La commission entend M. Pierre Moscovici, président du Haut conseil des finances publiques sur l'avis du Haut conseil sur le projet de loi de finances pour 2024 (n° 1680) (M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général)
Nous recevons pour la deuxième fois cette semaine, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), M. Pierre Moscovici, afin qu'il nous présente l'avis rendu par le Haut Conseil sur le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, qui viennent d'être présentés à Bercy devant la presse. Cet avis porte sur les prévisions macroéconomiques qui fondent le PLF et le PLFSS, ainsi que sur la cohérence entre leur article liminaire et les orientations pluriannuelles de solde structurel fixées par la loi de programmation. Le Haut Conseil doit également donner son avis sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses du PLF et du PLFSS.
Le projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP), au sujet duquel nous avons déjà échangé, détermine la trajectoire de nos finances publiques d'ici à 2027. L'avis du Haut Conseil que je vous présente aujourd'hui examine la première brique, dont dépend la crédibilité de l'ensemble.
Conformément à la loi organique du 28 décembre 2021, le Haut Conseil a été non seulement saisi des prévisions macroéconomiques, mais il a également porté une appréciation sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses des PLF et PLFSS. Une fois n'est pas coutume, le Haut Conseil a bénéficié, en réponse à sa demande, d'un enrichissement des informations relatives aux finances publiques qui lui ont été transmises par l'administration et de délais presque convenables, puisque nous avons eu une semaine pour accomplir notre mission. Les choses s'améliorent donc, et vous n'entendrez pas notre traditionnelle remarque d'humeur médiocre à ce sujet. Je me félicite de la qualité de ces échanges, car nous pouvons mieux jouer notre rôle au service du Parlement et des citoyens.
Notre avis délivre deux messages principaux. Premièrement, les prévisions macroéconomiques du Gouvernement pour 2024 reposent sur une hypothèse de croissance de 1,4 % que le Haut Conseil estime élevée. Deuxièmement, la prévision d'un solde public de 4,4 points de PIB paraît, quant à elle, optimiste.
Après avoir faibli en 2023, la croissance de l'économie mondiale resterait globalement inchangée en 2024. Elle serait pénalisée par une inflation certes en baisse mais toujours élevée, et par des politiques monétaires durablement restrictives au sein des pays développés. L'environnement économique mondial devrait rester peu porteur pour la croissance française et nos finances publiques.
Aux États-Unis, en dépit du relèvement des taux par la Fed au rythme le plus rapide observé depuis quarante ans, la croissance a mieux résisté en 2023 que ce qui avait été anticipé. La hausse de l'emploi et le repli de l'inflation ont soutenu la croissance du revenu réel des ménages, donc leur consommation, tirée en outre par une forte baisse du taux d'épargne. L'ampleur du soutien budgétaire en faveur des infrastructures et de la réindustrialisation a également stimulé l'investissement. La dégradation de la situation financière des ménages, qui ont largement puisé dans leur épargne accumulée pendant la crise sanitaire pour nourrir leur consommation, ainsi que le resserrement monétaire, devrait cependant peser sur la croissance américaine en 2024. Les prévisions indiquent que celle-ci devrait ralentir significativement, même si ce pays devrait éviter la récession.
Quant au rebond de la croissance chinoise qui a suivi la levée des restrictions liées à la fin de la politique de zéro covid, il s'est révélé de courte durée. Les inquiétudes concernant la situation du secteur immobilier et la situation de l'emploi pèsent sur les dépenses des ménages et des entreprises qui ont eu tendance à privilégier l'augmentation de leur taux d'épargne et le désendettement. De surcroît, les tensions géopolitiques se sont traduites par une chute des investissements étrangers et un affaiblissement des exportations. L'évolution récente des prix à la consommation et le surendettement de certains acteurs majeurs de l'immobilier ainsi que des collectivités locales devraient continuer à peser sur l'économie chinoise dans les trimestres à venir, d'autant que les autorités sont peu enclines à stimuler la croissance – ce qui constitue un facteur d'incertitude.
Les économies de la zone euro traversent une phase de ralentissement. Les indicateurs publiés cet été signalent que l'activité pourrait se contracter dans plusieurs pays européens. La hausse des taux de la Banque centrale européenne de 450 points de base depuis juillet 2022 affecte progressivement les économies. La demande de crédit a chuté en lien avec la hausse des taux d'intérêt, entraînant une diminution des investissements et une dégradation du marché immobilier – nous n'en sommes pas préservés. En Allemagne, en particulier, les perspectives sont nettement assombries pour les prochains mois. Les instituts de conjoncture prévoient une contraction du PIB pour l'ensemble de 2023, notamment du fait de l'industrie. Toutefois, même si elle reste très modeste et sur une base dégradée, la croissance devrait intervenir en 2024. Elle serait comprise entre 1 % et 1,3 % selon les prévisions disponibles. L'activité allemande serait tirée par un rebond de la consommation, grâce à la conjonction d'une forte hausse des salaires et du recul de l'inflation, qui redonnerait du pouvoir d'achat aux ménages.
Ces prévisions sont marquées par beaucoup d'incertitudes : les tensions géopolitiques ; la poursuite du conflit en Ukraine ; l'évolution des prix du pétrole, qui sont passés de 80 dollars à la fin juillet à 90 dollars à la mi-septembre après la décision de l'Opep de restreindre son offre de pétrole ; la vitesse et l'ampleur du repli de l'inflation, lequel conditionne la trajectoire à venir des taux d'intérêt des banques centrales ; la densité et la gravité des effets de la hausse des taux déjà effectuée sur la croissance et l'inflation ; les risques sanitaires qui n'ont pas disparu même s'ils ont nettement reculé.
Concernant les prévisions macroéconomiques du Gouvernement, le Haut Conseil considère que le taux de croissance retenu pour l'économie française en 2024 est élevé, mais que la prévision de l'inflation, à 2,6 %, et celle de la masse salariale sont plausibles. Au-delà des nombreux aléas que je viens de mentionner, l'exercice de la prévision économique appelle à beaucoup de modestie. L'évolution de certains comportements économiques, comme le taux d'épargne des ménages – pourquoi est-il élevé ? – et la faiblesse durable de la productivité sont difficiles à comprendre pour tout le monde. Les hypothèses quant à leur persistance ou, au contraire, un retour à la normale, diffèrent fortement selon les prévisionnistes que le Haut Conseil a auditionnés. Elles ont pourtant une incidence majeure sur les prévisions économiques.
