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Motions de censure — Texte n° 1682

Amendement N° 2454 (Sort indéfini)

Publié le 20 octobre 2023 par : Mme Louwagie.

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Supprimer cet article.

Exposé sommaire :

Par cet amendement, il est demandé la suppression de l’article 39 du PLFSS pour 2024 au motif que ce texte, tel qu'il entend modifier le code de la Sécurité Sociale, aura in fine une incidence négative sur l’indemnisation des victimes de maladies professionnelles.
La portée réelle de ce texte n’a été envisagée ni par le Gouvernement, ni par les partenaires sociaux malgré la signature d’un accord initial dans le cadre de l’ANI[1].
L’état actuel du droit apparaissant suffisant, voire favorable à une meilleure indemnisation avec les effets d’une jurisprudence récente[2], il convient de supprimer cet article.
L’objectif de l’article 39 visé par le présent amendement est celui d’une meilleure indemnisation des victimes de maladies professionnelles par la modification de la définition et du mode de calcul de la rente indemnitaire qui leur est versée.
Pour cela, l’article 39 cherche à limiter un revirement récent de jurisprudence des juridictions civiles intervenu le 20 janvier 2023 qui permet depuis lors une meilleure indemnisation judiciaire des victimes sans modifier le montant des indemnisations prévues par le code de la Sécurité Sociale[3].
Ces arrêts de l’assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 20 janvier 2023 n’ont donc en aucun cas aggravé le sort des victimes puisque les modalités de calcul de leur rente restent inchangées à ce jour. Au contraire, ils permettent d’envisager des indemnisations plus importantes et donc des réparations plus justes au profit des victimes.
L’effet réel de l’article 39 brise cette jurisprudence au détriment des victimes, alors que les deux poursuivent initialement le même objectif.
Toutefois, en inscrivant directement dans le code de la Sécurité Sociale le fait que la rente indemnise le DFP[4](contrairement aux décisions de l’Assemblée plénière du 20 janvier 2023), en encadrant, en fractionnant puis en plafonnant le calcul de la rente par l’introduction de barèmes définis par voie réglementaire, et en empêchant l’indemnisation des souffrances physiques et morales après consolidation en cas de reconnaissance judiciaire de la faute inexcusable de l’employeur, l’article 39 apparait contraire à certaines dispositions et principes portés par la Constitution et le bloc de constitutionnalité.

[1] Accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 « Branche AT/MP : Un consensus social réaffirmé par une prévention ambitieuse, une réparation améliorée et une gouvernance paritaire renforcée »
[2] C. cass, Ass. Plén. Arrêts 20 janv. 2023, pourvois n° 21-23.947 et n°20-23.673.
[3] Rap. Ann. C. Cass 2022 - 2021 p.39 – R. 2020 p.57 – R. 2019 p.83 – R. 2018 p.60 – R. 2017 p.66 – R. 2015 p. 59 – R. 2014 p. 51 – R. 2013 p. 60 – R. 2012 p. 42 – R. 2011 p. 21 – R. 2010 p. 19).
[4] Le Déficit Fonctionnel Permanent (DFP) représente « les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales. », Civ. 2ème, 28 mai 2009, n°08-16829, Publié au bulletin.

L’absence de visibilité des modalités de calcul de la rente apparait contraire au principe de sécurité juridique par l’absence de prévisibilité du futur droit posé par l’article 39, et contraire à la répartition des compétences prévue aux articles 34 et 39 de la Constitution.
La part professionnelle[1] sera en effet fixée par décret en Conseil d’Etat.
La part fonctionnelle (fraction du taux multiplié par un barème qui tient compte de l’âge de la victime) sera fixée par arrêté ministériel.
Comment s’assurer que les calculs, dont les modalités sont totalement inconnues, seront plus favorables et permettront une meilleure indemnisation de toutes les victimes, alors qu’il s’agit de l’objectif prioritaire du texte amendé ?
En outre, dans son application future, ce texte met en place des mécanismes d’exclusion de certaines catégories de victimes comme les retraités et d’une partie de l’indemnisation aujourd’hui en vigueur.
Concernant l’exclusion des retraités,
Le taux d’incapacité de la part professionnelle, qui correspond à la perte de gains professionnels et à l’incidence professionnelle de l’incapacité, sera nul pour un retraité qui n’est plus en activité.
Le taux d’incapacité de la part fonctionnelle fixée par un barème qui tient compte de l’âge de la victime aura pour incidence de réduire considérablement le taux d’incapacité des personnes retraitées, catégorie pourtant la plus touchée par les cancers d’origine professionnelle[2]
Ce phénomène pourtant connu du Gouvernement est dû au délai de latence important qui existe entre l’exposition des salariés pendant leur activité professionnelle et l’apparition des maladies graves, élément que ne corrige pas l’article 39 en l’état.
Concernant l’’exclusion de l’indemnisation des souffrances endurées après consolidation,
Les maladies graves et évolutives seront automatiquement préjudiciées, puisque la consolidation n’est en réalité jamais possible.
La charte des accidents du travail et maladie professionnelle précise d’ailleurs « Les affections graves évolutives peuvent être consolidées, en concertation avec le médecin traitant Lorsque la victime ne perçoit pas d'indemnités journalières (en particulier les retraités) à la date du certificat médical initial». Or, l’introduction de la notion de consolidation dans l’article L.452-3 du Code de la sécurité sociale tel qu’envisagé reviendrait ainsi à priver ces victimes de toute indemnisation de leurs souffrances physiques et morales endurées.
En outre, les mécanismes mis en place par ce texte induisent automatiquement une inégalité de traitement pour les taux inférieurs à 10%.
Les victimes dont le taux d’IPP est inférieur à 10 % [3] n’auront aucun bénéfice de l’intégration du DFP dans la rente tel que le prévoit l’article 39 et perdront toute possibilité de demander l’indemnisation de leur DFP s’ils agissent en faute inexcusable.
Ces mécanismes d’exclusion, en plus d’être contraires à l’objectif initial du texte, constituent une rupture du principe d’égalité prévu à l’article 16 de la DDH de 1789.
Ainsi, en heurtant frontalement une vision et un objectif pourtant partagés par les deux juridictions

