévoit qu'un « correspondant incendie et secours » est nommé dans chaque commune. Un directeur départemental de la sécurité civile pourrait aussi coordonner toutes ces missions, avec la formation de la population et des élus.
Je souscris à ces propos sur l'importance du lien avec la population et de la résilience.
S'agissant spécifiquement des missions de secours à personne, nous estimons, en tant directeurs de SDIS, que nous avons atteint la limite de nos possibilités. Il y a un enjeu social : la mission finit par perdre son sens aux yeux des sapeurs-pompiers eux-mêmes, professionnels comme volontaires. Depuis quelques années, le travail du sapeur-pompier a été dévoyé. Pour notre association, les sapeurs-pompiers sont d'abord là pour accomplir des missions d'urgence, en soins comme en secours – la loi Matras ayant enfin reconnu notre capacité à délivrer des soins d'urgence. Nous pensons que les urgences préhospitalières sont des missions de service public ; les SDIS réalisent d'ailleurs l'immense majorité des interventions d'aide médicale urgente (AMU).
Pour les autres missions, celles que l'on nous demande de plus en plus, il faut que le contrat soit clair. Il faut assurer un soutien aux populations, c'est certain. Si cette mission doit revenir aux services d'incendie et de secours, alors nous devons expliquer aux personnes que nous recrutons que cela fait partie de leurs missions et les former ; nous devons également avoir les moyens financiers d'assurer ces missions, ce qui n'est pas le cas. Aujourd'hui, les directeurs de SDIS se heurtent souvent à une impossibilité opérationnelle : les moyens stagnent, alors que le nombre des missions s'accroît. Je parle souvent en « heure sapeur-pompier » : évacuer une victime vers un centre hospitalier très éloigné est une charge complémentaire, que l'on mesure mal à l'échelle nationale. Sur ce point, il faut faire preuve de vigilance. Encore une fois, si nos missions doivent aller au-delà des urgences, les moyens qui nous sont alloués doivent être à la hauteur des besoins.
En ce qui concerne votre question sur les associations agréées de sécurité civile, je ne ferai que compléter ce qui a été dit : l'essentiel, c'est la cohérence des acteurs. L'urgence est au cœur de la mission des sapeurs-pompiers, mais le soutien en fait aussi partie. Celui-ci prend de plus en plus d'ampleur, comme on le voit ces jours-ci dans le Pas-de-Calais : les pompiers soutiennent les habitants, rassurent, sont les seuls à avoir les moyens d'aller vers la population. Cette mission de soutien doit être coordonnée, et l'idée d'un directeur départemental de la sécurité civile, qui assurerait la cohérence et l'animation des différentes actions, me paraît pertinente. Néanmoins, au quotidien, nous signons des conventions avec les associations agréées de sécurité civile, et il y a une entente ; en outre, il ne faut pas oublier l'action de l'État, qui a pour rôle de coordonner ces acteurs.
Cette audition touche à sa fin. Je vous remercie pour votre participation. N'hésitez pas à nous adresser, le cas échéant, une contribution écrite, notamment si vous souhaitez nous faire part de messages ou informations complémentaires.
Puis la mission d'information réunit une table ronde, réunissant les organisations syndicales représentatives de sapeurs-pompiers.
Nous terminons notre matinée d'échanges avec une table ronde qui rassemble les représentants des organisations syndicales des sapeurs-pompiers.
Nous avons le plaisir de recevoir M. Stéphane Bardel, membre de la commission nationale des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) pour la Fédération CFDT-Interco, M. Xavier Boy, président de la Fédération autonome des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs et techniques spécialisés (FA-SPP-PATS), M. Charles Cosse, directeur de cabinet de l'UNSA-SDIS, M. Manuel Coullet, secrétaire général Sud-SDIS, M. Sébastien Delavoux, animateur du collectif CGT des agents des SDIS, M. Alain Laratta, secrétaire général d'Avenir Secours CFE-CGC, M. Frédéric Monchy, président du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels (SNSPP), M. Mickaël Pacanowski, vice-président de la CFTC-Sapeurs-pompiers et agents des SDIS (SPA-SDIS) et M. Christophe Sansou, secrétaire général de l'Union nationale FO des services d'incendie et de secours.
Notre objectif est de vous entendre sur les questions liées à la formation, aux missions et au statut des sapeurs-pompiers, mais aussi, plus largement, sur l'organisation de notre modèle de sécurité et de protection civiles. Notre mission d'information, composée de vingt-cinq députés issus de tous les groupes politiques, a été créée à la demande du groupe Horizons et apparentés.
Cette table ronde est diffusée en direct et sera également accessible, ensuite, sur le site internet de l'Assemblée nationale. Elle fera l'objet d'un compte rendu qui sera annexé à notre rapport.
Nous attendons des informations sur les évolutions de votre métier, de vos conditions de travail et de votre organisation, ainsi que sur les difficultés que vous pourriez rencontrer. Nous le savons, vous êtes confrontés quotidiennement aux urgences des secours à la personne, mais vous intervenez aussi dans les situations de risques majeurs : risques naturels, comme les feux ou les inondations ; risques industriels, sanitaires ou sécuritaires. Nous souhaitons avoir des éclaircissements sur les forces et les fragilités de notre modèle de sécurité civile, ainsi que sur les éventuelles réformes ou évolutions que vous appelez de vos vœux.
Nous avons voulu partir du terrain, en rencontrant notamment des élus locaux, mais aussi des professionnels, sans idée préconçue, afin de réfléchir à l'amélioration de notre organisation, tout en tenant compte des expériences passées et en étudiant l'organisation de la sécurité civile dans d'autres pays. La mission sera d'ailleurs amenée à se déplacer en France et à l'étranger au cours des prochains mois. Notre objectif est de regarder ce qui fonctionne bien, mais aussi ce qui est perfectible, afin que nous soyons plus efficaces face aux crises qui pourraient se produire, voire se multiplier en raison du changement climatique.
En tant que sapeur-pompier volontaire puis professionnel pendant plus de trente ans et en tant qu'élu local, adjoint au maire, j'ai été amené à faire face à différentes crises.
Cette mission d'information est consacrée à l'étude de la capacité d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles et, comme telle, concerne l'ensemble du territoire : les outre-mer, la campagne, la ville, le milieu périurbain, la mer et la montagne.
Lors des auditions, nous avons entendu des élus, des associations agréées, des spécialistes de la sécurité civile et de la gestion de crise, des représentants des directeurs départementaux de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et de l'Association nationale des directeurs et directeurs adjoints des services d'incendie et de secours (Andsis). Il nous semblait donc important d'entendre aussi les représentants syndicaux que vous êtes afin de faire un point sur les difficultés que vous rencontrez en matière de recrutement ou de fidélisation, que vous soyez volontaires ou professionnels. Quels sont les principaux atouts et difficultés de cette profession ?
Originaire du Pas-de-Calais, je souhaite tout d'abord vous faire part de l'organisation de la gestion de la crise que nous traversons. Ce département s'apprête à connaître une quatrième vague de tempêtes et devrait passer à nouveau en vigilance rouge. Depuis le 1er novembre, nous avons connu l'équivalent de six mois de précipitations. Les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires sont sur le terrain jour et nuit, épaulés par des colonnes de renforts militaires et extra-départementales. Cette crise est analogue à celle qu'a connue la Gironde avec les feux de forêts de 2022. Le 28 octobre, le Président de la République a fait un certain nombre de promesses, mais une véritable prise de conscience s'impose face à ce phénomène spécifique que sont les inondations et à la situation dans le Nord et le Pas-de-Calais en particulier.
Sur le terrain, la coordination est délicate entre les militaires et les sapeurs-pompiers venus d'autres départements, lesquels ne connaissent pas forcément le territoire, le matériel, la doctrine et les conditions d'engagement. Nous ne comprenons pas que la France ne fasse pas appel au mécanisme européen de sécurité et de protection civiles, alors que nous pourrions bénéficier de l'expertise de nos collègues des Pays-Bas, de la Belgique et de l'Allemagne, dont les retours d'expérience sont riches d'une plus-value technique et opérationnelle essentielle. Une telle situation est regrettable à plus d'un titre et pénalise la population du département.
Je demanderai aux présidents des deux chambres du Parlement et au ministre de l'intérieur un retour d'expérience sur les conditions dans lesquelles nous faisons face à la crise actuelle. Je le dis sans ambages : nous ne sommes pas à la hauteur. J'espère que vous aurez l'occasion de mener des auditions sur cette crise, car il est possible de faire beaucoup mieux.
Cette mission d'information vise à étudier nos capacités d'adaptation et d'anticipation en matière de sécurité civile, en prenant évidemment en compte les phénomènes naturels, auxquels nous serons de plus en plus souvent confrontés, mais également les risques industriels, sanitaires, sécuritaires – avec d'éventuels attentats, par exemple. Quels sont donc les atouts et les difficultés de la profession qui expliquent qu'on la rejoigne ou qu'on la quitte ? Nous savons que, comme dans la gendarmerie ou la police, les effectifs se délitent parfois.
La précédente mission d'information concernant notre métier date de quatorze ans. Je suis donc d'autant plus heureux de votre invitation.
Avenir Secours est le syndicat majoritaire de l'encadrement. Nous couvrons 95 % du territoire hexagonal et la totalité des outre-mer.
Je remercie les députés qui nous soutiennent par leurs conseils, leurs encouragements et leur suivi des dossiers : M. Jean-Marie Fiévet, M. Hervé Saulignac, M. Fabrice Brun, Mme Sandra Regol et M. Pierre Morel-À-L'Huissier. Ils ont accompagné nos derniers combats, comme la revalorisation de la prime de feu et l'arrêt de la surcotisation à la caisse de retraite. Nous attendons la promulgation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour voir si les engagements des ministres Guerini et Darmanin seront tenus en matière de portabilité.
Si notre modèle de sécurité est original sur le plan européen, il a en partie atteint ses limites. Face à l'augmentation du nombre de catastrophes et des sollicitations, il est urgent de changer de braquet, car les pompiers professionnels et volontaires ainsi que les personnels de soutien sont en surchauffe. Chaque jour, nous réalisons un nombre colossal de missions, puisqu'une intervention a lieu toutes les sept secondes et que nous devons faire preuve d'une grande polyvalence technique. Nos matériels, également, doivent être modernisés.
Les sapeurs-pompiers, bien souvent, sont les grands oubliés des différentes réformes. Il n'est que temps d'y remédier, même si nous disposons de nombre d'atouts et de capacités d'action !
Sur le plan juridique, les principaux textes datent de 1938, 1955, 1983, 1987, 1996, 2004 et 2021, quatre lois essentielles ayant été votées en quatre-vingt-dix ans. La sécurité civile française mérite mieux. Les dernières évolutions statutaires ont simplement permis un rattrapage de quinze à vingt ans par rapport aux autres institutions régaliennes comme la police et la gendarmerie. Un statut des emplois supérieurs de direction, injuste, précaire et peu attractif, a été créé en 2016 sans être à même de répondre aux enjeux.
Nous relevons également des arbitrages systématiquement défavorables entre les ministères de l'intérieur et de la santé. Dans la majorité des territoires, nous sommes encore les supplétifs des SAMU.
Les disparités entre les territoires sont inacceptables, chacun se contentant d'une augmentation de 1,5 point du glissement vieillesse technicité (GVT) et d'augmentations microscopiques pour juger de l'amélioration de la sécurité. Cela ne suffira pas à rattraper d'immenses retards dans certains territoires, tout le monde n'ayant pas été sur la même ligne de départ.
Le grand public ne sait pas qui paie, qui contribue, qui commande, combien cela coûte. Les élus locaux méconnaissent leurs propres responsabilités et les élus nationaux, la réalité des territoires. Nous notons un manque de considération de la part de l'État et nous avons le sentiment d'être des enfants de parents divorcés qui ne s'entendent pas, l'État renvoyant à la gestion départementale et aux financements locaux, tandis que les collectivités critiquent l'État pour son désengagement et son manque d'ambition.
Nous pointons également un manque de transparence en ce qui concerne les coûts, les mécanismes de financement et l'évolution de la qualité du service rendu.
Sur un plan législatif, nous souhaitons depuis 2017 qu'un acte II de loi de modernisation de la sécurité civile (Mosc) soit discuté et voté. Sur un plan réglementaire, il convient de veiller à l'application des décrets de la loi de 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, et de la réforme des retraites.
Nous ne prétendons pas rédiger le sommaire de la loi Mosc 2 mais, selon nous, il est indispensable de créer un secrétariat général à la préparation des populations et à l'organisation de la réponse de sécurité civile, organisme supra ministériel visant à faire changer les arbitrages et à faire en sorte que nous puissions travailler à l'acculturation et à la formation du grand public. Il convient également de veiller à ce que le financement soit efficace pour la population et à replacer les administrés au cœur de la sécurité civile, en tant qu'acteurs et non en tant que consommateurs. Ce secrétariat général devra aussi produire des textes, des normes, anticiper les crises et les nécessaires adaptations.
Sans une évolution du périmètre budgétaire, toutes les solutions que nous pourrions envisager pour les sapeurs-pompiers et les acteurs de la sécurité civile seront vaines, comme nous l'avons vu en 1996 lors de la substitution du cadre communal au cadre départemental.
Quelques pistes doivent être étudiées.
Tout d'abord, la suppression de la TVA sur les carburants, comme pour les services d'État – tel est d'ailleurs déjà le cas pour le matériel flottant des sapeurs-pompiers. Ensuite, le fléchage de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) vers les SDIS, afin d'écarter le dumping auquel se livrent certains départements. Il conviendra d'accompagner cette disposition d'un système de contrôle. Un élu me disait récemment qu'un tel fléchage réduira mécaniquement la contribution départementale aux SDIS. Je songe aussi au dégel de la participation du bloc communal puis, dans un second temps, à l'attribution du financement des SDIS au bloc intercommunal des EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale. Dans le Calvados, par exemple, un apport supplémentaire serait possible. Les élus locaux, et en particulier communaux, pourraient bénéficier d'une meilleure lisibilité et de nouvelles ressources pour financer des réserves communales de sécurité civile et réaliser ainsi leurs plans communaux de sauvegarde.
La question du financement par les régions a été abordée dans le rapport Falco. Il ne serait pas raisonnable de modifier l'équilibre de la gouvernance des SDIS : la région doit pouvoir être un contributeur, notamment s'agissant de la formation.
Il faut également qu'une partie du produit de la taxe de séjour soit « fléché » en direction des SDIS, afin de souligner le lien entre accroissement de la population et augmentation des risques. L'ensemble de la population de la Lozère, au mois de décembre, ne remplirait pas le Stade de France, mais, en été, des millions de touristes visitent ce département. Il en est de même en Ardèche, où nous sommes contraints d'appliquer des dispositifs spécifiques pendant la période estivale.