Selon le Gouvernement, la croissance du PIB s'établirait à 1 % en 2023 et à 1,4 % en 2024. Avec une hausse de 0,5 % au deuxième trimestre 2023, l'activité économique en France a été beaucoup plus soutenue que ce qui avait été anticipé, portant l'acquis de croissance à 0,8 % à la fin du premier semestre. Depuis, l'économie semble être entrée dans une phase de ralentissement. Le resserrement de la politique monétaire commence à se faire sentir, au-delà du secteur immobilier qui est déjà fortement affecté. Les informations conjoncturelles disponibles pour le troisième trimestre montrent un fléchissement des anticipations des chefs d'entreprise et une confiance des ménages qui peine à se redresser. La prévision du Gouvernement d'une croissance de 1 % en 2023, équivalente à celle de la Commission européenne, reste cependant plausible, car une croissance trimestrielle légèrement positive aux deux derniers trimestres est suffisante pour l'atteindre.
En revanche, pour 2024, la prévision du Gouvernement s'écarte nettement de celles des autres instituts de prévision. Elle est légèrement supérieure à celles de la Commission européenne, à 1,2 %, de l'OCDE, à 1,2 % et du FMI, à 1,3 %, même si ces deux dernières datent de près de trois mois. Elle est supérieure à celle du consensus des économistes de septembre, à 0,8 %, dans une fourchette comprise entre 0,3 % et 1,3 % ; supérieure également à celle de tous les prévisionnistes auditionnés par le Haut Conseil, aussi divers que Rexecode, l'OFCE et la Banque de France – ces estimations varient entre 0,4 % et 0,9 %. En outre, il nous semble que les hypothèses du Gouvernement sont fragiles. Elles supposent que le durcissement des conditions de crédit aura des effets limités sur l'investissement des entreprises en 2024 et que, contrairement aux prévisions des instituts auditionnés par le Haut Conseil, il entraînera un recul beaucoup plus faible de l'investissement des ménages en 2024 qu'en 2023. Aussi affirmons-nous que cette prévision est élevée, même si nous reconnaissons que, compte tenu des nombreuses incertitudes qui affectent toute prévision pour 2024, elle n'est pas inatteignable. Mais qu'elle soit éventuellement atteignable n'en fait pas pour autant une bonne base pour construire une loi de finances. En général, les informations disponibles ne conduisent pas à prévoir une croissance de 1,4 %, et le Haut Conseil le dit.
Concernant l'inflation, l'augmentation de l'indice des prix à la consommation serait de 4,9 % en moyenne en 2023 selon le scénario du Gouvernement. C'est plausible. Pour 2024, sous une hypothèse de 86,10 dollars du baril, l'inflation est prévue à 2,6 % en moyenne annuelle. Le repli de la hausse des prix des produits alimentaires et manufacturés se poursuivrait, tandis que celui des services progresserait à un rythme plus élevé que celui constaté avant la crise sanitaire, du fait de hausses de salaires plus dynamiques. Le Haut Conseil estime que cette prévision est, elle aussi, plausible. Comme pour 2023, il nous semble toutefois qu'elle est affectée d'un risque de dépassement, lié notamment à la hausse récente du prix du pétrole.
Le Haut Conseil considère également que la prévision de masse salariale pour 2023 et 2024 est plausible.
En somme, notre avis est que la prévision de croissance pour 2024 est élevée, même si des incertitudes demeurent, que la prévision d'inflation est crédible avec toutefois des risques de dépassement, et que les prévisions d'emploi et de masse salariale sont plausibles.
J'en viens aux prévisions relatives aux finances publiques. Le scénario du Gouvernement prévoit un solde public effectif de moins 4,9 points en 2023 et de moins 4,4 points en 2024. La prévision de solde pour 2023 n'appelle pas de remarque. Elle semble plausible. Celle pour 2024 nous paraît conjuguer principalement des hypothèses favorables, tant du côté des recettes que de celui des dépenses, et pourrait être surestimée.
Détaillons les prévisions d'évolution des recettes. En 2023, les prélèvements obligatoires augmenteraient, selon le Gouvernement, de 3,7 % pour atteindre 1 241 milliards. L'évolution de ces recettes refléterait une croissance spontanée,de 4 %, sensiblement inférieure à celle du PIB en valeur, se traduisant par une élasticité des recettes nettement inférieure après deux années d'élasticité particulièrement élevée. La liste des principaux impôts ne fait pas ressortir de biais importants. En 2024, la prévision de prélèvements obligatoires serait à 1 292 milliards d'euros, soit plus 4,1 % par rapport à 2023, et très proche de celle du PIB en valeur. Les mesures nouvelles viendraient amputer les recettes de prélèvements obligatoires à hauteur de 1,5 milliard d'euros. Cette prévision paraît haute, notamment du fait d'une hypothèse de croissance de l'activité elle-même optimiste : 0,5 point de croissance en plus ou en moins représente 0,2 point de déficit en plus ou en moins. Ce biais affecte plus particulièrement les prélèvements obligatoires dont les assiettes sont les plus corrélées au PIB, comme la TVA et l'impôt sur les sociétés. Au-delà de l'incidence de l'hypothèse de croissance, la prévision de prélèvements obligatoires est aussi tirée par des hypothèses favorables concernant le rendement de certains impôts, avec notamment une croissance prévue de la TVA supérieure à celle de sa base taxable et un arrêt prévu de la baisse des droits de mutation à titre onéreux. Pour résumer nos observations, les recettes nous paraissent un peu surestimées.
J'en viens à l'évolution des dépenses publiques. En 2023, hors crédits d'impôt, celles-ci augmenteraient de 3,4 % en valeur, pour s'élever à 55,9 points de PIB contre 57,7 en 2022. En volume, elles reflueraient de 1,3 %, ce qui résulte de la quasi-extinction des dépenses liées à la crise sanitaire – le « quoi qu'il en coûte » serait enfin fini –, et de la baisse du coût des mesures liées à l'inflation et aux dépenses de relance. Une fois ces dépenses exclues, les dépenses publiques augmenteraient de 5,4 % en valeur et de 0,5 % en volume. En 2024, les dépenses augmenteraient de 3 % en valeur et de 0,5 % en volume. La progression serait cependant nettement plus sensible : une fois neutralisées les mesures exceptionnelles de soutien, elle atteindrait 4,8 % en valeur et 2,2 % en volume. En 2024, le poids des dépenses publiques dans le PIB serait encore supérieur de 1,5 point à ce qu'il était avant la crise sanitaire, à 55,3 contre 53,8 en 2019.
