La commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'Etat auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, sur le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 18 juillet 2023.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
La séance est ouverte à 9 h 10
Madame la secrétaire d'État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, nous sommes très heureux de vous recevoir ce matin. Vous pourrez nous éclairer sur les importantes décisions prises par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) lors de sa réunion du 18 juillet 2023. Je ne vous cacherai pas que nous avons été préoccupés par la façon dont les choses se sont passées.
Cinq ans après sa précédente réunion et quelques semaines après l'identification de dix grands objectifs par le Conseil présidentiel du développement (CPD) du 5 mai 2023, le CICID, présidé par la première ministre, a déterminé une série d'orientations visant à guider l'action de la France en matière de développement et de solidarité internationale.
Notre commission, qui s'est impliquée de longue date sur ces questions et fut à l'origine de la loi de programmation du 4 août 2021 relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, a procédé au mois de juin dernier à plusieurs auditions dans la perspective de la tenue du CICID. Hélas, trois fois hélas, cette marque d'intérêt n'a pas rencontré l'écho espéré auprès du Gouvernement, qui n'a pas jugé nécessaire de nous solliciter, d'une manière ou d'une autre, dans le cadre de sa réflexion et de ses décisions. Celles-ci appartiennent certes au Gouvernement mais cela n'exclut ni la réflexion partagée, ni la consultation, ni l'information. L'absence de consultation n'a pas manqué de produire certains résultats qui nous ont surpris, voire déçus. J'en citerai trois, sur lesquels vous ne manquerez pas, je pense, de nous apporter les explications nécessaires.
Premièrement, le report à 2030 – au lieu de 2025, dans la loi de 2021 – de l'atteinte de l'objectif d'allouer 0,7 % du revenu national brut (RNB) à l'aide publique au développement (APD) constitue une orientation qui nous semble pour le moins discutable, d'autant qu'elle n'a pas été discutée ! Certaines orientations prévues dans le rapport annexé à la loi ne sont pas juridiquement opposables – nous le savons et nous ne voulons pas outrepasser nos compétences – mais le Parlement avait engagé son crédit sur un objectif que le Gouvernement nous avait assuré partager. Nous aurions au moins aimé comprendre les raisons pour lesquelles cet objectif a été abandonné ou reporté. La décision a été prise cet été, à la toute fin de la session parlementaire, alors que nous ne nous réunissions plus.
Deuxièmement, la liste de dix-neuf pays considérés comme bénéficiaires prioritaires de l'aide bilatérale de la France a été abandonnée au profit d'une cible fixée à 50 % de l'effort financier bilatéral de l'État vers les pays les moins avancés (PMA). Cette décision pose également problème. Je ne prétends pas qu'elle n'est pas justifiée : j'ai moi-même dit, lors de l'examen par notre commission du rapport d'information sur les relations entre la France et l'Afrique, qu'il nous faudrait réfléchir au périmètre de l'aide. La liste des dix-neuf pays prioritaires marquait un net tropisme vers l'Afrique car tous y étaient situés, à l'exception de Haïti. Or la nouvelle nomenclature suscitera une réorganisation de notre aide vers des pays certes pauvres mais avec lesquels la France n'a pas nécessairement les mêmes liens historiques, culturels et politiques. Elle risque aussi d'entraîner un phénomène de dilution. Là encore, le CICID a fait un grand choix stratégique, qui diffère des orientations fixées par la loi votée par les deux chambres du Parlement. Quand bien même ces réorientations pouvaient être légitimes, il aurait fallu les expliquer.
Troisièmement, si la mise en place d'indicateurs de redevabilité pour chaque objectif politique prioritaire identifié se justifie dans son principe pour mesurer l'impact réel de la politique française de coopération internationale, leur modification nous interpelle car les nouveaux indicateurs ne s'articulent pas complètement avec ceux prévus par la loi de 2021. Sans doute le Gouvernement a-t-il réfléchi longuement avant de procéder à ces modifications mais nous sommes, là encore, laissés en rade.
Après avoir exprimé cette triple inquiétude, je conviens volontiers que le CICID du 18 juillet 2023 a acté un certain nombre d'orientations qui nous semblent très positives : le renforcement de l'APD sous forme de dons et l'expérimentation de prêts très concessionnels, qui visent à éviter que la fonction bancaire liée aux prêts n'affecte la dimension unilatérale du don ; la décision d'inclure, dans les prêts concessionnels du Trésor et les prêts souverains de l'Agence française de développement (AFD), des clauses de suspension du service de la dette pour les pays vulnérables en cas de choc macroéconomique majeur découlant des catastrophes climatiques, laquelle fait suite au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial ; l'engagement d'accroître l'aide humanitaire de la France de 1 milliard d'euros par an d'ici à 2025, contre 500 millions en 2022.
Je me réjouis également du renforcement de l'évaluation de la politique de solidarité internationale et de la perspective du lancement des travaux de la commission d'évaluation de l'APD, que nous avons portée, dans des conditions bien définies, sur les fonts baptismaux avec la loi de 2021. Je n'en fais pas grief au Gouvernement – notamment à Mme la première ministre qui, je le sais, s'efforce de trouver une solution – mais nous commençons à être vraiment lassés de constater que le contentieux autour de la mise en place de la commission d'évaluation de l'APD ne se débloque pas.
Le décret du 6 mai 2022 relatif aux modalités de fonctionnement de cette instance a été publié durant l'inter-législature, à un moment où nous ne pouvions pas réagir. Nous avons dit très clairement qu'il était contraire à la loi, sur un point précis mais capital : le président de la commission d'évaluation ne doit pas être une personnalité émanant d'un grand corps de l'État ès qualités mais être élu par les membres de la commission, eux-mêmes choisis ès qualités pour leur expérience et leur connaissance de la politique de développement. Le décret méconnaissait très clairement cette disposition ; aussi avons-nous bloqué sa mise en œuvre, en accord avec l'unanimité des groupes représentés dans notre commission. Nous avons demandé à Mme la première ministre de le conformer à la loi, sans quoi nous déposerions nous-mêmes une proposition de loi pour arriver à ce résultat. Nous avons trouvé une oreille très attentive à l'hôtel Matignon et bâti un compromis ; cependant, nous ne comprenons pas pourquoi certaines résistances empêchent qu'il soit concrétisé et publié au Journal officiel. Ces délais incompréhensibles nous obligeront probablement à débattre d'une proposition de loi – j'en parlerai aux membres du bureau de notre commission – car il y a visiblement un blocage au niveau du décret. Je ne doute pas néanmoins de la bonne volonté de l'hôtel Matignon pour surmonter certaines contradictions dont je ne comprends pas la nature, même si j'en vois l'origine.
M. Hervé Berville, rapporteur du projet de loi, voyait dans la commission d'évaluation l'une des clés du bon fonctionnement de notre politique de développement ; or il est complètement absurde, alors que nous approchons de 2024, que cette instance ne soit toujours pas mise en place. Mais je sais, madame la secrétaire d'État, que vous êtes soucieuse du bon pilotage et du contrôle de l'AFD ainsi que de l'ensemble des organes chargés de mener notre politique de développement.
S'il y a des raisons de se satisfaire du CICID, notre commission voulait vous faire part de ses préoccupations. Je dessine un tableau sévère mais cette sévérité est l'expression de notre impatience à vous entendre et de notre frustration à constater que les grandes orientations législatives, fixées avec nos collègues du Sénat, n'ont pas été considérées avec tout le respect normalement dû à l'Assemblée nationale et à ses membres, élus au suffrage universel, dans une démocratie représentative.
Je n'aime pas le mot « frustration ». Cette audition est pour moi l'occasion de revenir sur mon action, depuis un an et demi, et d'échanger avec vous à propos d'un pilier essentiel de notre politique étrangère et de nos capacités d'influence internationale : notre politique de développement, qu'il convient désormais d'appeler « politique de partenariats internationaux » ou « politique d'investissements solidaires et durables ». Je reviendrai sur les moyens et la doctrine de cette politique, ainsi que sur les enjeux d'efficacité, de pilotage et de lisibilité. Cependant, il n'est pas possible de ne pas évoquer au préalable le contexte géopolitique dans lequel nous évoluons.
