Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Jeudi 3 novembre 2022
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Audition publique sur les enjeux du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne des 22-23 novembre 2022 (Jean-Luc Fugit, député, rapporteur)
Je souhaite la bienvenue à l'ensemble de mes collègues présents ce matin et aux invités qui nous font le plaisir d'être à nos côtés. Je salue également les internautes qui nous suivent sur le portail vidéo de l'Assemblée nationale ; notre réunion sera ensuite accessible en vidéo à la demande sur les portails des deux assemblées. Nous sommes ce matin réunis pour une audition publique consacrée aux enjeux du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA – European Space Agency ) qui se tiendra à Paris les 22 et 23 novembre prochains.
Organisé tous les trois ans, le conseil ministériel de l'ESA réunit les ministres compétents des États membres de l'Agence pour déterminer ses grandes orientations stratégiques et son budget triennal. Le dernier conseil ministériel de l'ESA a eu lieu en Espagne, à Séville, en novembre 2019. En amont, l'Office avait organisé une audition publique afin de présenter les enjeux français et européens en matière spatiale. Les riches discussions entre les différents acteurs avaient abouti à plusieurs recommandations et conclusions destinées à soutenir le leadership français et européen en lanceurs, satellites et applications spatiales. L'Office réitère donc cet exercice pour la session 2022 du conseil ministériel.
Je précise que les internautes qui nous suivent pourront poser des questions dont nous nous ferons les porte-parole auprès des intervenants. Je laisse maintenant la parole au rapporteur de l'audition publique, Jean-Luc Fugit, qui va présenter l'ensemble des intervenants et veiller à ce que les débats nous éclairent sur les recommandations possibles, à la lumière de celles qui ont pu être faites par le passé.
Merci, Monsieur le Président. L'ESA a déjà publié sa feuille de route pour la période 2022-2025. L'Agence souhaite mettre l'accent et accélérer sur plusieurs thèmes et demande un budget total de 18 milliards d'euros, au lieu de 14 milliards d'euros lors de son dernier plan triennal.
Pour mémoire, la France reste le premier contributeur au budget de l'ESA, devant l'Allemagne, et compte pour 50 % des activités spatiales européennes en termes de capacité industrielle, de budget et de programme. La contribution française au prochain budget de l'ESA sera discutée lors du conseil ministériel, dans trois semaines. Le champ des activités spatiales est naturellement très vaste. L'audition publique de ce matin va permettre d'aborder un certain nombre de priorités, notamment trois thématiques qui font écho à la feuille de route de l'ESA :
- la capacité de l'Europe à se doter de moyens propres pour le vol habité dans un contexte de tensions avec la Russie ;
- la place de l'Europe sur le marché des constellations de mini-satellites ;
- l'utilisation croissante de satellites pour l'observation de la Terre et les applications associées. C'est un volet extrêmement important.
Nous pourrons bien sûr évoquer d'autres thèmes au fil de nos discussions.
Pour nous éclairer ce matin, nous entendrons différents acteurs que je vais présenter rapidement. Le CNES sera représenté par son président, M. Philippe Baptiste. Plusieurs grands groupes et start-up du secteur sont présents, car nous avons souhaité avoir un panorama le plus complet possible : Spartan Space, ArianeGroup, Prométhée, Thales Alenia Space, Kermap et Airbus Defence & Space (ADS).
Chacun d'entre vous pourra présenter un propos liminaire d'environ huit minutes. Les parlementaires pourront ensuite vous poser des questions. Nous prendrons aussi des questions des internautes.
Sans plus attendre, nous allons commencer par le Centre national d'études spatiales (CNES), représenté ce matin par son président, M. Philippe Baptiste. Le CNES a été créé en 1961 par le Général de Gaulle. C'est l'agence spatiale française, chargée de proposer au gouvernement le programme spatial français et de le mettre en œuvre.
L'invitation de l'Office est particulièrement importante pour nous et pour l'ensemble de la communauté spatiale, au moment où nous préparons les grandes lignes de la contribution française à l'ESA et la structuration du travail de l'ESA pour les trois prochaines années. L'ESA réalise les programmes décidés par son conseil, où siègent les ministres ou les représentants permanents des États membres. La session ministérielle est un moment vraiment important. En effet, elle marque les ambitions de tous les États membres et permet de voir, sur les différents sujets, qui va prendre le leadership sur tel ou tel programme.