Il importe de faire participer les assureurs au financement par le biais du coût du sauvé. Il est en effet inadmissible que l'amélioration de la qualité du service, depuis les vingt dernières années, n'ait pas été suivie par une part de financement assurantielle. Je rappelle que la TSCA, prélevée sur les contrats d'assurance automobile depuis 2003, n'est pas l'argent des assureurs, mais celui des assurés.
La pérennisation du pacte capacitaire dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) est une bonne chose. Enfin l'État met la main à la poche pour aider les collectivités ! Je me félicite également du retour du fonds d'investissement pour favoriser la péréquation et réduire les disparités entre les territoires.
Le volet concernant l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp) me paraît fondamental. Cet organisme d'État est financé à hauteur de 16 millions par les collectivités et de 5 millions seulement par l'État. Dès lors, comment parler d'opérateur de l'État ? Un financement plus large permettrait de rehausser le niveau de formation et d'atteindre les objectifs fixés, alors que l'École ne dispose que de 205 équivalents temps plein pour réaliser 100 000 journées de stage. J'invite votre mission d'information à se renseigner sur les pratiques des autres écoles qui, elles, sont intégralement financées par l'État. J'ajoute que l'Ensosp doit avoir plus de moyens pour favoriser l'acculturation européenne de nos officiers et pour développer l'enseignement des langues étrangères. Les Erasmus « sécurité civile » existent déjà, mais les officiers sapeurs-pompiers sont limités par une méconnaissance de la langue anglaise. L'Ensosp doit organiser nos concours et nos examens. Renseignez-vous sur ce que paie l'État à la Fédération nationale des centres de gestion pour l'organisation de ces derniers, alors que l'École pourrait faire mieux tout en consommant moins de crédits ! Enfin, l'Ensosp pourrait être un pôle européen d'excellence en matière de feux de forêt, avec la proximité nîmoise de la base aérienne, du simulateur européen Secoas (Simulateur d'entraînement à la coordination des opérations aériennes de secours) et de l'École d'application de sécurité civile de Valabre.
La création d'un secrétariat général permettrait également de transformer notre direction générale en direction « métier ».
Sur un plan réglementaire, le ministère de la transformation et de la fonction publiques et la direction générale de l'administration et de la fonction publique doivent rapidement travailler à la réforme que nous demandons, en particulier pour le service de santé et de secours médical, qui est le plus mal loti.
Les problèmes d'attractivité s'expliquent en particulier par les procédures de fin de carrière. La bonification de l'ancienneté et la non-portabilité limitent les mobilités et les passerelles, de même que la non-reconnaissance des titres et des diplômes. L'attractivité est un champ de mission en raison, également, de la perte des repères.
Veillons à ce que le ministère de la santé ne favorise pas une concurrence entre les véhicules de liaison infirmiers, qui sont efficaces, et les unités mobiles pré-hospitalières (UMPH) !
L'essoufflement du volontariat s'explique par les sous-effectifs de professionnels. Il est temps d'agir !
Je vous invite à venir en Ardèche pour voir comment les choses se passent s'agissant des véhicules légers infirmiers et de la réponse aux obligations légales de débroussaillement.
N'hésitez pas à nous faire part, le cas échéant, de vos divergences. Je vous invite également à être un peu plus concis, autant que faire se peut, dans vos présentations liminaires.
Cette table ronde sera sans doute la moins « rassuriste » de toutes celles que vous avez organisées.
Notre système de sécurité civile n'est pas unique, puisqu'il compte environ treize équivalents en Europe, mais il se caractérise par deux particularités : une charge de travail supérieure à celle des autres pays et un coût inférieur. Malgré certaines manifestations d'autosatisfaction, il ne garantit plus au quotidien l'égalité de nos concitoyens en matière de secours d'urgence. Le seul indicateur, d'ailleurs modérément fiable, montre une augmentation de plus de 2 minutes du délai moyen de présentation du premier engin entre 2014 et 2020. Personne ne garantit qu'il s'agit du bon engin, que son équipement est complet et que son équipage dispose des compétences adéquates. Le volume urbain, très important sur de petites distances, ne permet plus d'égaler les actions que nous menons dans les milieux les plus ruraux.
Deux explications à cela : la baisse de la disponibilité des sapeurs-pompiers volontaires, ou de notre capacité à nous en saisir ; le budget des SDIS, dont l'équilibre en 2024 est encore incertain.
À propos de budget, j'ai entendu, au cours des auditions précédentes, trois affirmations que je tiens à rectifier. Tout d'abord, dire que l'État ne participerait qu'à hauteur de 10 % au budget de la sécurité civile revient à minorer beaucoup les chiffres. Ensuite, il est évidemment faux que toute la TSCA perçue par les conseils départementaux n'est pas reversée aux SDIS, car les flux de TSCA qui parviennent dans les conseils départementaux ne sont pas normés : chaque euro de TSCA touché par les conseils départementaux finit bien dans les budgets des SDIS, même si c'est insuffisant. Quant à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, son audition n'a pas évoqué le référé de la Cour des comptes de 2019, qui disait des choses très différentes de celles qui vous ont été dites ici.
Il faudrait se souvenir qu'en 2002, la participation du bloc communal était très différente d'un département à l'autre, par exemple entre le Loiret et l'Essonne. Ainsi, lorsque le conseil départemental a dû augmenter sa participation, il n'a parfois fait que rattraper celle du bloc communal. Lever l'interdiction d'augmenter la participation du bloc communal est parfaitement possible dans certains cas où les communes ne participent qu'à la marge, alors que, dans d'autres cas, ce sont encore elles qui continuent à assumer la majorité du financement des SDIS.
Quant aux concours, leur organisation se heurte d'abord à un problème démographique : alors que l'armée et la brigade de sapeurs-pompiers de Paris font de la publicité pour recruter, nos concours font l'objet de très peu de promotion. Sur un segment qui tend à se rétrécir, nous sommes donc en concurrence avec des institutions qui n'ont pas les mêmes armes que nous. Alors que la première épreuve du concours se déroulera le 21 novembre, la fin des inscriptions était, dans certaines zones, fixée au 15 février, si bien que, faute d'information, les candidats qui ne sont pas du sérail ne pouvaient pas s'inscrire. Nous verrons bien si nous avons assez d'inscrits pour atteindre le nombre de lauréats attendu, mais cette situation devrait tous nous interroger. La décorrélation des deux dates vise évidemment à diminuer le coût de l'organisation des concours, mais cela nous sera bientôt préjudiciable.
À l'issue du concours, le nombre d'inscrits sur les listes est lui aussi décorrélé du nombre de postes ouverts immédiatement ou ultérieurement. Lorsqu'on dit aux gens qui sont inscrits sur une liste qu'il faudra quatre ans pour que tous les postes correspondants soient ouverts, le délai est trop long : les lauréats se lassent et peuvent avoir des accidents de la vie ou choisir des employeurs qui leur proposent un emploi à une date ferme. À la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, si on vient avec son sac à la date prévue, on est recruté, tandis que, chez nous, on couche les noms des lauréats sur des listes et on laisse chacun d'entre eux écrire aux différents établissements, au risque de s'entendre répondre que le recrutement vient de s'achever et qu'ils sont invités à se porter candidats l'année suivante. Cela crée un sentiment pénible chez des gens à qui on n'a pas toujours expliqué le fonctionnement de la fonction publique territoriale.
Depuis 2013, nous alertons le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et les services organisateurs – car nous sommes tous co-organisateurs. De fait, les directeurs se plaignent que les lauréats ne sont pas à la hauteur, mais ce sont eux qui les choisissent.
Le suivi des listes de lauréats est très mauvais : le fait qu'un an et demi après l'établissement de ces listes, on ne soit plus capable de contacter les personnes qui y figurent ou qu'elles ne soient plus candidates signifie bien que nous devons progresser en matière d'organisation de concours, a fortiori au vu du coût des lauréats – 8 000 euros en Île-de-France ! Tout est faussé : nous inscrivons sur les listes des personnes qu'on ne recrute finalement pas, parce que nous tardons trop à le faire ou parce que les postes n'existent pas.
Je m'arrêterai là, mais nous pourrions aussi parler de l'attractivité du métier et de son sens.
Comme l'a dit Sébastien Delavoux, nous serons sans doute un peu plus « cash » que les autres personnes que vous avez auditionnées, car nous vous parlerons du terrain. Nous avons répondu par écrit à votre questionnaire et je vous remettrai à l'issue de l'audition ce document, dont je vais présenter un rapide résumé chapitre par chapitre.
Pour ce qui concerne, tout d'abord, la motivation et le recrutement, la Fédération autonome considère qu'il faut communiquer en direction des futurs candidats en montrant ce qu'est réellement le métier de sapeur-pompier, ou du moins ce que, pour de multiples raisons, il est devenu. La société a évolué et les services publics, d'une manière générale, se désengagent de leurs missions premières. C'est éminemment le cas des services de soins, mais cela vaut aussi pour les services de sûreté, les sapeurs-pompiers étant amenés à effectuer des missions de sécurité publique, notamment dans les situations d'ivresse manifeste. Le périmètre et le spectre de nos missions ont ainsi été modifiés : l'image du pompier sortant des flammes avec un enfant dans les bras, comme dans le film Backdraft, c'est beau pour l'affiche, mais ce n'est pas la réalité. Certains collègues qui nous rejoignent ne trouvent pas ce qu'ils pensaient trouver en venant exercer ce métier.
Nous revendiquons la professionnalisation et la séparation des missions réalisées par les techniciens du soin d'urgence et les techniciens du feu. Depuis la loi Matras, nous avons été autorisés, bien qu'il soit précisé que nous ne sommes pas des professionnels de santé, à pratiquer certains gestes techniques relevant de ces derniers, afin d'assurer une prise en charge plus efficiente des victimes. Comme nous l'écrivons dans la contribution que nous vous remettrons, cela ne doit pas avoir pour effet d'amplifier le désengagement des équipes médicalisées d'urgence des SAMU et des structures mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR). En effet, si pour lever le doute en cas de douleur thoracique pouvant indiquer un accident cardiaque, le médecin régulateur qui pilote les moyens des SDIS par l'intermédiaire du 15 décide d'engager un vecteur sapeurs-pompiers au lieu d'un SMUR pour pratiquer un électrocardiogramme, le pompier de terrain que je suis ne peut pas vous garantir que cela sera aussi bien fait que si le médecin du SAMU était venu le faire. Nous refusons ces gestes, afin de ne pas détériorer l'activité des SMUR.
Pour ce qui est de la formation, nous constatons depuis de nombreuses années qu'elle s'adapte à la disponibilité de sapeurs-pompiers volontaires, ce qui tire son niveau vers le bas, alors qu'elle devrait devenir plus technique pour faire face aux nouveaux risques que vous évoquiez, madame la présidente, comme les risques technologiques liés à l'arrivée des véhicules hybrides à énergies alternatives, notamment des véhicules électriques. Pour éteindre l'incendie d'un bus électrique ou d'une voiture Tesla – vous en avez certainement tous vu en vidéo –, il faut plusieurs heures, voire près d'une journée, faute de moyens adéquats. Or, c'est sur le terrain, une fois que nous sommes confrontés au risque, que nous découvrons que nous n'avons pas les moyens d'agir efficacement. Il faut donc une formation dans les domaines les plus spécifiques, qu'il s'agisse du soin, du feu, des crises naturelles majeures comme les cyclones et tempêtes, ou des maladies nouvelles qui nous viennent souvent d'outre-mer et sont encore mal connues en métropole, comme le chikungunya ou la dengue – autant de risques nouveaux, face auxquels nous devons être outillés.
Quant aux concours, je souscris pleinement aux propos de mon collègue de la CGT et me contenterai d'apporter quelques précisions. Les besoins annuels en termes de nouveaux sapeurs-pompiers professionnels au grade de caporal sont identifiés et annoncés par les SDIS. Or ces chiffres, purement déclaratifs car fixés en fonction du budget des SDIS plutôt que des besoins opérationnels, sont sous-estimés du fait du recours aux sapeurs-pompiers volontaires, pour qui l'engagement est une activité, et non pas un métier comme pour les sapeurs-pompiers professionnels, et que l'on peut donc ainsi ne pas considérer comme des travailleurs. Les emplois permanents identifiés par les SDIS et qui nécessiteraient des pompiers tous les jours, en tout temps et à toute heure, sont donc remplis par des sapeurs-pompiers volontaires en garde postée. Le besoin n'étant pas identifié comme un besoin de professionnels, le manque d'effectifs professionnels pousse à recourir à des sapeurs-pompiers volontaires, et cette professionnalisation du volontariat éloigne de nos rangs des sapeurs-pompiers volontaires qui ne s'étaient pas engagés pour cela.
Il faudrait par ailleurs inverser le calendrier des épreuves. En effet, l'expérience du dernier concours, où les épreuves écrites précédaient les épreuves sportives, a montré que les candidats qui avaient réussi l'écrit n'avaient pas les capacités physiques nécessaires pour accomplir les missions de sapeurs-pompiers. Ces épreuves ne sont, du reste, pas les plus pertinentes. Notre organisation syndicale a défendu au sein du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale l'idée qu'il ne fallait pas confondre l'accès à la filière sapeurs-pompiers, qui est un accès à la fonction publique, avec un accès aux métiers du feu. De fait, il devrait exister dans notre filière plusieurs métiers, ce qui permettrait également d'offrir des possibilités d'aménagement de fin de carrière pour de sapeurs-pompiers usés ou abîmés par le travail ou par la vie.
Le concours de caporal, qui est le premier concours de sapeurs-pompiers, est organisé à une date unique par des centres d'examens dans des zones différentes, de telle sorte que les candidats inscrits sur les différentes listes d'aptitude sont cantonnés à celle de leur zone et que les chances de réussite n'y sont pas égales. Ainsi, pour le dernier concours, le taux de réussite par rapport aux inscriptions était de 4,7 % à Bordeaux, pour la zone du Sud-Ouest, contre 1,9 % en région parisienne. Il y a là quelque chose à revoir, d'autant plus qu'un candidat ayant passé le concours à Montpellier ne pourra pas être candidat à un poste en Essonne, car il ne sera pas inscrit sur la liste d'aptitude ayant fait l'objet d'une convention entre son SDIS et l'organisateur. Pour éviter ces coûts supplémentaires, en effet, les recruteurs qui connaissent des vacances de postes ne recrutent pas dans des zones différentes de celle avec laquelle ils ont conclu un partenariat avec le SDIS. Les avis de vacance sont d'ailleurs très clairs à cet égard et indiquent d'emblée aux candidats issus d'autres zones qu'ils ne seront pas recrutés et ne doivent donc pas se présenter – ce qui est assez surprenant.
En outre, et comme cela a été dit, l'administration n'assure guère de suivi de la liste d'aptitude et n'est pas en mesure de dire si un lauréat a été recruté ou non.