Les multiples ruptures géopolitiques que nous observons confirment la nécessité des changements opérés dès 2017 et confirmés depuis. Je serai aussi brève qu'exigeante sur le constat, que vous documentez avec précision dans cette commission. Les fractures dans le monde se multiplient : depuis 2020, nous sommes frappés par trois crises majeures qui redéfinissent l'état du monde, et une quatrième a commencé début octobre.
Il y a d'abord eu la pandémie de coronavirus : le réflexe du nationalisme vaccinal, l'interruption des chaînes de valeur mondiales et surtout la géostratégie sanitaire pratiquée par certaines puissances ont eu des conséquences sur l'ensemble du système international. Deux ans plus tard, l'agression de l'Ukraine par la Russie a également provoqué un séisme mondial : l'inflation générée par cette crise et l'instrumentalisation géopolitique des cours de l'énergie, des matières premières et agricoles, ont frappé toute la planète. Selon le Fonds monétaire international (FMI), ces deux crises ont exposé 60 % des pays en développement à faible revenu au risque de surendettement.
Alors que la crise climatique s'accélère, les États les plus vulnérables font face à un piège terrible : faire défaut sur le plan économique ou faire défaut sur le plan écologique. Nous avons réagi en réunissant à Paris tous les acteurs, fin juin, à l'occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, et nous avons discuté de la réforme de l'architecture financière internationale. Nous croyons qu'aucun pays n'a à choisir entre la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le changement climatique.
Le 7 octobre dernier, l'accumulation de ces trois crises systémiques a pris une tournure encore plus complexe. L'horrible attaque terroriste du Hamas contre Israël a ajouté une faille aux fractures du monde. La prétendue fracture entre un « Sud global » et un « Nord global » est, à mes yeux, une fiction utile à des puissances hostiles, un piège rhétorique et stratégique. Nos armes, ce sont les solutions qu'offre la politique de partenariats et d'investissements solidaires de la France.
Vous avez évoqué la croissance majeure de nos investissements solidaires et durables, qui donne toute sa force à notre ambition. Entre 2016 et 2022, l'APD française est passée de 10 à 15,3 milliards d'euros par an. Nous avons établi ensemble cette trajectoire ambitieuse, avec un Parlement unanime. La loi du 4 août 2021, qui a fixé cette trajectoire, est la seule depuis 2017 à avoir été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Cette augmentation de 50 % en un quinquennat est historique par son volume : elle fait de notre pays le quatrième bailleur mondial. Ce consensus national nous honore car notre engagement est tenu : nous consacrons plus de 0,55 % du RNB aux investissements solidaires et durables. Il nous engage aussi à contrôler avec efficacité l'emploi de ces ressources. Il nous donne enfin une force considérable.
Face à la multiplication des crises, ma priorité, c'est l'efficacité. Si ces financements sont renforcés, ils ne sont pas illimités : ils s'inscrivent donc dans une doctrine centrée autour de priorités thématiques et géographiques. Ensemble, nous avons établi cette nouvelle doctrine pour employer ce levier d'influence avec efficacité – d'abord au printemps, autour du président de la République, lors du CPD qui s'est réuni le 5 mai, puis à l'été, durant la réunion en distanciel du CICID, sous l'égide de la première ministre, afin de décliner les grandes orientations du CPD. Ce processus est par définition interministériel mais je suis heureuse de vous en rendre compte aujourd'hui.
C'est à cette occasion que nous avons choisi d'adopter un vocabulaire correspondant à notre politique partenariale. Nous ne parlons plus d'aide publique au développement mais d'« investissements solidaires et durables » parce que nos partenaires, qu'il faut écouter et respecter, ne demandent pas la charité mais des investissements. Notre approche stratégique du développement assume un retour sur investissement, avec des contreparties claires.
Cette nouvelle doctrine prend en compte les réalités géopolitiques autant que la situation économique. Les défis du développement international se multiplient mais nos investissements solidaires ne sont pas illimités. Appliquons donc au développement les principes de la guerre exposés par le maréchal Foch : économie des forces et concentration des efforts.
Pour être efficaces, nous avons défini très clairement dix priorités thématiques, qui structurent les contrats d'objectifs et de moyens de nos opérateurs et constituent la matrice avec laquelle nos ambassadeurs doivent désormais concevoir nos stratégies pour chaque pays en matière de développement. À la veille de la COP28, je rappellerai seulement la première de ces priorités : accélérer la sortie du charbon et financer les énergies renouvelables dans les pays en développement et émergents pour limiter le réchauffement climatique global à 1,5 degré. Ce seuil critique sera franchi d'ici à 2030, alors que notre objectif initial était 2100.
L'efficacité passe également par de nouvelles priorités géographiques. À la suite du CPD, le CICID a pris une décision qui s'imposait : celle de supprimer la liste fixe des pays prioritaires, qui posait plusieurs difficultés. Elle pouvait laisser croire à un droit quasi automatique à recevoir notre aide sans contrainte ni contrepartie. Elle nous empêchait également d'être réactifs face à des situations critiques, comme pour aider le Liban, qui n'y figurait pas.
En matière géographique, l'efficacité passe aussi par l'établissement de priorités. Priorité est ainsi donnée aux PMA. À l'heure où les inégalités mondiales ont recommencé à croître, nous voulons consacrer 50 % de notre effort bilatéral aux PMA, parmi lesquels figurent les dix-neuf pays anciennement prioritaires. Dans l'ensemble, nous soutiendrons les pays qui ont envie de la France, de notre expertise et de nos investissements. Notre approche doit être transactionnelle, au carrefour de nos intérêts et de ceux de nos partenaires.
Permettez-moi de prendre l'exemple de la Zambie. Je m'y suis rendue et j'y retournerai dans deux semaines, dans la continuité du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, pour continuer à aider ce pays à sortir du surendettement et à réaliser son ambition de développement décarboné. La Zambie est très reconnaissante envers la France, qui travaille avec elle à la réduction de la dette : elle a envie de travailler avec nous.
Notre nouvelle doctrine refonde notre action. Nous retrouvons notre liberté de manœuvre – pour citer à nouveau le maréchal Foch –, par exemple pour agir davantage avec les grands pays émergents. Le partenariat franco-indien pour la planète, adopté le 14 juillet par le président de la République et le premier ministre indien Narendra Modi, illustre parfaitement notre coopération avec ce pays-continent – le plus peuplé du monde –, un partenaire majeur dans l'Indo-Pacifique. L'Inde vient de céder la présidence du G20 au Brésil, dont le président Lula est un interlocuteur clé pour la réalisation de nos objectifs : son agenda structurera avec force la réponse aux enjeux globaux. J'ajoute que le Brésil accueillera également la COP30 en 2025. Dès lors, nous devons agir avec cet État-continent en utilisant nos capacités d'investissements solidaires et durables.
La réussite de cette politique partenariale passe également par un nouveau pilotage politique du développement : nous y tenons tous et vous m'en aviez fait la demande dès ma nomination. Comme promis, j'ai réuni pour la première fois, le 13 novembre, un comité de pilotage de la politique d'investissements solidaires, auquel ont participé l'ensemble des opérateurs ainsi que le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Nous nous réunirons tous les trois mois avec les opérateurs ; une fois par an, les ministres Bruno Le Maire et Catherine Colonna se joindront à nous. Pas plus tard qu'hier, j'ai présidé ma septième réunion du Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) car je suis toujours à l'écoute des représentants de la société civile. En outre, je veillerai à ce que la représentation nationale soit pleinement associée au suivi des orientations du CICID. Je regrette comme vous, monsieur le président, que la commission d'évaluation prévue par la loi du 4 août 2021 ne se soit toujours pas réunie. J'espère qu'une solution émergera pour qu'elle soit mise en place, sous le format prévu ou sous un format révisé, car le pilotage et le suivi sont des éléments très importants pour la réussite d'une politique, ainsi que pour sa modification ou son amélioration.
Au niveau local, nos ambassadeurs sont chargés d'organiser des conseils locaux de développement. Ils sont les chefs d'orchestre de l'« équipe France ». Nous leur avons redonné des marges de décision significatives : les ambassades peuvent désormais instruire directement des projets rapides, visibles, correspondant aux besoins immédiats identifiés par leurs interlocuteurs locaux, pour un montant maximum de 2 millions d'euros. Nous souhaitons consacrer près de 80 millions à ces outils qui n'existaient pas il y a deux ans. C'est une petite révolution financière qui accompagne le réarmement humain du ministère, à la faveur des états-généraux de la diplomatie. Continuons de nous inspirer des leçons du maréchal Foch et appliquons le principe de libre disposition des forces : ainsi, nous pourrons rendre notre approche plus transactionnelle et donc plus politique.
