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Intervention de David Marchal

Réunion du jeudi 17 novembre 2022 à 9h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

David Marchal, directeur exécutif adjoint à l'expertise et aux programmes à l'ADEME :

Monsieur le président, Mesdames et messieurs les députés,

J'introduirai mes propos en rappelant que l'ADEME est issue de l'Agence pour les économies d'énergie (AEE), créée en 1974 à la suite du premier choc pétrolier. Notre structure est donc effectivement particulièrement compétente sur ces sujets de souveraineté et d'indépendance énergétique, même si son champ d'action s'est considérablement élargi, aux domaines de l'économie circulaire notamment.

Force est de constater que l'indicateur d'indépendance énergétique de la France défini par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), s'élevant actuellement à 55 %, n'est pas véritablement adapté à la situation que nous rencontrons et ne permet pas de prendre en compte toute la dépendance énergétique de la France. En considérant d'autres façons de calculer cet indicateur, notamment en incluant tous les combustibles importés, nous constatons qu'environ 80 % de la consommation d'énergie finale concernent des combustibles importés. Ce chiffre montre bien à quel point la France dépend de ces importations, à la fois d'énergies fossiles mais aussi de combustibles pour nos centrales nucléaires.

Nous pouvons nous interroger sur cette définition et proposer une nouvelle façon de concevoir cette notion de souveraineté énergétique, en incluant à la fois l'intégralité des combustibles importés dans le calcul mais aussi la dépendance aux filières industrielles qui composent notre mix énergétique. Si nous voulions faire un véritable calcul, il conviendrait sans doute d'y inclure les consommations intermédiaires et les matériaux utilisés dans les différentes filières de production d'énergie ainsi que leur provenance.

Un tel calcul n'est pas facile mais permettrait d'englober cette notion de souveraineté de façon plus générale, et de ne pas transformer une dépendance aux combustibles en une dépendance sur des matériaux. En effet, les industries de la transition énergétique dépendent beaucoup d'un certain nombre de matériaux critiques. Or, même si nous soutenons beaucoup leur maintien et leur développement en France, un certain nombre de ces filières se développent à l'étranger. Nous avons constaté, dans notre dernière étude sur l'emploi et les marchés de la transition énergétique, que la balance commerciale des filières de la transition recule depuis 2018. Le déficit s'est creusé de 4 à 10 milliards d'euros, notamment en raison des véhicules propres, dont une part plus importante provient de l'importation.

Concernant les potentiels de l'efficacité énergétique et de la sobriété, notre approvisionnement énergétique provient majoritairement d'importations et réduire notre consommation énergétique permettrait de limiter cette dépendance.

L'ADEME a réalisé les travaux de prospective Transition(s) 2050, publiés en 2021, visant à alimenter les débats sur la stratégie française concernant l'énergie et le climat. Dans ces travaux, nous évaluons quatre scénarios pour atteindre la neutralité carbone, avec différents recours à la sobriété et aux technologies. Notre objectif était de comprendre comment, dans des contextes différents d'évolution de la société à l'horizon 2050, atteindre la neutralité carbone et par quels leviers. Ces quatre scénarios ont tous recours à une baisse significative – allant de 25 % à 55 %, pour le scénario le plus sobre – de la consommation d'énergie finale par rapport à 2015. De plus, ces scénarios montrent que nous pouvons abaisser drastiquement notre recours aux énergies fossiles et notre dépendance aux importations de ces dernières. En effet, en 2050, nous pourrions baisser nos importations de ces énergies de 75 à 95 %, ce qui est confirmé par une analyse macroéconomique permettant de montrer une amélioration significative de la balance commerciale en euros.

Cette sobriété, mise en œuvre dans ces scénarios au travers d'évolutions de la mobilité, de l'alimentation et du bâtiment, permet aussi d'éviter le recours à un certain nombre de matériaux. Dans nos scénarios, nous constatons de fortes différences sur le recours aux matériaux utiles à la transition écologique. Les technologies de la transition, telles que les énergies renouvelables, le nouveau nucléaire ou les véhicules électriques, consomment toutes beaucoup de matériaux nouveaux comme le cuivre, l'aluminium mais aussi des matériaux plus critiques. Notre étude montre qu'entre le scénario le plus sobre et le scénario le moins sobre, la quantité de matériaux – notamment de cuivre, d'aluminium et d'acier – est multipliée par deux. Grâce à des scénarios de sobriété énergétique, nous pouvons donc également réduire beaucoup notre dépendance aux matériaux.

Alors que la France s'est fixé un objectif de baisse de la consommation de 50 % à l'horizon 2050 et de 20 % à l'horizon 2030 (par rapport à 2012), notre consommation était, à la fin de l'année 2021, supérieure de 100 térawattheures par rapport à un objectif de 1 500 térawattheures environ. La consommation de la France baisse donc, mais pas autant qu'il le faudrait. La France est davantage sur la bonne trajectoire concernant les indicateurs relatifs à la baisse de 40 % de la consommation d'énergies fossiles en 2030.

Au vu de ces indicateurs, il est difficile de distinguer la part de responsabilité des politiques publiques favorables à l'environnement et la part liée au contexte économique, et notamment à l'évolution du produit intérieur brut (PIB), aux crises financières et économiques et au recul progressif de l'industrie depuis vingt ans en France.

Nous connaissons donc bien une baisse de consommation depuis la fin des années 2000 mais elle n'est pas suffisante par rapport aux objectifs fixés, d'autant plus que la baisse de 50 % de la consommation à l'horizon 2050 nécessitera d'adopter un rythme plus soutenu et un effort plus important, après 2030, que la baisse de 20 % à l'horizon 2030.

