commission d'enquête VISANT à éTABLIR LES RAISONS DE LA PERTE DE SOUVERAINETé ET D'INDéPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE
Jeudi 17 novembre 2022
La séance est ouverte à 9 heures.
(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)
La commission d'enquête auditionne M. David Marchal, Directeur exécutif adjoint à l'expertise et aux programmes, et M. Patrick Jolivet, Directeur des études socio-économiques à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ou Agence de la transition écologique (ADEME).
Bonjour à toutes et à tous,
Nous avons presque terminé les deux premiers cycles d'auditions de la commission d'enquête chargée d'établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France. Ces premiers cycles visent à collecter les informations générales sur le système électrique français.
Une dernière audition relevant de cette première période sera, pour des raisons de disponibilités, organisée le 24 novembre prochain.
Certains membres de la commission d'enquête ont souhaité voir aborder deux thématiques se rattachant à ces cycles.
La première thématique concerne la sécurité et la prise en compte du caractère stratégique des filières énergétiques, que le rapporteur a souhaité approfondir en auditionnant tout à l'heure des responsables du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) puis, la semaine prochaine, du commissariat à l'information stratégique et à la sécurité économique.
La seconde thématique, suggérée par Mme Julie Laernoes, concerne la sobriété.
Je crois utile de préciser que, depuis la première audition organisée par la commission d'enquête, tous les intervenants ont abordé la question de la consommation d'énergie et de son évolution. Les termes consommation, usage, maîtrise, ébriété, sobriété, précarité, efficacité ou encore intensité ont été tour à tour employés au cours de ces premières auditions.
Nous recevons aujourd'hui M. David Marchal, directeur exécutif adjoint à l'expertise et au programme et M. Patrick Jolivet, directeur des études socio-économiques à l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Je vous remercie, messieurs Marchal et Jolivet, d'avoir répondu favorablement à notre demande dans un contexte marqué par des évolutions en cours dans la gouvernance de votre agence, désormais également dénommée agence de la transition écologique – l'énergie semblant s'effacer devant l'écologie, laquelle absorbe l'environnement.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. David Marchal et M. Patrick Jolivet prêtent successivement serment.)
Monsieur le président, Mesdames et messieurs les députés,
J'introduirai mes propos en rappelant que l'ADEME est issue de l'Agence pour les économies d'énergie (AEE), créée en 1974 à la suite du premier choc pétrolier. Notre structure est donc effectivement particulièrement compétente sur ces sujets de souveraineté et d'indépendance énergétique, même si son champ d'action s'est considérablement élargi, aux domaines de l'économie circulaire notamment.
Force est de constater que l'indicateur d'indépendance énergétique de la France défini par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), s'élevant actuellement à 55 %, n'est pas véritablement adapté à la situation que nous rencontrons et ne permet pas de prendre en compte toute la dépendance énergétique de la France. En considérant d'autres façons de calculer cet indicateur, notamment en incluant tous les combustibles importés, nous constatons qu'environ 80 % de la consommation d'énergie finale concernent des combustibles importés. Ce chiffre montre bien à quel point la France dépend de ces importations, à la fois d'énergies fossiles mais aussi de combustibles pour nos centrales nucléaires.
Nous pouvons nous interroger sur cette définition et proposer une nouvelle façon de concevoir cette notion de souveraineté énergétique, en incluant à la fois l'intégralité des combustibles importés dans le calcul mais aussi la dépendance aux filières industrielles qui composent notre mix énergétique. Si nous voulions faire un véritable calcul, il conviendrait sans doute d'y inclure les consommations intermédiaires et les matériaux utilisés dans les différentes filières de production d'énergie ainsi que leur provenance.
Un tel calcul n'est pas facile mais permettrait d'englober cette notion de souveraineté de façon plus générale, et de ne pas transformer une dépendance aux combustibles en une dépendance sur des matériaux. En effet, les industries de la transition énergétique dépendent beaucoup d'un certain nombre de matériaux critiques. Or, même si nous soutenons beaucoup leur maintien et leur développement en France, un certain nombre de ces filières se développent à l'étranger. Nous avons constaté, dans notre dernière étude sur l'emploi et les marchés de la transition énergétique, que la balance commerciale des filières de la transition recule depuis 2018. Le déficit s'est creusé de 4 à 10 milliards d'euros, notamment en raison des véhicules propres, dont une part plus importante provient de l'importation.
Concernant les potentiels de l'efficacité énergétique et de la sobriété, notre approvisionnement énergétique provient majoritairement d'importations et réduire notre consommation énergétique permettrait de limiter cette dépendance.
L'ADEME a réalisé les travaux de prospective Transition(s) 2050, publiés en 2021, visant à alimenter les débats sur la stratégie française concernant l'énergie et le climat. Dans ces travaux, nous évaluons quatre scénarios pour atteindre la neutralité carbone, avec différents recours à la sobriété et aux technologies. Notre objectif était de comprendre comment, dans des contextes différents d'évolution de la société à l'horizon 2050, atteindre la neutralité carbone et par quels leviers. Ces quatre scénarios ont tous recours à une baisse significative – allant de 25 % à 55 %, pour le scénario le plus sobre – de la consommation d'énergie finale par rapport à 2015. De plus, ces scénarios montrent que nous pouvons abaisser drastiquement notre recours aux énergies fossiles et notre dépendance aux importations de ces dernières. En effet, en 2050, nous pourrions baisser nos importations de ces énergies de 75 à 95 %, ce qui est confirmé par une analyse macroéconomique permettant de montrer une amélioration significative de la balance commerciale en euros.
Cette sobriété, mise en œuvre dans ces scénarios au travers d'évolutions de la mobilité, de l'alimentation et du bâtiment, permet aussi d'éviter le recours à un certain nombre de matériaux. Dans nos scénarios, nous constatons de fortes différences sur le recours aux matériaux utiles à la transition écologique. Les technologies de la transition, telles que les énergies renouvelables, le nouveau nucléaire ou les véhicules électriques, consomment toutes beaucoup de matériaux nouveaux comme le cuivre, l'aluminium mais aussi des matériaux plus critiques. Notre étude montre qu'entre le scénario le plus sobre et le scénario le moins sobre, la quantité de matériaux – notamment de cuivre, d'aluminium et d'acier – est multipliée par deux. Grâce à des scénarios de sobriété énergétique, nous pouvons donc également réduire beaucoup notre dépendance aux matériaux.
Alors que la France s'est fixé un objectif de baisse de la consommation de 50 % à l'horizon 2050 et de 20 % à l'horizon 2030 (par rapport à 2012), notre consommation était, à la fin de l'année 2021, supérieure de 100 térawattheures par rapport à un objectif de 1 500 térawattheures environ. La consommation de la France baisse donc, mais pas autant qu'il le faudrait. La France est davantage sur la bonne trajectoire concernant les indicateurs relatifs à la baisse de 40 % de la consommation d'énergies fossiles en 2030.
Au vu de ces indicateurs, il est difficile de distinguer la part de responsabilité des politiques publiques favorables à l'environnement et la part liée au contexte économique, et notamment à l'évolution du produit intérieur brut (PIB), aux crises financières et économiques et au recul progressif de l'industrie depuis vingt ans en France.
Nous connaissons donc bien une baisse de consommation depuis la fin des années 2000 mais elle n'est pas suffisante par rapport aux objectifs fixés, d'autant plus que la baisse de 50 % de la consommation à l'horizon 2050 nécessitera d'adopter un rythme plus soutenu et un effort plus important, après 2030, que la baisse de 20 % à l'horizon 2030.
En termes de politiques publiques, le dispositif des certificats d'économies d'énergie contribue beaucoup à l'augmentation de l'efficacité énergétique. Ce dispositif, dont les objectifs sont calés sur ces objectifs de politiques publiques, fonctionne bien et permet de générer environ 5 milliards d'euros de travaux par an, ce qui est tout à fait significatif. Au niveau international, la France occupe la première place des pays du classement de l'association The American Council for an Energy-Efficient Economy (ACEEE) concernant les politiques d'efficacité énergétique, ce qui n'empêche pas que nous soyons en retard sur nos objectifs.
Entre 1990 et 2018, en l'absence de politique de sobriété sur les bâtiments à l'échelle européenne, les améliorations d'efficacité énergétique sur le parc de bâtiments européens ont été intégralement compensées par l'augmentation des surfaces des logements, entrainant un accroissement de la consommation. Concernant le bâtiment, les politiques publiques françaises sont tout à fait ambitieuses, avec la réglementation environnementale notamment. Il est important de rappeler que la rénovation énergétique des bâtiments est bien sûr indispensable pour améliorer notre souveraineté énergétique mais que cette rénovation énergétique englobe l'amélioration et l'isolation du bâti ainsi que l'efficacité des équipements. Une étude, réalisée par l'ADEME et Réseau de transport d'Électricité (RTE) en 2020, montre à quel point améliorer l'efficacité des équipements de chauffage est nécessaire pour ne pas dégrader la sécurité de l'approvisionnement. Il faut donc absolument que nous limitions le parc de radiateurs électriques à effet Joule et que nous incitions au développement de dispositifs efficaces, tels que les pompes à chaleur, pour ne pas dégrader notre sécurité d'approvisionnement.
S'agissant de l'industrie, nous avons longtemps mis en œuvre des politiques de baisse des coûts pour les industriels afin de maintenir leur compétitivité. Aujourd'hui, il est très important que des dispositifs de baisse de coûts pour maintenir la compétitivité des industriels soient associés à une contrepartie d'investissement. Même si nous mettons en place par une baisse de tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) pour les industriels électro-intensifs afin de leur permettre de rester compétitif, il nous semble utile d'inciter, voire d'obliger, au travers des plans de performances énergétiques, ces industriels à investir dans leur outil de production pour maintenir la pérennité de leur industrie en France. Il existe des dispositifs, notamment le fonds de décarbonation de l'industrie, qui permet de faciliter grandement les investissements des industriels dans ce domaine.
Enfin, s'agissant du bilan, nous avons regardé, au sein de l'ADEME, l'impact du développement des énergies renouvelables ces vingt dernières années. Entre 2000 et 2020, le développement des énergies renouvelables en France a permis d'éviter la consommation de 1 500 térawattheures d'énergies fossiles, ce qui représente environ 40 milliards d'euros d'économie pour la facture énergétique française. Grâce au rythme de développement des énergies renouvelables futures, tel qu'il est prévu dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) jusqu'à 2028, nous devrions pouvoir éviter 700 térawattheures d'énergies fossiles supplémentaires. Ces chiffres englobent les questions des énergies renouvelables électriques, de la chaleur renouvelable, du biogaz et des biocarburants.
Afin de contribuer à cette indépendance énergétique, l'ADEME a plusieurs fonds d'intervention mis en œuvre pour le compte de l'État, parmi lesquels le fonds Chaleur, le fonds Décarbonation de l'industrie et le fonds France 2030.
L'ADEME a octroyé environ 3 milliards d'euros de subventions pour le fonds Chaleur, qui existe depuis 2009 et permet de subventionner la chaleur renouvelable. Ces subventions ont permis la mise en place de 40 térawattheures de capacité de production de chaleur renouvelable par an, ce qui est, là aussi, tout à fait significatif. Nous pouvons également mettre en avant l'efficacité économique de ce dispositif puisque, rien que durant l'année 2021, avec les prix du gaz actuel, ces 40 térawattheures permettent d'éviter 1,6 milliard d'euros de dépenses en gaz. Ainsi, en deux ans, nous avons remboursé les subventions du fonds Chaleur grâce aux économies de dépenses de gaz.
Le fonds Décarbonation de l'industrie, qui est un dispositif nouveau, est d'une grande efficacité et suscite énormément d'engouement de la part des industriels. Nous avons disposé d'un budget de 1,2 milliard d'euros en deux ans pour subventionner l'efficacité énergétique, l'électrification et la décarbonation de l'industrie. Ce dispositif fonctionne très bien, avec plus de 250 industries lauréates et plus de 4 milliards d'euros d'investissement qui seront réalisés par les industriels grâce à ces subventions.
En tant qu'opérateur du programme d'investissements d'avenir (PIA) et de France 2030, l'ADEME contribue à favoriser l'innovation et le maintien de l'industrie en France dans les domaines de la transition écologique. De 2009 à 2020, l'ADEME a octroyé, en tant qu'opérateur du programme des investissements d'avenir, environ 3 milliards d'euros de subventions pour des démonstrateurs industriels dans les champs des énergies, de l'économie circulaire, du bâtiment et des transports. De plus, dans le cadre de France 2030, 9 milliards d'euros seront octroyés à l'ADEME dans les années à venir pour contribuer à continuer cet effort de décarbonation.
En outre, l'ADEME publie des fiches-conseils, notamment dans le contexte actuel de crise énergétique et pour le passage de l'hiver. Nous travaillons étroitement avec RTE sur le champ des économies d'énergie de façon globale pour prodiguer des conseils aux entreprises, aux particuliers et aux collectivités sur les actions à mettre en place à court terme pour abaisser nos consommations d'énergie cet hiver.
Merci. Quel est le fonctionnement de votre agence sur les questions assez pragmatiques tel que les recrutements ? Êtes-vous lié au statut de recrutement de la fonction publique ? Effectuez-vous des recrutements libres ? De quelle façon procédez-vous ? Comment construisez-vous vos organigrammes entre techniciens et administratifs ?
Le personnel de l'ADEME représente environ 900 équivalents temps plein (ETP). En tant qu'établissement public industriel et commercial, l'Agence est effectivement soumise à des plafonds d'emplois, définis chaque année, pour l'ADEME, par le ministère de la transition écologique. Après avoir été en décroissance pendant de nombreuses années, ce plafond d'emplois connait pour la première fois, cette année, une augmentation, permettant de compenser en partie les baisses passées. Nous avions formulé cette demande à plusieurs reprises, au vu des budgets à engager. L'ADEME est une agence d'expertise et de financement. Or, pour réaliser des financements et instruire des projets, des gestionnaires et des instructeurs sont nécessaires, de façon relativement cohérente avec les fonds qui nous sont octroyés. Si le budget d'intervention de l'Agence s'est longtemps élevé à environ 700 millions d'euros par an, il s'élève aujourd'hui à un milliard d'euros, auquel s'ajoutent tous les fonds du plan de relance et de France 2030, ce qui constitue un total dépassant les 2 milliards d'euros de budget par an. Les renforts sont donc effectivement utiles mais l'ADEME ne peut pas recruter sans augmentation de son plafond d'emplois.
Quelle est la répartition des emplois par nature, par fonction et par catégorie ? Répondez-vous aux mêmes critères que la fonction publique ?