Dans le nouveau périmètre des dépenses de l'État, la très forte réduction du coût des mesures de soutien face à la hausse des prix de l'énergie serait presque compensée par la hausse résultant des priorités gouvernementales. Les mesures en faveur de la transition énergétique ou écologique augmentent de 7 milliards d'euros. Les mesures d'attractivité pour l'éducation nationale progressent de 3,1 milliards d'euros. Les politiques sectorielles font l'objet de crédits supplémentaires inscrits dans les lois de programmation pour la défense, la justice, la recherche et l'intérieur.
Enfin, la charge des intérêts de l'État augmenterait entre 2023 et 2024 de près de 10 milliards d'euros en comptabilité nationale. Cette prévision de hausse des dépenses publiques est sujette, selon nous, à plusieurs facteurs de dépassement. D'abord, le coût du bouclier tarifaire pour les prix de l'électricité, maintenu en 2024, est fortement dépendant des prix à venir sur les marchés de gros, et son coût paraît faible au vu des prix observés au cours des derniers mois. Ensuite, le Gouvernement prévoit un net ralentissement des dépenses de santé sous Ondam (objectif national de dépenses d'assurance maladie) à 3,2 %, contre 4,8 % en 2023 : cela suppose un infléchissement de la tendance spontanée des soins de ville, qui semble optimiste, et un volet d'économies de 3,5 milliards d'euros, qui est costaud. Un tel montant d'économies a déjà été atteint par le passé, mais il paraît sensible ou complexe à atteindre dans un contexte de tensions, notamment dans le secteur hospitalier et dans l'offre de médicaments. Par conséquent, les dépenses publiques pourraient s'avérer plus élevées que prévu, en particulier s'agissant du coût des dispositifs énergétiques et des dépenses de santé.
Au total, il ressort de cette analyse des recettes et des dépenses par le Haut Conseil que la prévision de hausse de 4,4 % des dépenses publiques qui vous sera présentée n'est pas inatteignable, mais est optimiste.
Enfin, le ratio de dette publique diminuerait de deux points en 2023, pour s'établir à 109,7 points de PIB grâce à une croissance de 6 % de ce dernier, et il ne baisserait plus en 2024. La croissance du PIB en valeur serait encore forte, mais retrouverait une valeur plus proche des évolutions des vingt dernières années.
En conclusion, 2024 sera une année charnière pour nos finances publiques. Notre déficit public demeure toujours sensiblement supérieur à la limite de trois points de PIB prévus par les règles du pacte de stabilité, et il se ralentit lentement. Or la Commission a annoncé que la clause dérogatoire générale activée en 2020 ayant conduit à une suspension de facto des règles applicables devrait être désactivée à la fin de 2023 et qu'elle ouvrirait, le cas échéant, des procédures pour déficit excessif dès le printemps 2024. Par conséquent, les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2024 sont importants et scrutés. C'est la première étape qui doit conduire au respect de nos engagements européens. Je souhaite, pour ma part, que ces règles soient réformées d'ici à la fin de l'année.
Le Gouvernement prévoit une progression sensible des dépenses publiques en 2024, malgré une sortie des crises sanitaire et énergétique et l'extinction des mesures de soutien qu'elles ont suscité. Les dépenses continueront à augmenter davantage que le recommandait l'Union européenne dans le cadre du semestre européen en juin dernier.
Dans un contexte de forte progression de la charge d'intérêt et des dépenses, le projet de loi de finances contient peu de mesures d'économies structurelles. Pourtant, 2023 était le premier millésime des revues de dépenses organisées et le projet de loi prévoit une quasi-stabilité du taux de prélèvements obligatoires. Il en résulte une simple stabilité du ratio de dette prévu, alors même que la France voit sa position d'endettement relatif au sein de la zone euro se dégrader au cours des dernières années. Depuis 2020, et même avant, le Haut Conseil appelait l'attention sur le risque de la dette : ce n'est plus un risque. Avec 31 milliards d'euros en 2021, 57 milliards cette année et 84 milliards en 2027 – ce sont les chiffres du Gouvernement –, la charge de la dette annuelle connaîtra un quasi-triplement et devient progressivement supérieure au poste budgétaire le plus élevé de l'État. C'est pourquoi le Haut Conseil continue à appeler à la plus grande vigilance quant à la soutenabilité à moyen terme de nos finances publiques.
Vous estimez que la prévision de croissance pour 2024, même si elle a été récemment baissée par le Gouvernement de 1,6 à 1,4 %, reste élevée face à celles de la Banque de France, de 0,9 %, et du consensus des économistes, de 0,8 %. Bruno Le Maire fait régulièrement remarquer que les prévisions des mêmes économistes étaient plus pessimistes que le résultat attendu pour la fin de l'année. Pour ma part, je considère que le maintien de la croissance en France est peut-être lié à l'importance des dépenses publiques dans notre pays. En période de reflux, c'est un élément plutôt positif pour maintenir une activité économique, et cela explique pourquoi la France n'était pas entrée en récession après la crise des subprimes. J'y vois l'une des raisons d'un non-dit que vous relevez : la baisse pérenne des dépenses publiques, de 12 milliards d'euros, est finalement annoncée pour 2025 dans la LPFP, sans être documentée et, pour 2024, le Gouvernement se garde bien de procéder à une telle baisse – quand il y a une récession en Allemagne et quand un reflux de l'économie s'annonce en Chine, ce n'est pas le moment de baisser les dépenses publiques. Mais on ne le reconnaît pas et on propose une cote mal taillée.
Peut-être aussi que les prévisions de croissance du Gouvernement sont plus élevées que les autres à cause d'une vision du pouvoir d'achat des Français faussée par un raisonnement en moyennes. En se fondant sur une hausse de 1,8 % de la consommation soutenue par une hausse du pouvoir d'achat de 1,3 %, le Gouvernement ne tient pas compte des profondes inégalités parmi les ménages. Depuis fin 2021, la consommation en volume de produits agricoles et de produits agroalimentaires a baissé respectivement de 10,2 % et 11,6 % mais ces baisses ne touchent pas indifféremment toutes les catégories sociales, et l'augmentation du pouvoir d'achat est plus forte pour les plus riches, en particulier ceux qui perçoivent des revenus du capital – les dividendes et intérêts nets reçus par les ménages ont en effet augmenté de 4,2 % au deuxième trimestre 2023. En se reposant sur des moyennes, on ne voit pas que ce phénomène touchant la consommation est très largement porté par ceux de nos concitoyens qui n'ont pas ces moyens pour vivre et sont frappés par la crise. Pour moi, l'explication de la distorsion est là. Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, la diminution du taux d'épargne de 0,4 % me laisse sceptique, alors que les Français, en particulier les plus populaires qui disposent malgré tout d'une petite épargne, commencent à y puiser pour faire face à la hausse des prix.