Il est nécessaire que notre posture partenariale soit visible. Elle doit être tout aussi crédible et lisible que notre posture stratégique. C'est pourquoi je tiens au « faire savoir » de notre savoir-faire. Le moment est arrivé d'emprunter un sentier majeur, dans la droite ligne du CPD et du CICID, en ayant une signature unique de la France dans tous nos projets de solidarité : chaque école, chaque barrage hydroélectrique financé par la France devra faire apparaître le drapeau tricolore pour mettre en évidence la contribution de notre pays. La visibilité est une priorité absolue, non seulement pour nos partenaires mais aussi pour nos concitoyens, d'autant que d'autres puissances font moins en la matière mais communiquent plus.
Dans cette même veine, nos ambassadeurs bénéficient désormais de deux innovations importantes dans leur lien avec l'AFD : un droit d'initiative, pour proposer des projets à l'Agence, et la possibilité de rendre un avis conforme sur des projets de l'AFD en dons, en cours d'instruction. Cela permet de garantir l'alignement des projets avec nos priorités politiques. Voilà comment consolider notre approche stratégique au plus près du terrain !
En matière de développement, la France dispose donc d'une doctrine, de moyens désormais adaptés aux défis géopolitiques, d'outils de pilotage, mais il reste à savoir comment insuffler cette culture stratégique dans l'« équipe Europe ». Voilà bientôt cinq ans que l'Union a commencé à parler d'« Europe géopolitique » ; j'étais alors députée européenne. La France a joué un rôle pivot en la matière et l'histoire a montré que c'était une nécessité, qui ne se limite cependant pas aux enjeux politico-militaires. Si nous considérons la politique de développement comme un instrument de solidarité et comme un instrument d'influence – il ne s'agit pas d'une politique de charité –, alors l'équipe Europe a aussi besoin d'une boussole pour se guider dans les environnements complexes. Au Conseil de novembre, j'ai alerté mes homologues à ce sujet : quand une situation politique se dégrade très rapidement, des choix politiques disparates, au sein de l'Union européenne, en matière d'aide au développement sont autant de dissonances diplomatiques qu'exploitent nos rivaux stratégiques. C'était vrai au Sahel et ce le sera sur chaque théâtre de crise. À court terme, j'espère, par exemple, que le sommet ministériel entre l'Union européenne et l'Union africaine – un moment fort de la présidence française – sera reprogrammé. Le sujet ne se limite pas cependant à une question africaine : il s'agit d'une question stratégique globale que l'équipe Europe doit traiter partout.
Aujourd'hui, la politique de développement est plus que jamais géopolitique et géostratégique. Je l'ai constaté partout où je me suis rendue. Toutes les évolutions que j'ai décrites et les priorités que j'ai énumérées ont pour objectif de nous adapter à cette nouvelle donne pour continuer de peser au XXIe siècle, comme Français et Européens, et d'apparaître comme un partenaire fiable et crédible aux yeux du monde. Nos partenaires ont besoin de nous mais nous avons également besoin d'eux.
J'ai apprécié le caractère très substantiel des réponses que vous avez apportées à la plupart des questions que je vous avais posées. Les inflexions décidées par le CICID l'étaient sûrement pour des raisons très fortes, quoiqu'on pourrait les critiquer. Ce qui est toutefois anormal, c'est que vous nous le disiez six mois après. Je ne mets pas en cause le président Macron mais la Ve République qui, depuis ses origines, considère le Parlement comme un organe au mieux inutile, au pire contrariant. Dans une démocratie parlementaire représentative normale, ce qui a été décidé au CICID aurait dû être discuté et expliqué dès le lendemain devant notre commission. Les inflexions importantes par rapport à la loi du 4 août 2021 méritaient d'être débattues à la lumière des éléments que vous avez rappelés : je pense notamment à l'abominable guerre qui frappe l'Ukraine, à l'Est de l'Europe. Je le répète : dans une démocratie normale, le Gouvernement rend compte, explique et vient devant la commission dès qu'il prend des décisions. C'est le cas en Angleterre, en Allemagne ou aux États-Unis ; ici, on en discute un semestre plus tard.
Je n'entrerai pas dans le débat sur la Ve République mais je vous assure que la loi du 4 août 2021 est ma boussole et celle du Gouvernement. Ayant été députée européenne, je peux comprendre vos sentiments mais sachez que je suis toujours à votre disposition.
J'ai été député dans le même Parlement que vous. Il est vrai que nous avons le sentiment que le Parlement européen est un peu mieux considéré par les Exécutifs que notre Parlement national.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Les nouvelles orientations de notre politique de coopération internationale et de développement, qui ont été approuvées lors du CICID en juillet dernier, renforcent un pilier essentiel de notre diplomatie, que j'ai eu l'occasion de défendre la semaine dernière à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans le cadre d'un examen des pairs de la France. Grâce à l'élan donné par le président de la République et sous votre direction, madame la secrétaire d'État, ce domaine clé de notre politique extérieure s'est renforcé, dépassant même l'objectif de 15 milliards d'euros de financement en 2022. En se hissant au rang de quatrième pourvoyeur mondial d'APD, la France intensifie sa contribution à la solidarité internationale. Cette aide, incarnée par les nouvelles lignes directrices que vous venez de rappeler, adaptée aux exigences propres de chaque pays et évaluée par des indicateurs de performance, contribue à améliorer la portée de notre soutien aux pays les plus vulnérables dans leur lutte contre la pauvreté et les inégalités. Ces efforts prennent également en considération l'impératif de protection des biens publics mondiaux, sans déroger à nos valeurs, ni à nos intérêts.
À l'heure où un regain d'intérêt économique pour l'Afrique se manifeste chez nos partenaires – je pense notamment aux États-Unis et, plus récemment, à l'Allemagne –, ces orientations stratégiques renforcent notre influence économique. Elles mobilisent non seulement nos opérateurs mais aussi l'ensemble de notre tissu économique et de nos secteurs d'excellence, les incitant à s'engager activement dans les appels d'offres internationaux pour faire rayonner notre savoir-faire.
Pourriez-vous approfondir la manière dont notre stratégie de développement contribue à affirmer notre influence économique ?
Votre question rappelle ce que j'ai souligné : la politique de développement n'est pas de la charité, elle est un investissement : solidaire, bien sûr, mais qui doit faire avancer les intérêts de tous. Les luttes contre le changement climatique, pour la santé et pour l'accès à l'énergie se font dans l'intérêt de tous, quand bien même cela sert aussi nos intérêts propres et ceux de nos partenaires.
Si cela concerne nos intérêts, alors cela touche à la question de l'influence économique. Rassurez-vous, nos financements de développement dégagent déjà des bénéfices directs importants pour nos partenaires, ainsi que pour nos entreprises. C'est normal, c'est le principe d'un partenariat. En 2022, les entreprises françaises détenaient 47 % de parts de marché pour les opportunités ouvertes par les financements de l'AFD, ce qui représentait près de 500 millions d'euros, tandis que 70 % des projets de l'AFD impliquaient au moins un acteur français. Bien sûr, nous devons aller plus loin et, dans le cadre des nouvelles orientations décidées par le CICID, le Gouvernement renforce la dimension de l'influence économique dans le mandat du groupe AFD tout en maintenant le principe du déliement de l'aide.
En plaçant notre expertise de manière stratégique, en renforçant les normes environnementales et sociales, en privilégiant le financement sous forme de projets concrets – idéalement dans des secteurs et pays où nous avons un avantage compétitif –, nous utilisons l'APD comme un outil d'influence économique.
Si le président de notre commission a rappelé que nous avons été surpris par la façon dont le Parlement a été déconsidéré par le Gouvernement, je vous assure que nous avons également été outrés. Nous avons considéré cette attitude comme une marque de mépris pour notre commission et pour le Parlement en général. Rendez-vous compte : alors que le Parlement avait adopté, dans la loi du 4 août 2021, l'objectif de porter l'APD à 0,7 % du RNB d'ici à 2025, voilà que nous apprenons, au beau milieu de l'été, sans aucune explication, que l'objectif est décalé à 2030. Ces pratiques en disent long sur le déséquilibre de nos institutions.