Nos missions ont changé et nous sommes aujourd'hui des sauveurs de la détresse sociale. Nous constatons malheureusement la dégradation de la société et sommes victimes de violences. Des mesures sont prises pour nous protéger, comme des caméras-piétons ou des caméras installées à bord de nos engins, ainsi que des gilets pare-lame anti-agression, mais mieux vaudrait que nous ne soyons pas confrontés à ce genre d'interventions, du moins lorsque l'appel permet de déterminer le contexte que nous trouverons.
J'en viens à ce qui peut démotiver le sapeur-pompier une fois qu'il a été recruté. Au début, la DGSCGC nous expliquait que la jeune génération, dite « post-it », testait un peu tout. Nous, pompiers de terrain, nous rendons compte que ceux qui partent ne sont pas les jeunes sapeurs-pompiers qui viennent de rejoindre nos rangs, mais ceux qui ont perdu le sens de leur travail. Étant supplétifs de tous les services publics, nous ne voyons plus le sens de ce que nous faisons et sommes confrontés à des conflits de valeurs. On nous demande de faire des choses qui ne relèvent pas de nos missions, alors que nous savons en outre que si nous les faisons, nous ne serons plus disponibles pour répondre à une mission qui supposerait précisément que nous le soyons. C'est très difficile à vivre pour un pompier.
Ainsi – et ce n'est que l'un des plus éloquents des nombreux exemples que je pourrais citer –, pendant les deux à huit heures qu'elle passe à attendre avec son ambulance dans le sas d'un hôpital, une équipe de pompiers n'est pas disponible pour sauver une vie. Ce sont là des éléments de démotivation pour nos jeunes recrues. Je ne me considère pas comme étant très vieux, mais je constate une différence avec la jeune génération, marquée par l'immédiateté de l'« effet Amazon » et pressée de vivre tout de suite ce qu'elle désire. Lorsqu'ils deviennent sapeurs-pompiers professionnels, nos jeunes collègues prennent conscience qu'ils vont travailler avec des sapeurs-pompiers volontaires qui sont considérés de la même manière qu'eux, et qui même, alors qu'ils ne sont pas reconnus comme des travailleurs, les commandent parfois. Après avoir fait des efforts personnels et réussi un concours, tout s'arrête et ils constatent que s'ils étaient restés sapeurs-pompiers volontaires, ils s'épanouiraient sûrement mieux. Cette perte de sens contribue à la démotivation et à la perte de nos effectifs.
Pour ce qui est du statut et de la rémunération, nous avons demandé, lors d'une séance du CSFPT en juin 2021, la rénovation de notre filière pour la rendre novatrice et attractive, avec la création des différents métiers que j'évoquais tout à l'heure.
En matière de retraite, les sapeurs-pompiers devront accomplir deux années supplémentaires, ce qui, comme nous l'avons exposé devant les ministres chargés de ce dossier, relève du suicide. Pour un sapeur-pompier, en effet, c'est déjà beaucoup que de travailler jusqu'à 55 ans. Après 55 ans, c'est dangereux ; à 57 ans, c'est extrêmement dangereux et, au-delà de 57 ans, ce n'est plus possible. Puisqu'il n'existe pas plusieurs métiers, je pourrai être encore à 57 ans au poste de porteur de lance que j'occupe aujourd'hui, à 43 ans, et on me demandera encore de faire la même chose qu'à 20 ans. Il faut donc développer différents métiers au sein de notre filière.
Le temps de travail participe aussi à l'attractivité de notre métier. Vous n'ignorez pas que les sapeurs-pompiers professionnels sont les seuls fonctionnaires de France à qui on impose un régime d'équivalences permettant à un employeur de les faire travailler pendant vingt-quatre heures d'affilée en ne leur décomptant que dix-sept heures de rémunération. Ce temps de travail de vingt-quatre heures n'est pas seulement néfaste pour la santé des agents qui y sont soumis : il est aussi en totale contradiction avec tous les discours exaltant le pompier héroïque que nous entendons lors des commémorations de fin d'année, notamment à la Sainte-Barbe, ou lorsque nous sommes engagés sur des missions ou des catastrophes de grande importance. Plus que cette bienveillance, nous demandons une reconnaissance de chaque jour, qui suppose que l'on cesse de nous imposer ce temps de travail hors norme et dangereux.
À propos du financement, je ne souscris pas entièrement à la position de mon collègue d'Avenir Secours quant au « fléchage » de la TSCA, abordé par plusieurs des personnes que vous avez auditionnées. Quant à la taxe touristique, nous partageons le point de vue exprimé : lorsqu'un département reçoit beaucoup de touristes et crée donc des risques supplémentaires, une réflexion sur sa contribution s'impose.
Quant à savoir comment les sapeurs-pompiers collaborent avec les autres acteurs de la sécurité civile et quel regard nous portons sur la répartition des compétences entre ces acteurs, les organisations syndicales ne sont pas assez informées pour vous répondre à ce propos.
Je vous confirme que nous recevons toutes vos contributions écrites et que nous en tiendrons compte. N'hésitez donc pas à nous les faire parvenir.
Beaucoup de choses ayant déjà été dites, je n'y insisterai pas et je ferai donc parvenir notre contribution.
Je tiens toutefois à revenir sur les concours. Vous faisiez remarquer à juste titre, madame la présidente, que la représentation de notre profession devant votre commission était très masculine, et je ne suis pas certain que cela soit près de s'arranger, car la formule actuelle du concours est néfaste pour l'accès des femmes à la profession. Ces dernières sont intéressées par le métier et passent les épreuves écrites, mais au moment des épreuves sportives, c'est la catastrophe, n'en déplaise aux ayatollahs du sport – car il en existe chez nous. Tant qu'on ne se penchera pas sur les épreuves sportives du concours de caporal de sapeurs-pompiers professionnels, il restera difficile de recruter des femmes. Ce problème se pose depuis de nombreuses années et nous n'avons pas encore trouvé une oreille assez attentive à ce propos. Si nous voulons féminiser notre profession – ce que soutient bien évidemment l'UNSA – et élargir sa représentation, il faut déjà être en mesure de recruter des femmes, ce qui n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui.
Je souscris par ailleurs au constat alarmiste de mes collègues sur la capacité d'adaptation des SDIS, qui sont aujourd'hui, dans leur grande majorité, dans une situation de risque capacitaire, pour des raisons liées au premier chef à leur financement. De nombreuses pistes peuvent être évoquées et les propositions ne manquent pas. Plusieurs lois ont même évoqué de plus ou moins loin, ces dernières années, l'environnement des sapeurs-pompiers et de la sécurité civile, comme la loi Matras ou la dernière loi sur les risques d'incendie, mais elles n'ont jamais abordé l'essentiel, à savoir le périmètre et les modalités du financement des SDIS. Tant que nous tournerons autour du pot et n'examinerons pas réellement cette question, nous ne pourrons guère avoir une réflexion de fond sur la manière dont les services d'incendie et de secours peuvent faire face aux nombreux défis qui les attendent.
Feux de forêt, inondations, risques courants : le constat est là et nous sommes confrontés à la rupture capacitaire que vient d'évoquer M. Cosse. Il faut investir et recruter, et pas seulement des sapeurs-pompiers volontaires. Je n'ai rien contre ces derniers – bien au contraire, puisque je relève d'un SDIS où ils sont nombreux –, mais les espérances en termes de recrutement sont irréalistes. De fait, la dernière campagne évoquait un chiffre de 50 000 sapeurs-pompiers volontaires (SPV), mais on peine aujourd'hui à en recruter 50 par an pour maintenir les effectifs. Or c'est bien en journée que nous manquons de sapeurs-pompiers volontaires. Il faut donc cesser de faire du chiffre et adapter le recrutement aux besoins.
Il faut également arrêter de faire croire à l'égalité des secours sur l'ensemble du territoire, car ce n'est pas le cas – en campagne, les secours sont beaucoup plus longs. Dans le Haut-Rhin, que connaît bien M. Didier Lemaire, avec qui je travaillais voilà encore un an et demi, on a créé une petite usine à gaz qui porte le nom d'« effectifs complétés ». Selon ce mécanisme, on envoie les collègues au casse-pipe avec un petit véhicule : arrivés sur place, ils constatent qu'ils ne peuvent rien faire, faute de moyens d'incendie, jusqu'à ce que le véhicule approprié arrive, huit ou neuf minutes plus tard, avec des sapeurs-pompiers volontaires. On en est là ! Cela devient grave et triste.
Les villes sont favorisées en termes de présence de sapeurs-pompiers professionnels et de SPV en garde casernée et, dans les campagnes, les secours sont beaucoup plus longs et moins expérimentés. Les personnels ne sont pas fautifs et nous ne demandons pas que tout soit professionnalisé, mais les deux statuts sont complémentaires.
Le recrutement des sapeurs-pompiers volontaires pâtit aussi des abus des SDIS, qui leur demandent trop d'heures, d'astreintes et de gardes casernées. Il faut donc réformer complètement la sécurité civile. La Lopmi a dégagé des millions d'euros pour les gendarmes et les policiers, mais sans prévoir aucun fléchage pour les SDIS ni pour les sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires.
Le secrétariat dédié à la sécurité civile qu'ont évoqué mes collègues permettrait de couvrir l'ensemble des services fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre et d'assurer une interconnexion entre ces services.
Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, les aspects positifs tiennent à la participation des casernes à la vie de la collectivité, à une forte cohésion et à un sens du service public. Nous exerçons un métier atypique qui ne connaît pas la routine, car nous ne savons jamais quelles seront nos missions, et qui jouit d'une image positive auprès de la population. Quant aux aspects négatifs, ils sont liés à une perte de sens, car nous accomplissons trop de missions non urgentes qui relèvent de plus en plus largement de l'assistanat. Les relevages en ambulance sont le quotidien, avec des délais d'attente dans les hôpitaux de plus en plus problématiques, car un sapeur-pompier volontaire ne peut pas se permettre, en journée, de passer trois heures en intervention pour la seule raison que l'hôpital ne peut pas prendre en charge la personne qu'il lui amène. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous perdons ces personnels. Face aux carences des autres services, entre les secours aux personnes ou aux animaux et les interventions sur les routes, les pompiers sont partout, donc aussi nulle part, car vient un moment où ils ne peuvent plus suivre.
Nous remettrons nous aussi une contribution écrite. Tout a été dit, mais j'insisterai sur le fait que la formation des pompiers volontaires et celle des pompiers professionnels sont bien différentes. En effet, les pompiers professionnels suivent un parcours de formation bien plus long que celui des pompiers volontaires, mais on leur confie pourtant les mêmes missions. On en comprend les raisons, puisqu'un pompier volontaire n'est pas aussi disponible qu'un pompier professionnel, mais il y a là un vrai problème, en particulier lorsqu'on s'interroge sur la possibilité de prendre en compte une partie des formations acquises auparavant.
Les concours, tant pour l'entrée dans la profession que pour les postes d'encadrement, sont éloignés des besoins que l'on ressent sur le terrain. Une grande opacité règne en la matière. Le nombre de postes ouverts est défini par arrêté, mais les organisations syndicales n'ont aucun retour sur les besoins exprimés par les SDIS. Nous souhaiterions avoir connaissance de ces besoins pour vérifier que le nombre de postes proposé est adapté.
Concernant les SDIS, le système est à bout de souffle. La sécurité civile repose sur un effectif constitué à 80 % de pompiers volontaires, dont la disponibilité est aléatoire. Le potentiel opérationnel journalier, autrement dit les besoins en effectifs définis dans nos documents, qui sont signés par le président du conseil d'administration et adressés à la préfecture, n'est pas respecté. Faute de personnel, tel centre devra refuser des départs, ce qui conduira à appeler un autre centre, et donc à allonger les délais d'intervention. Pour armer un fourgon, il faut disposer de six pompiers. Il arrive qu'un centre fasse partir un fourgon en sous-effectif et que deux ou trois autres centres situés à proximité envoient une voiture pour assurer l'armement réglementaire du fourgon. Cela ralentit l'intervention et augmente les risques, car les premiers arrivés sont en effectifs insuffisants.
En outre, les SDIS sont les supplétifs des autres services. Au sein de notre organisation, nous présentons souvent les pompiers comme des couteaux suisses. Il est arrivé, lors des dernières élections, que des pompiers soient affectés à un centre de mise sous pli pour faire partir la propagande électorale à temps. Pendant la crise du covid-19, on a aussi vu des pompiers apporter leur aide lors des campagnes de vaccination ou prendre la température des passagers descendant de l'avion. On utilise les pompiers pour toutes sortes de tâches, souvent au détriment des missions pérennes.
Par ailleurs, nous subissons les conséquences des difficultés de nos collègues hospitaliers : manque de lits, de personnel et allongement des délais.
Il faut réformer la sécurité civile et oser encadrer l'activité des sapeurs-pompiers volontaires. On ne peut pas dire qu'un sapeur-pompier volontaire qui assure une garde postée n'est pas un travailleur, alors que le pompier professionnel qui se trouve à ses côtés assume des missions et des contraintes identiques. Je n'ai évidemment nullement pour intention d'opposer les uns aux autres, mais je constate que le pompier professionnel bénéficie systématiquement du repos de sécurité obligatoire, alors que, pour un pompier volontaire, on ferme les yeux. Ce faisant, on court à la catastrophe. Il appartient aux SDIS – car l'État n'a pas la main sur ce sujet – d'engager un plan massif de recrutement de sapeurs-pompiers professionnels.
Le recul de l'âge de la retraite appelle l'aménagement de la fin de carrière. À cet égard, les pompiers professionnels perçoivent une prime de feu de 25 %, intégrée au calcul de la retraite, mais ils masquent parfois leurs difficultés pour ne pas perdre cet avantage. Il faut s'attacher à ce que ces aménagements soient réellement au bénéfice des pompiers.
Je ne reviendrai pas sur un certain nombre de constats que nous partageons, qu'il s'agisse du conflit de valeurs, de la perte de sens de la mission ou des problématiques de financement. Nous approuvons également certaines propositions qui ont été faites. Cela étant, il faut revenir aux principes de base et se demander ce que l'on attend de la sécurité civile française et quel est le sens de sa mission.
Vous évoquez, dans le questionnaire que vous nous avez adressé, plusieurs textes récents. Si elles ont réorganisé un certain nombre de sujets, ces lois se sont inscrites dans une logique de silos. Chacune des initiatives parlementaires qui a été prise a traité une thématique particulière, par exemple la défense des forêts contre l'incendie (DFCI). À présent il faut répondre, par un projet d'ensemble, aux enjeux de la sécurité civile et de son organisation. Il faut se demander quel service public de secours les Français sont en droit d'attendre et comment faire en sorte que nous soyons au rendez-vous. La proposition de loi de Fabien Matras s'est efforcée d'organiser une réponse et a modifié la définition de l'action des SDIS. Il faut aller plus loin et travailler sur le financement. Les effets de ciseau mettent en difficulté les budgets des SDIS et empêchent l'organisation d'une réponse cohérente sur l'ensemble du territoire.