Enfin, vous considérez que les dépenses pourraient s'avérer plus élevées que prévu compte tenu du coût des dispositifs énergétiques et des dépenses de santé. D'ailleurs, en même temps qu'on annonce la fin du bouclier énergétique, le chef de l'État annonce un chèque carburant pour une grande partie des Français, reconnaissant ainsi que l'inflation continue à sévir sur le marché énergétique. Il serait également temps de comprendre qu'elle est davantage liée aux marges des entreprises qu'à l'organisation du secteur énergétique dans le monde.
Pour toutes ces raisons, je suis assez d'accord avec votre prudence et votre avis. Prenons date, je pense qu'à la fin 2024, le déficit sera plus élevé qu'annoncé par le Gouvernement, parce que la réalité rattrapera le budget.
Présidence de Mme Véronique Louwagie, vice-présidente de la commission.
Dans votre avis, toutes les hypothèses pour 2023 sont considérées comme plausibles. C'est dire que, malgré un environnement économique international particulièrement difficile, nous avons tenu nos objectifs en matière de dépenses, de déficit et de croissance. Par ailleurs, nous proposons un PLF empreint de responsabilité, avec la réduction des déficits conforme à la trajectoire définie dans la loi de programmation, l'accélération exceptionnelle de la transition écologique et le soutien des services publics prioritaires. Pour 2024, nous anticipons à la fois une baisse significative de l'inflation – projection que vous considérez comme plausible – et une augmentation de la croissance. Même si vous considérez que c'est optimiste, cela laisse penser que le plus dur est derrière nous.
Votre avis est balancé entre des considérations plausibles et des considérations optimistes.
Vous indiquez que la prévision de croissance du Gouvernement est trop optimiste, en particulier s'agissant du sous-jacent constituée la progression de la consommation et du pouvoir d'achat des Français. Pourtant, vous estimez que l'estimation gouvernementale du taux d'épargne des ménages est élevée. Quelles politiques publiques permettraient de libérer cette épargne ?
Vous considérez que le niveau de dépenses publiques anticipé par le Gouvernement pour 2024 pourrait être sous-estimé, en raison du coût du bouclier pour l'électricité et de l'Ondam, étant rappelé que ce dernier augmentera plus que l'inflation, l'an prochain. La piste d'une reconduite de la taxation exceptionnelle des profits des énergéticiens en 2024 pourrait-elle nous aider ? Les mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement pour assurer « l'atterrissage » 2023, comme l'annulation récente de 5 milliards de crédits, ne sont-elles pas des gages de sérieux pour la tenue de notre budget pour 2024 ?
Le président Coquerel a livré de la résilience relative de l'économie française en 2023 une explication que je respecte, mais personne n'est en mesure d'expliquer ce qui s'est passé au deuxième trimestre 2023. Tirer une interprétation générale et systémique de ce phénomène intervenu entre une tendance assez plate au premier trimestre et un ralentissement au troisième et au quatrième trimestres, me paraît audacieux, et je ne m'en sens pas capable.
Les mesures de soutien ont, certes, contribué à préserver le pouvoir d'achat des ménages, mais la consommation de ces derniers, qui a reculé de 0,2 % en 2023, n'a pas été le moteur de la croissance ; celle-ci a plutôt reposé sur l'investissement et les exportations. Peut-être y a-t-il eu un phénomène exportation ; en tout cas, quelque chose s'est passé, qui est un isolat. Peut-être est-ce une conséquence structurelle, la France a été moins handicapée que l'Allemagne par sa moindre exposition au gaz russe et aux marchés mondiaux. Tout cela ne me paraît pas être en lien direct avec la dépense. Il existe toujours de bons motifs de ne pas toucher à la dépense, mais nous sommes restés en croissance positive.
Enfin, assimiler les choix qui seraient faits cette année à de l'austérité n'aurait pas grand sens : notre pays n'a pas voté un budget en équilibre depuis cinquante ans et nonobstant les choix qui seront faits, la dépense continuera de croître dans la plupart des départements ministériels. Nous atteindrons encore le niveau de 55,9 % de dépenses publiques dans le PIB – si c'est cela l'austérité… La dépense publique par habitant est de 28 % supérieure à ce qu'elle était en 2000. La France ne sort pas vraiment de vingt années d'austérité et elle n'y est toujours pas entrée – nous ne le préconisons en rien.
Monsieur le rapporteur général, je suis un peu embarrassé par vos questions parce qu'au fond, nos analyses convergent. Il ne faut pas faire dire au HCFP ce qu'il ne dit pas. Le HCFP se fonde sur les prévisions qu'on lui donne, celles du Gouvernement et celles des autres, pour faire des raisonnements économiques. Son rôle n'est pas de faire des préconisations de politique publique. Il ne porte pas de jugement sur ce que fait le Gouvernement ; il fournit les bases du débat. Celles-ci sont toujours objectives et si elles déplaisent, c'est involontaire. Ce sont les analyses d'un cénacle pluraliste, dont les membres ont des opinions diverses.
Nous considérons que la prévision de croissance est élevée. Elle l'est. Elle est plus élevée que celles du consensus des économistes et de la Banque de France, plus élevée, en réalité, que celles de tout le monde. C'est un fait. Il arrive que ce soit démenti, comme cela a été le cas en 2023, ce n'est pas pour autant que la prévision est erronée. Je souhaite constater, en 2024, que les résultats sont meilleurs que prévu. Du point de vue des mécanismes économiques, ce qui nous fait penser que la prévision est élevée, c'est que pour la totalité des postes de demande – consommation, investissement, exportations –, le Gouvernement est plus optimiste que les organismes auditionnés par le Haut Conseil. Notamment, il suppose que le durcissement des conditions de crédit a produit l'essentiel de ses effets, en particulier sur l'investissement des ménages, ce qui est une hypothèse favorable. Comment faire baisser l'épargne, je ne le sais pas, mais la question me semble plutôt de savoir comment vous arrivez à une hypothèse de baisse du taux d'épargne aussi optimiste et qui ne repose pas sur des comportements observables.