Surtout, il y a le résultat de ce que vous avez décidé de faire dans l'opacité : ces cinq années de décalage équivalent à 11 milliards d'euros de moins pour l'APD, pour l'adaptation au changement climatique, pour la lutte contre les inégalités en matière de santé ou d'éducation. Telles sont les conséquences très concrètes de la décision que vous avez prise durant l'été, à propos de laquelle nous voulions solennellement protester ce matin.
Je n'ai pas été convaincu par vos explications : je n'ai toujours pas compris pourquoi cette décision avait été prise.
Au-delà du tableau très général que vous avez brossé, je souhaiterais que vous précisiez les choses s'agissant de l'aide apportée sur les sujets agricoles et alimentaires, qui représentent une partie essentielle du développement. Vous n'avez guère été prolixe sur le sujet.
Je n'apprécie pas votre usage du terme « mépris » car je n'éprouve pas ce sentiment à votre égard. Comme je vous l'ai dit, je reste à votre disposition.
L'agriculture est un enjeu majeur pour tous les partenaires, qui fait l'objet d'une politique en France et en Europe. Elle est l'un des piliers de la politique de développement et nous avons placé la souveraineté alimentaire en son cœur, en France comme au niveau européen.
À l'initiative du président de la République, cette politique a d'abord visé à lutter contre les répercussions de l'agression de l'Ukraine par la Russie – les lacunes de certains pays, qui n'avaient pas de programme bien structuré pour être souverains, étaient alors très visibles. À cela s'est ajoutée l'initiative Farm – mission pour la résilience alimentaire et agricole –, qui a consisté en une action forte concernant les engrais. En 2022, près de 1 milliard d'euros ont été mobilisés dans ce domaine.
L'action sur le plan humanitaire va de concert avec la politique de développement à long terme. Nous soutenons les pratiques agroécologiques et la structuration des filières agricoles dans nos pays partenaires, selon leurs demandes. Face à la montée de la faim et de la malnutrition dans le monde, la France a quintuplé en cinq ans l'aide alimentaire programmée, qui s'élève à plus de 150 millions d'euros en 2023 et continuera de progresser. Nous mettons également l'accent sur la lutte contre la sous-nutrition, notamment infantile et maternelle.
Nous avons un véritable agenda diplomatique sur ce sujet, servi par une force de mobilisation reconnue. En octobre 2023 s'est tenue à Paris la première réunion de la Coalition mondiale pour l'alimentation scolaire, que j'ai eu l'honneur de coprésider avec mes homologues finlandais et brésilien ; souvenez-vous qu'à sa première élection, le président Lula avait lancé le combat pour que tous les enfants aient accès à un repas sain par jour. Nous continuons de soutenir ce projet mêlant alimentation, éducation et émancipation, notamment dans le cadre de la présidence brésilienne du G20.
En décembre 2023 aura lieu à Paris la reconstitution du Fonds international de développement agricole (FIDA), auquel la France contribuera le plus, à égalité avec l'Angola, à hauteur de 150 millions d'euros. Au tournant de 2024 et 2025, un sommet « Nutrition pour la croissance » sera organisé en lien avec les Jeux olympiques. Enfin, la France l'est un des principaux contributeurs du Programme alimentaire mondial (PAM), pour lequel une dotation supplémentaire d'un montant de 40 millions d'euros a été décidée en septembre. C'est notre partenaire privilégié en cas de crise, comme nous l'avons encore vu récemment à Gaza.
Il est vrai que d'autres enjeux, tels que le conflit en Ukraine et l'aide à la reconstruction de ce pays, ont pu avoir un impact dans la décision du CICID mais vous ne nous ôterez pas de la tête l'idée selon laquelle l'administration, notamment celle de Bercy, a délibérément laissé le sujet aux parlementaires en considérant que l'objectif fixé dans la loi en matière d'APD n'était pas contraignant et qu'elle ferait finalement ce qu'elle voudrait. Cette attitude ne nous a pas plu car l'engagement du Gouvernement au sujet des 0,7 % du RNB nous semblait sérieux ; or il a été traité, peut-être pas avec mépris, mais avec désinvolture vis-à-vis du Parlement. Ce n'est pas vous que je vise dans cette affaire, madame la secrétaire d'État, mais une disposition générale des administrations.
Je m'associe aux protestations de mes collègues mais je ne reviendrai pas sur le sujet car tout a été dit.
À la lecture du compte-rendu du CICID, en particulier de son objectif n° 3, nous avons espéré le meilleur pour notre pays et pour la langue française. Je rappelle que la France compte 2,5 millions d'illettrés et que 30 % des écoliers peinent à réussir les exercices de compréhension orale en 2023. M. Gabriel Attal, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, note avec inquiétude qu'un peu plus de la moitié des élèves ne lisent pas convenablement. On constate même une régression du niveau moyen en français entre la sixième et la quatrième. Près d'un demi-millier d'enseignants manquent à l'appel et les présents subissent l'abandon de leur hiérarchie tout en faisant face à une population violente et indisciplinée. Pour défendre la langue française et la francophonie, vous annoncez un investissement dans la jeunesse en soutenant l'éducation et la formation des professeurs dans les pays en voie de développement, ce qui vous autorise à affirmer dans le dossier de presse du CICID que « la France tient son rang de grande puissance solidaire ». Nous avons bien compris l'aspect solidaire à l'international mais qu'en sera-t-il de la solidarité française ? Que proposez-vous pour permettre à la France de rester une grande puissance en matière de francophonie ?
Vous auriez peut-être préféré avoir Gabriel Attal devant vous. Je suis désolée mais je n'ai pas vocation à m'exprimer sur le volet national. C'est toutefois avec plaisir que je développerai notre action à l'international.
L'objectif n° 3 du CICID concerne en effet l'investissement dans la jeunesse par le soutien à l'éducation et la formation des professeurs dans les pays en développement. Depuis 2018, la France s'est fortement mobilisée pour mettre l'éducation et son financement au cœur de son agenda international. Elle est un acteur clé : en y consacrant chaque année plus de 1,3 milliard d'euros de son APD, elle est – derrière l'Allemagne mais devant les États-Unis – le deuxième bailleur mondial dans ce secteur. En 2021, notre pays a renouvelé son engagement auprès du Partenariat mondial pour l'éducation avec une contribution volontaire d'un montant de 333 millions d'euros jusqu'en 2025. Je vous confirme ainsi que la question de l'éducation est une priorité pleinement intégrée au CICID.
Nous prêtons une attention particulière à l'éducation des filles et à l'égalité des genres par et dans l'éducation car notre contribution y est dédiée pour moitié. Nous soutenons l'initiative « Priorité à l'égalité » pour l'intégration du genre dans les politiques éducatives en Afrique subsaharienne. La France défend un financement plus important, équitable et efficient en matière d'éducation. Nous soutenons encore différents programmes, comme le programme « École et langue nationale » (Élan), lancé en 2012 par l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et mené par l'Institut de la francophonie pour l'éducation et la formation, qui est une structure de l'OIF basée à Dakar et dédiée à l'éducation.
Nous faisons beaucoup de choses à l'international. Cela reste l'une de nos priorités.
Le CICID, qui s'est tenu au milieu de l'été sans que le Parlement y soit associé, a marqué un retour sur la loi du 4 août 2021. Nous sommes dans le flou quant à savoir ce qui prévaut : la loi, largement adoptée par la représentation nationale, ou bien les décisions prises par l'Exécutif. Cette opacité est particulièrement préoccupante alors que la commission d'évaluation de l'APD prévue par la loi se fait toujours attendre.
Le CICID a acté un retour sur des objectifs fixés par la loi de 2021, notamment le report de cinq ans de l'objectif d'allouer 0,7 % de notre RNB à l'APD. Cela représente 11 milliards d'euros en moins pour la solidarité internationale, alors même que l'horizon des objectifs de développement durable se rapproche. Comment justifier ce choix à un moment où l'on ne peut ignorer qu'il est impératif d'augmenter les ressources pour lutter contre l'extrême pauvreté, les inégalités de santé et le changement climatique ?