Aujourd'hui, les États-Unis dépensent pour le spatial environ 50 milliards de dollars par an, en comptant les activités civiles, les activités militaires, ainsi qu'une partie des investissements privés. Au dernier conseil ministériel de l'ESA, en 2019, à Séville, le budget a amené une souscription des États membres de 14,5 milliards d'euros pour trois ans. Il est important de garder en tête ces deux montants pour tenir compte du fait que les budgets dont nous parlons sont très différents. Il ne s'agit pas d'être dans une posture misérabiliste. Ce n'est absolument pas le sujet. L'Europe est aujourd'hui une grande puissance spatiale. Mais fondamentalement, du fait de ce décalage budgétaire, les priorités et les moyens d'action que nous nous donnons sont aussi différents.
Ce différentiel a toujours existé. L'Europe, l'ESA et les différents États membres ont toujours été extrêmement attentifs à avoir une stratégie différenciée en choisissant des sujets sur lesquels nous sommes en mesure d'investir, sans pour autant vouloir systématiquement couvrir l'ensemble des domaines du spatial. Nous sommes bien dans cette stratégie aujourd'hui. Cependant, la dynamique d'investissement mondial autour du spatial est extrêmement forte chez les différents acteurs. L'ambition est donc forte elle aussi autour de cette session ministérielle. L'ESA vise une souscription de 18 milliards d'euros, ce qui est beaucoup et sans doute un peu ambitieux.
Lors du Congrès international d'astronautique qui a eu lieu il y a quelques semaines à Paris et qui a réuni 9 000 personnes, la Première ministre a annoncé un budget total pour le spatial de l'ordre de 9 milliards d'euros pour les trois prochaines années, une augmentation très significative par rapport au budget triennal précédent. C'est la marque d'une forte ambition pour la France et, indirectement, pour l'Europe.
Je voudrais aussi rappeler l'architecture globale. Nous ne sommes pas en train de dire qu'il y aura 9 milliards d'euros dans les trois prochaines années pour l'ESA. En effet, la France a une spécificité dans le concert européen spatial, une capacité d'action autonome assez importante, que vous avez rappelée dans vos propos liminaires. À peu près 50 % du spatial européen – si je caricature à grands traits – est en France, qui dispose aussi d'une agence ayant d'importantes capacités techniques, ce qui n'est pas forcément le cas de tous nos partenaires européens. Il y a toujours eu un équilibre, un choix entre des budgets affectés à l'ESA et des budgets affectés à des programmes multilatéraux entre la France et d'autres partenaires, pas nécessairement européens, et en tout premier lieu avec la NASA, l'agence spatiale américaine. Nous avons un très grand nombre de partenariats avec les États-Unis. Il y a donc un équilibre entre la contribution française à l'ESA et les contributions françaises à des programmes multilatéraux, au travers du CNES et du programme France 2030.
Un ensemble d'outils sont aujourd'hui disponibles. Au-delà de l'ambition budgétaire posée par le gouvernement, il faut regarder pour chaque sujet le meilleur moyen de dépenser l'argent national. Quel sera le meilleur effet de levier ? Dans quel cadre va-t-on agir pour maximiser les retours pour la France et pour l'Europe ?
La préparation de la conférence ministérielle bat son plein. Cela fait des mois que nous travaillons, au sein de l'ESA, à la préparation des différentes résolutions, des différents programmes qui vont être décidés. À côté de cela, un travail national se fait conjointement entre l'État et les industriels au sein du Comité de concertation entre l'État et l'industrie dans le domaine spatial (COSPACE), mais aussi avec la communauté scientifique. Je rappelle que les scientifiques sont nos « grands clients » du spatial. Je veux parler des scientifiques travaillant aussi bien sur l'exploration, les sciences de l'univers que sur l'observation de la Terre, qui sont des sujets absolument majeurs pour les questions de climat. Quelques jours nous séparent désormais de la conférence ministérielle. Le plus gros du travail a été fait, mais un certain nombre d'interactions restent à mener.
Je ne suis pas en mesure d'estimer ce que pourraient être les contributions françaises, mais il me semble qu'aujourd'hui nous sommes dans une dynamique très positive, notamment grâce au montant annoncé par la Première ministre, qui permettra non seulement d'assurer une bonne contribution française à l'ESA mais aussi de relancer un certain nombre de projets multilatéraux avec les États-Unis, l'Inde et nos grands partenaires internationaux ; ces projets sont absolument cruciaux et sont très fortement attendus par la communauté scientifique nationale.
Parmi les grands enjeux programmatiques aujourd'hui sur la table, nous comptons la question des lanceurs, qui a été abordée dans vos propos liminaires. La précédente conférence ministérielle a vu la contribution française connaître un pic sur les lanceurs, ce qui correspondait à un besoin de financement très élevé autour d'Ariane 6. L'enveloppe budgétaire avec laquelle nous travaillons étant contrainte, un certain nombre d'autres budgets ont été assez fortement comprimés, en particulier ceux des programmes d'observation de la Terre.