L'avis est balancé. Nous ne disons pas que la prévision de croissance est insincère ou irréaliste ; elle est atteignable. Elle n'est pas hors de portée pourvu que toutes les hypothèses très favorables se cumulent. Cela peut arriver et c'est pourquoi nous nous gardons de toute caricature. Mais il faut vraiment que les planètes s'alignent.
De la même façon, nous considérons que le déficit est optimiste mais pas inatteignable. Nous n'avons pas chiffré ce que serait le dépassement. Il ne serait peut-être pas considérable. Simplement, j'observe qu'un ralentissement pour atteindre 4,4 % de déficit serait déjà assez faible comparé à nos engagements européens, d'où la nécessité d'être vigilant. Tel est le message du HCFP, ni plus ni moins.
Nous avons lu avec attention l'avis du Haut Conseil des finances publiques : il tord le cou à de nombreuses contre-vérités qui circulent concernant le budget pour 2024.
Il n'est pas sérieux, nous dit-on. Le Haut Conseil estime que les prévisions sont plausibles et vraisemblables, mais que les nombreuses incertitudes dues à la situation économique, en particulier l'évolution de l'inflation, les rendent difficiles. Bercy a donc travaillé rigoureusement.
Le budget serait laxiste. Il prévoit pourtant une baisse du déficit et une stabilisation de la dette. La France est donc bien sur la route du rétablissement des finances publiques – un rétablissement prudent, pour ne pas casser la croissance comme cela a été le cas par le passé.
Le PLF incarnerait aussi l'austérité ou la casse sociale. Or les dépenses d'administration ou de sécurité sociale sont en hausse, les pensions de base sont revalorisées à plus de 5 % et les prestations familiales à près de 5 %, et l'Ondam est en hausse. Peut-on parler d'austérité dans un pays qui connaît une croissance de ses dépenses sociales ?
On dit que l'économie française s'effondre. Or le Gouvernement prévoit une croissance de 1,4 % en 2024, ce qui est mieux que l'Allemagne et les États-Unis comme c'est écrit dans l'avis. C'est bien le fruit de la politique économique et fiscale que nous menons depuis 2017.
Enfin, concernant les collectivités locales, l'avis montre qu'il existe une hausse des dépenses de fonctionnement contraintes, en raison de l'inflation et de la revalorisation du point d'indice. Mais il dit aussi clairement qu'il existe une progression encore forte de l'investissement des collectivités territoriales. Il est donc, là encore, à rebours du discours ambiant de certaines associations d'élus.
Nous partageons vos inquiétudes concernant les indicateurs et les ratios que vous avez présentés : un solde public optimiste, à 4,4 % du PIB ; une inflation de 2,6 % crédible mais que les prix du pétrole et la hausse inquiétante des taux d'intérêt risquent de compromettre ; une croissance élevée, à 1,4 %, supérieure aux prévisions, entre 0,4 % et 0,9 %, d'autres organismes et instituts ; une augmentation alarmante de 10 milliards d'euros des charges d'intérêt en 2024, en passe de devenir bientôt le premier budget de l'État, devant celui de l'éducation nationale.
En 2020, la Commission européenne a déclenché la clause dérogatoire du pacte de stabilité qui a permis à la France de s'écarter des exigences budgétaires jusqu'en 2023. En 2024, cette clause prendra fin et la France risque de voir se déclencher le mécanisme de correction. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, le rapport du HCFP ne parle pas de la crise immobilière en gestation alors qu'elle jouera nécessairement sur le BTP.
Si je traduis vos propos, le Gouvernement joue au 421 avec le budget pour 2024 : c'est possible, mais peut-être pas probable.
Des prévisions de croissance que vous dites élevées et optimistes, dans un contexte d'austérité avec une baisse budgétaire de 16 milliards d'euros, ne sont-elles pas de nature à plomber l'économie ?
S'agissant de l'épargne, une hausse des salaires ne permettrait-elle pas de la débloquer ?
Malgré la hausse de certains salaires, la Fédération hospitalière de France estime à 5 milliards le manque à gagner pour l'hôpital à l'horizon de 2027, ce qui se traduirait par une dégradation des conditions de travail et donc de la santé des Français. L'évolution annoncée de l'Ondam est-elle responsable ?
Comment évaluez-vous le risque que fait courir à l'économie l'amplification de la crise immobilière ?
Les efforts d'investissement dans la transition écologique sont-ils en mesure de soutenir la croissance et d'orienter enfin la France vers le respect de ses engagements ?
Nous avions alerté quant aux conséquences que pourrait avoir le « quoi qu'il en coûte ». L'évolution économique était prévisible, mais elle devient vertigineuse et continue de nous inquiéter.
Dans l'état des lieux précis que vous avez dressé, plusieurs voyants passent au rouge. La situation internationale présente des signes de décrochage – vous avez parlé de la récession en Allemagne. Les présidents des fédérations bancaires évoquent 25 % de chute des encours de crédit. La consommation alimentaire est en chute de 12 % en volume depuis un an et demi. Les orateurs précédents ont parlé de la crise du logement et du bâtiment, et d'autres investissements seront bientôt touchés. On anticipe des destructions d'emplois par centaines de milliers, et une charge de la dette, fruit du « quoi qu'il en coûte », qui rendra impossible toute marge de manœuvre. Tout cela est la conséquence logique d'une inflation très élevée, qui atteint deux chiffres sur les produits du quotidien.
Votre rapport parle d'un manque de crédibilité de la trajectoire de redressement présentée par le Gouvernement et de prévisions optimistes pour la croissance en 2024 et après. J'évoquerai, pour ma part, l'évolution de l'emploi salarié : elle s'effondre cette année mais, selon les prévisions du Gouvernement, elle rebondirait comme par magie à partir de l'année prochaine. On est loin des consensus économiques !
Au sujet de la trajectoire de redressement présentée par le Gouvernement, vous parlez d'un manque de crédibilité et de prévisions optimistes pour la croissance en 2023, 2024 et après. J'évoquerai, pour ma part, l'évolution de l'emploi salarié. Elle s'effondre cette année mais, dans les prévisions du Gouvernement, elle rebondirait comme par magie à partir de l'année prochaine. On est loin des consensus économiques !
Puisque vous n'émettez pas d'avis politique, parlons mathématiques. Sur quel montant d'économies supplémentaires devrait-on travailler dès 2023 ou en 2024 pour contrôler l'évolution des finances publiques et la charge de la dette issue de la décennie Macron ?