La part de la taxe sur les transactions financières (TTF) destinée à l'APD est plafonnée depuis 2017, malgré des recettes record récoltées chaque année. De la même façon, la part de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA) destinée à l'APD est identique depuis 2015. En parallèle, les pays du Sud global ont connu une forte hausse de leurs besoins, à la suite de conflits armés ou de phénomènes climatiques extrêmes. Alors que le Gouvernement reconnaît, depuis le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, le besoin d'une impulsion financière en faveur de l'APD, pourquoi ne traduit-il pas ses engagements au niveau national ?
La société civile salue l'engagement de consacrer 50 % de l'APD aux PMA mais des doutes subsistent quant aux critères définissant les « pays vulnérables », également cités dans les conclusions du CICID. Pouvez-vous les clarifier ?
Le CICID fait du renforcement de la résilience face au risque sanitaire une priorité. Pourtant, les derniers documents budgétaires prévoient une baisse significative de l'engagement financier français, alors même que nous ne dédions que 8 % de notre APD à la santé. Comment justifiez-vous cette baisse ?
Enfin, le rapport « Tendances malsaines » publié par Oxfam en juin 2023 nous apprend que des investissements de Proparco iraient à des hôpitaux privés accusés de violations des droits humains telles que l'emprisonnement des patients et des dépouilles – si les familles ne peuvent payer les factures –, le refus de soins d'urgence ou encore la pratique de frais incroyablement élevés pour des services de santé maternelle. Proparco financerait également des fonds d'investissement en grande partie basés dans des paradis fiscaux et investissant eux-mêmes dans des structures dont les pratiques sont contraires aux orientations de notre politique d'APD. Face à ces allégations, quelles actions vont être mises en place pour répondre au scandale ?
L'objectif de 0,7 % du RNB alloué à l'APD d'ici à 2030 reste notre boussole : le président de la République l'a répété lors du CPD et la loi du 4 août 2021 nous invite à nous efforcer d'atteindre cet objectif, qui n'est cependant pas contraignant. Nous sommes déjà aujourd'hui le quatrième bailleur mondial, ce qui n'est pas rien ; c'est d'ailleurs la première fois de notre histoire que notre APD dépasse les 15 milliards d'euros. Gardons aussi à l'esprit que les indicateurs produits par l'OCDE sont davantage conçus pour comparer les pays que pour caractériser un effort budgétaire. Du reste, lorsque la loi du 4 août 2021 a été votée, il n'y avait ni la guerre en Ukraine, ni l'inflation qui en découle, ni l'augmentation des taux d'intérêt. Je rappelle enfin que c'est le Parlement qui vote les crédits de l'APD et que nous comptons sur votre soutien pour que ces derniers soient ambitieux.
S'agissant du rapport d'Oxfam et de Proparco, je m'engage à vous faire parvenir, ainsi qu'au président de la commission, une réponse écrite.
La santé est une des priorités de notre politique de développement et une de mes priorités en tant que ministre. Plus de 1 milliard d'euros d'APD y sont consacrés chaque année ; je ne rappellerai pas ici le détail de nos actions. La France a montré son leadership sur les questions multilatérales en matière de santé, notamment en participant au lancement de l'initiative ACT-A – Access to Covid-19 Tools Accelerator –, en faisant don de doses vaccinales via le programme Covax, en mettant en œuvre une aide bilatérale ou encore en versant, l'année dernière, une contribution historique de 1,6 milliard d'euros au Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, dont 20 % ont été alloués à l'Initiative d'Expertise France, ce qui a permis le développement de nouvelles interventions dans nos domaines prioritaires. Tous ces sujets sont suivis par notre ambassadrice pour la santé. Enfin, dans le cadre de la COP28 organisée à Dubaï, une journée sera pour la première fois dédiée à la relation entre climat et santé ; j'y participerai. Il s'agira de discuter de financements associant ces deux notions.
Concernant Proparco, je lirai avec beaucoup d'intérêt la réponse écrite que vous venez de nous promettre mais je pense que nous, parlementaires, avons également un travail à effectuer pour élucider cette affaire. Nos représentants au conseil d'administration de cette filiale de l'AFD – M. Frédéric Petit, Mme Éléonore Caroit et Mme Nadège Abomangoli, notamment – ne manqueront pas de le faire. Lorsque nous disposons d'outils, nous devons les utiliser.
Nous sommes effectivement représentés dans les instances des opérateurs et je renouvelle ma proposition d'organiser régulièrement des séances de compte-rendu par les administrateurs que la commission envoie.
Rassurez-vous, madame Leboucher, la loi du 4 août 2021 a réorganisé l'AFD, avec des filiales telles qu'Expertise France et Proparco. Un important travail est effectué autour de la fiabilité, en particulier des administrateurs. Je vous rappelle que les quatre administrateurs nommés par la présidente de l'Assemblée nationale sont évalués, notamment au regard des critères de Bâle III : nous devons prouver que nous sommes capables de gérer une grande banque internationale. Nous y consacrons une journée par mois : ce n'est donc pas un travail que nous effectuons par-dessus la jambe. J'aimerais que nous ayons l'occasion, plusieurs fois par session, de rendre compte auprès de nos collègues.
J'ai principalement retenu de la loi du 4 août 2021 qu'elle avait été adoptée à l'unanimité, après un vrai travail de notre part. On confond souvent l'APD et l'aide gérée par le Gouvernement. Nous avons adopté des amendements importants relatifs au soutien à apporter aux conseils de développement. Vous avez aussi rappelé les nouveaux financements gérés par les ambassades dans le cadre des projets de développement local, que je trouve très intéressants. Cette politique doit être une politique de la France autant que du Gouvernement. Les chiffres le prouvent : plus de la moitié de ce qui est considéré comme de l'APD n'est pas financée directement par le contribuable.
Sentez-vous, depuis la loi du 4 août 2021, des reculs ou de la frustration dans ce qui se passe en coopération décentralisée ou dans les organisations non-gouvernementales (ONG) ? De la même manière que les ambassadeurs sont des chefs d'orchestre, parvenez-vous à être le chef d'orchestre de la France généreuse, et non pas seulement du Gouvernement ?
Je vous remercie pour le travail que vous effectuez au sein de l'AFD.
À mon arrivée au ministère, je me suis appuyée sur la loi qui avait été votée à l'unanimité. J'ai d'abord cherché à réorganiser le travail de l'équipe France en allant contre les habitudes et les prés carrés. Il fallait créer de la fierté par ce travail. Si l'on veut être efficaces, cohérents et lisibles, alors un pilotage politique est nécessaire.
J'aimerais aussi que cette politique ne soit pas seulement une politique du Gouvernement mais bien une politique de tous les Français, et que ces derniers comprennent en quoi ces 15 milliards d'euros sont utiles. Nous pourrions facilement l'expliquer, comme ce fut le cas en matière de santé lors de la pandémie – puisque nous devions rester chez nous, nous avons compris que nous dépendions d'autrui : l'interdépendance était évidente. Comme vous êtes au contact des citoyens, dans vos circonscriptions, je souhaiterais que vous m'aidiez à montrer que ces financements, que d'aucuns considèrent comme des cadeaux, s'inscrivent dans une véritable politique, au bénéfice des citoyens.
L'AFD est un opérateur sous la tutelle de l'État, ce que la loi du 4 août 2021 a clairement rappelé. Catherine Colonna, Bruno Le Maire et moi-même sommes très attachés au pilotage politique : je l'ai engagé le 13 novembre et je sens qu'il se met en place. J'ai demandé que chaque ambassadeur définisse une « stratégie pays » car il n'est pas possible d'élaborer une politique de développement uniquement depuis Paris. Le réarmement des ambassades est important : les ambassadeurs doivent être des chefs d'orchestre, en lien avec les opérateurs et les acteurs locaux. Ces stratégies pays, auxquelles je suis très attachée, fonderont notre politique pour 2024.
Parmi les dix objectifs définis par le CPD, on trouve la mobilisation des financements privés et publics pour les infrastructures stratégiques dans les pays en développement. Il semblerait que la France souhaite faire adopter le plus rapidement possible le TOSSD – Total Official Support for Sustainable Development –, une nouvelle méthodologie pour mesurer les montants alloués à la solidarité internationale. Pourriez-vous nous préciser les contours et les contenus de ce qui pourrait devenir une nouvelle norme en matière de coopération internationale ?