Les salariés de l'ADEME sont principalement des salariés de droit privé. L'Agence compte quelques fonctionnaires détachés mais la grande majorité des collaborateurs ont des contrats à durée indéterminée (CDI). Nous avons eu recours, pendant le plan de relance, à une centaine d'intérimaires parce que notre plafond d'emplois n'avait pas augmenté. Parmi le personnel, environ 30 % sont gestionnaires tandis que les autres ont des profils d'ingénieurs.
Lorsque vous vous produisez des études comme Transition(s) 2050 là, une commande et un cadrage sont-ils effectués par votre ministère de tutelle ? Quelle est leur nature ?
Cela dépend. Certaines études réalisées par l'ADEME sont commandées par notre ministère de tutelle, par la loi – qui définit parfois des obligations d'étude – ou sont réalisées en autosaisine. Dans le cadre des travaux Transition(s) 2050, il s'agissait d'une autosaisine de l'ADEME, concertée avec le ministère dès lors que nous avons eu l'idée de produire ces travaux, qui sont dans la continuité de travaux précédents menés en 2012. Nous avons bien entendu échangé avec le ministère pour que ces travaux s'inscrivent dans la préparation de la stratégie française énergie-climat (SFEC). Le scénario de la SFEC ne sera sans doute aucun de ces quatre scénarios mais ces derniers viennent contribuer au débat et donnent un cadrage.
Pour établir ces scénarios, avez-vous recours à une tierce expertise ? Si c'est le cas, quelle est-elle ?
Ces scénarios ont été très majoritairement réalisés en interne. Néanmoins, ils reposent en partie sur des travaux précédents, à savoir de nombreuses études que nous réalisons secteur par secteur. Pour réaliser ces études, l'Agence fait souvent appel à des expertises extérieures effectuées par des bureaux d'études spécialisées, des laboratoires ou des économistes. En termes d'ETP, nous n'avons pas les capacités internes pour réaliser toutes les études que nous menons. Concernant les travaux Transition(s) 2050, étant donné l'intégration et la vision très globale nécessaires, ils ont été réalisés très majoritairement en interne.
Quand vous recourez à des expertises extérieures, comment choisissez-vous vos prestataires ? S'agit-il de bureaux d'études privés ou d'organisations non gouvernementales (ONG) ? Quelle est la nature de l'évaluation des compétences que vous faites de vos tiers experts ?
L'ADEME peut intervenir de différentes façons. Notre budget d'intervention nous permet de subventionner des initiatives portées par des acteurs externes ou d'acheter des prestations. Dans un certain nombre de cas, des acteurs externes nous soumettent l'idée de réaliser des travaux, qui entrent dans notre stratégie d'intervention et que nous subventionnons donc en partie. Dans la mesure où il s'agit d'un cofinancement, l'ADEME apporte une subvention mais elle n'est pas propriétaire des résultats. Le cofinancement concerne, par exemple, des travaux de recherche, pour lesquels l'Agence lance des appels à projets. Le cofinancement peut aussi concerner des travaux menés par des partenaires, des ONG ou des acteurs industriels qui vont mener des travaux de ce type. Toutefois, la plupart des travaux font l'objet de commande. Dans ce cas, l'ADEME a l'idée de faire une étude, définit un cahier des charges et sélectionne des prestataires selon des compétences. Nous sommes soumis à la réglementation de la commande publique. Nous définissons dans nos cahiers des charges les besoins en compétences et les attendus puis nous sélectionnons les prestataires sur la base de notes de prix et sur la base de notes techniques, qui incluent les compétences et la compréhension du cahier des charges.
Les travaux Transition(s) 2050 ont mobilisé une centaine d'experts de l'Agence durant deux ans, avec l'appui de quelques prestataires sur des aspects techniques un peu précis. Au cours des travaux, dans les différents secteurs d'intervention de l'Agence pilotés par M. David Marchal, les résultats provisoires ont été confrontés à des professionnels, lors d'échanges et de webinaires, pour présenter les travaux et avoir les retours de ces partenaires. Par ailleurs, le conseil scientifique de l'ADEME a été mobilisé, avec d'autres personnalités qualifiées, pour constituer un comité scientifique du projet Transition(s) 2050. Les résultats provisoires ont été présentés au cours de plusieurs réunions avec le conseil scientifique afin de recevoir les retours, les commentaires et, éventuellement, les réorientations nécessaires sur certains aspects.
Concernant les études que vous subventionnez, qui ne vous appartiennent pas et ne sont pas de votre initiative, quelle est la répartition entre les ONG, les acteurs industriels ou encore les collectivités locales ? Finalement, ces études se voient apposer le logo de l'ADEME sans en relever réellement.
Ces études ne se voient pas nécessairement apposer le logo de l'ADEME. Nous exigeons effectivement qu'elles respectent un cadre de restitution mais le contenu de ces travaux n'est pas de la responsabilité de l'ADEME. D'ailleurs, en règle générale, nous insérons une clause de non-responsabilité en introduction de ses études. Je ne peux pas répondre précisément à votre question car je ne dispose pas des chiffres. Nous pouvons effectivement subventionner des collectivités – pour travailler sur le zéro artificialisation nette (ZAN) par exemple – ou des ONG. La plupart de ces subventions font l'objet d'appels à projets, avec une procédure de sélection. Par exemple, l'ADEME dispose d'un budget significatif de 30 millions d'euros par an pour soutenir la recherche et les sélections se font via des appels à projets avec des comités scientifiques et des comités d'experts. Effectivement, les rapports d'études, subventionnés par l'ADEME, portent le logo de l'Agence. Néanmoins, les thèses ou les travaux de recherche que nous subventionnons ne sont pas tous validés par l'Agence.
Vos scénarios pour 2050 imposent des contraintes sociétales très fortes. C'est la première fois que je vois apparaître ces contraintes clairement dans une étude. Vous préconisez la réduction et le partage des surfaces pour les bâtiments. Avez-vous testé l'acceptabilité de ces changements profonds de la société à un horizon de temps très court ?
Nous avons volontairement rédigé quatre scénarios très variés, sous l'angle de la souveraineté, des technologies et de la gouvernance. Ces scénarios vont effectivement d'un scénario très sobre, dans une France un peu refermée sur elle-même, à un scénario nommé « Pari réparateur », qui maintient les modes de vie actuels et compte sur les technologies – dont certaines comportent des risques – pour atteindre la neutralité carbone. Dans les résultats de nos travaux, nous présentons certes quatre scénarios mais seuls le premier et le dernier sont, à notre sens, plus risqués. Le premier scénario, nommé « Génération frugale », comporte des risques pour des questions d'acceptabilité et d'appropriation sociétale tandis que le dernier scénario comporte des risques pour des questions technologiques puisqu'il repose en partie sur des technologies qui n'existent pas à l'échelle industrielle à ce jour. Pour le premier scénario, nous avons effectivement assumé l'idée qu'il soit basé sur des politiques publiques plus contraignantes en termes de consommation. Notre idée n'était pas d'imposer une voie mais d'éclairer le débat sur ce qu'il se passerait si nous devions, pour certaines raisons, aller vers davantage de quotas et de contraintes sur la consommation. À l'inverse, dans le dernier scénario, la consommation « effrénée » continue.
Nous avons effectivement assumé la possibilité d'une réduction de la surface des logements, ce qui ne signifie pas que tout le monde vivrait en colocation. Nous voulions surtout mettre en avant l'existence de nombreux logements vacants et le fait que le parc de résidence secondaire est très important en France. Comment pouvons-nous imaginer une meilleure utilisation de ces logements ? Je rappelle que cette étude a été lancée au moment de la crise liée à l'épidémie de Covid-19, alors que nous constations qu'un grand nombre de personnes télétravaillaient depuis leur résidence secondaire. Cette crise a pu montrer les accélérations dans ce domaine. Nous pourrions peut-être réduire les surfaces en utilisant mieux les résidences secondaires, en diminuant les surfaces de bureau en télétravaillant davantage et en réduisant nos besoins en déplacement en utilisant plus le vélo. La crise liée à l'épidémie de Covid-19 a montré à quel point ces accélérations de sobriété pouvaient s'effectuer rapidement.
Il est important de rappeler que, dans la manière dont nous les avons construits, ces scénarios ne sont pas normatifs et ne constituent pas des visions de la société que nous préconisons. Nous avons pris, comme seule contrainte, la neutralité carbone à l'horizon 2050 puis, à partir de cette contrainte physique, nous avons « rétropolé » quatre modèles de sociétés qui pourraient permettre de parvenir à cet objectif. Ces scénarios ne sont donc pas normatifs mais plutôt objectivés et guidés par la contrainte physique. Tout le travail a consisté à essayer de dessiner quatre voies contrastées, mais chacune cohérente, pour atteindre le même objectif, de façon variée.
Nous avons, dans le cadre de cet exercice, réalisé différents travaux complémentaires au rapport principal, que nous avons appelé feuilletons. Dans un feuilleton, qui porte sur les modes de vie, nous avons réalisé une enquête qualitative sur une trentaine de citoyens – et non un sondage sur un échantillon représentatif de Français –, auprès desquels nous avons testé la désirabilité, la faisabilité et les conditions de réalisation de chacun des quatre scénarios, avec tout l'intérêt mais aussi les limites de ce type de dispositif d'enquête. La désirabilité renvoie aux valeurs des citoyens par rapport aux quatre scénarios. La faisabilité renvoie à l'enjeu de contraintes personnelles, économique ou matérielle, liées au logement qu'ils occupent, à leurs ressources financières ou à leur zone d'habitation. Enfin, les conditions de réalisation renvoient à l'ensemble des dispositifs d'accompagnement et de politiques publiques pouvant permettre à la société de s'embarquer dans un scénario en particulier. Nous pourrons évidemment vous envoyer ce travail, qui est public.
Si, spontanément, nous pensions que le troisième et le quatrième scénario – qui sont les plus proches de nos modes de production et de consommation actuels – seraient plus facilement acceptés par les citoyens, nous avons été surpris car cela n'a pas été le cas. Les quatre scénarios présentent chacun des limites et des attraits forts. Par exemple, l'économie du partage peut être vue comme une forte contrainte par rapport aux libertés individuelles mais elle peut aussi être vue comme la possibilité de nouvelles formes de sociabilité, de vivre-ensemble et de modes de vie plutôt désirables. Ainsi, en fonction des dispositifs d'accompagnement que les collectivités locales ou l'État pourraient mettre en place, un scénario peut être désirable ou non. À l'inverse, les scénarios de prolongation des tendances actuelles peuvent être vus comme des scénarios de liberté, notamment grâce à des technologies numériques et à la multiplication numérique. Toutefois, il existe aussi une très forte réticence d'un nombre non négligeable de citoyens vis-à-vis du contrôle de la donnée et du fait que leurs données numériques ne leur appartiendront plus et qu'elles pourraient être vendues par les opérateurs.
Quelle est la période durant laquelle vous avez fait ce test de l'acceptabilité sociale de vos scénarios ?
Nous avons lancé l'exercice de Transition(s) au début de l'année 2019 et nous l'avons publié en novembre dernier. Tous les travaux évoqués ont été réalisés entre mi-2019 et mi-2021. Certaines périodes d'enquête ont été effectuées en ligne puisque nous ne pouvions pas organiser de réunions physiques avec des dizaines de personnes. Une grande partie des webinaires avec les parties prenantes ou des enquêtes ont été réalisées en visioconférence.
Concernant le volet relatif à l'acceptabilité sociale, avez-vous testé le contrecoup de cette période de fortes turbulences sociétales ? L'acceptabilité du changement de mode de vie était peut-être un peu différente de ce que nous pouvons ressentir aujourd'hui.
C'est possible. Il faudrait réaliser de nouvelles enquêtes aujourd'hui pour savoir si la société a, sur ce point, effectivement bougé. Le discours sur le « monde d'après », très fort il y a encore deux ans, est de moins en moins médiatisé. Néanmoins, nous voyons bien l'accélérateur de transformations qu'a été la crise sanitaire. Concernant l'usage du télétravail, un très grand nombre d'entreprises et d'établissements publics comme le nôtre ont accéléré les dispositifs, qui étaient inexistants ou émergents à la fin de l'année 2019 ou au début de l'année 2020 et qui sont beaucoup plus massifs aujourd'hui.
Il existe une certaine continuité dans ces crises. Malheureusement, la crise liée à l'épidémie de Covid-19 a été suivie par des incendies, de la sécheresse survenus cet été, et une crise énergétique. Certaines des projections du premier scénario, un peu dures, concernant la limitation des consommations d'énergie, ne sont plus autant de la science-fiction que cela pouvait l'être lorsque ce scénario a été conçu. Lors du design, nous n'avons volontairement pas voulu imaginer un scénario de crise ou collapsologique en travaillant sur des scènes plus ou moins réalistes. Effectivement, nous n'avons pas refait l'enquête à date mais nous pouvons imaginer que les tenants et les aboutissants de la crise énergétique actuelle donneraient un éclairage qui ne serait pas complètement opposé à ce qui avait pu ressortir en 2020.
Permettez-moi d'avoir le sentiment qu'avec une étude, même qualitative, sur un échantillon de seulement trente personnes, nous sommes quand même très loin d'un résultat fiabilisé. Même sans réaliser une étude quantitative, le nombre de répondants semble ridiculement faible.
Les échantillons qualitatifs de vingt à trente personnes sont assez classiques en sociologie. Les sociologues qui utilisent les méthodes qualitatives sont bien conscients de l'intérêt et des limites de ce type de méthode. En effet, un échantillon qualitatif ne vous donne pas l'état de l'opinion dans la société française à un moment donné mais vous fournit des tendances, des logiques de réflexion et des conditions, qu'il faut ensuite tester et généraliser. Le fait que l'échantillon compte 31 personnes ne me choque pas par rapport au standard de la sociologie qualitative. En revanche, il ne faut évidemment pas en inférer des grandes généralités sur ce que les Français sont prêts ou non à accepter.
Travaillez-vous sur les contrecoups, en matière de comportement individuel, de l'injonction à la sobriété ? Nous constatons en effet une injonction collective à la sobriété et, notamment, à baisser la température des logements. Certains collectifs baissent quasiment d'office la température pour les occupants, qui n'ont pas forcément la maîtrise du thermostat. Nous constatons, en conséquence, une multiplication des appareils de chauffe d'appoint, dont le niveau d'efficacité est ridiculement faible. Travaillez-vous en temps réel sur ce sujet, très éclairant sur l'acceptabilité de scénarios de sobriété ?
Au sein de l'ADEME, nous avons à cœur de rappeler que l'injonction à la sobriété est vaine si elle ne se rabat que sur un niveau individuel et que s'orienter vers des modes de vie sobres relève avant tout d'enjeux collectifs. Les petits gestes peuvent évidemment être importants mais des politiques de sobriété ne peuvent pas reposer que sur les injonctions individuelles et doivent se traduire par des transformations de nos modes d'organisation collective, des formes d'urbanisme, des modèles économiques ainsi que de nos modes de production et de consommation.
