La production d'un SDIS, c'est de faire face aux risques. Notre travail est donc d'assurer une capacité humaine et matérielle à assurer des interventions, qu'elles aient lieu ou non. La rupture capacitaire est aujourd'hui quotidienne ; elle intervient lorsqu'un centre n'est pas capable de répondre à une demande de secours. Elle peut s'expliquer par un manque de moyens humains, mais je voudrais souligner qu'il peut également s'agir d'un manque de moyens matériels. Les effets du dérèglement climatique se développent en effet plus rapidement que la capacité de financement de certains investissements. Les plans de financement d'équipements structurants mis en place par l'État doivent donc se poursuivre. Il serait aussi intéressant de créer un fonds de dotation spécifique financé par la valeur du sauvé, comme le suggère le rapport Falco : en effet, les disparités de moyens matériels entre les SDIS, qui ont résulté de la départementalisation, sont très importantes.
Au niveau des effectifs, la rupture capacitaire peut arriver tous les jours. Il suffit qu'un centre de secours engage trois personnes à 10 heures du matin pour qu'il soit incapable de faire face à un départ incendie. Et la demande de secours est croissante : en métropole, si on doublait le nombre d'ambulances, elles seraient immédiatement absorbées par la demande ! Nous devons donc faire comprendre à nos partenaires du Samu que nous ne pouvons pas mobiliser tous nos moyens pour le secours à la personne, car sinon, les feux ne seraient pas éteints. La gestion de la rupture capacitaire demande une forte coordination avec l'ensemble des partenaires, afin de mieux comprendre ce qui peut être différé. Cette coordination existe à certains endroits, mais pas du tout à d'autres ; en tous les cas, il faut la développer.
Quant au manque de moyens humains, on note que la directive européenne sur le temps de travail pèse lourd sur le volontariat. Il va falloir que la France se positionne clairement pour modifier cette directive, ou surtout pour promouvoir une directive sur l'engagement citoyen qui permettrait de développer les réserves de sécurité civile, d'augmenter le nombre de volontaires et de former le grand public. Seule cette formation permet de faire face, en cas de rupture capacitaire, à la notion fondamentale de l'impossible opérationnel. C'est ce que l'on a vécu par exemple à Trèbes lors des inondations de 2018 : l'eau est montée tellement rapidement qu'il n'était pas possible d'envoyer le moindre sapeur-pompier pour sauver les personnes, c'était trop tard. La formation du grand public nous permettra peut-être de différer cet impossible opérationnel, et aussi de modifier certaines habitudes. Ainsi, la population des villes fait plus appel aux secours que celle des campagnes et a développé une certaine habitude de consommation du service de secours à la personne.
Enfin, la formation des élus est, elle aussi, indispensable. N'oublions pas que le maire est le premier échelon de la gestion des crises : si nous arrivons à retravailler avec lui, il nous aidera à recruter des sapeurs-pompiers volontaires, il créera sa réserve communale de sécurité civile ; en somme, cela ne pourra que faire reculer la rupture capacitaire.