L'origine du TOSSD remonte à 2015, avec l'adoption de l'accord de Paris, des objectifs de développement durable (ODD) et du programme d'action d'Addis Abeba. L'idée est simple : au-delà de l'APD, il y a de nombreux flux financiers publics qui contribuent au développement, que le TOSSD permet de mesurer. En 2019, la présidence française du G7 a soutenu cette idée et appelé à la création d'un mécanisme de gouvernance, ouvert à tous au sein de l'Organisation des Nations Unies (ONU), pour le piloter. La France contribue au TOSSD en fournissant depuis 2020 une déclaration annuelle, qui couvre un large périmètre et comptabilise également les financements en faveur de nos concitoyens : les financements validés dans ce cadre se sont ainsi élevés, en 2021, à 34 milliards d'euros.
Au sein du CICID, nous avons décidé de réfléchir à la création d'une mesure intermédiaire des financements solidaires et durables qui tiendrait uniquement compte des fonds à destination des pays en développement. Il ne s'agit pas de remplacer l'APD ou de justifier sa baisse mais de mieux valoriser l'ensemble de nos actions et de mieux piloter les leviers financiers qui contribuent au développement.
L'Exécutif a réussi l'exploit de rendre le président Bourlanges plus rebelle que moi. Je m'étais abstenu lors du vote de la loi du 4 août 2021 car cela me paraissait presque trop beau. Nous n'avions pas suffisamment déterminé les choses pour nous engager. Les faits m'ont donné raison. Je suis à la fois satisfait et déçu, parce que les décisions prises contredisent une loi de programmation, au nom d'indicateurs internationaux que vous avez rappelés, lesquels n'ont pourtant pas conduit à une modification de la loi de programmation militaire. Comme quoi les lois de programmation ne se valent pas…
Je ne vous demanderai pas pourquoi les choses ont changé. Le président de la République en a décidé ainsi ; peut-être parce qu'il n'a pas apprécié ce qu'il s'est passé au Sahel. Les 0,7 % de RNB avaient fait l'objet d'un engagement ferme de la part de M. Le Drian, alors ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur lequel vous revenez. Finalement, les choses n'iront pas aussi vite que nous l'espérions et la liste des États concernés a changé.
Pourquoi n'avons-nous pas alloué 10 % de l'APD à la construction des services régaliens des États ? Vous connaissez le proverbe : « Donne un poisson à un homme, il mangera un jour ; apprends-lui à pêcher, il mangera toujours ». Cela permettrait aux États de se structurer et de développer leurs services de fiscalité.
Pourquoi ne pas mieux œuvrer collectivement contre l'évasion fiscale, qui plombe les finances publiques de tous les États du monde ? En la matière, la France a voté la semaine dernière contre la convention-cadre de l'ONU sur la coopération fiscale. Cela me perturbe.
Pourquoi ne pas envisager l'abandon du franc CFA ? Cela permettrait de rendre aux banques centrales africaines leur souveraineté monétaire.
Il va falloir éviter de voter des lois le 4 août, au vu de la manière dont la loi pour l'abolition des privilèges a dérivé, de même que la loi sur l'aide au développement mais aussi la loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, parce qu'une décennie après le vote de cette dernière, nous n'y sommes toujours pas parvenus. Seule perdure la loi dépénalisant l'homosexualité : on espère qu'elle ne suivra pas le même chemin que les trois autres.
Je regrette que vous vous soyez abstenu en 2021, puisque vous trouviez la loi si belle. Toutefois, l'adaptation à la réalité démontre notre intelligence collective et je vous rappelle que, dans la loi du 4 août 2021, l'objectif de 0,7 % du RNB était seulement indicatif.
Les besoins de financement pour lutter contre les inégalités sont tels que les financements publics ne suffiront pas. C'est pourquoi nous avons participé au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial et que nous évoquons de nouveaux financements, éventuellement issus de la fiscalité, qui ne peuvent pas être uniquement publics. Chacun doit contribuer.
La gouvernance fiscale reste l'une de nos priorités. Peut-être aurons-nous l'occasion d'y revenir par la suite mais nous venons d'approuver en la matière un soutien de 100 millions d'euros pour l'Arménie. Nous sommes attachés à la mobilisation des ressources domestiques et vous serez heureux d'apprendre que nous soutenons l'initiative « Inspecteurs des impôts sans frontières ».
Nous discutons déjà avec l'OCDE et le G20 d'une taxation minimale et notre priorité est de mener à bien les négociations bien engagées pour répartir les droits de taxation dans le cadre de l'accord sur la taxation minimale des multinationales. À la COP28, nous lancerons avec le Kenya une task force sur la fiscalité, à laquelle participeront Laurence Tubiana, Mia Mottley, Oxfam et Najat Vallaud-Belkacem. Je vous remercie pour les idées que vous m'apporterez.
La politique européenne de développement constitue une véritable pierre angulaire de l'activité de l'Union européenne sur la scène internationale : en 2021, l'Union et ses États membres ont collectivement apporté environ 46 % de l'aide publique au développement à l'échelle mondiale.
En vertu de l'article 208 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l'APD est principalement consacrée à la réduction et à l'éradication, à terme, de la pauvreté. Notre pays est moteur par une politique d'influence et de partenariats, afin d'assurer la complémentarité entre les dimensions bilatérale et européenne de son action.
En 2019, 21 % de l'APD française, soit 2,3 milliards d'euros, étaient destinés aux instruments de coopération de l'Union européenne, ce qui a fait de la France le deuxième contributeur du Fonds européen de développement.
En réponse à la crise de la Covid-19, la France, aux côtés de l'Union européenne, a renforcé son intervention en faveur de ses pays partenaires, en se constituant en « équipe Europe », afin d'assurer une action plus rapide, efficace et visible.
Pouvez-vous nous présenter les principaux objectifs de la politique européenne de développement ? Comment la France va-t-elle s'inscrire dans ces opérations dans les prochains mois ?
La politique française de développement, reconnue par les autres États membres, n'est pas isolée : elle s'inscrit dans des actions bilatérales, qui restent au cœur de nos priorités, mais il est aujourd'hui indispensable d'agir à l'échelle européenne. Contrairement à ce que certains prétendent – à savoir que nous voudrions diluer les intérêts de nos concitoyens –, nous voulons intervenir à l'échelle pertinente dans un monde où les défis sont immenses et où il est impératif d'atteindre une masse critique pour se faire entendre et respecter. C'est ensemble, comme Européens au sein de l'« équipe Europe », que nous occupons le premier rang des bailleurs mondiaux en ayant fourni 43 % de l'APD en 2022.
En tant qu'ancienne vice-présidente de la commission du développement du Parlement européen et rapporteure de la nouvelle stratégie de l'Union européenne pour l'Afrique, j'ai constaté que les priorités françaises et européennes étaient désormais bien alignées. Lorsqu'il est question d'agriculture, de paix et de sécurité, de santé, de climat ou d'infrastructures, nous disposons d'outils communs pour davantage agir ensemble : je pense, par exemple, à la stratégie « Global Gateway ».
Aujourd'hui, une politique de développement efficace au service des intérêts de nos concitoyens doit être pragmatique, coordonnée, bilatérale, multilatérale et européenne.
Parmi les dix objectifs fixés par le CPD, je suis particulièrement intéressé par la promotion de l'innovation et de l'entreprenariat africains. Je vous rejoins quand vous expliquez que la politique de développement n'est pas de la charité mais bien une politique d'influence et d'investissement. Je suis convaincu que la France a raison d'investir en Afrique. Je fais partie de ceux qui estiment que la France a davantage besoin de l'Afrique que celle-ci n'a besoin de la France.
Nous l'avons bien compris à Marseille. L'association Africalink met en relation plus de 250 entreprises africaines et marseillaises, pour un chiffre d'affaires de plus de 1,5 milliard d'euros. L'événement « Emerging Valley », qui s'est achevé hier, a réuni des start-up métropolitaines et africaines, dont près de 350 répondent chaque année à des appels d'offres en métropole. Alors que le programme « Choose Africa 1 » a été un vrai succès, pourriez-vous nous donner des précisions quant à « Choose Africa 2 », que vous êtes en train de mettre en place ? Avez-vous fixé des objectifs chiffrés s'agissant des start-up participantes ou des emplois directs ou indirects concernés ?