Si l'on corrige les hypothèses du Gouvernement pour les aligner sur celles du consensus, cette charge franchira-t-elle la barre des 100 milliards d'euros annuels – le double du budget de la défense et une fois et demie celui de l'éducation nationale – avant la fin du quinquennat ? Dans la période actuelle, il faut de la transparence, une vision de long terme et peut-être un peu de courage.
Je salue la lucidité de votre évaluation quant à la robustesse des bases sur lesquelles repose notre projet de budget pour 2024. Les indicateurs macroéconomiques relatifs à l'inflation et à la croissance démontrent la capacité de résilience et de rebond de notre économie à la sortie d'une période tumultueuse, assurant ainsi une croissance significative et un contrôle rigoureux de l'inflation propres à protéger nos concitoyens. Cependant, vous exprimez des réserves quant à la prévision de croissance du Gouvernement, estimée à 1,4 %. Cette anticipation se rapproche pourtant sensiblement des projections avancées par des institutions internationales reconnues, comme le Fonds monétaire international (FMI) et l'OCDE.
Vous évoquez une possible sous-estimation des conséquences du resserrement des conditions de crédit. Quels facteurs pourraient, selon vous, entraîner un effet plus prononcé de ce resserrement sur les capacités d'investissement de nos ménages dans les prochains mois ?
Concernant les recettes fiscales, vous suggérez que la croissance des recettes de l'impôt sur le revenu pourrait être supérieure à nos estimations compte tenu de la vitalité des prélèvements à la source sur les revenus mobiliers. Pouvez-vous éclairer cette analyse ?
Enfin, le Gouvernement anticipe une modération de 0,4 % du taux d'épargne des ménages, hypothèse que vous jugez optimiste. Si ce taux diminuait davantage en 2024, quelles pourraient être les conséquences pour notre économie ?
Nous avons reçu le PLF peu avant cette réunion, mais je crois savoir que certains journalistes l'ont eu plus tôt, à trois heures du matin. Je tenais à exprimer cette remarque.
La prévision de croissance, à 1,4 %, se situe loin au-dessus du consensus à 0,8 % – un écart de 0,6 %, c'est énorme. Le qualificatif « élevé » employé par le Haut Conseil semble bien doux en comparaison de ceux qu'il a pu utiliser il y a quelques années. Avez-vous simulé les effets sur les autres variables macroéconomiques et sur les finances publiques d'un budget reconstruit sur une hypothèse de croissance de 0,8 % ?
La non-reconduction en 2024 de la contribution sur la rente inframarginale nous interroge. Le manque à gagner pourrait être de 3 milliards d'euros. Avez-vous interrogé le Gouvernement quant à ce choix ? Que pouvez-vous dire de la contribution exceptionnelle des raffineurs ? Alors qu'elle était chiffrée à 200 millions d'euros, il semblerait qu'on soit plutôt à 1 voire 1,2 milliard. Les documents ne sont pas clairs.
Le rapport du Haut Conseil confirmerait la prévision de croissance de la masse salariale autour de 3,6 % en 2024. Elle pourrait être atteinte, mais avec une croissance du salaire moyen plus haute, et de l'emploi, plus faible. Or les politiques budgétaires en matière d'emploi se justifient en partie par la prévision de croissance de l'emploi. Quel regard porte le Haut Conseil sur la diminution de 600 millions d'euros des crédits alloués à la mission Travail ? Ma question est la même concernant la diminution marquée des pactes régionaux d'investissement dans les compétences. L'État devait y investir 15 milliards d'euros entre 2017 et 2025, mais cet investissement chuterait à 3,9 milliards. Une erreur de prévision n'entraînerait-elle pas le risque de poursuivre une politique dévastatrice pour l'emploi et, par extension, pour la masse salariale ?
L'avis du Haut Conseil relève que les prévisions macroéconomiques du Gouvernement sont un peu optimistes quant au taux de 1,4 % de croissance pour 2024, mais plausibles en ce qui concerne notre taux d'endettement. Compte tenu de la situation à l'étranger, en particulier aux États-Unis, quelles sont les perspectives de sortie de l'inflation en France ? Les négociations voulues par Bercy sur les prix de l'alimentaire entre les industriels et les distributeurs permettront-elles d'endiguer, d'amortir, d'accompagner ce phénomène ?
Vous appelez aussi notre vigilance sur notre niveau de dette, qui nous prive de marges de manœuvre suffisantes pour faire face à des chocs macroéconomiques d'envergure ou à une crise comme celle de la covid en 2020. Nous sommes dans l'attente d'une réévaluation de la situation économique de la France par les agences de notation ; celle-ci arrivera courant octobre, soit en pleine discussion du projet de loi de finances. En matière budgétaire, mieux vaut préparer le pire pour attendre le meilleur : quelles seraient les conséquences d'une dégradation de la note de la France pour nos prévisions macroéconomiques et pour le contenu et les enjeux du PLF ?
Le Haut Conseil se montre très prudent vis-à-vis des projections gouvernementales, s'agissant notamment de la prévision de croissance pour 2024, élevée par rapport à celles du consensus des économistes et d'autres organismes, ou d'un optimisme marqué pour tous les postes de demande, y compris de consommation et d'investissement. S'agissant de la dette publique, il rappelle l'importance de sa soutenabilité à moyen terme pour faire face à d'éventuels chocs économiques ou financiers ainsi qu'aux « besoins élevés d'investissement public, en particulier pour la transition écologique ». Les Écologistes rejoignent cette position ; clairement, il nous faut des moyens supplémentaires pour la financer : 13,9 milliards d'euros supplémentaires dès le PLF 2024 pour les transports, la rénovation thermique des bâtiments, les énergies renouvelables et l'agriculture.
Votre avis concernant les dépenses et la dette publique prend-il suffisamment en compte les avantages économiques potentiels de la transition écologique pour nos finances publiques, notamment en matière de création d'emplois, de croissance et de résilience économique ?
Comment garantir la crédibilité et l'attractivité de la France en retardant les investissements essentiels pour l'avenir ? N'est-ce pas un risque que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre, face à l'urgence climatique ?
Quelle appréciation juridique et comptable faites-vous de l'augmentation sous-entendue du budget vert de 33 à 40 milliards, soutenue par la majorité et par le Président de la République ?
Lors de la première lecture de la loi de programmation des finances publiques, le Haut Conseil avait soulevé dans son avis une insuffisante documentation de la lutte contre la fraude en ces mots : « L'effort de maîtrise de la dépense et la hausse prévue de certaines recettes, inscrits dans la loi de programmation, ne sont que partiellement documentés. » La situation vous semble-t-elle avoir évolué avec le PLF 2024 ? Le Haut Conseil peut-il faire un suivi de son avis ?