Nous n'avons pas encore lancé d'enquête nationale auprès des consommateurs sur la façon dont sera vécu l'hiver et les effets rebonds. Néanmoins, nous travaillons, avec notre ministère de tutelle, sur un suivi de l'impact du télétravail puisque les établissements devront peut-être fermer parfois en cas de coupures d'électricité, ce qui entrainera éventuellement un recours forcé au télétravail. Nous mettons actuellement en place un dispositif de suivi des effets rebonds de ce télétravail, pour savoir s'il induira des consommations supplémentaires dans les logements, en comparaison de celles qui sont économisées dans les bâtiments fermés. Cette petite étude permettra de disposer de premiers chiffres dans le courant de l'hiver.
Qu'en est-il de l'étude sur le convecteur électrique d'appoint et la souffleuse dans la salle de bain ?
Il peut effectivement être choquant de voir que, dans un certain nombre de grandes surfaces de bricolage, des équipements dont le rendement n'est absolument pas performant sont présentés en « tête de gondole ». Ils sont toujours autorisés à la vente et peuvent être nécessaires dans un certain nombre de cas. L'étude menée avec RTE en 2020 avait justement l'objectif de savoir si nous pouvions faire séparément l'isolation des logements et le recours aux pompes à chaleur. Nous avons testé des scénarios de consommation où l'isolation des logements est plus ou moins forte, mais où nous continuons à utiliser des convecteurs électriques et, à l'inverse, des scénarios où nous installons des pompes à chaleur sans isoler. Nous avons également testé un scénario où nous isolons tout en installant des pompes à chaleur. Cette étude montre que, pour garantir la sécurité d'approvisionnement du système électrique et, ainsi, éviter que la pointe ne s'accroisse, il faut à la fois miser sur la performance du bâti, soit de l'isolation, et sur la performance des équipements, donc des pompes à chaleur plutôt que les radiateurs à effet Joule.
Certains messages publics, diffusés sur les grandes ondes aux heures de grandes écoutes, tendent quand même à inciter à chauffer moins son logement et à mettre une souffleuse dans sa salle de bain.
Le message que nous portons est effectivement que 19 degrés Celsius en moyenne est une température acceptable. Au sein de l'ADEME, nous précisons bien qu'il s'agit d'une moyenne et que la température doit dépend de la vêture, de l'âge et de l'activité dans le logement. Pour une personne immobile et malade, chauffer à 19 degrés Celsius n'est peut-être pas suffisant tandis que, pour une personne active dans son logement, cette température peut convenir. Le logement peut également être davantage chauffé la journée que la nuit. Dans les pièces inoccupées, la température peut être de 17 degrés Celsius. Ces subtilités ne sont pas faciles à expliquer lorsque nous devons faire passer des messages simples.
Merci. Vous avez indiqué que le taux d'indépendance énergétique, tel qu'il est calculé par l'Insee, ne vous semble pas très fiable pour mesurer la souveraineté et l'indépendance de notre pays et qu'en revanche, en intégrant l'ensemble des combustibles importés au calcul, la dépendance de la France s'élève plutôt à 80 %. Pouvez-vous nous expliquer comment vous calculez ce chiffre et pourquoi vous jugez que ce calcul est plus fiable que l'indicateur de l'Insee ?
Je ne sais pas si j'ai utilisé le terme fiable, qui n'est pas forcément le bon terme. Nous pouvons bien entendu supposer que les calculs de l'Insee sont fiables selon la formule qui est appliquée. Je souhaitais simplement dire que, dans le calcul du taux d'indépendance énergétique tel qu'il est effectué aujourd'hui, la vapeur primaire issue de la combustion des combustibles nucléaires avant qu'elle soit transformée en électricité – qui correspond à environ trois fois la quantité d'électricité produite – est considérée comme française. Cette vapeur, dont seul un tiers fera de l'énergie finale, provient de l'utilisation de combustibles importés. Dans la définition de l'Insee, la vapeur primaire utilisée pour faire notre électricité est considérée comme française, ce qui permet que nous atteignions un taux d'indépendance énergétique de 55 %. Or, sur la consommation d'énergie finale française d'environ 1 600 térawattheures, les énergies produites en France – principalement composées d'énergies renouvelables – représentent à peu près 19 %, ce qui explique que je donnais le chiffre de 20 % d'autonomie énergétique.
Vous dites en creux que vous pensez que la qualité d'indépendance énergétique attribuée au nucléaire est surestimée.
Dans le contexte géopolitique actuel et passé, elle a été considérée, par les personnes qui ont décidé de cette formule, comme représentative, sans doute parce que nous considérons que nous maîtrisons le cycle nucléaire et que les pays desquels nous importons sont suffisamment sûrs. L'ADEME n'est pas compétente pour s'exprimer sur ces sujets. Les évènements entre l'Ukraine et la Russie, qui n'étaient pas forcément prévisibles, peuvent aussi interroger sur cette notion d'indépendance énergétique. Mettre ce chiffre de 55 % en avant pourrait laisser croire aux Français que tout va bien alors même que nous constatons qu'une crise comme celle de l'Ukraine remet indirectement en cause beaucoup de nos pratiques sur les carburants, sur le gaz, sur la consommation d'électricité mais aussi sur les céréales et la consommation de denrées alimentaires.
Pouvez-vous nous parler de cet indicateur, dont vous disposez visiblement, et qui établirait plutôt le taux de dépendance à 80 % ?
L'indicateur que j'utilisais est le taux d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergies françaises – actuellement de 19 % – puisque toutes les autres énergies sont principalement importées (gaz naturel, pétrole ou encore uranium). Les énergies renouvelables que nous comptons dans le bilan énergétique français sont produites en France.
Vous ne comptez pas, dans ce calcul, les métaux importés nécessaires pour la maintenance, et non uniquement pour l'installation, des éoliennes. Vous comptez donc l'uranium – dont nous possédons des stocks importants en France et qui est assez faible, en valeur ajoutée, dans la proportion – comme une production importée tandis que vous évoquez une indépendance nationale pour les éoliennes, qui nécessitent assez régulièrement des matériaux importés.
Pour bien réaliser ce calcul de souveraineté, il faudrait inclure deux volets. Le premier volet concernerait les consommations de combustibles, avec un taux de 80 % de dépendance énergétique. Le second volet, à construire, serait relatif aux matériaux et aux chaînes industrielles. En effet, le bilan serait à faire pour déterminer à quel point notre système énergétique dépend d'équipements, à la fois de consommation et de production, dont la fabrication et la source ne sont pas forcément françaises. Concernant la maintenance des éoliennes, ce sont surtout des huiles qui sont utilisées régulièrement, plutôt que des métaux importés.
J'aimerais souligner que cette dépendance sur les matériaux est stratégique à moyen terme mais ne revêt quand même pas le même caractère d'urgence que la dépendance sur les combustibles. Lorsque la Russie décide de couper le robinet de gaz sur une partie du gazoduc, toute l'Europe se retrouve paralysée immédiatement. Or si la Chine adoptait une politique d'arrêt des exportations de panneaux photovoltaïques, l'impact ne serait pas immédiat et la France aurait simplement une difficulté à faire évoluer son système énergétique, lequel continuerait toutefois à fonctionner.
Dans votre présentation, pour arriver à 80 % de dépendance – ce qui peut être un parti-pris – vous considérez le combustible nucléaire avec la même volatilité et tension en matière de disponibilité et de flux que le gaz ou le pétrole, soit avec l'incapacité à stocker et avec une part identique du combustible dans la création de valeur ajoutée.
L'hypothèse simplificatrice, basée uniquement sur les importations, a été retenue dans ce calcul.
Nous sommes preneurs du détail du calcul, si vous voulez bien nous le transmettre par la suite.
L'ADEME est une agence de l'État, qui produit des scénarios « rétropolés » par rapport à la neutralité carbone. Néanmoins, à la fin, ce sont essentiellement les titres des scénarios qui sont retenus. Vos scénarios s'appellent « Génération frugale », « Coopération territoriale » ou encore « Pari réparateur ». Comment choisissez-vous ces intitulés ? Ne croyez-vous pas qu'il existe un impact important, et forcément normatif, lorsque des termes comme frugale, réparateur ou coopération sont utilisés ?
J'aimerais tout d'abord ajouter un point supplémentaire par rapport à la question précédente. Le taux de 20 % est le taux d'énergies renouvelables dans le mix énergétique. Dans un rapport de 2021, le ministère de la transition écologique indiquait également que, dans le cas de la France qui a recours intégralement à des combustibles importés, utilisés directement ou après recyclage, le taux d'indépendance énergétique perdrait 40 points de pourcentage pour s'établir à 14 % en 2020 si nous considérions comme énergie primaire le combustible nucléaire plutôt que la chaleur issue de sa réaction. Ces calculs ne sont donc pas uniquement le fait de l'ADEME et le résultat publié dans le rapport du ministère est encore plus faible.
Concernant le choix des titres des scénarios, d'autres organismes ne publient qu'un scénario – comme l'association négaWatt – ou produisent plusieurs scénarios – comme RTE, uniquement sur le mix électrique – et choisissent de décrire leurs scénarios avec des codes plus techniques. L'objectif de l'ADEME était de publier des scénarios basés sur des récits qui parlent au grand public. Nous avons eu une volonté pédagogique dans la réalisation et dans la publication de nos travaux. Il était effectivement important pour nous de pouvoir nommer ces scénarios avec des noms qui les représentent. Lors de leur élaboration, nous avons souhaité les traiter à égalité et éviter que leur dénomination induise un jugement ou une préférence pour l'un ou pour l'autre. Les titres ont fait l'objet de longs débats en interne, qui n'étaient pas faciles, mais ils sont représentatifs des difficultés engendrées. Le scénario « Génération frugale » a été appelé ainsi car il assume un recours, parfois contraint, à la question de la sobriété. Le scénario « Coopération territoriale » met en avant l'économie du partage. Le scénario « Technologies vertes » met en avant un recours maximal à toutes les technologies de la transition. Enfin, le scénario « Pari réparateur » illustre le fait que nous avons besoin de technologies pour réparer les impacts que nous causons sur l'environnement mais qu'un certain nombre de ces technologies reposent sur un pari, puisque certaines n'existent pas à l'échelle industrielle à ce jour. Il n'est pas facile de trouver un nom et un adjectif pour décrire des scénarios qui représentent plus de 900 pages de travail.
Dans les enseignements principaux que vous donnez sur les scénarios, vous dites, dans le point 4, que la réduction de la demande d'énergie est le facteur clé pour atteindre la neutralité carbone. Toutefois, je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi vous écrivez qu'il s'agit de la réduction de la demande d'énergie en général et non de la seule énergie carbonée. Pourquoi prenez-vous, semble-t-il, la consommation énergétique comme porte d'entrée pour l'ensemble des scénarios ?
Ce point est véritablement un résultat plutôt qu'une hypothèse. Notre hypothèse était d'atteindre la neutralité carbone dans les quatre scénarios. Dans le quatrième scénario notamment, nous n'avons pas souhaité nous fixer de contrainte sur la consommation d'énergie, par défaut. Néanmoins, nous constatons qu'à l'arrivée, nos quatre scénarios comprennent au moins 25 % de réduction de la consommation d'énergie. C'est pour cela que nous disons que, dans tous les scénarios, il est nécessaire de réduire la consommation d'énergie.
Nous ne pouvons pas simplement réduire la consommation des énergies carbonées parce que le potentiel des énergies décarbonées est lui aussi limité à l'horizon 2050. Les énergies décarbonées sont la biomasse et les énergies renouvelables électriques, qui comportent des limites de rythme ou de prélèvement. Même si nous doublons le recours à la biomasse dans tous nos scénarios pour faire de l'énergie et des matériaux, il faut maintenir un équilibre alimentaire et la capacité de stockage de l'écosystème, ce qui limite le recours à cette énergie. En outre, le recours aux énergies électriques décarbonées (photovoltaïque, éolien et nucléaire) est lui aussi limité en termes d'impact paysager ou de rythme de développement. À l'horizon 2050, nous ne pouvons pas imaginer avoir des dizaines de gigawatts de nucléaire ou des centaines de gigawatts d'éolien, d'où ce nécessaire recours à l'efficacité énergétique et à la sobriété.
Comment déterminez-vous la limitation du potentiel de ces trois énergies (photovoltaïque, éolien et nucléaire), avec des limites de nature chaque fois assez différentes ?
Nous avons effectivement des études de potentiel et de gisements technico-économiques, qui sont bien souvent très importants. Nous avons essayé de limiter le développement de l'éolien à une multiplication par deux par rapport à l'objectif 2030. Nos scénarios comprennent environ 60 gigawatts d'éolien terrestre, ce qui permet de prendre en compte une limitation de la pression sur les paysages, par exemple. Pour les autres énergies, nous nous basons sur des études de potentiel. Sur le photovoltaïque, nous sommes quand même plus limités par des rythmes parce que les potentiels sont gigantesques. En outre, comme RTE, nous faisons un bouclage et une vérification horaire du fonctionnement du mix électrique. Il ne serait donc pas possible d'avoir des mix électriques trop déséquilibrés avec, par exemple, uniquement du photovoltaïque. Concernant le nucléaire, nous avons retenu les trajectoires proposées par les acteurs en entrée de la concertation de RTE, à savoir trois ou cinq nouvelles paires de réacteurs pressurisés européens (EPR).
Concernant les scénarios de baisse que nous pouvons envisager (côté consommation et production), si vous adoptez un regard rétrospectif sur vos scénarios des précédentes études, quelle conclusion tirez-vous ? Des scénarios se sont-ils révélés parfaitement concordants ? D'autres ont-ils été très largement sous-estimés, par exemple en termes de consommation ?
Sur ce sujet de la consommation d'énergie, les visions publiées en 2012 et les mises à jour publiées en 2017 adoptaient une approche assez normative par rapport à l'objectif fixé dans la loi. Ces scénarios visaient plutôt à montrer comment atteindre l'objectif d'une baisse de 50 % de la consommation d'énergie par rapport à 2012. Pour atteindre l'objectif fixé pour 2050, il faudra accélérer nos progressions sur la fin de la courbe car nous sommes actuellement significativement au-dessus de la trajectoire.