Pourriez-vous également nous en dire davantage sur les 100 millions d'euros à destination de l'Arménie que vous avez évoqués ?
À celles et ceux qui ne considèrent le continent africain que sous un angle négatif, je réponds qu'il existe un effet miroir : quand l'Afrique réussit, l'Europe réussit. Ce n'est pas un hasard si les investissements internationaux s'y multiplient. Sa démographie, sa jeunesse, ses opportunités d'emplois, ses talents et son intelligence sont reconnus. C'est en effet à Marseille que l'on peut sentir toute cette créativité.
Les programmes « Choose Africa » visent à encourager les investissements privés sur le continent africain. « Choose Africa 1 » a été un vrai succès et le président de la République nous a demandé d'avancer dans l'organisation de sa suite. Nous définissons actuellement, avec l'Élysée, les pays visés, et je dois encore rencontrer la personne chargée du programme à l'AFD. Permettez-moi de revenir vers vous ultérieurement car c'est à mon retour de la COP28 que j'accélérerai l'organisation du programme.
Depuis l'entretien entre le président de la République et le premier ministre arménien Nikol Pachinian, en janvier 2021, l'activité souveraine de l'AFD a repris en Arménie. En septembre 2022, une aide de 100 millions d'euros a été décidée dans le domaine de la gouvernance financière.
Lors de l'épuration ethnique au Haut-Karabagh, puisque c'est ainsi qu'il faut qualifier les événements, j'avais demandé en séance publique qu'un effort particulier soit consenti – pas seulement à un titre humanitaire – à destination des 100 000 Arméniens quittant leur territoire. Or l'Europe n'a pas fait grand-chose pour trouver des solutions au problème arménien et nous avons été un peu seuls dans cette affaire. Je considérais qu'il était nécessaire d'adopter une sorte de plan Marshall pour ces 100 000 personnes, non seulement parce qu'elles étaient dans une situation d'extrême précarité mais aussi parce que cela aurait contribué à consolider la jeune démocratie arménienne, soumise à toutes sortes de pressions, notamment de la part de son grand voisin russe. Est-ce là une priorité pour le Gouvernement et pour l'Union européenne ?
La France est résolument engagée aux côtés des populations arméniennes au Haut-Karabagh et soutient l'Arménie.
L'aide humanitaire a été multipliée par trois, atteignant 12,5 millions d'euros en 2023. Cela s'ajoute aux efforts de la société civile et des collectivités territoriales françaises. Une aide médicale d'urgence a également été fournie aux autorités arméniennes.
Il faut également faire des investissements solidaires. Par l'intermédiaire de l'AFD, 251 millions d'euros ont été investis dans les secteurs de l'énergie, de l'agriculture, ainsi que dans la gouvernance financière.
La France est également mobilisée sur le plan politique. À Grenade, le 5 octobre dernier, le président de la République a rappelé son soutien indéfectible à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Arménie. Nous avons autorisé la conclusion de contrats de livraison de matériel militaire à destination de l'Arménie. Un travail est par ailleurs effectué au sein de l'Union européenne.
Je remercie enfin les parlementaires de la majorité, dont le travail démontre un soutien sans faille à l'Arménie.
Le financement de l'APD constitue un défi ; or le Gouvernement a renoncé à l'objectif de porter l'APD française à 0,7 % du RNB d'ici à 2025 et reporté toute mesure visant à inscrire cette aide dans la durée. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, plusieurs amendements relatifs à la TTF ont été adoptés par la commission des finances mais ils ont été écartés par le Gouvernement dans le cadre d'un énième 49.3.
La part de la TTF allouée à l'APD est plafonnée depuis 2017, malgré des recettes record récoltées chaque année. De la même façon, la part de la TSBA destinée à l'APD est identique depuis 2015. En parallèle, les pays du Sud global ont connu une forte hausse de leurs besoins, à la suite de conflits armés ou de phénomènes climatiques extrêmes. Alors que le Gouvernement reconnaît, depuis le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, le besoin d'une impulsion financière pour l'APD, pourquoi ne traduit-il pas ses engagements sur le plan national ?
Les amendements de la commission des finances relatifs à la TTF ne traduisaient-ils pas l'engagement de la première ministre quant à l'augmentation en volume de l'APD ?
La France est pionnière en matière de taxation innovante pour financer la solidarité internationale et la protection de la planète. Les produits de la TSBA, instaurée sous la présidence de Jacques Chirac, et de la TTF, depuis 2012, bénéficient à notre action en matière de santé mondiale, de lutte contre le VIH et de protection de l'environnement. Le montant des recettes de ces taxes affectées à l'APD est de 730 millions d'euros : c'est plus que dans n'importe quel autre pays. Le reliquat du produit de la TTF abonde le budget général de l'État et finance indirectement le développement.
Dans le cadre du nouveau pacte financier mondial, nous devons réussir à faire converger les pays en matière de taxation. La France, déjà championne dans ce domaine, ne peut résorber seule les inégalités mondiales. Nous sommes pionniers, non seulement à l'échelle nationale mais aussi à l'échelle internationale : à la COP28, le président kényan William Ruto, la première ministre barbadienne Mia Mottley et le président de la République annonceront le lancement d'une coalition internationale en matière de taxation financière.
J'associe Anne-Laurence Petel et Sarah Tanzilli à ma question relative à l'Arménie et aux 100 000 réfugiés du Haut-Karabagh victimes d'une véritable épuration ethnique. Au-delà de l'aide actuelle fournie par la France et l'AFD, l'Arménie est-elle éligible aux interventions de sortie de crise que propose l'AFD dans le cadre du programme 209 ? Je pense à un modèle de bonifications et de subventions, comme l'envisage également la Banque mondiale.
Le CICID de 2023 a pris un engagement en matière d'aide humanitaire, avec un objectif de 1 milliard d'euros en 2025. Cette hausse consolidera notre engagement dans les zones déjà frappées par des crises, y compris l'Arménie, tout en renforçant notre capacité à réagir à de nouvelles crises. Nous mobiliserons tous les instruments disponibles, notamment les prêts et les dons, au bénéfice de l'Arménie. Il faut savoir que le gouvernement arménien a refusé les prêts proposés par l'AFD entre 2016 et 2021. L'AFD avait alors poursuivi son action en accordant des subventions et des prêts aux entreprises arméniennes par l'intermédiaire de Proparco.
« Investir dans la jeunesse en soutenant l'éducation et la formation des professeurs dans les pays en développement » est l'une des priorités définies lors de la dernière réunion du CICID. En parallèle, un récent rapport du ministère de l'éducation nationale fait état d'un effondrement sans précédent de notre niveau d'éducation : les élèves de quatrième sont 53 % à ne pas maîtriser les compétences requises en français et 55 % à avoir les mêmes difficultés en mathématiques. Ces chiffres explosent dans les zones d'éducation prioritaire. Au vu de l'état de déliquescence très avancé de notre enseignement public, comment le Gouvernement entend-il éduquer les jeunes générations de pays étrangers quand il n'est plus en mesure d'éduquer nos propres enfants ?
Comme je l'ai dit plus tôt, je n'ai pas vocation à répondre aux questions de politique nationale. Je vous invite à vous adresser à mon collègue Gabriel Attal.
La France est fortement mobilisée pour l'éducation et son financement, qui sont au cœur de notre agenda international. Depuis 2018, nous avons investi 1,3 milliard d'euros par an dans ce secteur. En 2021, la France a renouvelé son engagement auprès du Partenariat mondial pour l'éducation, qui prévoit une contribution de 333 millions d'euros jusqu'en 2025. Nous accordons la même importance à l'éducation des garçons et des filles. Nous défendons aussi auprès des autres bailleurs la nécessité d'inscrire l'éducation comme priorité.
Lors de sa dernière réunion, le CICID a acté quelques rééquilibrages de notre politique d'aide au développement. Il est question de fixer de nouveaux objectifs, notamment celui de lutter contre l'immigration irrégulière et les filières clandestines, ainsi que de fixer de nouvelles modalités de gestion de l'APD. La liste des pays prioritaires a été supprimée et une amélioration du pilotage et de l'évaluation de notre politique de solidarité internationale est envisagée.