Enfin, que pensez-vous des propositions visant à renforcer durablement les effectifs et certains moyens juridiques français et européens – douanes, DGFIP, Urssaf – pour lutter contre les fraudes ?
Merci pour cet avis copieux.
Vous signalez, page 19, que la réforme des retraites coûte aux finances publiques en 2024, avec 2,2 milliards d'euros de dépenses supplémentaires pour 2 milliards d'économies. Avez-vous tenu compte de l'incidence pour l'Unedic et les finances départementales, essentiellement sur le RSA ?
Vous signalez que le déficit structurel, dans les prévisions gouvernementales, ne baisse que de 0,4 point de PIB en 2024. Or, dans le pacte de stabilité, l'Union européenne demandait à ceux qui étaient au-dessus de 60 % de PIB de dette publique de porter cette baisse à 0,5 point. La France risque-t-elle de faire l'objet d'une procédure pour déficit excessif ?
L'hypothèse gouvernementale de baisse du taux d'épargne est-elle crédible compte tenu des indicateurs qualitatifs ?
Votre comparaison de l'évolution de la productivité du travail en France et dans les autres pays européens montre l'anomalie française. Comment l'interprétez-vous ? N'existe-t-il pas un risque pour l'emploi, avec le redressement de la productivité – on ne voit pas comment celle-ci pourrait continuer à baisser ?
Quelle est l'incidence du prix du baril de pétrole, plus élevé que dans les prévisions gouvernementales ? Quelle est la sensibilité de la croissance et de l'indice des prix ?
Enfin, vous signalez que la croissance de la TVA est supérieure à celle de sa base taxable. Comment expliquer un tel phénomène ? Est-ce parce qu'il n'y a plus que 100 milliards de TVA dans le budget de l'État alors que son produit est de 200 milliards ? La sécurité sociale et les collectivités territoriales en prendraient donc une part croissante ?
Nombre de questions entrent déjà dans le débat sur le PLF mais, étant président du Haut Conseil des finances publiques, je me garderai d'y répondre. Nous ne sommes pas là pour évoquer des scénarios alternatifs ; ce n'est pas notre mission.
Nous avons jugé que la prévision d'inflation du Gouvernement était plausible. Toutefois, l'incertitude demeure très forte car elle a été établie sur un prix du baril légèrement inférieur à ce qu'il est aujourd'hui. Elle suppose également une régulation des prix alimentaires : celle-ci est en cours mais il reste à préciser jusqu'où elle ira.
Le taux d'épargne est une donnée qui est vue comme en baisse par le Gouvernement. Il faudra poser la question au ministre ; pour notre part, nous ne savons pas l'expliquer. Dès lors, c'est plutôt quelque chose de favorable.
Concernant la productivité, quelques explications sont possibles, comme l'effet de l'apprentissage ou la rétention de main-d'œuvre dans l'énergie. Une hausse de la productivité pourrait être à court terme défavorable à l'emploi mais favorable à long terme à la croissance, et donc aux finances publiques, ce qui serait une bonne chose.
Les 16 milliards d'économies ne constituent pas une politique d'austérité dans la mesure où ils sont pour l'essentiel non structurels. Ils correspondent au retrait de dispositifs qui sont liés à l'évolution des prix d'énergie. Cela n'aura donc pas de conséquence sur la croissance.
S'agissant des retraites, je vous invite à demander directement au Gouvernement le calcul de ce coût de 2,2 milliards d'euros. À ma connaissance, il n'inclut pas les effets de la réforme des retraites sur le RSA.
La lutte contre la fraude ne figure plus dans les mesures évoquées par le Gouvernement en 2024. Ce n'est donc pas un facteur d'ajustement des finances publiques, mais la question mérite sans doute d'être posée.
Une prévision de croissance élevée n'est pas sans effet sur le déficit. Si elle est établie à 0,8 point de PIB, il y aura un déficit supplémentaire de 0,3 point auquel il faudrait répondre soit par une hausse des prélèvements, soit par des baisses supplémentaires de dépenses, ou bien laisser aller l'augmentation du déficit à 4,7 points, ce qui serait vraiment très élevé au regard de nos engagements européens et poserait des problèmes pour la trajectoire future.
Le Gouvernement ne joue pas au 421 ; il parie plutôt sur des comportements économiques vertueux permettant d'aboutir à une prévision élevée. Même si les observations actuelles ne la laissent pas présager comme probable, elle n'est pas impossible. On nous objectera les résultats de l'an dernier qui, à notre sens, ne sont pas totalement expliqués et ne sont pas forcément reproductibles, mais ce sera à vous d'avoir un débat avec le Gouvernement sur ce pari.
La Commission européenne a annoncé que la clause dérogatoire au pacte de stabilité et de croissance serait désactivée à la fin de 2023 et qu'elle ouvrira des procédures pour déficit excessif dès le printemps 2024 sur la base des résultats de 2023. Or le solde public en 2023 demeure sensiblement supérieur à la limite des 3 points de PIB. L'amélioration du solde structurel demeure sensiblement inférieure aux exigences du volet préventif du pacte de stabilité et de croissance. De surcroît, les dépenses continuent à progresser en 2024, davantage que recommandé par l'Union européenne. Conclusion : je préfère nettement que les règles soient réformées et qu'on ait une appréciation davantage basée sur la tendance et l'analyse individualisée des profils de dette publique. Toutefois, cela signifie aussi que notre position relative au sein de la zone euro ne s'améliore pas et que, à notre sens, un effort plus grand est nécessaire.
La crise immobilière, par son ampleur, peut jouer un rôle compte tenu de ses conséquences sur l'investissement des ménages, en baisse en 2023 et dont la baisse en 2024 nous semble sous-estimée par le Gouvernement, et sur les recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO), en chute de près de 20 % en 2023, la prévision de stabilité du Gouvernement pour 2024 nous paraissant optimiste.
Quant à l'investissement écologique, les 7 milliards de dépenses supplémentaires sont prévus dans le budget 2024. L'impact sur la croissance est incertain selon le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz, et pourrait même être plutôt défavorable à la croissance à court terme. Il est pris en compte dans la trajectoire du Gouvernement. Il conviendra d'être attentif aux effets indirects de la dépense publique sur la dette et sur la charge d'intérêt.