Concernant le nucléaire, qui est davantage dans vos trajectoires de mix électrique, un ou deux passages m'interpellent quelque peu. S'agissant de la place du nucléaire à long terme, vous dites, dans la synthèse de votre d'étude sur la trajectoire d'évolution du mix, que, d'un point de vue économique, le développement d'une filière nucléaire de nouvelle génération ne serait pas compétitif pour le système électrique français. Je ne suis pas sûr de comprendre s'il s'agit d'une compétitivité interne au système électrique ou pour l'économie française. De plus, comment parvenez-vous à déterminer que le développement d'une filière nucléaire de nouvelle génération ne serait pas compétitif d'un point de vue économique alors que, sauf erreur de ma part, vous ne portez pas ce type de jugement économique sur les autres productions d'énergie ?
Le point de vue économique est relatif aux évaluations économiques réalisées dans cette étude sur le mix électrique. Dans ces travaux, nous évaluons les coûts du système électrique tous les cinq ans, entre 2020 et 2050, et les coûts du système électrique englobant tous les coûts de production, de réseau, de stockage et des flexibilités. Les résultats de ces travaux montrent qu'avec des niveaux de consommation légèrement supérieurs à ceux d'aujourd'hui, la technologie du nouveau nucléaire – avec les hypothèses de coûts de production et d'investissement issus de la concertation de RTE – est plus chère que les technologies renouvelables. Nos scénarios montrent qu'il est possible de faire des mix électriques renouvelables, avec des flexibilités associées et intégrées dans un mix européen, qui coûte moins cher que des mix avec recours aux EPR.
Dans le troisième scénario, dans un contexte de hausse de 50 % d'électricité par rapport à la consommation actuelle, nous avons comparé un scénario qui recourt au nouveau nucléaire avec trois paires d'EPR en 2050 et un autre qui recourt à l'éolien en mer flottant. La comparaison des coûts du mix électrique entre ces deux scénarios aboutit au peu près au même coût global des trajectoires. RTE, qui a une approche un peu différente, compare les coûts en 2050, tandis que nous calculons ce que cela coûte à la France entre 2020 et 2050.
L'évaluation macroéconomique des quatre scénarios montre que, de ce point de vue, les deux scénarios sont équivalents. Toutefois, il faudrait des études de filière plus approfondies.
Plus un scénario imagine une consommation d'énergie importante, plus le coût des nouvelles installations nucléaires s'aligne sur celui des ENR. Par ailleurs, l'expérience a montré que nous étions toujours au-delà de nos propres intentions de consommation, en raison de l'inertie. Le confirmez-vous ?
Je confirme votre première affirmation, mais pas la seconde. Effectivement, nos travaux montrent qu'en limitant la croissance de la consommation d'électricité, nous pouvons recourir aux énergies renouvelables les plus compétitives (l'éolien terrestre, le photovoltaïque et l'éolien en mer posé). Si ces consommations augmentent trop et que nous voulons limiter la pression sur les paysages, le recours à des technologies d'éolien en mer flottant atteint des coûts qui sont du même ordre de grandeur pour le mix électrique que le recours aux technologies EPR, ce qui n'est pas le cas si les consommations d'énergie sont plus faibles.
En revanche, il me semble que les premiers plans nucléaires tablaient sur des consommations d'électricité largement supérieures à 500 térawattheures. Nous avions, au début du lancement du plan nucléaire, dans les années 1970, des perspectives de consommation d'électricité bien supérieures à celles que nous avons atteintes.
J'avais le sentiment que nous allions réussir à atteindre rapidement une baisse de notre consommation qui, à un certain moment, a pu donner le sentiment que nous serions ou que nous pourrions être en surcapacité nucléaire. Je pense ici à la fin des années 1990 et au début des années 2000. En grossissant le trait, si nous atteignons des objectifs de sobriété importants, nous serions non seulement en mesure de baisser notre production nucléaire mais également d'investir uniquement ou essentiellement dans des énergies renouvelables plus compétitives à court terme. Néanmoins, si nous n'étions pas capables d'atteindre ces objectifs de consommation en raison d'une absence d'acceptabilité sociale ou d'une forte relance de notre industrie (pas totalement décarbonée), l'intérêt à recourir au nucléaire serait à la fois plus important et plus économique.
Effectivement, plus nous consommons et moins nous saurons le faire uniquement avec des énergies renouvelables.
Concernant le nucléaire, nous partons sur l'hypothèse que nous utilisons le combustible que nous connaissons et que nous avons utilisé jusqu'à maintenant. Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Jean-Marc Jancovici a évoqué d'autres formes de combustible nucléaire, notamment du thorium. Auriez-vous des indications sur ce point ?
L'ADEME n'ayant pas de compétence particulière sur les énergies nucléaires, je ne me prononcerai pas sur ce point.
J'ai été interpellé, en tant qu'ancien maire et président d'intercommunalité, lorsque vous avez indiqué que vous pouviez verser des subventions sans valider les scénarios de recherche, ce qui ne correspond pas à mon expérience d'élu d'une collectivité territoriale.
Concernant les quatre scénarios de Transition(s) 2050, vous avez suggéré une meilleure utilisation des résidences secondaires. Je voudrais savoir si dans votre étude, parmi les trente cas, cette meilleure utilisation des résidences secondaires permet de réaliser des économies pour parvenir aux objectifs fixés pour 2050.
La meilleure utilisation des résidences secondaires n'est pas forcément en lien avec les trente citoyens, interrogés pour tester l'appréciation sociologique de ces scénarios, et dont les réponses constituent une toute petite partie des travaux de Transition(s) 2050.
Pour réaliser les travaux, nous avons effectivement, dans certains scénarios, supposé une meilleure utilisation des résidences secondaires, induisant, par exemple, une réduction de 2 millions de logements à l'horizon 2050, par rapport au parc actuel. Une telle réduction, qui permettrait de chauffer mais aussi de construire moins de logements, est modélisée de façon systémique et les impacts de cette politique entraînent des répercussions sur les consommations d'énergie, mais aussi les consommations de matériaux et d'énergie de l'industrie. Tous ces éléments ont été pris en compte dans ces travaux.
L'intégration des résidences secondaires dans le tissu local a-t-elle été également prise en compte ?
Tout à fait. Cet élément fait bien partie des baisses.
Concernant le métier de l'ADEME, la plupart des travaux de recherche sont portés par des laboratoires, des groupements de laboratoires ou des groupements de laboratoires et des entreprises. Ensuite, lorsque l'ADEME octroie une subvention, de gré à gré, à une ONG ou une fédération professionnelle pour réaliser, par exemple, un événement en lien avec la géothermie, l'Agence peut apporter des subventions afin d'animer la filière auprès des collectivités locales. Parfois, ces structures souhaitent mener une étude, que nous ne subventionnerons évidemment pas si elle n'est pas alignée avec les objectifs de transition écologique. Dans le cadre de l'octroi d'une subvention, le suivi et la réalisation des travaux sont à la charge de cette structure. Les conclusions auxquelles ils aboutissent peuvent, dans certains cas, ne pas être toutes alignées avec la politique en cours et les objectifs ministériels ou gouvernementaux. Dans certains cas, ces travaux peuvent être en avance de phase par rapport au cadre actuel. En ce sens, l'ADEME n'endosse pas la responsabilité totale de ces rapports quand il s'agit de subventions apportées à des fédérations professionnelles, des ONG ou d'autres acteurs.
Je suis surpris de ce que vous décrivez. L'exemple que vous donnez, à savoir le fait de soutenir des fédérations professionnelles afin qu'elles organisent des événements auprès des collectivités locales, est intéressant. En tant que parlementaires, au regard des lois Sapin, entre autres, nous appelons cela des actions de lobbying subventionnées par une agence de l'État sur fonds publics. C'est ce mécanisme que vous venez de décrire.
Ce n'est pas tout à fait le cas. Il est nécessaire de distinguer les différents types de subventions. L'Agence procède en intervention soit en achat soit en subventions. Si, pour l'achat, nous déterminons nous-mêmes le besoin et passons des appels d'offres des marchés publics, pour les subventions, un porteur de projet nous propose un projet, dont nous discutons. Il existe des subventions dans le cadre des grands fonds opérés par l'ADEME, comme le fonds Chaleur, et des subventions pour des événements de communication. Pour nous, organiser un colloque sur la géothermie ou la chaleur renouvelable ne constitue pas du lobbying puisque nous organisons un colloque ouvert au public, aux parlementaires et aux élus locaux.
La définition du lobbying ne vous appartient pas. Si cet événement concernait l'agroalimentaire ou le nucléaire, le fait qu'il s'agit de lobbying sauterait aux yeux de tout le monde.
Non, organiser un colloque ouvert à tous et toutes…
Que vous organisiez un colloque, c'est une chose. Toutefois, que vous subventionniez quelqu'un d'autre pour organiser un colloque, c'est différent.
Notre action s'inscrit dans le cadre d'un système d'aide aux changements de comportement. L'exemple du colloque était un exemple parmi d'autres mais nous pouvons également subventionner des guides ou des conseils. Par exemple, avec l'association Amorce, nous avons subventionné un guide Les élus et l'éolien, permettant d'expliquer les difficultés auxquelles les élus font face par rapport à cette source d'énergie et de les conseiller. Il s'agit, pour nous, d'information et de communication. Les colloques et les événements sont en effet souvent co-organisés et co-soutenus, par les conseils régionaux quand il s'agit d'événements en région. Les aides de l'ADEME ne sont pas les seuls à soutenir ce type d'événements. Les colloques sont ouverts et permettent le partage de retours de bonnes pratiques ou de retours d'expérience de la part de collectivités ayant mis en œuvre une technologie. Ces événements ont des coûts et l'ADEME n'a pas forcément toujours les moyens de les organiser intégralement sur le territoire. Ainsi, lorsque des partenaires souhaitent organiser ce type d'événement, nous pouvons y contribuer. Néanmoins, nous ne subventionnerons évidemment pas des actions de lobbying de ces structures si elles souhaitent en organiser.
Bien sûr. Les travaux que nous pouvons réaliser avec certaines ONG se limitent à des études ou à des guides.
La troisième forme de subvention concerne le cas de figure où une association vient nous voir avec une étude. Nous ne donnons évidemment pas un « chèque en blanc » à une association afin qu'elle réalise une étude. L'association nous présente un projet, puis nous discutons du contenu. Ensuite, le projet est suivi par un instructeur de l'Agence. Enfin, un certificat de service fait est délivré à l'issue du projet. Nous distinguons bien le cas où le besoin relèverait de l'Agence, justifiant un achat, pour lequel nous aurions la pleine maitrise de l'objet produit, du cas d'une subvention où nous aidons à la réalisation, par exemple d'un guide de bonnes pratiques, sans être propriétaire du résultat final.
Vous avez dit ne pas disposer de compétences sur les perspectives technologiques dans le nucléaire. Pourtant, dans le scénario dénommé « Pari réparateur », que vous présentez, vous explorez un certain nombre de nouvelles pistes technologiques, dont vous jugez de la disponibilité et de la maturité. Je suis donc surpris de cette réponse sur le fait que vous n'auriez pas d'expertise, au moins sur la vraisemblabilité d'un certain nombre de technologies nucléaires, alors que vous semblez dire que, sur certaines énergies renouvelables, semblant reposer également sur des paris, votre expertise semble plus fine. Comment l'expliquez-vous ?
Cela dépend du cadre que nous fixe l'État dans nos domaines d'intervention. L'expertise de l'ADEME vient beaucoup des projets de recherche et des thèses que nous pouvons soutenir, qui nous permettent d'avoir une vision sur les technologies de demain. Notre cadre d'intervention, concernant la recherche, le PIA ou France 2030, concerne les technologies de la transition écologique, les énergies renouvelables, le stockage ou encore les technologies de smart grid. Néanmoins, l'État ne nous confie pas de soutien à la recherche dans le domaine du nucléaire. Nous ne disposons donc pas de compétence particulière sur ce sujet. J'inclus le fait que nous avons également soutenu des recherches, par exemple, sur le captage et le stockage de CO2 dans l'air ambiant, que je qualifierai de technologie non mature. Nous avons effectivement des compétences dans ce domaine, du fait des travaux de recherche que nous avons pu soutenir.
Il est donc surprenant de voir que vos scénarios, assez prospectifs, formulent ensuite des points de vue sur le coût de certaines technologies, alors même que vous ne disposez pas d'expertise sur ces dernières.
Concernant ces technologies, nous nous basons sur des hypothèses formulées par des acteurs compétents, notamment RTE, qui a fait toute une concertation sur ce sujet.
Ces hypothèses ne sont pas forcément construites de la même façon. Vous avez, dans la même étude, des biais méthodologiques distincts qui sont pourtant mis au même niveau.
Les hypothèses retenues par RTE et par l'ADEME sur les questions de mix électrique sont extrêmement proches.
Nous évaluons également le coût de revient complet au mégawattheure, incluant le coût de réseau et de production mais excluant les taxes – comprises dans le prix de l'énergie.
J'évoque le coût complet facturable au consommateur in fine. Nous nous demandons quels sont les coûts globaux pour la collectivité et, rapporté au mégawattheure produit, combien cela peut engendrer en termes de prix du mégawattheure, hors taxes.
Votre question évoque-t-elle, pour sa part, le prix de marché et le fonctionnement du marché spot de l'électricité ?
Les outils de modélisation que nous utilisons, notamment pour le mix électrique, modélisent le fonctionnement du marché spot de l'électricité, dans un contexte précrise, comme RTE. Nous avions émis des hypothèses d'évolution du prix du gaz et du CO2 inférieur au véritable niveau, dû au contexte de crise. Il faut garder en tête que le fonctionnement du prix sur les marchés de gros d'électricité n'est absolument pas représentatif des coûts. Tous les moyens bénéficient, à un moment donné, du prix de l'unité marginale qui fonctionne, y compris les moyens dont les coûts de production sont beaucoup plus faibles. En ce moment, le prix marginal est extrêmement élevé du fait de la crise en Ukraine, ce qui n'est pas représentatif des coûts. Nous avons évalué les coûts du système.
Les premiers acteurs à dénoncer des contrats à terme sont souvent les titulaires de capacités de production intermittente, qui étaient, jusqu'à maintenant, achetée à des contrats à terme à un prix supérieur à celui du marché.
Nous ne pouvons qu'être critiques par rapport à ce type de comportement. Certains acteurs, qui restent une minorité, ayant bénéficié de tarifs d'achat, souhaitent sortir de ces tarifs pour bénéficier du prix de marché. Ce n'est pas raisonnable de leur part. L'État ayant octroyé une rentabilité acceptable à leur installation au travers des tarifs d'achat, ils devraient rester dans ces tarifs jusqu'au bout afin de contribuer au fait que les énergies renouvelables permettent en ce moment à l'État de grandes économies de facture. La commission de régulation de l'énergie (CRE) a estimé que 16 milliards d'euros d'économies seraient générés en 2022 puis en 2023, grâce à l'éolien et au photovoltaïque notamment.