[1] « Elle est égale au salaire annuel modulé, multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci. Le salaire annuel modulé est égal à une fraction du salaire annuel de la victime ou du salaire annuel minimum mentionné à l’article L. 434-16, dégressive en fonction du niveau de ce salaire. »
[2] Le rapport annuel de la branche ATMP en 2019 « Santé travail : enjeux & actions » a pour thème les cancers reconnus d’origine professionnelle et conclut pourtant (page 233) : « Tous types de cancers confondus, l'âge moyen et médian des personnes touchées au moment de la reconnaissance en maladie professionnelle est de 68 ans. Il s'agit donc majoritairement de retraités ».
[3] Notamment les victimes atteintes de troubles musculo-squelettiques qui représentent la majorité des ATMP reconnus.

suprêmes de l’ordre administratif[1] et judiciaire, l’article 39 fera immanquablement l’objet d’une QPC qui sera transmise au Conseil Constitutionnel. Au regard de ce qui précède, les sages n’auront d’autre choix que de censurer ces dispositions qui auront été trop hâtivement adoptées.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 05 octobre 2023[2], vient d’alerter clairement le Législateur en refusant de transmettre une QPC qui aurait pu remettre en cause sa jurisprudence du 20 janvier 2023, confirmant implicitement que la juridiction suprême des tribunaux sociaux entend bien maintenir le droit existant et les avantages accordés aux victimes d’ATMP.
Nonobstant, ce texte, pourtant porté par une loi de finance, ne connait aucune justification financière amenant in fine à la violation du principe fondamental de prévention.
Cette modification vide de sa substance le dispositif même de faute inexcusable, qui avait deux objectifs: d’un côté, réparer le préjudice et, de l’autre, sanctionner les employeurs responsables de telle façon qu’ils soient incités à engager des actions de prévention.
De plus, en fixant le caractère dual de la rente et son calcul par des barèmes (à l’instar des procédures de licenciement) puis en encadrant strictement l’indemnisation en FIE, le Gouvernement bascule une partie, qui reste à définir, du coût de l’indemnisation de la faute inexcusable de l’employeur sur la rente et donc, de facto, sur la branche AT/MP.
Pour rappel la branche ATMP est toujours à l’équilibre puisqu’elle est alimentée par les cotisations des employeurs qui varient selon le nombre d’ATMP déclarés.
Enfin, cet article est présenté comme la mise en œuvre du consensus obtenu dans le cadre de l’ANI présenté aux partenaires sociaux le 15/5/2023 et signé par les syndicats salariés.
Par un communiqué de presse en date du 5 octobre dernier la CGT indique pourtant :
« L’article 39 du PLFSS vient modifier les règles de rente et de réparation, en faveur du patronat. (…)
Le PLFSS 2024 introduit une disposition particulièrement avantageuse pour les employeurs, prévoyant qu’en cas de faute inexcusable, la branche AT/MP supportera la charge financière de la perte fonctionnelle à la suite d’un AT/MP, en plus de ce qu’elle couvrait déjà. Une vigilance particulière doit aussi se faire quant aux barèmes et aux règles de calcul des différentes rentes »
Il apparait donc que la justification même de cet article est appuyée sur un fondement erroné.
Le Législateur n’a d’autre intérêt que de le retirer du texte.
Tel est l’objet du présent amendement.

[1] CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 oct. 2017, n° 404065
[2] Publié au Bulletin (Civ.2°, 05 octobre 2023, pourvoi n°23-14520) : « Si, par deux arrêts rendus en Assemblée Plénière le 20 janvier 2023 (Ass. Plén., 20 janvier 2023, pourvois n° 20-23.673 et 21-23.947, publiés), la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence antérieure et décide, désormais, que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent, et que, dès lors, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, cette modification, considérée par la majorité de la doctrine comme plus favorable aux victimes, respecte l'objectif fixé par le Conseil constitutionnel dans sa réserve. Elle ne constitue donc pas un changement de circonstances de droit susceptible de modifier l'appréciation de la conformité de cette disposition à la Constitution. ».

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