Avant d'en venir aux questions des autres orateurs, je voudrais réagir sur le niveau des prélèvements obligatoires. Je suis assez dubitative sur leur croissance spontanée de 3 %. J'en veux pour preuve le tableau de bord du Gouvernement de juillet 2023, qui présente des recettes d'impôt sur le revenu en baisse de 5 % par rapport au niveau de juillet 2022, des recettes d'impôt sur les sociétés en baisse de 14,8 % et des recettes fiscales qui globalement, à périmètre courant, ont diminué de 7,7 %. Cette croissance spontanée de 3 % vous paraît-elle cohérente ?
La désactivation de la clause dérogatoire au pacte de stabilité et de croissance à la fin 2023 pourrait avoir des conséquences sur le spread. Étant donné l'état des finances publiques françaises, les taux d'intérêt pourraient être plus élevés pour la France que pour d'autres pays de l'Union européenne, ce qui enclencherait une spirale problématique pour le pays. Le Haut Conseil des finances publiques s'est-il intéressé à l'incidence potentielle de l'évolution du spread en 2024 ?
L'avis évoque l'impact négatif pour les finances publiques de la réforme des retraites en raison de la revalorisation des petites pensions. Le Haut Conseil a-t-il pu décliner les impacts en matière de consommation, non seulement en 2023 et 2024 mais également au-delà ?
Par ailleurs, vous évoquez le dynamisme de la dépense des administrations de sécurité sociale, qui est pour partie lié au mécanisme d'indexation des retraites et des prestations. Quelle est la part, dans l'augmentation totale de la dépense publique, de ce mécanisme d'indexation, qui représente 25 milliards d'euros, soit environ 1 point de PIB ?
Selon vous, le PLF 2024 répond-il à l'objectif d'obtenir de meilleurs résultats non pas en dépensant plus mais en dépensant mieux ? L'État se prépare en effet à emprunter un montant record sur les marchés et Bercy parie tout à la fois sur une hypothèse de croissance et sur une forte décrue de l'inflation que beaucoup jugent optimistes. Par ailleurs, je partage l'analyse de mon collègue Hetzel sur l'évolution des taux d'intérêt.
Tout d'abord, nous sommes plusieurs à ne pas avoir compris votre réponse sur le mécanisme de correction européen.
Ensuite, ne pensez-vous pas que les hypothèses macroéconomiques servant à l'élaboration du PLF, qui prennent en compte le prix du baril, devraient désormais intégrer les prix de l'électricité et du gaz, deux indicateurs qui étaient historiquement stables pour la France mais qui, malheureusement, ne le sont plus ? Ils ont en effet des incidences sur la bonne tenue du PLF.
Le spread est très stable depuis un an, alors que les marchés savent que la clause dérogatoire générale sera levée en 2024. La situation est donc anticipée. Par ailleurs – je n'ai pas répondu tout à l'heure à la question sur les agences de notation –, il ne nous revient pas d'intégrer cet aspect dans nos perspectives.
Concernant le mécanisme de correction européen, la clause dérogatoire devrait être levée le 1er janvier 2024. La Commission européenne examinera alors l'éventualité de procédures pour déficit excessif contre certains pays. À cet égard, une prévision de croissance un peu élevée, des dépenses qui ne baissent pas, un déficit élevé et une prévision qui peut être jugée optimiste sont des éléments qui seront pris en considération par la Commission. Celle-ci, loin d'être stupide ou bornée, sait se montrer flexible – en cinq ans à la tête de ce portefeuille, j'ai réussi à ne sanctionner personne. En revanche, les tendances font partie de la discussion, en particulier la crédibilité de la trajectoire et la LPFP.
J'ai dit, par ailleurs, que les règles actuelles ne paraissent pas satisfaisantes et que je préférerais qu'elles soient réformées pour être plus intelligentes. Ce sera à l'Eurogroupe, à l'Ecofin (Conseil pour les affaires économiques et financières), voire au Conseil européen de le décider dans les semaines qui viennent.
Nous estimons que les prévisions de prélèvements obligatoires sont plausibles pour 2023 et plutôt favorables pour 2024, notamment du fait d'une hypothèse de croissance de l'activité optimiste et aussi d'hypothèses favorables sur le rendement de certains impôts. Ces facteurs font que nous estimons que la prévision de déficit est peut-être un peu optimiste.
Les questions de M. Lefèvre sont à adresser directement au Gouvernement, qui pourra détailler ses propres hypothèses.
L'objectif de dépenser mieux est-il atteint avec le PLF 2024 ? C'est une appréciation politique qui vous revient. En tout cas, on peut dépenser beaucoup mieux. Des progrès, il y en a : la fin du « quoi qu'il en coûte » annonce un changement de cap que nous appelions de nos vœux depuis longtemps ; de moindres dépenses de 16 milliards témoignent d'une volonté d'équilibre, même s'il s'agit davantage de retraits de dispositifs que d'économies structurelles.
Nous pensons toutefois que le plus difficile est devant nous. Après les 16 milliards en 2024, dont 3,5 de dépenses structurelles, il faudra trouver 12 milliards de façon pérenne pour les années suivantes. L'exercice sera un peu différent ! La revue des dépenses publiques devra aller beaucoup plus loin, en prenant en compte l'investissement et le fonctionnement de l'État, ainsi que ceux des collectivités locales et de la sécurité sociale. Elle devra être débattue de façon beaucoup plus ouverte et démocratique, avec le Parlement et peut-être des institutions comme la Cour des comptes. Surtout, elle devra être faite dans la durée et non pas réservée à la saison budgétaire : quand il s'agira de trouver 12 milliards d'euros pérennes par an, il faudra changer de braquet et de méthode.
Je conclus en vous souhaitant une discussion budgétaire passionnante et fructueuse, et je rappelle mon message : nous avons besoin d'une loi de programmation des finances publiques. J'espère que nous aurons été entendus.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 27 septembre 2023 à 11 heures
Présents. - M. Franck Allisio, M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, Mme Émilie Bonnivard, M. Fabrice Brun, M. Philippe Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Christine Decodts, M. Jocelyn Dessigny, M. Fabien Di Filippo, Mme Marina Ferrari, M. Luc Geismar, M. Joël Giraud, M. David Guiraud, M. Victor Habert-Dassault, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. Daniel Labaronne, M. Emmanuel Lacresse, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, Mme Constance Le Grip, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, Mme Alexandra Martin (Gironde), M. Denis Masséglia, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Sébastien Rome, M. Xavier Roseren, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Manuel Bompard, M. Mickaël Bouloux, M. Tematai Le Gayic, Mme Gisèle Lelouis, M. Jean-Paul Mattei, Mme Mathilde Paris