Pour le solaire ou l'éolien, quelle est la moyenne des prix d'achat sur des contrats à terme ?
Pour l'éolien, la moyenne du prix d'achat doit s'élever à 65 euros du mégawattheure tandis que, pour le solaire, cette moyenne – qui dépend beaucoup de la taille des installations – s'élève à environ 55 euros du mégawattheure pour les grandes installations.
Pouvez-vous me confirmer que ces montants ne constituent pas la moyenne des contrats en stock, qui est bien plus élevée ?
Oui, en raison du début de période. En 2010, lorsque nous avons mis en place les premiers tarifs d'achat, ces derniers étaient extrêmement élevés car la filière était naissante, ce qui pèse encore beaucoup sur le coût complet.
Oui. Nous reprenons l'hypothèse de l'Insee relative à la fécondité basse.
Avez-vous une introduction de vos quatre scénarios à une échelle d'interconnexion ? Que feront les autres pays ? Qu'en est-il des éléments démographiques qui semblent de plus en plus déterminants à l'horizon 2050 ?
En termes de cadrage, nous avons supposé des efforts de la part des autres pays. Toutefois, nous supposons l'existence d'une augmentation des températures (scénario RCP 4.5). Nos scénarios prennent en compte un certain niveau de changement climatique, ce qui a un impact sur les productions agricoles, sur les températures et le besoin de refroidissement l'été.
Lorsque nous produisons ce type de scénarios, il n'est pas évident de nous baser aisément sur les possibilités des importations puisque nous pourrions dire que la France importera massivement des énergies décarbonées demain et que nous parviendrons à la neutralité carbone facilement. Dans nos scénarios, nous avons supposé que nous restions dans une situation similaire à aujourd'hui concernant les imports et les exports, en termes d'alimentation et de biens, avec une légère amélioration de la balance commerciale sur les matériaux. Dans le troisième scénario, nous avons supposé que nous nous trouvions dans un monde plus global, où la moitié de l'hydrogène était importée, car il me semblait vraisemblable que, dans certains scénarios, les acteurs économiques importent de l'hydrogène décarboné.
Notre dernière étude sur le sujet date de 2016. Il me semble qu'elle montrait que le changement d'heure produit encore un impact en termes d'économies de mégawatts mais que les freins ainsi que les impacts sur le rythme, la santé ou encore l'accidentologie pouvaient, dans une logique coût-bénéfice globale, compenser en partie les économies réalisées.
La commission d'enquête auditionne ensuite M. Nicolas de Maistre, préfet et Directeur de la protection et de la sécurité de l'État, au secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN).
Chers collègues, nous accueillons M. Nicolas de Maistre, préfet et directeur de la protection et de la sécurité de l'État au secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN).
Je vous remercie, monsieur le préfet de Maistre, d'avoir accepté de consacrer une partie de votre temps aux travaux de notre commission d'enquête chargée d'établir les raisons de la perte de souveraineté et de l'indépendance énergétique de la France.
Je remercie également Mme Sylvie Supervil, chargée de mission nucléaire et radiologique, ainsi que M. le lieutenant-colonel Jean-Charles Coste, chargé de mission Vigipirate, qui sont présents à vos côtés. Non mentionnés sur la convocation, ils pourront toutefois répondre aux questions de la commission d'enquête.
Monsieur le préfet, nous avons souhaité auditionner un représentant du SGDSN afin de prendre la mesure du caractère stratégique de l'énergie pour un pays comme la France. La crise qu'elle traverse, sans être aussi dramatique que pour d'autres pays voisins, est potentiellement lourde de conséquences. Le contexte de cette crise, à savoir la guerre non loin de nos frontières, donne d'ailleurs un caractère aggravant à cette menace. Finalement, la crise énergétique mobilise-t-elle autant de moyens que la crise sanitaire que la France a dû traverser ? Cette crise mobilise-t-elle les mêmes institutions de l'État ? En outre, cette crise touche-t-elle aux mêmes intérêts stratégiques ?
Une autre source d'intérêt, pour notre commission d'enquête, réside évidemment dans la filière nucléaire civile française, présentée comme concentrant un certain nombre de risques, pour lesquels les services de l'État et vos services peuvent être concernés. Pour chacun de ces risques, la vigilance est de rigueur de longue date et ce contrôle est exercé par diverses institutions, dont vos services, qui opèrent le plus souvent avec grande discrétion. Or celle-ci reste incomprise, la moindre information dont la diffusion a été autorisée pouvant alimenter des réactions médiatiques en chaîne, difficilement compréhensibles.
Monsieur le préfet, pouvez-vous faire preuve d'un peu de pédagogie sur le rôle de votre service et, tout en respectant les règles du secret auxquelles vous êtes lié, essayer de nous apporter les plus claires clarifications et éléments de compréhension ?
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Nicolas de Maistre, M. Jean-Charles Coste et Mme Sylvie Supervil prêtent serment.)
Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et messieurs les députés,
Le SGDSN est un secrétariat général, ayant vocation à assister la Première Ministre dans l'exercice de ses responsabilités en matière de défense et de sécurité nationale. Ces missions l'amènent à traiter des questions stratégiques de défense, de sécurité, de dissuasion, de programmation militaire et, au sein de ma direction, de sécurité intérieure concourant à la défense nationale, de lutte contre le terrorisme - en lien avec la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) de planification des réponses aux crises mais aussi de lutte contre les ingérences numériques étrangères, de lutte contre la menace cyber – qui ne cesse de se développer – ou encore de protection de nos systèmes d'information classifiés. Le rôle de SGDSN est donc vraiment celui d'un bouclier de la Nation.
Concernant l'énergie, et particulièrement le nucléaire civil, deux missions, inscrites dans le code de la défense, sont suivies de manière plus précise sous ma direction au sein du SGDSN : la sécurité des activités d'importance vitale (SAIV) et la planification de la réponse gouvernementale à des crises majeures.
Le SGDSN pilote le dispositif de sécurité des activités d'importance vitale, qui est un concept français mis en place en 1958 et revu en 2006.
Ce concept a été repris en deux temps, au niveau européen, par une directive de 2018 incluant l'énergie et les transports, visant à opérer un travail collectif européen sur la protection d'infrastructures et ayant vocation à servir plusieurs pays, puis, grâce à la présidence française de l'Union européenne, par une directive sur la résilience des entités critiques dite « REC », que nous devrons transposer en droit français d'ici 21 mois et qui a vocation à développer, au niveau européen, la vision française d'astreindre un certain nombre d'opérateurs – fournissant des services indispensables à l'autorité de l'État, au fonctionnement de l'économie ou au maintien du potentiel de défense et de sécurité de la Nation – à des investissements afin de protéger leurs infrastructures. Cette politique française, portée de 1958 à nos jours, pesait sur nos opérateurs principaux, mais pas sur leurs équivalents au niveau européen. La nécessité d'évoluer sur ce sujet a fait l'objet d'une discussion avec l'ensemble de nos partenaires européens, lors de laquelle la France a joué un rôle leader. Les circonstances internationales malheureuses ont contribué à convaincre tous nos partenaires. Il existe donc une vraie volonté européenne de reprendre cette politique, tant dans cette dimension liée à la résilience des entités critiques que dans la directive Network Internet Security dite « NIS 2 », prévoyant une sécurisation des systèmes d'information.
Dans ce cadre, nous avons eu une discussion avec les opérateurs d'importance vitale afin d'évoquer avec eux une stratégie nationale visant à lutter contre les sabotages, les actes malveillants – essentiellement terroristes – et tous les risques – naturels, technologiques ou sanitaires. Pour cadrer ces éléments, le SGDSN a produit, en discussion avec les ministères ayant la tutelle de ces opérateurs d'importance vitale, 22 directives nationales de sécurité (DNS), couvrant 12 secteurs d'activité. Une directive spécifique couvre l'énergie tandis que des sous-directives concernent l'électricité, le gaz, les hydrocarbures et le nucléaire civil. Une fois ces directives nationales de sécurité fixées, le pilotage et la mise en œuvre s'opèrent au travers des services des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité de chacun des ministères, qui les mettent en œuvre et vérifient que les opérateurs réalisent bien des plans de sécurité d'opérateur (PSO) et des plans particuliers de protection, qui constituent des traductions concrètes de ces directives, ensuite validées.
Concernant le nucléaire civil, la dernière révision de la directive nationale de sécurité date du mois de décembre 2019. Ces directives, qui sont toutes classifiées, sont révisées de manière régulière pour tenir compte des évolutions de la menace. Certaines, dont les plus anciennes datent de 2015, doivent d'ailleurs être modernisées quant à l'évaluation de la menace.
Le SGDSN s'occupe donc de la doctrine et fixe le cadre national tandis que les ministères prennent les directives en compte et traitent avec leurs opérateurs. Toutefois, nous avons parfois un contact direct avec les directeurs de la sûreté de ces grands groupes ou de ces opérateurs d'importance vitale – parmi lesquels les opérateurs du nucléaire civil – afin de traiter de leurs préoccupations du moment et de sujets qu'ils voudraient nous remonter ainsi que pour les tenir au courant des derniers états de la menace. Par exemple, une réunion s'est récemment tenue avec les énergéticiens pour tenir compte des dernières évolutions internationales.
Par ailleurs, la Première Ministre nous a confié la mission de préparer les plans gouvernementaux permettant de répondre à tous types de risques ou de menaces (naturels, technologiques, terroristes, nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques ou liés à l'énergie), dans tous les milieux (aérien, maritime ou cybernétique). Il s'agit de préparer, à froid, en collationnant l'expertise de l'ensemble des ministères, des plans servant de support pour l'action interministérielle. Cette action peut prendre, en fonction de la décision de la Première Ministre, la forme d'une interministérialisation d'une crise sectorielle – laissant le ministère piloter la crise – ou d'une cellule interministérielle de crise, présidée par la Première Ministre ou par un ministre auquel elle confierait cette présidence.
Les plans n'ayant d'intérêt que s'ils sont mis en œuvre, nous sommes également chargés d'organiser des exercices majeurs, avec une réforme que nous avons mise en place. Pendant très longtemps, nous structurions des plans puis, une fois le plan construit, nous mettions en place un exercice majeur afin de le valider. L'inconvénient est que, compte tenu de l'inertie du travail nécessaire à la modernisation de ces plans successifs, nous n'étions pas toujours proches de l'actualité et des défis que la nation avait à relever. Dorénavant, chaque année, nous faisons deux à trois exercices majeurs ayant vocation à être plus en concordance avec les menaces ou les risques éventuels – tels que l'exercice « black-out électrique » effectué au printemps dernier, ou l'exercice gaz réalisé durant l'été et l'exercice de sécurité nucléaire dit « SEC NUC 21 » visant à tirer un certain nombre d'enseignements post-Fukushima – puis nous suivons les enseignements tirés et leur mise en œuvre dans les différents ministères concernés.
Nous sommes donc sur une mécanique de réforme de la planification dont le but est de ne plus associer un risque ou une menace à un plan mais de construire un système beaucoup plus modulaire, permettant au Gouvernement d'assembler les briques afin de pouvoir faire face à tous les types de risques, y compris ceux que nous n'aurions éventuellement pas été capables d'identifier. Par exemple, le droit de la crise et la gestion budgétaire d'une crise sont génériques et constituent des briques que nous voudrions mettre à disposition. La première mise en œuvre de cette réforme de la planification portera sur le plan national de réponse à un accident nucléaire ou radiologique majeur, dont le suivi est assuré par Mme Sylvie Supervil, avec l'ensemble des ministères. Cette réforme se met actuellement en place.
Merci. Suivez-vous plus particulièrement les activités classées d'importance vitale pour la Nation ?
Tout à fait. Les ministères identifient ces activités puis font remonter ces opérateurs et leurs points d'importance vitale – soit les équipements de nature à susciter une attention particulière – dans une commission interministérielle de défense et de sécurité. Au sein de cette commission interministérielle a lieu un débat sur la nécessité de faire entrer ces opérateurs dans le dispositif, sachant que des contraintes réglementaires pèseront sur ces derniers. Une fois qu'ils sont inscrits, nous suivons l'ensemble de ces opérateurs et leurs points d'importance vitale.
Il s'agit d'une information classifiée.
Nous pouvons produire quelques hypothèses que tout le monde pourrait comprendre, sur les centrales nucléaires par exemple. Pendant la crise liée à l'épidémie de Covid-19, ces activités classées d'importance vitale pour la Nation ont-elles bénéficié de règles particulières en matière d'autorisation de poursuivre un fonctionnement classique alors que tout le monde était appelé à rester à son domicile ?
Cette question dépasse très largement mes compétences sur le sujet. Nous fixons ces directives nationales de sécurité. Ensuite, ces questions sont directement traitées entre les administrations concernées – c'est-à-dire le ministère chargé de l'énergie – ainsi que le service qui le met en œuvre – à savoir le service du haut fonctionnaire de défense et de sécurité – et les opérateurs. Nous fixons la doctrine puis nous déroulons un processus permettant ce lien entre l'administration centrale, qui a la tutelle, et les opérateurs. Ensuite, nous le testons au travers d'exercices.
Notre réseau électrique a beaucoup évolué ces dernières années pour tendre vers une logique de réseau intelligent, jusque dans les foyers avec l'installation de compteurs communicants. Avez-vous observé un accroissement des risques sur le réseau en raison de cette mutation ?
Je qualifierais potentiellement le sujet que vous évoquez de générique. En effet, la numérisation de l'ensemble de notre société entraîne un accroissement des risques cyber. L'autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information (ANSSI) a été mise en place en 2009 pour construire une capacité de défense de la Nation afin de protéger l'ensemble de ces activités d'importance vitale, et au-delà. L'ANSSI n'a cessé de croître, en expertise et en moyens, pour répondre à ce risque. Le Président de la République a publiquement exposé une ambition forte pour le développement des savoir-faire cyber. Je suis revenu hier d'une réunion, au niveau « otanien », durant laquelle un certain nombre d'interrogations sur le sujet ont été abordées. Ce risque fait l'objet d'une prise de conscience collective. Si nous comparons avec un certain nombre d'autres nations, la France peut s'enorgueillir de n'avoir pas pris de retard sur le sujet. Cette préoccupation commune vaut pour le nucléaire comme pour l'ensemble des secteurs d'activité. Ces moyens de défense sont mis en œuvre. Ces éléments me permettent de faire le lien avec la réflexion, portée par l'Europe, sur la directive dite « NIS 2 », qui prévoit justement de contraindre progressivement les opérateurs, mais aussi de très nombreux agents puisque les collectivités locales seront impactées. Il s'agit d'une sorte de course entre l'épée et le bouclier sur la dimension cyber. Mécaniquement, la numérisation engendre la croissance du risque et oblige donc l'État à y consacrer davantage de moyens. Toutefois, cette prise de conscience n'est pas qu'étatique puisque nous voyons un très grand nombre d'acteurs économiques investir massivement pour se protéger des rançongiciels. La difficulté est de savoir comment aider des structures de nature plus modeste.