Tandis que la sécurité privée se frotte les mains à l'approche des Jeux olympiques et paralympiques, le service public de secours recule. Nous n'arrivons plus à assurer l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. Une fois que l'on aura redéfini ce que l'on attend du service public de secours, il faudra y affecter les moyens, à commencer par les hommes, se pencher sur le statut des sapeurs-pompiers professionnels, volontaires et militaires, et travailler sur des notions telles que l'organisation, la planification, l'anticipation… Tout peut être discuté, mais il faut arrêter de traiter séparément les sujets au moyen d'initiatives parlementaires dont se saisit allègrement l'État.
Le Livre blanc de la sécurité intérieure ignore la sécurité civile. La Lopmi a détricoté le sujet. Dans le cadre de la concertation organisée avec le ministère de l'intérieur, lorsque nous avons évoqué la nécessité d'une loi d'ensemble pour moderniser la sécurité civile, on nous a répondu que les deux ans qui restaient avant la fin du premier quinquennat du Président de la République constituaient un délai trop court. Il est déjà presque trop tard pour commencer à travailler sur une nouvelle version de la loi de modernisation de la sécurité civile. Le Parlement doit se saisir sans tarder du sujet, au même titre que le Gouvernement.
Nous avons fourni plusieurs contributions, au cours des dernières années, notamment dans le cadre de la mission de l'Inspection générale de l'administration (IGA) sur le volontariat dans le domaine de la sécurité civile, ou lors des travaux de la mission Falco de modernisation de la sécurité civile, à la suite des feux de forêt en Gironde. Nous vous fournirons d'ailleurs des réponses écrites à vos questions. Essayons de prendre de la hauteur et de réfléchir à un projet majeur dans le domaine de la sécurité civile.
On en est arrivé au point où la gestion des SDIS repose sur la dérogation – au temps de travail, à la formation, à l'âge… S'agissant du temps de travail, les gardes de vingt-quatre heures ne sont en principe exigées qu'en raison des nécessités de service, mais aucun SDIS ne peut indiquer quelles sont les nécessités qui l'amènent à déroger à la règle, si ce n'est les restrictions budgétaires. On ne prend jamais en compte la santé, ni la sécurité des agents. Les pompiers volontaires sont sollicités à l'excès ; sous prétexte que ce ne sont pas des travailleurs, ils subissent des dérogations au temps de travail. Ils doivent pourtant bénéficier des mêmes règles protectrices en matière de santé et de sécurité, à l'image du temps de repos.
Concernant l'âge, un nombre croissant de sapeurs-pompiers mineurs sont employés comme des sapeurs-pompiers professionnels et exposés aux mêmes risques. Lorsqu'ils sont volontaires, comme leurs aînés, ils sont moins bien formés que les pompiers professionnels. Par manque de connaissances ou naïveté, les jeunes sont sujets à des accidents qui peuvent se révéler mortels, comme cela s'est hélas produit cette année. Cela peut être dû à une chose aussi bête que le foudroiement d'un arbre. Les accidents de ce type s'expliquent souvent par l'ignorance des consignes de sécurité, car les formations n'abordent plus les conduites à tenir en pareil cas lors d'une intervention.
Sur tous ces sujets, la direction générale laisse aux SDIS les pleins pouvoirs au nom du principe de libre administration.
Concernant le financement, nous sommes favorables à l'uniformisation de la participation des communes, des EPCI et de l'État, ainsi qu'à la mention de l'imposition directe sur les avis d'imposition, pour que les gens aient conscience du coût de la sécurité civile et s'aperçoivent que tout le monde n'a pas droit à la même prestation malgré une contribution identique. Notre service public doit être accessible à tous : les gens ne doivent pas être tenus de payer des prestations privées.
La reconnaissance des biens sauvés, qui ne sont pas pris en compte par les assurances, pourrait être une piste budgétaire.
Monsieur le rapporteur, vous parliez de métier, sans établir de distinction selon les statuts. Or, sapeur-pompier volontaire, ce n'est pas un métier. Pourtant, les pompiers volontaires sont employés de la même façon que les professionnels : c'est ce que nous dénonçons dans nos actions en justice. Nous demandons qu'enfin, on reconnaisse aux sapeurs-pompiers volontaires la qualité de travailleurs pour qu'ils puissent bénéficier de l'ensemble des règles relatives à la santé et à la sécurité au travail.
Nous regrettons que le métier soit l'objet d'un processus d'ubérisation, qui est préjudiciable à la santé des sapeurs-pompiers, volontaires comme professionnels, ces derniers étant confrontés, en outre, à une perte de sens de leur profession.
Pour répondre à votre question sur l'attractivité, le métier fait toujours rêver, notamment en raison du temps de travail, en particulier des plages de travail de douze heures, et de la sécurité de l'emploi – même si on pourrait discuter de ce dernier point. Les sapeurs-pompiers volontaires peuvent en outre inscrire leur engagement dans la continuité. Cela étant, avant même d'occuper ses fonctions, on découvre assez rapidement que le rêve peut se transformer en cauchemar. Il faut d'abord trouver le concours où l'on a le plus de chances de réussir, puis passer les épreuves. Ensuite, il faut écrire à l'ensemble des départements de la zone dans laquelle on a passé le concours pour espérer être recruté. On doit ensuite passer un deuxième concours, qui ne se résume pas à un simple entretien, mais qui comporte très souvent des épreuves sportives, écrites et orales.
Puis, une fois qu'on a la chance d'être admis, on se trouve placé sous le commandement de personnes dont ce n'est pas le métier, qui ont reçu des formations incomplètes. On découvre la fonction publique territoriale, qui présente de grandes spécificités dans les SDIS. On s'aperçoit que la carrière que l'on avait vue se profiler sera modifiée au gré des réformes et des ajustements qui ont lieu environ tous les dix ans. On voit que les interventions ne correspondent pas tout à fait à nos rêves. On est un peu un couteau suisse, on fait tout et rien : on voit encore des pompiers décrocher des banderoles et faire descendre des gens des arbres dans les manifestations.
En fin de carrière, les dispositifs de reclassement sont peu attractifs, la bonification disparaît et le congé pour raison opérationnelle (CRO) n'est pas correctement appliqué ou l'est dans une trop faible mesure.
Cette mission d'information est donc importante et doit déboucher, à notre sens, sur une réorganisation complète de la sécurité civile. Elle doit prendre en compte les propositions des organisations syndicales ainsi que des autres acteurs.
Le CRO est un dispositif permettant aux pompiers professionnels de quitter leurs fonctions tout en conservant les bénéfices qui y sont attachés. Initialement, il était accessible à partir de 50 ans et cessait à 55 ans, soit à l'âge de la retraite. Depuis la réforme des retraites, on peut demander à bénéficier de ce congé cinq ans avant de faire valoir ses droits à la retraite. À terme, on pourra y prétendre à 54 ans, soit presque à l'âge où le CRO se terminait auparavant. Cela invite à revoir l'aménagement de la fin de carrière des pompiers professionnels.
Je serai heureux de lire vos propositions, qui enrichiront notre réflexion. Nous souhaitons, comme vous, prendre de la hauteur sur notre modèle de sécurité civile considéré au sens large. Notre mission d'information se veut transpartisane et a un champ d'étude interministériel, puisque les sujets qu'elle aborde relèvent du ministère de l'intérieur, de la santé, de l'écologie, etc.
Pourriez-vous préciser votre position sur l'organisation du service public de secours : pensez-vous qu'elle doit être nationale, et non plus départementale ?
S'agissant du rôle des sapeurs-pompiers volontaires et professionnels, monsieur Coullet, j'emploie en effet le mot « métier ». La FNSPF parle au nom des sapeurs-pompiers volontaires, tandis que les organisations syndicales s'expriment au nom des sapeurs-pompiers professionnels et du personnel administratif.
Faut-il, selon vous, opérer une différenciation des missions ? Certains d'entre vous souhaitent revoir le fonctionnement ou les missions des sapeurs-pompiers : faut-il les redéfinir dans leur ensemble ? Le cas échéant, estimez-vous que les associations agréées et les réserves communales de sécurité civile (RCSC) peuvent venir en soutien pour soulager le monde des sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires ?
S'agissant de l'organisation, il n'est pas souhaitable, à notre sens, de quitter le giron départemental. La départementalisation nous a conduits à nous éloigner de l'organisation communale et à perdre une part de proximité avec le terrain et les maires. De nombreux élus s'éloignent des SDIS car ils connaissent mal leur organisation. Les maires ignorent parfois qu'ils n'ont plus la main sur l'organisation de la lutte contre l'incendie et s'en aperçoivent lorsque survient un feu dans leur commune.
En revanche, toutes les strates territoriales doivent participer au financement des SDIS. La région perçoit des financements européens dont les SDIS pourraient bénéficier. Les textes qui ont redéfini les compétences territoriales, telle la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notre), n'ont pas bénéficié aux services d'incendie et de secours.
Notre organisation syndicale n'appelle pas tant de ses vœux une différenciation dans l'action qu'une clarification de ce que sont les SDIS et des bénéfices qu'ils apportent à la population. Il faut déterminer ce que l'on attend d'eux. On peut continuer à tout faire, mais il faut répartir les tâches. On peut envisager de développer l'installation de maisons médicales – où un médecin prend en charge les urgences – à proximité des casernes de sapeurs-pompiers. Dans certains territoires ruraux, les sapeurs-pompiers transportent les patients dans ces établissements.
Cela étant, si les SDIS doivent continuer à assurer les missions de soin et de secours d'urgence aux personnes, il faut leur en donner les moyens. À l'heure actuelle, nous participons à l'aide médicale d'urgence et à diverses actions qui devraient être financées par le ministère de la santé ; or ce dernier ne reverse pas un centime, en dehors des carences. Il est impératif de clarifier les choses. N'oublions pas que le maillage des SDIS leur permet d'être présents partout et en tout temps, même si cela se dégrade aujourd'hui. C'est le service public de dernier recours. Lorsqu'un cheval se promène sur la route, on appelle la gendarmerie, qui appelle le maire, qui alerte les pompiers. C'est à nous de faire le distinguo entre ce qui relève de la compétence des SDIS et ce qui n'est pas de son ressort. Certaines tâches sont partagées avec d'autres, ou sont déléguées, mais pas toujours financées. Les missions doivent être financées, adaptées et assumées par un personnel qui a vocation à les réaliser.
La différenciation des missions ne peut pas se traduire par une modification du statut des sapeurs-pompiers professionnels synonyme de régression sociale. À titre d'exemple, la prime de feu peut évoluer, mais elle doit rester une indemnité de sujétion spécifique aux missions des SDIS. On peut envisager l'institution d'une indemnité de sujétion, un peu sur le modèle de la police et de la gendarmerie, qui soit spécifique aux sapeurs-pompiers ayant vocation à effectuer plutôt du secours et du soin ou plutôt de la lutte contre l'incendie, mais cela ne peut évidemment pas se faire à moindre coût.
La mission de secours présente à nos yeux un caractère régalien. À ce titre, la politique de sécurité civile doit être conduite par l'État. On ne peut pas continuer à tolérer les atteintes au principe d'égalité de traitement que l'on connaît aujourd'hui. Cela étant, je ne suis pas certain qu'il soit souhaitable d'instituer une gestion nationale des services d'incendie et de secours. On note une distorsion entre ce qu'il se passe sur le terrain et les décisions prises par les responsables. Or le conseil d'administration des SDIS comprend des élus de proximité, en particulier des maires. Comme l'ont montré plusieurs de vos auditions, les maires ruraux souhaiteraient être davantage en contact avec le terrain, et recevoir une formation pour cela. L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) demande la participation financière des intercommunalités et les présidents de département souhaitent que le financement des communes et des intercommunalités aille au-delà des limites actuelles.
On se cache toujours derrière le principe de la libre administration des collectivités territoriales pour déroger aux règles ou organiser les SDIS d'une manière inadéquate. Il faut se pencher sur cette question. Quelqu'un pourrait être chargé, au côté du préfet, de contrôler la gestion et l'organisation du SDIS d'une manière un peu plus approfondie que ce n'est le cas aujourd'hui. C'est sans doute cette mauvaise gestion qui nous conduit à nous interroger sur la pertinence de l'échelon départemental. Du point de vue du maillage territorial, le département constitue la bonne échelle. Le niveau communal permet d'être au plus près des réalités, mais n'oublions pas que le décideur est aussi le payeur.
S'agissant de la séparation des missions, notre fédération prône la professionnalisation de la filière. Nous estimons que les pompiers ne peuvent pas tout faire, car ils n'en ont pas les moyens. On pense généralement que les pompiers sont capables d'intervenir en tout temps et en toute heure, mais c'est de moins en moins vrai, car les territoires se vident de leurs pompiers volontaires. Vous pouvez recruter, demain, 200 000 personnes désireuses de s'engager dans la sécurité civile : si elles ne sont disponibles que de huit heures à midi et de quatorze heures à dix-huit heures, vous n'aurez pas plus de sapeurs-pompiers dans les véhicules. Ce n'est pas le chiffre qu'il faut accroître, mais la disponibilité. Lorsque les volontaires ne peuvent se rendre disponibles, il faut affecter des pompiers professionnels et investir autrement dans le secours.
Nous demandons la création d'une filière secours, gestes et soins d'urgence et d'une filière feu, qui englobent les opérations diverses menées aujourd'hui et les spécificités des milieux périlleux, du secours nautique et de la désincarcération. Nous proposons parallèlement de revoir l'organisation et les épreuves du concours, le niveau d'exigence pouvant être un peu moindre compte tenu de la spécialisation des tâches proposée.
Je me permets de reposer ma question sur le rôle que peuvent jouer les associations agréées et les réserves communales de sécurité civile.
On risque de disperser les effectifs au sein de diverses associations qui n'assumeront pas nécessairement les tâches exercées par les pompiers. De surcroît, les budgets ne sont pas élastiques. L'État doit décider ce qu'il veut faire en matière de sécurité civile, concernant en particulier les financements et les moyens employés pour avoir des effectifs disponibles en journée. L'accroissement du rôle des associations risque de réduire davantage les effectifs de pompiers en journée.
Je ne sais pas si, derrière votre première question, monsieur le rapporteur, se cache l'idée d'une étatisation des sapeurs-pompiers. Peut-être suis-je un peu naïf de me poser encore la question… Ce n'est pas souhaitable, car l'échelon départemental est adapté en matière de gestion des risques, d'analyse et de couverture. Encore faut-il, toutefois, que l'on aille au bout de la logique de la loi du 3 mai 1996, dite de départementalisation. J'ai visité cinquante-quatre départements au cours de mon premier mandat, et 80 % des territoires d'outre-mer : les préfets sont les premiers témoins du fait que l'on n'assure pas la pleine application des lois.
Nous avions demandé à M. Darmanin la création d'un corps de l'État rassemblant les personnes travaillant au sein de la DGSCGC, de l'Ensosp et des états-majors de zone. On nous a répondu que ce n'était pas dans l'air du temps.