Comment comptez-vous concilier ces nouvelles modalités de gestion de l'APD avec la lutte contre l'immigration illégale ? Que pensez-vous de l'article 14 A introduit par le Sénat dans le projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration, qui conditionnerait notre aide internationale à l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière, notamment vis-à-vis des États délivrant un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires ?
Je suis persuadée qu'un conditionnement de l'APD aux sujets migratoires constituerait une mauvaise réponse à une bonne question.
Nous faisons déjà beaucoup sur le volet migratoire, et nous nous efforçons de faire davantage encore. L'ensemble de nos opérateurs ont reçu la consigne de consacrer davantage de moyens à des programmes de coopération en matière migratoire. Des courriers signés par deux ministres ont été envoyés à l'AFD, à Proparco et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Les questions relatives aux migrations et aux déplacements forcés ont mobilisé 15 % des financements extérieurs de l'Union européenne en 2022. Lors du CPD du mois de mai, le président de la République a décidé de faire figurer la lutte contre l'immigration irrégulière parmi les dix objectifs prioritaires de notre politique de développement. Nous finalisons actuellement une stratégie « Migrations et développement 2023-2030 » pour agir dans les cinq domaines identifiés par le plan d'action conjoint de La Valette : le retour, la lutte contre les filières, les frontières, la protection des migrants et la lutte contre les causes profondes de l'immigration illégale.
À l'échelle européenne, nous avons soutenu l'allocation de 10 % des financements à la gestion des migrations, ainsi que la mise en œuvre d'un mécanisme visant à récompenser les États les plus coopérants, notamment en matière de réadmission. Nous ne sommes toutefois pas favorables à une conditionnalité simple, parce que ce n'est pas efficace et que les montants en jeu sont très faibles. Le seul instrument que nous pourrions éventuellement conditionner est celui des aides budgétaires, dont le montant est réduit.
L'APD est un outil de long terme qui ne constitue pas un moyen de pression, d'autant que sa réduction mécanique risquerait d'accroître les départs, notamment des déplacés climatiques. Un projet de construction de barrage soutenu par l'APD est structurant et créateur d'emplois : il n'est pas aussi simple de s'en désengager que de couper une aide budgétaire.
Le problème migratoire étant concentré dans un nombre limité de pays, une mesure générique de conditionnalité endommagerait nos relations avec de nombreux pays pour un résultat incertain. L'APD est un outil d'influence diplomatique et économique ; la conditionner nous placerait dans une situation de fragilité vis-à-vis d'autres puissances, dont je tairai les noms, qui exploiteraient notre absence.
Le CICID a publié cette année les dix grands objectifs prioritaires de la politique de coopération internationale de la France, qui s'articulent autour de cinq grands axes, parmi lesquels figure le climat. Il s'agit d'accélérer la sortie du charbon et de financer les énergies renouvelables dans les pays en développement et émergents, ou encore de protéger les réserves les plus vitales de carbone et de biodiversité. Pour ce faire, le CICID s'engage à maintenir l'objectif de 6 milliards d'euros par an de financements en faveur du climat, au moins jusqu'en 2025, ainsi que celui de 1,5 milliard d'euros par an pour la biodiversité. Ces engagements vont dans le bon sens, à la veille de l'ouverture de la COP28. Qu'attendez-vous de cette COP ? Quels sont les autres instruments prévus par le CICID, afin d'agir au-delà de la négociation annuelle ?
La COP est certes un moment de négociation mais elle est aussi un endroit où créer des alliances, trouver des solutions et s'engager dans des projets concrets. Cette COP s'annonce très difficile pour négocier la sortie des énergies fossiles, que la France soutient avec force. Le président de la République défendra une initiative pour la sortie du charbon. Parmi nos autres objectifs, nous sommes favorables à un triplement des énergies renouvelables d'ici à 2030 et à l'établissement d'un bilan mondial qui ne soit pas seulement descriptif mais qui contienne aussi des recommandations en vue de la COP30. Ce ne sera pas facile mais la ministre Agnès Pannier-Runacher est pleinement mobilisée.
Quant à moi, il me revient de travailler en amont et en aval, afin de faire avancer les coopérations concrètes, notamment en matière de financement des actions climatiques, pour lesquelles je suis mobilisée dans le cadre de cette COP. En 2022, nous avons dépassé notre objectif de 6 milliards d'euros annuels en allouant 7,6 milliards de financements aux actions en faveur du climat, dont 2,6 milliards pour l'adaptation au changement climatique.
La COP28 sera aussi l'occasion de faire le point sur la mise en œuvre du Pacte de Paris pour les peuples et la planète – soutenu par quarante-deux États –, sur la protection des forêts tropicales, sur la prise en considération de la vulnérabilité, ainsi que sur les liens entre santé et climat.
Je compléterai la question de Mme Piron au sujet de la COP28 en évoquant le volet santé. La France a montré son engagement sur la question du lien entre santé et climat en en faisant la quatrième priorité de sa stratégie en santé mondiale 2023-2027. Vous avez vous-même souligné qu'il fallait renforcer notre résilience face aux risques sanitaires. Quelle sera donc la position défendue par notre pays lors de la journée dédiée à la santé mondiale dans le cadre de la COP28 ? Quelle stratégie adopterons-nous dans les négociations ?
C'est la première fois qu'une journée sera dédiée à la santé lors d'une COP. Une cinquantaine d'États y participeront. Nous espérons que ce sera un moment d'impulsion, de progrès, qui permettra au continuum santé-climat de devenir partie intégrante des futures COP.
Nous défendons l'approche « One Health » – une seule santé –, notamment dans le cadre de l'initiative Prezode. Lors de la pandémie de Covid-19, nous avons vu la corrélation entre santé humaine, santé animale et santé environnementale. Il y a des mobilisations en faveur de financements pour des recherches sur l'impact de l'environnement et du climat sur la santé humaine. Il faut parvenir à faire converger les financements de la Banque mondiale, laquelle a intégré la santé comme priorité, vers ce secteur. La présidence émirienne fera une déclaration en faveur d'un plan d'action détaillé, que nous soutiendrons.
Vous avez constaté que nous n'avons pas hésité à vous pousser dans vos retranchements car nous estimons que, depuis fort longtemps, sous la Ve République, le Parlement n'est pas suffisamment respecté. Nous avons des choses à dire, nous les avons dites et nous avons voté des lois, mais nous avons le sentiment, ces dernières années, que notre position n'est pas suffisamment prise en considération. J'ai dénoncé un comportement désinvolte vis-à-vis du Parlement, qui est très largement le fait des administrations, lesquelles considèrent que les parlementaires sont, au mieux, inutiles et, le plus souvent, toxiques.
Quant à vous, vous vous êtes prêtée en toute franchise et honnêteté au jeu des questions-réponses. Bien sûr, les précisions que vous avez apportées ne satisfont qu'une partie de cette commission : c'est normal, c'est là le jeu de la vie politique. Pour ce qui me concerne, votre audition m'a parue assez satisfaisante au regard de la façon dont doit fonctionner une démocratie. La commission vous en remercie. Vous n'êtes pas quitte : vous reviendrez devant nous et le jeu continuera.
Merci. Je réitère que je suis à la disposition de la commission.
La séance est levée à 11 h 05
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Xavier Batut, Mme Véronique Besse, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Nicolas Forissier, Mme Stéphanie Galzy, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, M. Philippe Guillemard, M. Michel Guiniot, M. Benjamin Haddad, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Élise Leboucher, M. Jean-Paul Lecoq, M. Didier Lemaire, Mme Yaël Menache, Mme Nathalie Oziol, M. Didier Parakian, M. Kévin Pfeffer, Mme Béatrice Piron, M. Jean-François Portarrieu, M. Adrien Quatennens, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, Mme Liliana Tanguy, M. Lionel Vuibert, M. Frédéric Zgainski
Excusés. - M. Sébastien Chenu, M. Pierre Cordier, M. Bruno Fuchs, M. David Habib, M. Meyer Habib, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Marine Le Pen, Mme Karine Lebon, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Laurence Vichnievsky, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa
Assistait également à la réunion. - M. Guillaume Garot