Quel est le rôle de votre administration dans le pilotage, notamment des stocks stratégiques, et dans l'établissement de la doctrine d'usage ?
Je pense que tous les pays européens, parmi lesquels la France, ont réinternalisé l'idée de stock. Nous avons évolué d'une logique économique du flux tendu vers un constat des difficultés que peuvent poser cette logique en cas de crise majeure et de la nécessité de réintégrer une compréhension de la logique de stock. Cette réflexion n'est pas simplement française mais aussi européenne. Un rapport de la Cour des comptes concernait des stocks alimentaires, par exemple en Suisse ou en Allemagne. Des réflexions de toute nature sont en cours, avec toujours cette éternelle question pour déterminer qui paie le stock. Il existe des modèles extrêmement divers.
Nous avons toujours eu des stocks stratégiques, en particulier dans le domaine sanitaire, et nous continuons à en avoir de façon forte. La question est plutôt de savoir comment nous assurons leur renouvellement et leur accroissement lorsque nous anticipons une menace ainsi que leur disponibilité d'un point de vue logistique.
Il est vrai qu'une réflexion concernant la réintégration de cette notion de stock a eu lieu, puisqu'il s'agit d'un moyen permettant de tempérer la réflexion exclusivement souveraine. Au sein du SGDSN, notre réflexion sur la souveraineté porte plus sur les technologies, avec des réflexions pour préserver les technologies indispensables à la base industrielle et technologique de défense sur certaines filières qui nous intéressent particulièrement, comme les filières d'industrie et de sécurité, pour lesquelles nous avons besoin de technologies souveraines si nous voulons préserver notre modèle démocratique. Pour un certain nombre d'autres sujets, outre la dimension liée à la souveraineté, il existe surtout une dimension liée à la capacité de stockage ou de diversification des achats, permettant de sécuriser la chaîne. Cette dimension est actuellement portée par un certain nombre de ministères, comme le ministère de la santé mais aussi d'autres ministères qui travaillent sur des stocks à vocation plus stratégiques.
Ce travail est opéré mais nous ne sommes pas directement dans la réflexion. En effet, nous avons suscité l'idée qu'il fallait impérativement que tout le monde retravaille sur cette question mais une analyse des besoins et du modèle économique est ensuite nécessaire. À l'époque de la première crise pétrolière, la réflexion sur les stocks stratégiques d'hydrocarbures nous a permis de constituer une capacité à encaisser les chocs et à assurer une liberté et une autonomie d'action de la Nation pendant un temps déterminé. Nous essayons de travailler sur cette voie.
Je veux vraiment attirer votre attention sur ce point car cette dimension est partagée aux niveaux européen et « otanien ». Nous avons une nécessité de réflexion tripartite équilibrée. Sans aller au-delà de ce que je peux dire, concernant un certain nombre de sujets, en particulier ceux relatifs à la santé, l'Union européenne a développé de fortes capacités de stockage. Cette réflexion sur les stockages existe dans tous les domaines. La nouvelle structure Health Emergency Preparedness and Response Authority (HERA), qui dépend de la DGS, travaille sur les stocks de contre-mesures médicales, dont certaines peuvent nous intéresser sur les sujets de NRBC. Cette réflexion a lieu au sein des États, de la Commission et des entreprises. Le modèle économique doit maintenant être trouvé.
Lors des auditions que nous avons conduites avec des représentants des services internes du ministère de l'énergie, chargés notamment de l'élaboration des statistiques, nous nous sommes rendu compte que la mesure de la vulnérabilité n'est pas forcément au cœur de leurs préoccupations. Votre réflexion sur la définition de la vulnérabilité est-elle complètement autonome ou est-elle alimentée par les ministères ? Si les ministères ne vous alertent pas sur des sujets de la vie courante autour de l'énergie, effectuez-vous une autosaisine ?
Nous pouvons toujours nous saisir. Dans la réflexion qui est la nôtre, nous sommes des coordonnateurs et, même si j'ai la chance d'être entouré d'experts, l'expertise profonde et structurée se trouve au sein des ministères. Nous veillons au fait que les ministères échangent et que les choses puissent fonctionner mais les études de vulnérabilité sont ministérielles.
Lors de la rencontre, deux fois par an ou de façon plus régulière, de tel ou tel directeur de la sûreté de tel ou tel groupe, des informations directes nous remontent. Néanmoins, il s'agit simplement d'une corde de rappel par rapport à un processus d'analyse des vulnérabilités.
Les services de renseignement nous offrent en amont des informations sur l'évaluation de la menace. Ensuite, nous menons une réflexion sur le risque avec un certain nombre d'administrations telles que la direction générale de la prévention des risques (DGPR). À partir des données recueillies en amont, nous diffusons l'information – au travers du plan Vigipirate par exemple, produit tous les six mois avec une nouvelle posture donnant l'état de la menace. Les opérateurs concernés – et en particulier ceux d'importance vitale – reçoivent cet état de la menace et le confrontent à leurs vulnérabilités afin de faire évoluer leur plan.
Nous nous préparons à une menace de disponibilité de l'énergie, notamment de l'électricité, que nous n'avions pas envisagée depuis longtemps. Les plans se réactivent, et notamment la projection d'un plan de délestage avant black-out. Quel est votre rôle dans la préparation de ce plan de délestage ?
Les exercices relatifs au black-out électrique, menés au printemps, et l'exercice spécifique concernant le gaz, mené à la demande du Gouvernement durant l'été, ont été très utiles à la réflexion collective et interministérielle.
Ces exercices ont été très instructifs car ils nous permettent de travailler ou de faire travailler ceux qui auraient à gérer une crise de cette nature, mais aussi parce qu'ils nous ont permis de comprendre que nous devions penser à un plan énergies plutôt qu'à un plan thématique sur l'électrique, le gaz, les hydrocarbures et le nucléaire civil. En effet, l'intrication des réseaux est telle que nous avons peut-être besoin d'une vue plus globale.
Les exercices ont également permis de porter la vision d'une nécessaire interministérialisation plus rapide des crises, ce qui est d'ailleurs un bilan un peu général des processus des crises que nous pouvons observer depuis dix ans. Nous jouons un rôle au travers de notre lien régulier avec les services des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité adjoints, que nous voyons toutes les trois semaines. Un important travail a été mis en place par le MTE sur ce sujet. Dorénavant, une cellule interministérielle de crise (CIC) a vocation à piloter les sujets qui n'auraient pas été pris en compte ou insuffisamment pris en compte et à détecter d'éventuels oublis dans nos travaux préparatoires.
Nous travaillons donc avec notre filière habituelle – c'est-à-dire avec les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité – tout en nous assurant que ce travail en amont a bien eu lieu au travers des exercices pour définir la vision collective. Le travail porté par chacun des ministères, qui se sont emparés du sujet (en particulier le ministère chargé de l'énergie), intervient ensuite.
Au sein de ma direction, une sous-direction est chargée du secret et suit les process d'habilitation individuelle. Il existe ensuite effectivement une classification de ces documents, sachant que c'est la nature des documents qui justifient leur classification. En effet, les ministères les classifient de facto lorsqu'ils contiennent l'exposé des vulnérabilités d'un opérateur. Ces documents n'ont, bien entendu, pas vocation à être exposés, en particulier dans le contexte que nous connaissons.
Si le ministre de l'énergie se voit remettre un rapport qui met le doigt sur un certain nombre de vulnérabilités du système énergétique, est-il tout à fait légitime à décider seul de la classification ?
Concernant le processus, je veux vraiment appeler votre attention sur le fait que ces éléments entrent dans ce que j'avais exposé, c'est-à-dire les directives nationales de sécurité, qui sont les seules obligations pesant sur les opérateurs dans le cadre de la SAIV. Comme nous leur demandons de rédiger un PSO et un plan particulier de protection, ils sont amenés à exposer leurs vulnérabilités puisque nous expliquons dans ce plan pourquoi nous considérons qu'ils sont d'importance vitale puis nous imaginons des scénarii, corrélés avec leurs vulnérabilités. Le document doit donc, par nature, être classifié.
J'évoque une autre nature de document, tel qu'un rapport prospectif de conseil qui soulignerait au ministère de l'énergie les mesures à mettre en œuvre d'un point de vue systémique et stratégique pour réduire les vulnérabilités.
Je ne peux pas vous répondre sur ce point, monsieur le président.
Merci. Je ne suis pas sûr d'avoir compris la nature de vos échanges avec le Gouvernement en matière de mesure de la vulnérabilité. Le gouvernement vous interroge-t-il sur notre vulnérabilité en matière énergétique, de manière structurelle ou en cas de crises de divers types ? Si le Gouvernement vous interroge en effet, quelle est la nature des informations dont vous disposez ? Avez-vous une vision panoramique de la situation concernant l'approvisionnement en combustibles pour nos productions énergétiques (nucléaire, pétrole ou autres combustibles) ? En outre, quelle est la granularité des informations dont vous disposez ?
Ces informations sont disponibles à la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), qui suit de façon régulière les entrées et sorties et nous en informent, compte tenu de l'actualité et de la perspective éventuelle d'une crise que nous devrions gérer. Un travail, porté par le MTE et par la DGEC en particulier, est opéré en amont afin d'éviter que nous ayons à rencontrer ce premier niveau de crise.
Concernant les vulnérabilités, il faut distinguer deux dimensions.
Une première dimension est l'analyse par les opérateurs eux-mêmes de leurs vulnérabilités. Ces derniers doivent identifier, dans un dialogue avec leur administration centrale et avec les préfets de département, quelles sont leurs vulnérabilités et comment y faire face. Les opérateurs inscrivent ces vulnérabilités dans leur plan, avec les mesures de remédiation qu'ils proposent. Ensuite, ils en débattent avec l'administration centrale pour que ces PSO soient validés, en articulation avec leur ministère de tutelle.
Une deuxième dimension concerne des analyses d'anticipation sur des vulnérabilités éventuelles, pouvant être effectuées dans le cadre de réflexions plus prospectives. Par exemple, un travail a été réalisé pour effectuer une analyse des vulnérabilités potentielles du réseau électrique et ce document a servi – ou peut servir – comme d'autres travaux d'anticipation, à alimenter des réflexions sur des mesures à mettre en place.
Le travail sur les vulnérabilités est donc soit un travail par opérateur, avec les mesures pour y faire face, soit une réflexion générique, plutôt en lien avec des réflexions d'anticipation portées par un certain nombre d'administrations.
Pas au sein de ma direction.
Je sais que d'aucuns s'en occupent.
Je comprends que je n'ai pas à en connaître.
S'agissant de l'évolution de notre système électrique, et donc potentiellement de l'évolution de votre travail dans la supervision générale, le développement d'énergies renouvelables tel que le photovoltaïque et l'éolien – qui sont, par définition, plus disséminées, à la fois sur le territoire et en nombre – rend-il le suivi de notre sécurité énergétique plus difficile ? Le découpage par opérateur d'importance vitale (OIV) ne suffit-il pas de moins en moins à permettre de caractériser ce qui est de l'ordre de l'intérêt vital de la Nation face à des installations multiples ?
Je pense qu'il s'agit d'une leçon que nous avons collectivement tirée, dans différentes instances. Nous avons réalisé beaucoup de travaux de « protection de fort » mais la notion de réseau était peut-être insuffisamment intégrée.
Une réflexion un peu générique, au niveau européen et en France, est de voir comment on protège plus le réseau par rapport à tous ces travaux effectués pour sécuriser les points nodaux des réseaux.
En cas de coupures sur de la fibre ou des câbles notamment, la multiplication des réseaux a l'avantage de permettre de disposer de pistes de déroutement et de solutions alternatives. Le paradoxe du réseau est qu'il est plus fragile puisque nous ne pouvons pas garantir, de façon aussi évidente que nous le faisions jusqu'à maintenant, la sécurité de tout le linéaire du réseau. En revanche, il a l'avantage de nous permettre une beaucoup plus grande souplesse.
Si nous vérifions bien qu'il existe des redondances et des pistes de déroutement sur les câbles sous-marins, ces solutions rendent le pays plus résilient. Toute une réflexion a été portée sur cette idée puisque la Première Ministre a confirmé la volonté de mettre en œuvre une stratégie nationale de résilience (SNR), validée au mois d'avril dernier. L'État a développé un grand nombre de politiques portées par des ministères, avec des ministères concourants, ayant vocation à rendre le pays plus robuste. Chaque année, cette SNR aboutit à une commission interministérielle, qui balaie l'ensemble des politiques qui ont été exposées, avec des indicateurs pour déterminer comment construire progressivement une résilience plus forte de la Nation. Une réflexion doit porter sur la force que peuvent offrir les réseaux dès lors qu'ils permettent des redondances.
Un équilibre subtil doit être trouvé entre le maintien – car certaines structures ou infrastructures doivent absolument être préservées en tant que telles, ce qui justifie la logique de la SAIV, confirmée par la réflexion européenne et « otanienne » – et le fait d'apporter plus d'attention à notre capacité à protéger les réseaux, justement peut-être parfois par la dissémination et leur redondance.
Merci beaucoup. J'en viens aux difficultés que nous rencontrons du fait de la crise géopolitique actuelle. Le SGDSN avait-il prévu cette hypothèse ?
Je ne sais pas si beaucoup de personnes avaient prévu la crise dans laquelle nous sommes. Nous constatons depuis très longtemps – non pas en raison de cette crise mais de manière plus générique – que le réel est souvent plus imaginatif que l'humain. C'est pour cette raison que nous réformons la planification, avec cette logique des briques à mettre à disposition du Gouvernement plutôt que d'imaginer tout type de crise pour être certain d'anticiper la crise qui surviendra. Ce qui a justifié cette réforme de la planification est la volonté de constituer un assemblage de briques à la demande, en fonction du type de menace ou de crise que nous pouvons rencontrer.
Finalement, nous avons la volonté de construire quelque chose qui n'est pas lié – pour ce qui nous concerne – à une capacité d'anticipation. Toutefois, il existe une capacité d'anticipation forte, de même qu'une volonté, mise en œuvre en 2021, de structurer un comité interministériel d'anticipation puisque, dans de nombreux ministères, des administrations pensent les menaces et les risques qui peuvent nous frapper. L'idée était donc de les regrouper afin de leur donner une cohérence et une force nouvelle.