S'agissant des missions, c'est essentiellement la régulation qui crée la disparité entre les territoires. Or, celle-ci concerne 80 % de nos missions. C'est là que nous avons les plus grandes marges de manœuvre. On attend toujours le décret d'application de la loi Matras sur la mise en place des plateformes uniques de réception des appels.
De nombreuses actions pourraient être assurées par des associations agréées et des réserves communales de sécurité civile. On voit par exemple que, dans le Pas-de-Calais, des pompiers secouristes spécialistes de l'urgence sont mobilisés pour extraire des personnes coincées chez elles par les inondations. Ces structures pourraient s'en charger. En Seine-Maritime, l'information et l'assistance à la population sont assurées par les associations agréées de sécurité civile, ce qui est une excellente chose. Dans les Vosges, ces mêmes associations surveillent les massifs, face aux risques de feux de forêt, comme le faisaient les comités communaux feux de forêt sur l'arc méditerranéen voilà déjà trente ans.
Je ne crois pas que les associations épuiseront le vivier des sapeurs-pompiers. Les deux états d'esprit se complètent. La départementalisation a envoyé un mauvais message aux élus, en particulier aux maires, lesquels ont pris beaucoup de recul en matière de sécurité civile. On leur a même laissé entendre qu'ils ne dirigeraient plus les opérations de secours, ce qui n'est pas le cas.
Les préfectures ont également un rôle capital à jouer dans l'animation du réseau. J'ai moi-même participé l'été dernier à la création d'une réserve communale de sécurité civile en Ardèche. C'est le préfet et ses services qui, en l'occurrence, sont et doivent être à la manœuvre. Il n'y a pas concurrence, mais complémentarité.
Le nombre de pompiers volontaires semble faire consensus, mais il est faux. Ils ne sont pas 200 000.
Un ministre de l'intérieur devenu ensuite Premier ministre a déclaré que la politique nationale de sécurité civile n'est pas la somme des politiques départementales. C'est excellent mais, là encore, c'est faux.
L'échelon départemental est le bon, mais il n'en reste pas moins qu'il est préférable de vivre dans un département urbain et riche que dans un département rural et pauvre.
L'État édicte des règles, mais il cherche aussi à organiser une situation préexistante sans y parvenir ; d'où les explications, ensuite, sur l'impossibilité de respecter ces règles, ce qui se vérifie même pour les plus anciennes, y compris celle de 1881, aux termes de laquelle chaque commune doit disposer d'un corps de sapeurs-pompiers. Les communes qui en avaient en disposent encore et celles qui n'en avaient pas s'en étant toujours passées, elles ne voient pas pourquoi il en serait différemment et les autres communes paient.
La région a des compétences économiques. Il y a quelques années, la Nouvelle-Aquitaine avait décidé d'investir dans un canadair, mais on lui a expliqué que ce n'était pas ses affaires. Pourtant, une région est parfaitement fondée à contribuer au financement des SDIS.
Les associations agréées de sécurité civile et les réserves ont un rôle à jouer mais, le plus souvent, elles servent à décharger les pompiers de certaines tâches. Or, elles devraient accomplir celles que ces derniers ne font pas.
De surcroît, il conviendrait d'éviter les doublons. Le plan Blanc des hôpitaux intègre également les personnels des services médicaux des pompiers du plan Rouge. Le premier qui appuie sur le bouton est servi, même s'il y a de grandes chances que si les pompiers appellent les premiers, l'employeur, in fine, réussisse à récupérer les agents. Compter les gens, c'est bien, mais, lorsqu'ils se trouvent dans chacune des boîtes, leur nombre ne signifie pas grand-chose, les doublons étant nombreux.
Nous considérons que le département est le bon échelon pour répondre aux risques, mais encore faut-il que ce principal contributeur des SDIS soit bien doté et que les indicateurs de financement, notamment s'agissant des contributions du bloc communal, soient actualisés.
Les associations agréées de sécurité civile sont certainement sous-utilisées. Elles devraient jouer un rôle différent, mais lequel, précisément ? Une clarification s'impose, qu'il appartient aux préfectures d'opérer. La loi Matras permet de mieux utiliser les associations, mais je ne sais pas quelles en ont été les conséquences dans les départements. Quoi qu'il en soit, leurs ressources humaines sont volatiles et nous ne pouvons jamais être certains qu'elles pourront remplir leurs missions.
De toute évidence, le volontariat est nécessaire si nous voulons maintenir notre maillage territorial, mais nous appelons de nos vœux un renforcement de l'ossature, c'est-à-dire du nombre de pompiers professionnels, ressource humaine spécialisée, qualifiée et immédiatement disponible. Vous connaissez les risques auxquels nous serons confrontés, vous savez ce qui s'est passé en Gironde et ce qui se passe dans le Pas-de-Calais. Renforçons donc les acteurs professionnalisés afin de mieux répondre aux risques et de favoriser une réponse égale sur tous les territoires !
Qu'attend-on du citoyen ? Qu'il soit un consommateur du service public de secours ou un acteur de la sécurité civile ? Si un gouvernement, demain, considérait la sécurité civile comme un enjeu fondamental et que l'éducation nationale est partie prenante dans la formation de nos enfants, comme cela est le cas aux Pays-Bas ou en Allemagne, nous aurions peut-être plus d'acteurs et moins de consommateurs.
Que pensez-vous du double statut pompiers professionnels-pompiers volontaires, étant entendu que les premiers peuvent avoir un double engagement, soit dans le même centre de secours, soit dans une autre caserne ?
Notre avis est très tranché. Le sapeur-pompier volontaire doit être reconnu comme étant un travailleur. Le respect des normes de santé et de sécurité au travail s'impose rapidement au sapeur-pompier qui a le double statut. Depuis de nombreuses années, nous demandons que le ministère de l'intérieur encadre le temps de travail des sapeurs-pompiers volontaires, encadrement qui s'appliquera donc à celui des sapeurs-pompiers professionnels. La loi dispose d'ores et déjà de bien des choses qu'il suffirait d'appliquer.
Je souscris à une partie des propos de Xavier Boy. Il se trouve que nous participons ensemble aux travaux de la Confédération européenne des syndicats indépendants, qui est un organisme européen, et que la question du temps de travail est proprement européenne. Dans la mesure où la loi définit l'activité de sapeur-pompier volontaire comme un engagement citoyen, je ne considère pas qu'un officier de sapeurs-pompiers, en tout cas un pompier professionnel, soit un sous-citoyen qui ne puisse pas jouir autant qu'un boulanger, un agent de préfecture ou un policier municipal de la possibilité de souscrire un contrat de sapeur-pompier volontaire.
Par ailleurs, même si la France s'acharne à ne pas vouloir faire entrer le statut de pompier volontaire dans le cadre de la directive européenne sur le temps de travail, les tribunaux administratifs français ont déjà tranché et le plafond de 2 256 heures s'impose déjà obligatoirement. Le département des Vosges a ainsi instauré un système de compteur, dans lequel un pompier professionnel qui accomplit 1 607 heures de service et s'engage dans une activité de volontaire incrémente un autre compteur : les chiffres se cumulent, mais le total ne dépassera pas le plafond de 2 256 heures fixé par la directive européenne sur le temps de travail.
Lorsque je suis arrivé dans le Haut-Rhin, tous les pompiers professionnels de ce département étaient obligés de signer un second contrat, sous le statut de sapeur-pompier volontaire. Si on supprimait cette pratique, de nombreux départements connaîtraient des difficultés. Le temps de travail est un problème qui se pose au niveau européen.
Le sapeur-pompier professionnel qui est aussi sapeur-pompier volontaire est une seule et même personne, qui exerce alternativement sous les deux statuts. Comme l'a dit Alain Laratta, on ne peut pas empêcher un sapeur-pompier professionnel d'avoir un engagement citoyen en qualité de sapeur-pompier volontaire, et ce serait d'ailleurs une ineptie que de l'interdire, mais cette activité doit être encadrée exactement comme elle l'est pour les sapeurs-pompiers volontaires qui ne sont pas professionnels.
Notre organisation syndicale n'est aucunement opposée au double statut, mais elle l'est aux dérives du statut de sapeur-pompier volontaire, y compris dans le cadre du double statut. Il faut donc, je le répète, encadrer cette pratique. Certains accomplissent une activité de pompier volontaire en plus de leur activité de sapeur-pompier professionnel parce qu'ils résident dans de petites communes où il ne se justifierait pas d'affecter des sapeurs-pompiers professionnels. En revanche, comme je le disais tout à l'heure, un encadrement s'impose pour éviter les dérives.
Pour information, je signale que, jusqu'au 1er juillet de cette année, les pompiers professionnels engagés dans les colonnes de renfort organisées notamment pour lutter contre les feux de forêt devaient obligatoirement intervenir sous le statut de pompier volontaire, car c'est à ce titre que l'indemnisation était prévue. Une indemnité de mobilisation opérationnelle a été instaurée depuis le 1er juillet – sous réserve toutefois de délibération des SDIS, qui n'ont pas encore tous statué, car les conseils d'administration étaient passés. Même du point de vue national, donc, les pompiers professionnels sont corvéables à merci. Il faut vraiment encadrer tout cela.
Monsieur le député Rancoule, de quel département êtes-vous ?
De Carcassonne, dans le département de l'Aude – je suppose que cela s'entend un peu à mon accent ! Ce département rural dispose d'un corps de 2 000 sapeurs-pompiers, dont 1 800 sapeurs-pompiers volontaires et 200 professionnels, lesquels devaient, comme dans le cas du Haut-Rhin évoqué par M. Pacanowski, s'engager comme pompiers volontaires, mais j'ignore si c'est encore d'actualité. Ils sont en tout cas souvent volontaires, que ce soit dans le même centre pour pallier le manque de professionnels ou, s'ils sont par exemple professionnels à Carcassonne, pour intervenir dans un petit centre qui effectue 300 opérations par an. Ce schéma est intéressant, car le professionnel apporte ses compétences aux volontaires de la caserne, par exemple en tant que formateur. Les facteurs à prendre en compte sont donc multiples.
Je vous posais la question à cause de votre accent. En effet, dans de nombreux départements, notamment du Sud, on impose aux pompiers professionnels d'avoir en parallèle un statut de pompier volontaire, notamment pour faire face aux feux de forêt pendant la période estivale. C'est là une pratique que nous dénonçons. À titre d'exemple, dans le SDIS du Gard, où certains pompiers professionnels n'ont pas pu utiliser l'ensemble de leurs droits à congés durant l'année 2002, le directeur les a autorisés à poser sur l'année 2023 plus de congés qu'ils n'en avaient le droit pour venir travailler sous un statut volontaire. Voilà quelle est l'utilisation du double statut que nous dénonçons ; ce n'est pas celle, majoritaire, qui consiste à exercer une fonction de pompier volontaire dans une petite caserne pour rendre service à sa commune.
On observe même un triple statut, avec des sapeurs-pompiers volontaires, des sapeurs-pompiers professionnels et des sapeurs-pompiers en activité accessoire pour leur propre SDIS, pour de simples raisons budgétaires. On peut en effet placer ainsi un sapeur-pompier professionnel sous statut de sapeur-pompier volontaire – avec la rémunération afférente – pour dispenser des formations de maintien des acquis (FMA) ou des entraînements dans des spécialités lourdes supposant plus de 80 ou 100 heures d'entraînement à l'année, ce qui évite en outre de garder le personnel pour des gardes postées. Ceux qui ne sont pas volontaires sont placés en situation d'activité accessoire pour leur propre employeur, afin d'éviter de devoir rémunérer les heures supplémentaires – ce qui pose une question de légalité. Ce sont là des dérives du recours au double statut, qui serait beaucoup plus approprié, comme le disaient mes collègues, dans le cas d'un sapeur-pompier professionnel exerçant une activité de sapeur-pompier volontaire pour compléter les effectifs d'un petit centre de secours dans la commune où il réside.
La CGT n'est pas opposée au double statut dans le cadre des règles existantes mais, dans certains départements, le temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels programmé atteint déjà, à lui seul, le plafond de 2 256 heures. Le même employeur ne les empêche pas d'être sapeurs-pompiers volontaires – parfois même, il les y incite. Souvent, le statut de sapeur-pompier volontaire est utilisé par les sapeurs-pompiers ou par les employeurs pour déroger aux quelques règles de plafond qui s'imposent.
Les chambres régionales des comptes (CRC) ont transmis trente-quatre rapports, sollicités par la Cour des comptes en 2019 pour rédiger son propre rapport. Dans pratiquement tous ces rapports, elles soulignaient qu'il fallait encadrer le double statut, que ce soit dans le même centre de secours, pour des gardes postées ou pour dispenser uniquement de la formation et déroger aux interruptions de service. En effet, la lecture du droit que font aujourd'hui l'État et le législateur consiste à dire que les sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas des travailleurs, et que la règle est donc qu'il n'y a pas de règles.
Aujourd'hui, donc, cette pratique est vraiment destinée à la dérogation. Les CRC ont ainsi relevé, selon les endroits, des taux de double statut de 97 % ou de 86 %, personnel administratif et technique compris. Dans certains centres, seuls le directeur et le directeur adjoint ne sont pas sous double statut. Dans les années 1990, on utilisait les vacations pour payer les heures supplémentaires. Ces pratiques ont changé de forme, mais n'ont pas totalement disparu.
Le double statut n'est pas l'apanage de l'arc méditerranéen, comme on l'a trop souvent cru. La région qui utilise le plus les doubles statuts et qui en abuse le plus est en effet la région Île-de-France, où il n'est pas rare qu'un pompier professionnel des Yvelines, par exemple, soit volontaire dans le département voisin. Nous sommes donc favorables à un encadrement, comme nous l'indiquons dans notre contribution écrite.
J'invite votre mission d'information à interroger la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), afin que nous ayons une meilleure visibilité sur ce sujet. La libre administration des collectivités territoriales s'impose, mais la DGSCGC peut aussi contrôler l'organisation et la gestion des volontaires dans les SDIS et il serait intéressant qu'elle produise des chiffres à ce propos.
Dans le Haut-Rhin, département qui n'est pas complètement départementalisé, on trouve un triple statut, avec l'ajout des sapeurs-pompiers communaux. Certains de mes collègues figurent sur les trois tableaux. Cela existe donc aussi.
Messieurs, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour nos échanges sur ces questions, qui mériteraient toutefois plus de temps. Il vous est possible de nous adresser des contributions écrites.
Enfin la mission d'information réunit une table ronde, ouverte à la presse concernant les services d'incendie et de secours (SDIS) métropolitains
Nous continuons notre troisième cycle d'auditions, consacré aux personnels et aux associations de sécurité civile, par une table ronde rassemblant les directeurs de plusieurs services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) répartis dans des zones de défense et de sécurité variées de notre territoire métropolitain, étant précisé que nous avons déjà reçu la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et le bataillon de marins-pompiers de Marseille, et que nous avons prévu d'entendre bientôt des représentants de SDIS ultramarins.
Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui M. le contrôleur général René Cellier au titre de la zone de défense Est, M. le contrôleur général Emmanuel Clavaud au titre de la zone de défense Sud-Est, M. le contrôleur général Éric Florès au titre de la zone de défense Sud, M. le colonel Stéphane Contal au titre de la zone de défense Nord et M. le colonel Franck Machingorena, au titre de la zone de défense Sud-Ouest.
M. le contrôleur général Jean-François Gouy, directeur départemental et chef de corps du SDIS du Morbihan, qui devait participer à notre échange au titre de la zone de défense Ouest, ne pourra finalement pas se joindre à nous en raison d'une contrainte imprévue – cela arrive, dans votre métier !
L'objet de cet échange est double. Nous souhaitons d'abord approfondir notre compréhension des défis auxquels vos services sont confrontés sur le terrain, mais aussi bénéficier de votre expérience pour nourrir notre réflexion sur l'organisation de notre modèle de sécurité et de protection civiles dans sa globalité. Notre objectif est d'identifier les marges de progression pour consolider ce modèle dans son fonctionnement quotidien, bien sûr, mais aussi face aux crises majeures, qu'elles résultent de risques naturels, industriels, sanitaires ou sécuritaires. Ces crises pourraient en effet se multiplier, du fait notamment du changement climatique.
Cette table ronde, comme toutes les auditions de notre mission d'information, est enregistrée et sera mise à disposition du public sur le site internet de l'Assemblée nationale. Le compte rendu dont elle fera l'objet sera annexé au rapport de la mission, que nous espérons rendre au printemps prochain.
Je vous remercie, messieurs, d'avoir accepté de participer à cette table-ronde. Nos échanges pourront porter sur le questionnaire que nous vous avons envoyé, mais aussi sur tout autre sujet sur lequel vous souhaiteriez appeler l'attention de la mission d'information. Je vous propose d'évoquer d'abord vos SDIS respectifs, puis le monde sapeur-pompier au sens large, et enfin notre modèle de sécurité civile. Nous cherchons à prendre en compte toute la diversité du territoire français, y compris d'outre-mer, en milieu rural ou urbain, en zone littorale ou de montagne.
Commençons donc par la présentation de vos SDIS respectifs et des contraintes et éventuellement des difficultés que vous rencontrez en termes de recrutement, de capacités ou de moyens, ainsi que de risques spécifiques auxquels vous faites face dans vos territoires.
Merci de votre invitation, c'est toujours un honneur d'être reçu à l'Assemblée nationale.
Le service que je dirige est l'un de ceux qui ne sont pas un SDIS : il s'agit du service d'incendie et de secours (SIS) du Bas-Rhin, qui est présidé, comme le SIS du Haut-Rhin, par le président de la collectivité européenne d'Alsace. C'est un service relativement classique, composé de 4 500 sapeurs-pompiers volontaires et d'un peu moins de 900 personnels administratifs, techniques et sapeurs-pompiers professionnels. Le maillage territorial est très dense en Alsace, mais il existe une différence entre les deux départements : dans le Haut-Rhin, les corps communaux sont prééminents, alors que dans le Bas-Rhin, la totalité ont été intégrés au corps départemental. Je le précise, car ce point pourra être intégré à notre réflexion. Notre budget tourne autour de 100 millions d'euros en fonctionnement et 30 millions en investissement.
J'identifie à l'heure actuelle trois difficultés : la première, partagée par mes collègues, est relative au financement du service ; la deuxième est liée à la disponibilité de nos sapeurs-pompiers volontaires ; la troisième découle d'une perte de sens. La semaine dernière, l'un de nos véhicules de secours et d'assistance aux victimes a dû attendre six heures et demie sur le parking de l'un des centres hospitaliers de Strasbourg avant de pouvoir lui confier la personne qu'il avait prise en charge. Cette situation, qui n'a rien d'exceptionnel, pose la question du sens de notre mission : parfois, notre mission de secours d'urgence aux personnes (Suap) n'a rien d'urgent, ne relève pas du secours et consiste surtout en de l'assistanat – d'où des sapeurs-pompiers, professionnels ou volontaires, qui nous disent qu'ils ne sont pas devenus sapeurs-pompiers pour faire le taxi. En outre, les temps d'intervention deviennent inacceptables, alors que la disponibilité de nos volontaires la journée en semaine est déjà fortement contrainte.
Il s'agit selon moi d'un abus de service public. Lorsque l'on demande à nos sapeurs-pompiers de quitter leur domicile ou leur employeur pour une intervention présentée comme urgente, on leur fait d'abord prendre des risques sur la route. Ensuite, arrivés sur les lieux de l'intervention, ils doivent parfois attendre quarante minutes avant d'obtenir une réponse du centre de réception et de régulation des appels du 15. Enfin, il arrive que la clinique privée vers laquelle ils ont été orientés refuse d'accueillir la personne prise en charge et les renvoie vers l'hôpital public – où ils attendent finalement six heures et demie ! Je caricature à peine. Cela soulève de vraies difficultés : alors que nous nous battons pour que les employeurs libèrent leur personnel, ils sont de moins en moins enclins à le faire, car lorsqu'un sapeur-pompier part en intervention, ils ne le voient plus de la journée, ce qui est tout de même regrettable pour les interventions qui ne relèvent pas de notre mission.
Le service départemental-métropolitain d'incendie et de secours ( SDMIS) a lui aussi un format singulier, car il est issu du redécoupage du département du Rhône et de la création de la métropole de Lyon. Étant commun aux deux collectivités, le service ne connaît pas que des problématiques urbaines. Au total, c'est une communauté de 6 800 hommes et femmes, dont 1 290 sapeurs-pompiers professionnels, 5 200 volontaires et 350 personnels administratifs et techniques. À cette liste, je tiens à ajouter les 1 200 jeunes sapeurs-pompiers. Depuis de nombreuses années en effet, nous avons fait le choix d'investir dans la jeunesse, non pas seulement pour disposer d'un vivier, mais aussi parce que cette expérience est une école de citoyenneté.
Le territoire sur lequel nous intervenons est contrasté, puisqu'il comprend à la fois la deuxième aire métropolitaine de France et de nombreux petits villages, dans des zones très rurales. Parmi nos 100 casernes, 21 sont mixtes, avec des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, et 79 ne sont armées que par des volontaires. La fréquence de sollicitation est élevée, avec 119 000 interventions par an, soit une toutes les 4 minutes 20 secondes. Nous sommes organisés pour faire face aux interventions quotidiennes comme aux situations exceptionnelles, liées aux problématiques particulières de notre territoire, le « couloir de la chimie », où se succèdent de nombreux sites Seveso à proximité de zones très urbanisées et de grandes voies de transport. Lyon étant une métropole européenne, les événements qui y sont organisés peuvent aussi susciter des menaces. Pour faire face à l'ensemble de ces risques, notre budget dépasse 200 millions d'euros.
Les difficultés que nous rencontrons sont proches de celles évoquées par mon collègue. Le volontariat, qui est essentiel, soulève de nombreuses interrogations. Alors que nous avons beaucoup misé dessus historiquement, en mettant en œuvre toutes les dispositions d'engagement différenciées et en le soutenant au maximum, nous constatons aujourd'hui une transformation sociologique qui nous donne le sentiment d'être à la croisée des chemins. Le problème n'est pas tant celui du recrutement que celui de la fidélisation. Surtout, nous observons depuis la crise du covid-19 que nos sapeurs-pompiers ont d'autres activités, ce qui est bien normal mais rend leur engagement moins exclusif et réduit leur disponibilité. Il s'agit, je crois, d'une tendance sociétale forte, qui n'est pas spécifique au Rhône et qui préfigure des changements profonds pour les années à venir.
Nous avons clairement des difficultés sur le plan financier, le bouclage budgétaire devient compliqué.
Enfin, je voudrais souligner que le nombre des interventions de secours d'urgence aux personnes a doublé en vingt ans. Nos difficultés en la matière sont moins marquées que dans le Bas-Rhin, car nous avons la chance d'avoir des temps d'attente moins longs aux urgences, mais elles sont semblables. Nous travaillons en partenariat avec l'ensemble des acteurs de santé, avec lesquels nous avons développé des actions innovantes, mais nous sentons bien que le monde de la santé est en souffrance et en tension, dans la partie urbanisée comme dans les zones rurales. Je rejoins ce qui a été dit au sujet des temps d'immobilisation des sapeurs-pompiers, par exemple pour des transferts très longs, qui sont source de tensions avec les employeurs. Certains volontaires en viennent à renoncer à assurer leurs activités. L'excès de missions de Suap freine la disponibilité et l'engagement ; il démotive les volontaires comme les professionnels, qui estiment souvent que ces missions ne relèvent pas de l'urgence.
Entre le littoral méditerranéen, les départements corses et l'ancienne région Midi-Pyrénées, la zone de défense Sud comprend différentes typologies territoriales. Elle se caractérise par l'arrivée d'un million de vacanciers chaque été, soit un quasiment doublement de la population qui touche non plus seulement le littoral mais aussi, désormais, l'arrière-pays. Le risque de feu de forêt atteint son paroxysme à la même période, tandis que nos sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires, souhaitent eux aussi partir en vacances. Entre la baisse de leur disponibilité et la hausse du nombre d'interventions, nous subissons un effet ciseau qui me semble être très caractéristique de notre activité. En outre, à la fin de la saison des feux de forêt, le département de l'Hérault est touché par les épisodes cévenols et méditerranéens. C'est ainsi celui qui a connu le plus grand nombre de mises en vigilance rouge depuis la création de cette alerte par Météo France.
Le SDIS de l'Hérault est un gros service de première catégorie : il compte 900 sapeurs-pompiers professionnels, 4 000 volontaires et 230 personnels administratifs, pour un budget de 105 millions en fonctionnement et 40 millions en investissement. Pourtant, 80 % des personnels qui interviennent sur les feux de forêt sont des sapeurs-pompiers volontaires. C'est pourquoi notre maillage territorial, composé de soixante-dix centres de secours, est essentiel : il nous permet de conserver suffisamment de sapeurs-pompiers disponibles pendant les congés d'été, et rend possible notre engagement opérationnel à la fois contre les feux de forêt et contre les épisodes cévenols.
Paradoxalement, c'est grâce au secours d'urgence aux personnes que vivent un certain nombre de nos centres de secours l'hiver, faute d'autre activité. Je partage entièrement les propos tenus par mes collègues au sujet du sens des missions. Cependant, dès lors qu'elles relèvent bien de l'urgence, les interventions de Suap sont bienvenues pour ces centres, car sans elles, certains pompiers s'interrogeraient sur l'opportunité de rester et nous manquerions de ressources l'été. En outre, la population a besoin de nous : compte tenu des fermetures de services publics dans les zones rurales, seul le volontariat permet de conserver un maillage de services de secours. Avec les infirmiers sapeurs-pompiers protocolés, qui sont très importants dans nos territoires, nous sommes en mesure d'apporter une réponse paramédicale.
J'insiste, nous apprenons parfois la fermeture du jour au lendemain d'un service d'urgence. Nous la subissons, en ayant l'impression que tout le monde a le droit de fermer en France, sauf nous – car si nous posons la question, on nous explique que nous, nous sommes indispensables. Pourquoi ne le dit-on pas aux autres ? Je comprends les arguments qui conduisent à fermer, pour raison de sécurité, des maternités qui ne réalisent pas plus de 200 ou 300 accouchements par an – parce que pour être bon, il faut pratiquer souvent. Mais alors, qui viendra réaliser les accouchements à domicile à deux heures du matin ? Les sapeurs-pompiers du centre de secours, qui sont très loin des 200 accouchements par an ! Personne ne se demande qui assurera les missions d'un service public qui ferme.
Le sujet du financement, enfin, est fondamental. Le dérèglement climatique rend d'autant plus prégnants les risques auxquels nous sommes confrontés. Lorsque j'ai commencé en tant que volontaire à l'âge de 17 ans, la saison des feux de forêt commençait le 14 juillet pour se terminer avec les premiers orages de la fin du mois d'août. Désormais, elle peut commencer dès le 1er mai, comme cette année, pour s'achever en novembre. Quant aux inondations liées aux épisodes cévenols, les dernières sont arrivées le 1er janvier, à Béziers, alors qu'elles survenaient autrefois fin août. Le dérèglement climatique est bien réel et nous impose de nous adapter. Le nombre de missions explose et nos concitoyens ont besoin, à juste titre, de services publics qui soient présents pour eux.
Le financement doit donc être adapté en conséquence. La révision de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance, au sujet de laquelle l'association Départements de France a lancé une discussion, est un vrai sujet. La notion de « valeur du sauvé », qui se développe dans un nombre croissant de SDIS, nous permet de mettre en perspective notre action, entre nos financements et la valeur de ce que nous sauvons. Globalement, j'ai le sentiment que le système actuel touche à sa fin et qu'il va falloir réfléchir aux effets de l'absence de liberté financière des collectivités mères – communes, établissements publics de coopération intercommunale et départements – dont les ressources n'évoluent pas, alors que le nombre d'interventions de secours explose.
Le SDIS de la Somme est représentatif de ceux de nombreux départements de France, avec 400 sapeurs-pompiers professionnels, 100 personnels administratifs et techniques et environ 2 000 sapeurs-pompiers volontaires. Il possède une particularité intéressante, dans la mesure où il combine des territoires très ruraux, une façade maritime et une zone densément peuplée, celle de l'agglomération d'Amiens. Nous disposons, pour couvrir l'ensemble de notre territoire, de cinquante-six centres de secours, avec une vingtaine de corps communaux du côté de la Picardie maritime. Quarante-six de ces centres fonctionnent uniquement avec des astreintes de sapeurs-pompiers volontaires. Cet engagement citoyen sur le territoire samarien est particulièrement précieux et concourt à un beau modèle de sécurité civile.
Tout comme mes collègues, je crois que le problème ne concerne pas tant le nombre de volontaires que leur fidélisation et leur disponibilité, en jours-semaine notamment, c'est-à-dire du lundi au vendredi en journée. Nous organisons de plus en plus de gardes postées dans nos centres de secours les jours de la semaine. Et alors qu'auparavant, nous trouvions facilement notre lot de sapeurs-pompiers volontaires le week-end, nous avons plus de mal désormais à atteindre notre potentiel opérationnel journalier, surtout les week-ends estivaux et printaniers.
Contrairement à d'autres départements, nous n'avons pas de difficultés liées au sens de notre mission et au Suap. Nous avons des rapports très sains avec nos collègues du monde de la santé. Ces dernières années, nous nous sommes inquiétés, comme beaucoup, du nombre d'interventions pour carence d'ambulance privée. Le problème, néanmoins, a été en partie résolu par les gardes ambulancières organisées à la suite de la publication du décret portant réforme des transports sanitaires urgents et de leur participation à la garde. L'équilibre qui a été trouvé me paraît convenable pour nos sapeurs-pompiers. Il est vrai, en revanche, que nous sommes tributaires des fermetures de centres hospitaliers ou de services d'urgence, qui surviennent du jour au lendemain. Nos sapeurs-pompiers volontaires, difficilement disponibles en semaine, doivent consacrer deux ou trois heures à assurer des transferts : dans notre département, ce n'est pas l'attente à l'entrée des centres hospitaliers qui pose problème, mais le temps de transport.