En termes de politiques publiques, le dispositif des certificats d'économies d'énergie contribue beaucoup à l'augmentation de l'efficacité énergétique. Ce dispositif, dont les objectifs sont calés sur ces objectifs de politiques publiques, fonctionne bien et permet de générer environ 5 milliards d'euros de travaux par an, ce qui est tout à fait significatif. Au niveau international, la France occupe la première place des pays du classement de l'association The American Council for an Energy-Efficient Economy (ACEEE) concernant les politiques d'efficacité énergétique, ce qui n'empêche pas que nous soyons en retard sur nos objectifs.

Entre 1990 et 2018, en l'absence de politique de sobriété sur les bâtiments à l'échelle européenne, les améliorations d'efficacité énergétique sur le parc de bâtiments européens ont été intégralement compensées par l'augmentation des surfaces des logements, entrainant un accroissement de la consommation. Concernant le bâtiment, les politiques publiques françaises sont tout à fait ambitieuses, avec la réglementation environnementale notamment. Il est important de rappeler que la rénovation énergétique des bâtiments est bien sûr indispensable pour améliorer notre souveraineté énergétique mais que cette rénovation énergétique englobe l'amélioration et l'isolation du bâti ainsi que l'efficacité des équipements. Une étude, réalisée par l'ADEME et Réseau de transport d'Électricité (RTE) en 2020, montre à quel point améliorer l'efficacité des équipements de chauffage est nécessaire pour ne pas dégrader la sécurité de l'approvisionnement. Il faut donc absolument que nous limitions le parc de radiateurs électriques à effet Joule et que nous incitions au développement de dispositifs efficaces, tels que les pompes à chaleur, pour ne pas dégrader notre sécurité d'approvisionnement.

S'agissant de l'industrie, nous avons longtemps mis en œuvre des politiques de baisse des coûts pour les industriels afin de maintenir leur compétitivité. Aujourd'hui, il est très important que des dispositifs de baisse de coûts pour maintenir la compétitivité des industriels soient associés à une contrepartie d'investissement. Même si nous mettons en place par une baisse de tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) pour les industriels électro-intensifs afin de leur permettre de rester compétitif, il nous semble utile d'inciter, voire d'obliger, au travers des plans de performances énergétiques, ces industriels à investir dans leur outil de production pour maintenir la pérennité de leur industrie en France. Il existe des dispositifs, notamment le fonds de décarbonation de l'industrie, qui permet de faciliter grandement les investissements des industriels dans ce domaine.

Enfin, s'agissant du bilan, nous avons regardé, au sein de l'ADEME, l'impact du développement des énergies renouvelables ces vingt dernières années. Entre 2000 et 2020, le développement des énergies renouvelables en France a permis d'éviter la consommation de 1 500 térawattheures d'énergies fossiles, ce qui représente environ 40 milliards d'euros d'économie pour la facture énergétique française. Grâce au rythme de développement des énergies renouvelables futures, tel qu'il est prévu dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) jusqu'à 2028, nous devrions pouvoir éviter 700 térawattheures d'énergies fossiles supplémentaires. Ces chiffres englobent les questions des énergies renouvelables électriques, de la chaleur renouvelable, du biogaz et des biocarburants.

Afin de contribuer à cette indépendance énergétique, l'ADEME a plusieurs fonds d'intervention mis en œuvre pour le compte de l'État, parmi lesquels le fonds Chaleur, le fonds Décarbonation de l'industrie et le fonds France 2030.

L'ADEME a octroyé environ 3 milliards d'euros de subventions pour le fonds Chaleur, qui existe depuis 2009 et permet de subventionner la chaleur renouvelable. Ces subventions ont permis la mise en place de 40 térawattheures de capacité de production de chaleur renouvelable par an, ce qui est, là aussi, tout à fait significatif. Nous pouvons également mettre en avant l'efficacité économique de ce dispositif puisque, rien que durant l'année 2021, avec les prix du gaz actuel, ces 40 térawattheures permettent d'éviter 1,6 milliard d'euros de dépenses en gaz. Ainsi, en deux ans, nous avons remboursé les subventions du fonds Chaleur grâce aux économies de dépenses de gaz.

Le fonds Décarbonation de l'industrie, qui est un dispositif nouveau, est d'une grande efficacité et suscite énormément d'engouement de la part des industriels. Nous avons disposé d'un budget de 1,2 milliard d'euros en deux ans pour subventionner l'efficacité énergétique, l'électrification et la décarbonation de l'industrie. Ce dispositif fonctionne très bien, avec plus de 250 industries lauréates et plus de 4 milliards d'euros d'investissement qui seront réalisés par les industriels grâce à ces subventions.

En tant qu'opérateur du programme d'investissements d'avenir (PIA) et de France 2030, l'ADEME contribue à favoriser l'innovation et le maintien de l'industrie en France dans les domaines de la transition écologique. De 2009 à 2020, l'ADEME a octroyé, en tant qu'opérateur du programme des investissements d'avenir, environ 3 milliards d'euros de subventions pour des démonstrateurs industriels dans les champs des énergies, de l'économie circulaire, du bâtiment et des transports. De plus, dans le cadre de France 2030, 9 milliards d'euros seront octroyés à l'ADEME dans les années à venir pour contribuer à continuer cet effort de décarbonation.

En outre, l'ADEME publie des fiches-conseils, notamment dans le contexte actuel de crise énergétique et pour le passage de l'hiver. Nous travaillons étroitement avec RTE sur le champ des économies d'énergie de façon globale pour prodiguer des conseils aux entreprises, aux particuliers et aux collectivités sur les actions à mettre en place à court terme pour abaisser nos consommations d'énergie cet hiver.

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