Toutefois, concernant ma direction, plutôt portée sur la réponse, l'idée est que, quelle que soit l'excellence de notre anticipation, nous ne pouvons pas exclure l'apparition d'éléments que nous n'avions pas totalement prévus. Nous devons donc offrir au Gouvernement des capacités de réaction indépendantes de l'anticipation, ce qui ne veut surtout pas dire que nous voulons modérer la réflexion sur l'anticipation. Bien au contraire, la réflexion sur l'anticipation a été développée de façon forte.
Dans le cas d'espèce, il s'agit d'une forme d'embargo sur du gaz. Je veux bien que nous fassions du modulaire mais je ne suis pas sûr de comprendre votre réponse. Aviez-vous anticipé le fait que la Russie pouvait nous « couper le gaz » ? Si c'est le cas, quels étaient les types de réponses que vous aviez imaginées ?
L'embargo sur le gaz n'a pas été expressément anticipé au sein de ma direction. À partir du 24 février 2021, nous avons sévèrement commencé à imaginer que des problématiques puissent se poser, ce qui explique l'exercice majeur sur le gaz qui a eu lieu au mois de juillet, la réflexion sur l'interministériel et le travail sur la réflexion énergies puisque nous constatons une intrication entre le réseau gazier et le réseau électrique. La vocation de ma direction est plutôt d'effectuer de l'anticipation opérationnelle. Toutefois, je ne peux pas vous dire qu'avant le 24 février 2021, nous avions explicitement imaginé que l'on puisse nous couper intégralement le gaz.
S'agissait-il du premier exercice sur le gaz dans l'histoire du SGDSN et du pays ces dernières décennies ? Avions-nous imaginé, dans notre planification, la possibilité d'une coupure de gaz de cette ampleur et les réponses opérationnelles ?
Je ne voudrais pas vous donner le sentiment de me défausser mais il existe un plan d'urgence gaz au MTE depuis 2015. Je ne peux pas m'exprimer à la place de ceux qui gèrent ce plan. Au sein de ma direction, nous nous sommes très vite interrogés sur les conséquences d'une coupure de gaz pour le gouvernement et comment modifier nos pratiques, au vu de cet exercice, pour pouvoir offrir des solutions. Néanmoins, je ne sais pas ce que contient le plan d'urgence du MTE concernant l'anticipation.
En tant que service interministériel rattaché au Premier ministre, ne pensez-vous pas qu'il est de votre ressort de savoir ce que contient un plan d'urgence gaz ?
Le plan d'urgence gaz était du ressort du SGDSN avant 2015. Toutefois, la logique de gestion des crises est toujours la même. Un choix administratif fort, lié au code de la défense, avait été fait. Selon l'article L1141-1 du code de la défense, chaque ministre est responsable, sous l'autorité du Premier Ministre, de la préparation et de l'exécution des mesures de défense et de sécurité nationale incombant au département dont il est chargé. La logique est donc clairement ministérielle. Notre vocation est de coordonner. La gestion des crises se déroule sur un continuum – correspondant d'ailleurs aux DNS que je vous ai présentées – avec, d'abord, une gestion par le ministère de ce que nous appelons la crise sectorielle puis, lorsque nous avons le sentiment que cette crise est de nature à engendrer un impact interministériel, la Première Ministre a deux options : une interministérialisation au sein du ministère en question ou la vocation à structurer une CIC. Le continuum des moyens de l'État démarre toujours par une crise sectorielle pilotée par un ministère. C'est pour cette raison que, sur la partie gazière, depuis 2015, un plan est géré par le MTE.
Dès lors qu'un service interministériel est chargé de la protection de l'État, y compris en matière énergétique, je comprends parfaitement que la gestion administrative soit opérée par une direction du MTE ou d'un autre ministère. Toutefois, si la Première Ministre ou le Premier Ministre s'interroge sur notre sécurité d'approvisionnement et sur les risques encourus si, par exemple, nous rencontrons simultanément un problème de défaut générique sur nos réacteurs nucléaires et avec une puissance étrangère dont nous dépendons de manière assez conséquente sur un carburant fossile important, qui peut lui apporter une réponse ? J'avais l'impression que la réponse en interministériel appartient plutôt au SGDSN, même si vous ne rentrez pas dans le détail de la gestion administrative. Au-delà du débat théorique pour savoir si la gestion est interministérielle ou ministérielle, ce qui nous intéresse est de savoir qui indique au Gouvernement ce qu'il se passe en cas de défaut d'approvisionnement majeur dans un des pays, pour des raisons géopolitiques par exemple.
Il s'agit clairement d'une œuvre commune. La question du gaz est pilotée par le MTE depuis sept ans. Un ministère est chargé de travailler sur ce qu'a révélé l'exercice majeur sur le gaz concernant l'articulation entre le gaz et l'électrique. Ce plan existe justement parce qu'il entrevoit la possibilité que nous ne recevions plus l'approvisionnement en gaz correspondant à nos besoins. Ce plan est de nature à répondre à la question que vous posez. Nous disposons de capacités de stockage importantes en France. D'ailleurs, lorsque nous comparons avec nos amis européens, nous sommes plutôt correctement protégés sur cet aspect. Déterminer comment faire face à une pénurie de gaz est l'objet même du plan d'urgence gaz.
Merci. Nous nous renseignerons auprès du MTE.
Concernant la crise actuelle, regardez-vous la manière dont certaines entreprises stratégiques pour le pays sont capables d'assurer l'approvisionnement et la logistique ? Bien que l'État dispose toujours de la possibilité de réquisitionner dans le cas d'une grève qui s'ajoute à des difficultés d'approvisionnement, nous pouvons nous interroger sur le fait que certaines entreprises aient rencontré des difficultés pour assurer une logistique, concernant l'approvisionnement en pétrole et en gaz, durant des mouvements sociaux. Des plans sont-ils prévus pour réagir à des difficultés d'approvisionnement logistique avant de passer au stade de la réquisition par l'État et via les forces d'armée ?
Le plan hydrocarbure, mis en œuvre en cas de difficultés en matière d'hydrocarbures, a également été transféré au MTE en 2015. Sur chacun des secteurs, nous avons, au travers de ce plan, une capacité à répondre à une pénurie. Nous le mettons d'ailleurs en œuvre classiquement puisque, malheureusement, il arrive que nous rencontrions des difficultés sur les hydrocarbures.
Ce plan hydrocarbures nous intéressait car nous souhaitions nous assurer que, dans ce plan et de façon plus générique, la capacité à recompléter les générateurs électriques sur nos points d'importance vitale soit bien intégrée. Cette réflexion portait sur la SAIV pour nous assurer que nos opérateurs disposent bien des installations pour générer le courant électrique prévues dans leurs obligations, qu'ils font la bascule de manière régulière sur le réseau et que, si la crise devait s'inscrire dans la durée, ils sont capables de figurer parmi les opérateurs prioritaires pour être approvisionnés en carburants. Nous vérifions ces points de détail mais la gestion de fond est clairement portée par le MTE au travers de ces deux plans.
Je n'étais malheureusement pas présent au SGDSN à cette époque. La décision de transférer a été prise à l'issue de la réforme de la directive générale interministérielle de 2015, qui organise la gestion de crise. La logique qui a prévalu est celle que j'exposais précédemment, avec une gestion sectorielle puis interministérielle. Le ministre exerce, sur chacune de ces composantes, les « responsabilités » qui lui sont allouées par le code de la défense. Il gère le gaz et les hydrocarbures en sectoriel.
Je ne vous suis pas.
Je fais un parallèle avec d'autres lois récentes. Cela signifie qu'il est demandé au ministère chargé de ces questions d'être le seul à identifier les risques mais aussi d'être le seul à produire les propositions de réponses aux risques.
Sur ces sujets sectoriels, nous disposons d'un plan de réponse, qui est mis en œuvre et offre au Gouvernement une capacité à réagir pour minorer les dégâts, par exemple en travaillant avec les dépôts de la société anonyme de gestion des stocks de sécurité (SAGESS) pour les hydrocarbures ou en réalimentant en partie logistique un certain nombre d'opérateurs. Nous disposons donc d'un plan dédié, qui est générique pour le pays. Ce plan va d'un manque ponctuel à la réflexion générique sur un défaut total, pour chacun des items.
Pourquoi, avant 2015, la gestion de ces plans n'était-elle pas dans les ministères sectoriels ?
N'étant pas présent au SGDSN à cette période, je suis incapable de répondre à cette question.
Sans répondre à la question, l'impression que cela donne est que la demande nouvelle de planification des risques, globale et croisée, répond à un besoin qui s'est exprimé, notamment pendant la crise liée à l'épidémie de Covid-19, relativement à des crises précisément globales et multisectorielles. D'une certaine manière, la crise que nous avons connue avec l'épidémie de Covid-19 était multisectorielle, tout comme la crise énergétique que nous connaissons, qui touche à la fois le nucléaire, les hydrocarbures et le gaz. J'ai l'impression de ne pas me tromper quand je dis que la planification, qui devient un impératif et qui est une commande gouvernementale, répond à ce besoin de « désiloter » les plans et de remettre ces questions à votre niveau (ministériel, stratégique et global) pour éviter d'avoir à répondre que le bureau d'hydrocarbures s'occupe du plan hydrocarbure et que le bureau de gaz s'occupe du plan gaz.
Oui, en partie. C'est ce que j'ai exposé sur la nécessité de basculer sur une réflexion sur les énergies compte tenu de l'intrication des différents moyens. Je tiens tout de même à souligner un choix fort, à savoir la responsabilisation des ministères, ce qui est extraordinairement important dans notre réflexion.
D'ailleurs, dans la réflexion européenne, il y a eu des débats de cette nature entre des pays qui souhaitaient tout recentraliser – ce qui est assez paradoxal mais tient lieu de réponse dans des systèmes fédéraux où le niveau national rencontrait quelques difficultés à structurer sa réponse rapidement compte tenu de l'organisation administrative – et d'autres pays où existe cette volonté de responsabilisation maintenue non centralisée.
Cette commande sur la réflexion liée aux énergies et sur la vision de la réforme que nous proposons est, en effet, une réponse à des crises qui sont de nature immédiatement non sectorielles.
Est-ce que cela signifie qu'à partir de 2015, le ministère de la santé était chargé, seul, du plan relatif à une infection par un virus pulmonaire et de la capacité à disposer de masques de protection individuelle ? Ce ministère était peut-être moins challengé par un service interministériel comme le vôtre qu'il ne pouvait l'être auparavant dans le renouvellement de son plan et dans le contrôle de la disponibilité des moyens de réponse.
Le plan pandémie relève toujours du SGDSN. Je distingue la dimension pandémique, qui relève du SGDSN, et la dimension sectorielle, type d'énergie par type d'énergie, qui a été transférée au MTE, pour la partie gaz et la partie hydrocarbure.
J'en reviens donc à ma première question. Un des éléments de déstabilisation de notre système électrique aujourd'hui est constitué au moment de la modification du plan de charge et d'entretien de notre parc électronucléaire, à l'occasion de la pandémie de Covid-19. Quelle est la part, dans le plan pandémie qui relève du SGDSN, de préoccupation dans le maintien de l'activité des sites d'importance vitale pour la Nation ?
Nous avons une réflexion générique. Ce point rejoint la nécessité que l'ensemble des opérateurs assurent, au travers des DNS, une continuité d'activité. D'ailleurs, une commission interministérielle a vocation à travailler sur la continuité d'activité – pour l'instant assez focalisée sur la continuité de l'activité des ministères et des administrations mais qui connaît aussi une traduction dans les obligations de continuité d'activité qui pèsent sur les opérateurs d'importance vitale. Il revient aussi aux opérateurs de tirer des leçons à partir des crises successives pour proposer des évolutions. Des réflexions sont donc en cours. Des opérateurs, qui avaient tiré des conclusions à la suite de crises majeures – par exemple dans le nucléaire civil à l'issue de Fukushima – ont rédigé des plans considérables de sécurisation des centres de production. Une fois que ces travaux ont été opérés, ces opérateurs ont dû ajouter une réflexion sur la dimension sanitaire et les risques d'impact pour leur centre en cas de cumul de crises.
Nous fixons donc seulement les orientations générales tandis que les opérateurs tirent les conséquences des crises et font évoluer leur plan, dans un dialogue avec leur administration centrale. Il y a une réflexion d'anticipation puis, parfois, des découvertes en termes d'impact sur leur fonctionnement. Presque l'ensemble des opérateurs que nous rencontrons de façon ponctuelle ont tiré des leçons de la crise liée à l'épidémie de Covid-19 pour structurer des équipes en deux temps, ne partageant pas les mêmes locaux, et pour organiser des opérations avec équipes « à tiroir » n'ayant pas de contact afin de permettre un fonctionnement permanent. L'obligation qu'on fait peser sur les opérateurs, au travers de la SAIV, est la continuité de l'activité. Ensuite, l'opérateur trouve lui-même les moyens. Si l'État fixe des obligations de résultat, il ne fixe pas des obligations de moyens et l'opérateur indique lui-même comment il y parviendra, dans une discussion avec l'administration de tutelle.
Il existe donc une obligation de continuité de l'activité à court et moyen terme. Par exemple, le fait que les centrales nucléaires civiles aient, pendant la crise liée à l'épidémie de Covid-19, l'obligation de continuer leur activité à court terme n'a pas été compatible avec la planification de l'activité à moyen terme. La réaction demandée à Électricité de France (EDF) sur les sites a hypothéqué la capacité de production à moyen terme, ce que nous sommes un peu en train de payer aujourd'hui. Ces éléments sont-ils étudiés en amont ? Pouvez-vous avoir à émettre des avis, par exemple, sur le dimensionnement des capacités ?
Cette question dépasse très clairement ma zone de compréhension globale du sujet. Je ne suis pas, dans le cadre de mes fonctions, la relation avec l'opérateur concerné sur l'impact des décisions qu'il peut prendre. Je n'ai pas suivi cette continuité d'activité à court terme, qui pourrait avoir un impact sur le moyen terme, et je ne sais pas comment cela a pu s'opérer.
Nous avons vu, à l'occasion de la crise liée à l'épidémie de Covid-19, que l'ensemble des États et de leurs administrations étaient assez mal préparés aux crises à la fois multisectorielles et de longue durée. Le modèle de la crise ponctuelle est géré, prévenu et anticipé mais c'est moins le cas de la crise de longue durée. Je ne sais pas si nous pouvons parler de crise de longue durée pour les tensions d'approvisionnement que nous connaissons aujourd'hui. Mais dans cette situation de quasi-crise, votre service ou des services ministériels élaborent-ils de nouveaux scénarios en permanence pour imaginer une complexification ou une aggravation de la situation en continu, sur une autre partie de notre système énergétique par exemple ?