Comme tous les départements français, nous observons une récurrence inquiétante des crises. Des risques auparavant aléatoires surviennent désormais tous les deux ou trois ans : alors que les feux de champ, de blé sur pied ou de récoltes n'ont jamais été un sujet d'inquiétude en zone Nord, nous avons dû assurer durant les étés 2019 et 2022 des engagements opérationnels très importants pour y faire face, allant jusqu'à deux tiers des personnels disponibles. Nous avons également connu des tempêtes et tornades particulièrement violentes. Pour résumer, l'intensité des événements s'est accrue. Notre fonctionnement atteint ses limites, et nous ne sommes pas à l'abri d'une rupture capacitaire. Ce qui plane, c'est la menace de la loi de Murphy. Les drames que vivent ces jours-ci nos collègues du Pas-de-Calais le montrent bien : si plusieurs territoires du Nord et de la Somme étaient confrontés simultanément à des crises de grande intensité, il nous serait très difficile d'y faire face.
Il me semble que, s'agissant du risque courant, et mis à part les questions complexes du Suap qui impliquent des rapports avec le monde de la santé, notre système de financement fonctionne et reste soutenable. En revanche, le coût de tout ce qui sort du domaine courant est beaucoup plus lourd. Ce sont des interventions sur des risques complexes, qui demandent l'engagement de matériels coûteux et des formations spécifiques, et qui font croître encore la polyvalence de nos missions. Sans aide de l'État, notamment pour le financement des investissements nécessaires grâce au pacte capacitaire, les collectivités auraient beaucoup de mal à financer ces coûts.
Enfin, les 400 jeunes sapeurs-pompiers de notre département constituent un vivier très précieux, puisqu'ils constituent la moitié des sapeurs-pompiers volontaires qui entrent chaque année, ce qui est notable. Les jeunes et les volontaires distillent une citoyenneté et une compréhension de la sécurité civile dans la population, même s'ils ne restent pas aussi longtemps que nous le souhaiterions. Ils donnent de la robustesse à notre fonctionnement et nous permettent de constituer des effectifs suffisants pour faire face aux crises.
La zone Sud-Ouest et bien représentative de l'hétérogénéité à laquelle la sécurité civile doit faire face, aussi bien dans les risques que dans la taille des départements. Il est bien évident que les SDIS de la Creuse et de la Gironde n'ont pas la même capacité de réponse – alors que les exigences de la population sont les mêmes. Il faut donc mobiliser différemment ses ressources pour fournir une réponse identique. Quant aux risques, et donc aux besoins, ce ne sont pas du tout les mêmes non plus entre les Landes, les Pyrénées-Atlantiques et la Haute-Vienne.
Il existe également des différences en termes d'effectifs et de répartition entre volontaires et professionnels. Le SDIS que je dirige, avec ses trente centres de secours, compte 900 sapeurs-pompiers volontaires et 200 professionnels, ce qui est assez restreint pour la réponse opérationnelle que nous devons fournir.
Concernant le volontariat, qui est très important chez nous donc, la difficulté est celle qui a été soulevée par mes collègues : la perte de sens. Il y a un changement de mentalité entre les générations, car si les sapeurs-pompiers volontaires de mon âge voient le volontariat comme une carrière, les jeunes le voient comme une activité temporaire. Cela se voit au moment même du recrutement. Il nous est donc difficile de renouveler nos effectifs. Un autre changement de mentalité, qui concerne toutes les générations celui-là, est particulièrement manifeste depuis la crise du covid-19 : l'investissement dans les associations n'est plus le même. Désormais, les bénévoles sont disponibles de façon plus intermittente. Par exemple, on peut compter sur un volontaire pour tout un week-end d'astreinte où il s'investit à fond, mais pas pour le week-end suivant.
Dans mon département, nos effectifs sont en quantité suffisante et nous arrivons tant bien que mal à les maintenir. C'est pour la disponibilité que nous avons des difficultés, principalement en journée – et j'ai connu la même chose dans les Ardennes. Cela s'explique par le fait que la majorité de la population ne travaille plus sur son lieu de vie. Nous devons donc solliciter les jeunes sapeurs-pompiers et les employeurs, privés comme publics, des sapeurs-pompiers volontaires, afin qu'ils les libèrent ponctuellement en journée. Les employeurs publics libèrent sans doute plus facilement leurs employés, mais même chez eux, on sent une diminution : les effectifs doivent en effet être libérés pour une durée croissante – le temps d'intervention reste stable, mais les temps de trajet s'allongent – qui atteint souvent dans notre département une demi-journée pour une seule intervention. Les élus jouent le jeu et nous soutiennent, mais je constate que les maires s'éloignent peu à peu de leur rôle dans la gestion des effectifs. Je crois qu'il y a vraiment à y réfléchir avec les collectivités locales.
Pour pallier ces difficultés et maintenir nos conditions de fonctionnement, la question du financement est centrale. Augmenter les effectifs de sapeurs-pompiers volontaires est nécessaire, mais représente des moyens – en formation ou en habillement notamment – alors que nos coûts, comme ceux de toute organisation, sont déjà en augmentation.
Le risque de rupture capacitaire, définie comme une absence de réponse opérationnelle, était jusqu'à présent principalement évoqué à propos d'événements exceptionnels, comme les feux de forêts de grande ampleur. Il concerne désormais de plus en plus les risques courants. C'est d'autant plus préoccupant que les risques exceptionnels s'étendent : événements climatiques, risques sanitaires, risques technologiques, risque d'attentat. Cela pose la question de l'engagement des élus et des citoyens, mais également celles de la formation et des financements. Estimez-vous que vos personnels sont suffisamment formés à ces nouveaux risques, et que vos financements sont suffisants pour y faire face ? De façon générale, estimez-vous que le modèle de sécurité civile peut continuer à fonctionner tel qu'il existe aujourd'hui ?
La rupture capacitaire concerne effectivement les risques courants : quand nous n'avons personne dans un centre en journée, nous ne pouvons pas répondre aux sollicitations – sans même parler des feux de forêts qui brûlent désormais sur de longues durées. La baisse de la disponibilité des sapeurs-pompiers volontaires est manifeste. Elle s'est accentuée ces dernières années, et plus particulièrement à partir de la crise du covid-19, qui a marqué un changement des mentalités. La rupture capacitaire pour les risques courants est donc une réalité, plus particulièrement marquée dans les territoires ruraux et les jours de la semaine. Pour maintenir la résilience de notre système dans ces conditions, nous nous posons la question, alors que nous n'avons plus assez de personnel pour assurer l'astreinte sur une commune ou un centre, d'envisager des gardes. Il faudrait alors autoriser les sapeurs-pompiers volontaires à y participer, ce qui soulève, autre problématique, le risque de voir le temps de garde être assimilé à du temps de travail. Mais c'est peut-être l'un des moyens de pouvoir continuer à répondre à toutes les sollicitations à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.
La rupture capacitaire sur les missions quotidiennes est déjà une réalité, principalement en journée dans les territoires ruraux. Je le constate dans le Rhône, comme je l'ai fait en Savoie et dans les Alpes-de-Haute-Provence. Il nous arrive d'avoir plusieurs centres dans l'incapacité de faire face – je parle bien des interventions courantes.
Nous travaillons avec l'ensemble de nos partenaires pour y remédier, mais les solutions valables pour un territoire ne le seront pas forcément pour un autre. Comme notre système est agile, je pense qu'il faut nous laisser un peu plus de souplesse pour inventer des solutions locales, dans le cadre d'un contrat de territoire impliquant tous les acteurs, plutôt que dans celui d'un contrat capacitaire global au niveau national avec des indicateurs généraux de performance. Avec le dérèglement climatique, la rupture capacitaire sera sans doute amenée à s'accentuer, face à des missions plus nombreuses et plus intenses. On sait que la saison des feux de forêts s'allonge – de trois mois il y a vingt ans, elle est passée à cinq ou six mois – et qu'elle enchaîne avec les tempêtes et inondations.
Notre système est robuste – il l'a démontré lors de la crise sanitaire, où il a été poussé à bout – mais je pense qu'il est arrivé en fin de cycle. Nous devons absolument préserver ses qualités, tout en nous efforçant de renforcer les effectifs et d'améliorer leur disponibilité. Il faut donc chercher d'autres viviers – les réserves ne doivent pas être un sujet tabou, mais pas non plus vues comme la solution miraculeuse. Il faut également mieux comprendre le volontariat. Je pense d'ailleurs qu'il n'y a pas un, mais des volontariats et qu'avant d'élaborer de grands plans nationaux ou départementaux, il serait bon de mener des enquêtes sociologiques pour comprendre qui sont les sapeurs-pompiers volontaires. J'ajoute que beaucoup de sapeurs-pompiers professionnels ont le double statut, car ils exercent en ville et sont volontaires aussi dans les territoires ruraux où ils habitent.
Ce dernier point fait émerger un sujet important : je pense que la réflexion sur l'évolution de notre modèle de sécurité civile doit prendre en compte l'ancrage territorial. La marque de fabrique d'un sapeur-pompier est sa connaissance du territoire. Cet ancrage doit se retrouver dans la doctrine d'emploi et dans la souplesse des outils mis à notre disposition pour trouver des solutions localement adaptées à la rupture capacitaire, car, si l'évolution des outils réglementaires nous a permis de nous adapter, cette capacité d'adaptation me semble aujourd'hui épuisée.
Il nous faut inventer autre chose. Cette réflexion devra être menée de façon globale avec tous les acteurs. Notre sécurité civile est hybride, polymorphe et intégrée, ce qui constitue la spécificité du modèle français et fait sa force. Nous pouvons aller chercher un spécialiste – pilote, démineur… – et le faire travailler avec les autres acteurs. Notre modèle peut être vu comme un agrégat de statuts, de métiers et de compétences, orienté par une politique cohérente, et structuré par une organisation hiérarchique régalienne, dont le préfet est à la tête.
Il faut réfléchir à l'ambition que nous avons pour l'avenir de notre modèle de sécurité civile. Nous donnons tous les jours, avec les élus, les préfets et les équipes, le meilleur de nous-mêmes pour éviter d'avoir à vivre ce cauchemar que nous avons tous de ne pas pouvoir répondre à une demande de secours – car, au-delà des chiffres, chaque demande est importante. C'est un gros défi pour l'avenir.
La production d'un SDIS, c'est de faire face aux risques. Notre travail est donc d'assurer une capacité humaine et matérielle à assurer des interventions, qu'elles aient lieu ou non. La rupture capacitaire est aujourd'hui quotidienne ; elle intervient lorsqu'un centre n'est pas capable de répondre à une demande de secours. Elle peut s'expliquer par un manque de moyens humains, mais je voudrais souligner qu'il peut également s'agir d'un manque de moyens matériels. Les effets du dérèglement climatique se développent en effet plus rapidement que la capacité de financement de certains investissements. Les plans de financement d'équipements structurants mis en place par l'État doivent donc se poursuivre. Il serait aussi intéressant de créer un fonds de dotation spécifique financé par la valeur du sauvé, comme le suggère le rapport Falco : en effet, les disparités de moyens matériels entre les SDIS, qui ont résulté de la départementalisation, sont très importantes.
Au niveau des effectifs, la rupture capacitaire peut arriver tous les jours. Il suffit qu'un centre de secours engage trois personnes à 10 heures du matin pour qu'il soit incapable de faire face à un départ incendie. Et la demande de secours est croissante : en métropole, si on doublait le nombre d'ambulances, elles seraient immédiatement absorbées par la demande ! Nous devons donc faire comprendre à nos partenaires du Samu que nous ne pouvons pas mobiliser tous nos moyens pour le secours à la personne, car sinon, les feux ne seraient pas éteints. La gestion de la rupture capacitaire demande une forte coordination avec l'ensemble des partenaires, afin de mieux comprendre ce qui peut être différé. Cette coordination existe à certains endroits, mais pas du tout à d'autres ; en tous les cas, il faut la développer.
Quant au manque de moyens humains, on note que la directive européenne sur le temps de travail pèse lourd sur le volontariat. Il va falloir que la France se positionne clairement pour modifier cette directive, ou surtout pour promouvoir une directive sur l'engagement citoyen qui permettrait de développer les réserves de sécurité civile, d'augmenter le nombre de volontaires et de former le grand public. Seule cette formation permet de faire face, en cas de rupture capacitaire, à la notion fondamentale de l'impossible opérationnel. C'est ce que l'on a vécu par exemple à Trèbes lors des inondations de 2018 : l'eau est montée tellement rapidement qu'il n'était pas possible d'envoyer le moindre sapeur-pompier pour sauver les personnes, c'était trop tard. La formation du grand public nous permettra peut-être de différer cet impossible opérationnel, et aussi de modifier certaines habitudes. Ainsi, la population des villes fait plus appel aux secours que celle des campagnes et a développé une certaine habitude de consommation du service de secours à la personne.
Enfin, la formation des élus est, elle aussi, indispensable. N'oublions pas que le maire est le premier échelon de la gestion des crises : si nous arrivons à retravailler avec lui, il nous aidera à recruter des sapeurs-pompiers volontaires, il créera sa réserve communale de sécurité civile ; en somme, cela ne pourra que faire reculer la rupture capacitaire.
Concernant les risques courants, je préfère employer l'expression de dégradation de la réponse plutôt que celle de rupture capacitaire. Elle décrit mieux la réalité : si mon camion est occupé quelque part quand la deuxième mission arrive, j'arriverai toujours à l'envoyer, mais dans des délais plus longs. La véritable rupture capacitaire arrive devant les crises, que notre monde a rendues hybrides et polymorphes et qui dépassent l'échelon départemental auquel les SDIS opèrent. Pour mieux faire face à de telles crises, il est nécessaire que nous puissions travailler avec tous les acteurs impliqués. La loi Matras (loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels), en créant le contrat territorial de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces (Cotrrim), vise à nous préparer à ces ruptures capacitaires.
L'échelon départemental est le bon échelon pour faire face aux risques courants et à une grande partie des risques complexes, mais il a forcément vocation à être en rupture capacitaire pour ce qui sort de la norme. L'échelon zonal est celui qui permet de faire face aux crises hybrides : la planification financière doit être faite en collaboration avec les directions d'administration centrale, puisque ce ne sont pas les collectivités locales qui financent les moyens de sécurité civile à cet échelon. Je souligne que ces crises ont plusieurs dimensions : on l'a bien vu avec la pandémie de covid-19, qui était d'abord une crise sanitaire, avec des implications pour la sécurité civile. Un outil comme le Cotrrim permet de prendre ces différentes dimensions en considération.