Un travail est opéré, compte tenu de la situation. La CIC fonctionne avec différentes cellules, parmi lesquelles une cellule communication, une cellule décision mais, surtout, une cellule anticipation dont la vocation est de faire remonter les interrogations des uns et des autres, les scénarii imaginés et les moyens d'y faire face. Y compris dans le pilotage « régulier » de cette crise, il existe une dimension anticipation très forte, avec une cellule dédiée qui y travaille. Un travail est donc effectivement effectué sur l'anticipation des risques liés à la crise, mais plutôt dans un esprit de protection des populations et de l'appareil économique.
Cette dimension d'anticipation, que nous voyons dans la crise actuelle, rejoint votre réflexion sur le fait que l'ensemble des pays perçoit finalement, dans la gestion des crises, un changement de nature de ces dernières, par les deux phénomènes que vous avez exposés.
Un phénomène est l'interministérialisation beaucoup plus rapide des sujets, compte tenu du fait que, dans nos sociétés de réseaux où tout est intriqué, la logique purement sectorielle est moins forte qu'auparavant. Il ne faut pas l'exclure car qui dit sectoriel dit expertise. Or cette expertise ne peut pas être diluée dans la seule conception de l'intrication des systèmes.
De la même façon, nous avons des interrogations sur notre capacité collective à gérer la longue durée, ce qui explique la réflexion sur les stocks et sur la stratégie nationale de résilience, avec une composante qui s'adresse aux citoyens, aux collectivités locales et à l'ensemble de la Nation sur une capacité à supporter ou à contribuer à ce que nous supportions mieux ce type de crise. Cette réflexion est partagée par l'ensemble des sociétés. Nous l'avons vu par rapport à notre capacité collective à faire face, par exemple, à des crises terroristes et à inscrire notre action dans la durée. Cette réflexion est en cours et nous a amenés à faire évoluer certains éléments, tels que le plan Vigipirate, pour lesquels nous avons la volonté d'inscrire cette capacité collective permettant de tenir dans la durée. L'axe majeur de la SNR est d'ailleurs de préparer l'état en profondeur pour tenir dans la durée en cas de crise, ce qui constitue un défi collectif qui n'impacte pas que la France.
La ministre chargée de l'énergie, sous l'autorité de la Première Ministre, a élaboré un plan de sobriété pour prévenir d'éventuelles ruptures d'approvisionnement. Faut-il comprendre que de tels plans n'existent pas ou qu'ils existent uniquement pour nos activités les plus vitales, telles que le soin, le secours ou la sécurité ? Existe-t-il un entre-deux entre un plan de sobriété très général et un plan limité à l'approvisionnement de nos secteurs les plus vitaux ?
Il me semble que ce plan de sobriété doit être inscrit dans la réflexion sur la résilience. Le MTE avait d'ailleurs déjà initié, sous le gouvernement précédent, un plan sur la résilience, plus spécifiquement dédié à la résilience contre les risques naturels.
Le plan de sobriété rejoint la réflexion générique que nous devons avoir sur la résilience, qui passe quand même par une contribution de chacun. Nous pouvons prévoir tous les scénarii et imaginer des plans de réponse, il existe toujours une inertie nécessaire à la mise en place de nos contre-mesures. Être capable de proposer un plan qui offre une perspective pour nous éviter la crise – ou en tout cas pour en diminuer considérablement les conséquences – est nécessairement une bonne chose dans le dispositif préventif en amont. Cette contribution me paraît absolument essentielle à la sécurisation collective de notre aptitude à faire face.
Le plan de sobriété a également un mérite particulier. En effet, nous sommes un état structurellement très protecteur de nos populations et ce plan de sobriété s'adresse au citoyen en lui demandant un effort permettant à la République de faire face à une situation exceptionnelle. Cette démarche citoyenne est extraordinairement utile. Nous avons cette discussion, sur d'autres sujets, par exemple avec nos amis scandinaves, qui ont développé un concept de défense totale qui intrique complètement le militaire et le civil, avec un grand nombre d'actions demandées aux citoyens. Par exemple, en Suède, des flyers indiquant que les gens doivent disposer de quinze jours de nourriture et d'eau sont distribués pour protéger la population le temps que l'État soit en mesure, avec les collectivités locales, de faire face à la situation rencontrée. Les cultures sont donc très différentes au sein de la construction européenne, avec une participation plus ou moins importante demandée aux citoyens. Je pense que le plan sobriété rejoint cette volonté de faire participer tout le monde à l'effort national.
Avons-nous un plan de décélération ou de délestage couche par couche de notre tissu économique et social en cas de problème d'approvisionnement ?
Non. Notre mécanique de sobriété passe par une sobriété volontaire. Nous disposons ensuite des mécanismes classiques, qui sont d'ailleurs les mécanismes contractuels entre les opérateurs et un certain nombre de gros consommateurs, avec un volontarisme pour le débrayage durant les heures de pointe. Enfin, nous avons tout le dispositif potentiel sur les délestages si nous devions absolument être contraints de sauver le réseau électrique. Outre la sobriété en amont et les plans volontaires pour se décrocher du réseau, nous disposons également de systèmes d'effacement du réseau national, pour ceux qui possèdent des générateurs. Il existe un très grand nombre de mesures en amont pour éviter que nous arrivions à la situation où le délestage est la seule solution.
Ces éléments existent depuis toujours. Depuis très longtemps, nous avons cherché des solutions avec l'intrication des réseaux européens pour offrir plus de souplesse.
Ne pensez-vous pas, au vu de vos propos, qu'il existe un cloisonnement trop important entre le SGDSN et les ministères ? Cette organisation vous permet-elle d'être force d'anticipation concernant un risque de pénurie à laquelle les opérateurs ne pourraient pas faire face ?
En 2021, il y a eu la volonté d'améliorer notre capacité collective interministérielle d'anticipation, avec la construction d'un pilotage par le SGDSN des anticipations de chacun des ministères. Un certain nombre de structures étant déjà dédiées, la volonté était justement de s'interroger sur un éventuel oubli. Cette production contribue à nous donner quelque sécurité sur l'anticipation de risques que nous n'aurions pas prévus.
Je voudrais rassurer tout le monde : nous disposons d'un plan pour faire face à tous les risques que nous avons pu imaginer. Nous ne partons pas de rien. Nous avons malheureusement accumulé, avant mais aussi depuis les dix dernières années, de très nombreuses expériences nous ayant permis de renforcer l'ensemble des plans. Actuellement, nous travaillons simplement sur une réflexion autour de la possibilité qu'il existe des menaces et des risques que nous n'avons pas anticipés. Pour l'instant, nous n'en avons pas vraiment identifié mais le travail se poursuit, avec l'idée que nous n'avons peut-être pas suffisamment travaillé sur l'interministérialisation quasi immédiate d'un certain nombre de crises et leur inscription dans la durée – ce qui justifie la réponse avec la SNR.
Je veux vraiment attirer votre attention sur le fait que je ne pense pas que cela inhibe notre relation avec les ministères, que nous voyons très régulièrement – en l'occurrence toutes les trois semaines depuis l'été – pour discuter avec les services des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité adjoints d'un certain nombre de sujets et qu'ils nous fassent remonter leurs thématiques.
Nous disposons d'un corpus solide avec les DNS, la SAIV, les plans de sécurité opérateurs et les PSO. En nous interrogeant, au regard des expériences que nous avons, sur le besoin d'améliorer encore certains éléments, nous avons conclu que, même si notre système d'anticipation a été homogénéisé et calibré pour continuer à chercher des hypothèses que nous n'aurions peut-être pas anticipées, il pourrait malgré tout arriver des circonstances exceptionnelles ou des évènements que nous n'avons pas vus venir, ce qui justifie que nous réformions la planification. Le but de cette réforme est que si, malgré nos efforts d'anticipation, une crise que nous n'avons pas prévue survient, nous devons être capables d'offrir au Gouvernement une nouvelle gestion de la planification, avec des briques permettant de répondre immédiatement. Lors des crises, il faut absolument éviter cet effet de sidération et être capable de débuter une action rapidement.
Je ne pense pas du tout que cela obère notre rôle de coordination, qui existe et est structuré avec les services des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité et des ministères. Le vrai sujet à ne pas perdre de vue est que l'expertise est dans les ministères. Nous avons besoin de ce travail entre les experts du ministère et les experts des opérateurs. Ensuite, les informations, filtrées ou non, nous remontent. Pour éviter un excès de filtrations, nous avons un lien direct, une ou deux fois par an, avec l'ensemble des directeurs de la sûreté pour être certains que d'éventuelles informations déplaisantes nous remontent.
Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, je vais céder la parole à Mme Sylvie Supervil.
Un plan de réponse en cas d'accident nucléaire ou radiologique majeur, qui est public, existe depuis 2014. Les dix années qui se sont écoulées depuis l'accident de Fukushima ont malheureusement été l'occasion d'accumuler un assez grand nombre d'informations sur du retour d'expérience, notamment sur de la gestion post-accidentelle, lourde sur ce type d'accident. Compte tenu de l'actualité et de la réforme de la planification nationale, la révision de ce plan a été lancée cet été et fait intervenir environ une dizaine de ministères. Cette révision se focalisera sur les aspects post-accidentels, car certains sujets sont clairement à compléter par rapport à ce qui existait dans le plan initial. Elle fera également intervenir les grands opérateurs – tels qu'EDF et Orano – les experts nationaux – comme Météo France et l'institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN) – et les autorités de sûreté nucléaire civile et de défense.
Ce qu'il se passe sur les hydrocarbures et le gaz n'est pas de cette nature mais relève d'un manque de disponibilité. Actuellement, le nucléaire ne connaît pas des attaques ou des accidents mais une dégradation de la capacité de production imprévue. Où est le plan relatif à ce cas de figure ?
. Nous n'avons pas de plan spécifique sur ce cas de figure. Nous disposons d'un plan de continuité électrique, datant de 2009, mais il n'est pas spécifique sur le nucléaire civil. Des travaux, effectués par le MTE au titre de l'Union européenne et publiés en 2022, couvrent aussi une partie des obligations en matière de continuité électrique.
Il y a vraiment cette idée de répartition des missions entre le SGDSN et les ministères, entre l'amont et l'aval.
Sur le gaz et les hydrocarbures, nous voyons qu'une des principales réponses en cas de crise, notamment de disponibilité, passe par le stock. Sur l'électricité, vous nous dites qu'en réalité la réponse n'est pas sur le stock – c'est-à-dire sur les autres capacités de production que celles qui viendraient à défaillir, ce qui est le cas actuellement puisqu'il nous manque une série de réacteurs touchés par des défauts génériques – mais passe par un plan de continuité électrique qui se construit autour de la nécessité d'amener de l'électricité aux organes vitaux pour la Nation.
Il existe un plan de continuité électrique. Toutefois, ces plans sont chaque fois de nature à offrir à la Nation une capacité à continuer, ce qui ne signifie pas continuer exactement dans la même situation. L'absence de stockage possible constitue une difficulté spécifique sur l'électrique, sauf en combinant parfois de l'hydro-électrique avec des systèmes de stockage d'eau.
C'est une question de point de vue. Avec les quinze gigawatts de capacité de production d'électricité pilotable qui ont été fermés au cours des dix dernières années, nous disposions de stocks transformables en électricité. De ce point de vue, nous nous sommes appauvris. Le soleil ou le vent ne sont pas des stocks. En outre, nous constatons que le stock d'uranium enrichi, que nous pouvons transformer en électricité, est le seul dont nous disposons encore.
Nous ne travaillons pas du tout sur le mix énergétique et la gestion de ce mix.
Pour le coup, il ne s'agit plus d'une question de mix. Si nous avons perdu le nucléaire, nous n'avons plus de stock transformable.
Par ailleurs, où est le plan black-out ? Au MTE ?
Nous avons un exercice black-out, et non un plan. L'idée de cet exercice était de mesurer ce que pourrait signifier une défaillance du réseau électrique afin d'anticiper le choc que cela pourrait représenter pour le pays et comment le gérer.
Quels sont les enseignements de l'exercice black-out que vous pouvez partager avec nous quant aux risques qu'un tel événement ferait courir au pays ?
Je ne dois pas avoir le bilan de l'exercice complet. Nous avons émis un grand nombre de propositions, qui sont des propositions d'organisation générique puisque nos exercices ont vocation à permettre la gestion par le gouvernement de la crise en question. Il s'agit donc plutôt d'une dimension gestion de crise en tant que telle plutôt que de structuration d'anticipation pour éviter d'y parvenir, ce qui est l'objet du plan de continuité électrique et des mesures de prévention que nous avions évoquées. Des conclusions ont été tirées essentiellement sur les moyens mobilisés, la gestion administrative, comme la communication, la coordination des travaux ministériels, la mise à jour de la documentation sur tel ou tel aspect.
Qui évalue les risques qui courent pour la Nation en cas de black-out ? Ces risques sont très concrets, avec des hôpitaux et des centres pénitentiaires privés d'électricité.
L'évaluation de ce que signifierait un black-out a justifié la mise en place, au sein de la SAIV, de l'obligation pesant sur les opérateurs et les points d'importance vitale de disposer de capacités à fournir de l'électricité. Le pays ne s'effondre pas en cas de black-out, qui constitue un extrême. Nous formons tous des vœux pour qu'un tel événement, qui est une situation totalement exceptionnelle, n'arrive jamais.
C'est pour cela que nous avons effectué cet exercice. Ce n'est pas parce que nous pensons que tout est fait pour qu'un black-out n'arrive pas que nous ne le prévoyons pas. Nous avons donc effectué cet exercice pour voir comment nous serions en mesure, au niveau gouvernemental, de gérer cette crise. Toutefois, il faut quand même rappeler qu'il existe une obligation de capacité à fournir de l'énergie sur l'ensemble des opérateurs d'importance vitale. Tout ce que nous avons identifié comme étant absolument nécessaire au fonctionnement de la Nation dispose de capacités à générer de l'électricité, à la condition de pouvoir être réapprovisionné en hydrocarbures pour fournir les générateurs. Il s'agit d'une mécanique apocalyptique qui mettra un certain temps à être résorbée au moment de la remise en route mais les points d'importance vitale fonctionneront.
À combien de jours évaluez-vous le temps de remise en route du réseau en cas de black-out ?
Je ne suis pas capable de vous l'indiquer.
Je vous remercie, monsieur le préfet, ainsi que vos services, pour votre disponibilité et la transparence avec laquelle vous avez répondu à nos questions, tout en la conjuguant avec les obligations qui sont les vôtres, qui contribuent, elles aussi, à assurer prioritairement la protection et la sécurité de la Nation.
La séance s'achève à douze heures trente.
Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Annick Cousin, M. Francis Dubois, M. Bruno Millienne, M. Raphaël Schellenberger, M. Lionel Vuibert.
Excusés. – M. Vincent Descoeur, Mme Valérie Rabault.