Il faut créer des espaces au niveau zonal qui favorisent la coordination entre les acteurs – associations agréées de sécurité civile, partenaires de la santé, préfets de zone et de départements… – afin qu'ils puissent se connaître et travailler à la planification. Tous les textes qui sortent depuis trois ans visent à raffermir cet échelon zonal et l'on voit émerger de tels espaces, mais cela reste encore embryonnaire, notamment dans le domaine financier.
Les SDIS sont capables de s'adapter aux risques émergents en discutant entre eux, ce qui leur permet de faire très rapidement évoluer la doctrine sur la manière d'y faire face – par exemple en ce qui concerne les feux de batteries des véhicules électriques. Autre chose est ensuite de mettre en œuvre les solutions retenues : cela suppose de disposer des ressources nécessaires pour former les personnels.
Du point de vue statistique, les SDIS sont capables de répondre à tout risque, quel qu'il soit. Je veux dire par là que nous trouverons toujours des personnels disponibles, qu'ils soient de garde ou rappelés, pour fournir une première réponse. Mais la question est de savoir si l'on peut faire face en même temps à tous les risques au sein du département, quelle que soit leur ampleur. La réponse est non. Nous devons travailler avec nos collègues d'autres SDIS et recourir régulièrement à leur aide pour renforcer les secours.
Il faut aborder les risques particuliers à l'échelon national et zonal. Dans ce dernier cas, il existe des unités d'intervention de sécurité civile qui sont dimensionnées pour répondre à un certain nombre de cas en mobilisant du personnel. Développer ces unités ne serait pas complètement absurde. Une section de ce type va être créée dans la zone de défense Sud-Ouest, mais on pourrait aussi envisager de renforcer les capacités de ces unités dans le département.
S'agissant de la formation, il faut éviter de fixer trop d'obligations réglementaires. Restons-en à la doctrine et aux bonnes pratiques plutôt que d'élaborer des textes contraignants. Par exemple, concertant l'utilisation des drones qui se développe actuellement en France, il est nécessaire de disposer d'un permis pour les piloter, avec une formation d'une semaine. Il est inutile de prévoir une réglementation particulière pour les personnels chargés de la sécurité civile. On pourrait faciliter le fonctionnement des SDIS en limitant ce genre de contraintes réglementaires. L'un des sujets essentiels, sans préjuger des conclusions de cette mission d'information, est celui du rôle et de la formation des élus, quelle que soit la taille de la commune, y compris en tant que directeurs des opérations de secours (DOS).
Les élus peuvent aussi s'appuyer sur des réserves communales de sécurité civile, même si elles sont inégalement réparties sur le territoire. Que pensez-vous de ces réserves ? Faut-il les développer ? Elles témoignent aussi de l'engagement des citoyens, qui doivent peut-être devenir les premiers acteurs de la sécurité civile – ce qui suppose de les former.
Que pensez-vous de la constellation des associations agréées de sécurité civile ? Sont-elles connues et reconnues ? Les côtoyez-vous et travaillez-vous régulièrement avec elles, ou bien sont-elles encore trop rares pour soulager les SDIS en assurant certaines de leurs missions ?
Cela nous amène à la vaste question de ce que doivent être les missions des sapeurs-pompiers, et notamment de savoir s'ils doivent seulement traiter l'urgence.
Les réserves et les associations de sécurité civile sont essentielles, mais il faut que chacun sache bien quelle est sa mission, autrement dit que les différents acteurs soient solidaires, mais qu'ils ne cherchent pas les uns à faire le travail des autres.
Comme l'a dit Éric Florès tout à l'heure, la préparation de la population et des élus est essentielle pour éviter que l'on abuse parfois des secours. Avec l'association des maires du Bas-Rhin, nous avons proposé aux élus de les former à la gestion de crise. La démarche est encore embryonnaire, mais ceux qui y ont participé ont trouvé cela très intéressant.
En ce qui concerne les moyens locaux de la sécurité civile, le code général des collectivités territoriales précise très clairement quel est le rôle des sapeurs-pompiers.
La réserve communale de sécurité civile est importante pour accompagner le maire dans sa gestion de la crise et de ses suites. Mais il faut veiller à ce que ces réserves n'assèchent pas le vivier de recrutement des sapeurs-pompiers volontaires. À l'inverse, elles pourraient accueillir ceux d'entre eux qui veulent se mettre un peu en retrait d'une activité de volontaire très exigeante en matière de formation et d'engagement. Encore faut-il que les périmètres d'activité respectifs des SDIS et des réserves soient bien délimités et que certains ne cherchent pas à empiéter sur celui des autres.
Les associations de sécurité civile constituent une troisième force, tout aussi essentielle pour la gestion de crise. Mais, encore une fois, elles ne doivent pas avoir envie de faire le travail des sapeurs-pompiers – c'est du vécu, pour ma part, dans le Bas-Rhin.
Il est également nécessaire de former le plus largement possible la population. Cela passe notamment par la formation des jeunes à l'école – ce que nous faisons dans beaucoup de départements.
Je suis complètement d'accord avec ce qui a été dit sur l'importance du rôle des élus. Lors d'un événement, le maire ou son représentant assurent la fonction de DOS. C'est donc un acteur clé de la réponse institutionnelle.
Dans le Rhône, en coopération avec l'association des maires du département, nous avons organisé une action qui s'appuie sur un travail réalisé à l'origine au sein de l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). Il s'agit d'un programme et de contenus destinés aux officiers qui doivent animer des sessions de formation à la gestion de crise à destination des élus. Nous avons dispensé cette formation pendant un an, et le retour des élus est excellent. Là encore, il s'agissait d'une première étape embryonnaire, mais nous allons en organiser à nouveau. Il s'agit de séquences de sensibilisation, suivies par des exercices de mise en situation – d'abord l'apport de connaissances, puis la mise en œuvre.
Nous souhaitons amplifier cette action, mais encore faut-il le pouvoir ! On en revient là au fait que les ressources ne sont pas les mêmes selon la taille des collectivités locales. Pourtant, le besoin est identique dans les territoires très ruraux – voire supérieur, car les délais d'intervention sont plus importants, puisqu'il est nécessaire de recourir à des aides extérieures.
Dans la formation des élus aussi donc, il y a une forme de rupture d'égalité. Il faut s'interroger sur ce point : puisqu'il est évident que leur rôle est important, leur formation ne peut pas reposer seulement sur les moyens dont nous disposons. Nous avons tous constaté l'intérêt des élus et le besoin qu'ils expriment, mais certains d'entre eux abandonnent, plus par manque de moyens que de volonté.
Je ne sais pas quel est le nombre de communes qui ont créé une réserve communale de sécurité civile, mais il est faible. Je n'en ai pas vu au cours de ma carrière, même si je sais qu'il y a des évolutions en Seine-Maritime. Il en existe sans doute, mais je pense que si les communes n'ont pas saisi en masse cette opportunité prévue par la loi, et qui était une bonne idée, c'est qu'il faut de nouveau étudier le dossier.
Il faut repartir du besoin, pour déterminer avant tout quels doivent être les missions de la réserve et son domaine d'activité. Une fois cela fait, on pourra réfléchir au vivier des acteurs qui peuvent l'assurer, et aborder la question du statut des personnels. Raisonner en ne se préoccupant que du statut, c'est prendre le problème à l'envers.
Par exemple, lorsque je dirigeais un SDIS du sud de la France, les sapeurs-pompiers retraités membres d'une association d'anciens venaient nous aider ; ils assuraient le soutien logistique afin d'accueillir les colonnes de renforts venant d'autres départements. Avoir ces personnes qui veillaient sur les équipes qui venaient prendre un temps de repos dans les casernes était extrêmement appréciable. En revanche, il s'agit de personnes plutôt âgées, dont la condition physique ne permet pas toujours qu'on les engage sur des missions même péri-opérationnelles.
Dans le cas des inondations dans le Pas-de-Calais, on pourrait par exemple considérer que le rôle des sapeurs-pompiers n'est pas d'aller remettre des médicaments ou de transporter des gens dans des zones sans risque pour éviter qu'ils se mouillent les pieds, et que cela pourrait être fait par d'autres acteurs. Voilà pourquoi il faut partir de la mission des sapeurs-pompiers.
La réserve communale de sécurité civile constitue un outil, mais elle ne permettra pas de répondre à l'ensemble des besoins et n'a, jusqu'à présent, pas été très utilisée. Elle pourrait pourtant faire partie des forces projetées dans la bataille contre les feux de forêt. Ainsi, même pour des missions de moindre intensité, comme l'extinction des lisières, on ne peut pas envoyer des gens qui ne sont ni formés, ni équipés – le citoyen lambda, armé de sa seule bonne volonté. En revanche, un citoyen un peu préparé et équipé peut être utile pour un spectre d'actions qui ne sont pas de haute ou de moyenne intensité.
Il nous manque une approche globale, qui permette d'organiser les choses et d'éviter que les actions menées par les uns et les autres se télescopent. L'expression de « constellation des associations » qui a été employée à juste titre correspond à la réalité de la sécurité civile. C'est une mosaïque, qui doit obéir à un schéma cohérent où chacun a sa place. Il faut que nous y réfléchissions davantage pour assigner à chacun la bonne mission au bon moment, car nous pressentons que les événements vont être de plus en plus intenses et que les missions vont exiger un soutien qui s'inscrira davantage dans la durée.
J'ai déjà dit combien je suis convaincu que la formation des élus est nécessaire. Dans mon département, nous l'assurons depuis trois ans, en commençant par les risques naturels. Sur 340 communes, 220 ont déjà bénéficié d'une formation. Tous les ans, nous organisons pour les acteurs essentiels que sont les DOS des exercices simples, imaginés par l'Ensosp et que nous adaptons à chacun des territoires.
De nombreuses décisions relèvent du maire, qu'il s'agisse de confiner la population ou bien de l'évacuer lorsqu'il y a un risque d'inondations ou de feux de forêt. De telles décisions doivent être prises très rapidement. Donc, oui, les élus doivent se sentir concernés, ce qui leur permet également de comprendre l'intérêt de disposer de sapeurs-pompiers volontaires, d'une réserve communale de sécurité civile et d'un plan communal de sauvegarde qui soit opérationnel – plutôt que de confier à une entreprise le soin de le rédiger, sans ensuite jamais l'ouvrir. Dès que ce plan est déclenché, nous envoyons un officier de sapeurs-pompiers auprès de la commune.
Lorsque les réserves communales de sécurité civile sont créées dans des communes qui ont fait face à un événement ponctuel, on s'aperçoit qu'elles meurent de leur belle mort si le risque n'est pas récurrent et qu'il n'y a pas d'activité. C'est la raison pour laquelle les premières réserves ont été créées dans les communes qui subissent des feux de forêt : elles y sont bien vivantes, puisque ce risque revient chaque année. Nous avons besoin que des retraités – et désormais de plus en plus de jeunes – patrouillent en véhicule dans les forêts. Ils ne sont pas là pour éteindre les incendies, mais pour effectuer de manière visible des actions de prévention dans des massifs à risque.
Nous avons besoin de ces réserves communales de sécurité civile. Le maire de Montpellier a récemment souhaité en créer une, et le SDIS l'a bien entendu accompagné. Les grandes communes font face à de grands risques et il faut pouvoir y répondre.
S'agissant des autres associations agréées de sécurité civile, la loi Matras permet – à l'instar de ce qui se faisait à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris – de les engager de manière opérationnelle dans le cadre des missions des SDIS. La Croix-Rouge ou d'autres associations agréées vont ainsi intervenir à la place des sapeurs-pompiers. Dans mon département, des conventions ont déjà été signées avec la Croix-Rouge et la Protection civile car nous avons besoin d'elles, et que cela permet aussi de canaliser leur action dans certaines missions. Le SDIS doit jouer un rôle de coordonnateur de cette mosaïque d'associations. C'est aussi une manière de contribuer à la résilience de la population car, une fois que la tempête est passée, ces associations ont un rôle à jouer dans le retour à la normale, tandis que le SDIS recommence à se consacrer aux urgences.
Je suis convaincu que l'une des missions des sapeurs-pompiers est précisément d'être au cœur de la formation des citoyens et des élus sur les risques de sécurité civile. Le rôle du DOS est en effet primordial dans les postes de commandement avancés, ou lors de n'importe quelle situation de crise. Ce n'est pas simple dans un département comme la Somme, où l'on compte 780 communes, ce qui fait autant d'interlocuteurs. C'est une question majeure pour les SDIS, et elle devrait d'ailleurs figurer comme telle dans leur fiche de missions.
S'agissant des associations agréées de sécurité civile et de la réserve communale, il faut relever que ces structures reposent sur l'engagement des citoyens, tout comme le volontariat. Le lien avec elles est précieux, mais aussi fragile. Ce qu'il nous manque, dans notre réflexion sur la manière dont nous générons les forces pour pouvoir répondre à des crises, c'est de le faire à une échelle qui dépasse le seul département. C'est dans ce cadre que l'on pourra tisser des liens avec les associations et se donner le temps et les moyens de préparer la manière dont elles agiront, notamment au sein des postes de commandement qui seront placés sous l'autorité de préfet en cas de crise. Cela suppose de faire des exercices pour mieux se connaître et apprendre à travailler ensemble.
Les auditions servent souvent à faire évoluer nos avis et à obtenir des éléments nouveaux. Celles qui ont eu lieu aujourd'hui ont surtout confirmé ce que nous savions déjà : il faut faire évoluer les modes de fonctionnement pour mieux anticiper, revoir les modes de financement et travailler véritablement sur l'attractivité – c'est-à-dire être honnête sur la réalité du métier de sapeur-pompier. Il faut aussi probablement examiner de nouveau les missions, afin de prendre en compte l'ensemble de celles qui sont nécessaires.
Cela nous donne des idées d'amendements pour les prochains projets de loi de finances, monsieur le rapporteur.
Ces discussions ont été très riches, à propos de l'engagement, du sens de la mission, des financements ou de la formation tant des élus que des citoyens. Mais il y aurait encore beaucoup à dire. N'hésitez pas à nous faire parvenir des contributions écrites. Vous pouvez le faire à partir du questionnaire qui vous a été adressé, en vous sentant libres d'ajouter ce que vous jugerez utile. Merci pour vos propos très denses.
L'essentiel a été dit. Comme l'a indiqué Mme Regol, de nombreuses pistes sont apparues et nous avançons vite, en particulier sur le sujet prégnant de l'acculturation de la population et des élus – nécessaire pour faire fonctionner le mieux possible cette fameuse constellation d'acteurs.
Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour participer à nos travaux.
La séance est levée à seize heures.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles
Réunion du jeudi 16 novembre 2023 à 9 h 35
Présents. - Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Lisa Belluco, Mme Gisèle Lelouis, M. Didier Lemaire, M. Julien Rancoule