La conférence ministérielle qui s'annonce sera probablement le moment d'un rééquilibrage, avec des besoins de financement relatifs aux lanceurs qui sont sans doute un peu moindres – même si Ariane 6 n'a pas encore volé, nous sommes aujourd'hui en fin de développement. Nous aurons ainsi la capacité de réorienter une partie importante des financements vers des questions cruciales pour nos concitoyens et qui correspondent à des besoins des scientifiques travaillant autour de ces enjeux fondamentaux que sont le climat et l'observation de la Terre.
Pour conclure mon propos liminaire, je voudrais insister sur le fait qu'un de nos très grands enjeux aujourd'hui est le développement du New space. On voit apparaître de très nombreux nouveaux projets d'acteurs qui ne sont pas des acteurs traditionnels du spatial. Il ne s'agit pas du tout d'abandonner nos grands champions. La France a la chance d'avoir les trois grands prime européens, qui ont une très forte empreinte nationale : Airbus, Thales et ArianeGroup. Notre idée n'est pas du tout d'arrêter de les soutenir ou de travailler avec eux.
Mais nous considérons qu'il y a des opportunités absolument incroyables pour les entrepreneurs qui sont aujourd'hui massivement présents dans le spatial et qui sont aussi là, autour de la table. Il est essentiel d'arriver à les soutenir et à les faire participer à nos petits et à nos grands programmes de demain. C'est un objectif majeur, que ce soit au travers des financements nationaux du CNES ou au travers de l'ESA, en mobilisant France 2030 qui est tout à fait propre à cela. Je vous remercie.
Nous allons poursuivre ce tour d'horizon avec M. Weiss, PDG de Spartan Space, start-up française qui anticipe les futures missions habitées et développe des modules gonflables et mobiles adaptés notamment aux conditions rencontrées sur la Lune.
Monsieur le rapporteur, Monsieur le président, merci beaucoup. Comme vous l'avez dit, Spartan Space est une jeune entreprise du New space français, implantée à Marseille. Nous voulons travailler sur des systèmes d'habitation pour les milieux extrêmes, dont le spatial. Nous travaillons déjà sur certains projets dont je suis assez fier. Avec Thales Alenia Space, nous travaillons sur le International Habitation Module (I-HAB), l'un des deux modules européens sur la future station spatiale Gateway qui va être en orbite lunaire. Je crois que nous sommes l'une des seules start-up à participer à ce développement. Nous allons fournir le module pour l'entraînement des astronautes à Houston. Nous travaillons également avec Airbus sur un autre concept, une station orbitale commerciale, qui est actuellement en discussion avec l'Agence spatiale européenne.
Je souhaite surtout parler d'un autre projet, Euro-Hab, qui est un habitat gonflable en surface lunaire. Son point fort est qu'il a été conçu comme une charge utile pour un véhicule robotisé nommé EL3, qui sera en discussion lors de la prochaine session ministérielle et qui a toutes les chances de devenir le transporteur européen pour la surface lunaire. Euro-Hab a été conçu en fonction des caractéristiques d'EL3 et comme un habitat secondaire, tel un camp de base utilisé pour une ascension de l'Everest. Si l'on place cet habitat de manière robotisée sur des points stratégiques, il peut servir pour des missions extravéhiculaires, pour élargir le rayon de l'exploration. Cela pourrait être une contribution au projet Artemis. D'ailleurs, la NASA a déjà demandé aux Italiens de s'y intéresser. Ce serait la première habitation sur notre corps céleste. Cela peut être très sympathique.
Notre Euro-Hab va remplir le vide entre les sites d'atterrissage sûrs et les sites d'intérêt. Tout le monde parle aujourd'hui du Pôle Sud de la Lune parce que c'est une région stratégique. J'entends souvent que la Lune est une étape vers Mars. Pour moi, ce n'est pas vrai. La Lune est l'étape vers Mars. Si l'Europe ne va pas sur la Lune et ne s'implique pas dans les missions surface lunaire, elle aura du mal à se positionner pour aller plus loin. C'est important.
J'aimerais souligner un élément. Le Pôle Sud recèle des ressources et c'est donc une région importante. Mais il s'agit d'une zone qui est à peu près de la taille de Paris. C'est là où vont se positionner les Américains, les Chinois. Il est donc très important que l'Europe ait sa place dans cette région.
La vidéo qui est actuellement diffusée sur les écrans illustre le projet Euro-Hab en développement. Le module est transporté de manière robotisée et peut être positionné sur des lieux stratégiques, qui ne sont d'ailleurs pas forcément accessibles aux missions habitées, parce qu'on peut prendre un peu plus de risques avec un véhicule robotisé. Ensuite, il s'ouvre comme une fleur et se gonfle, un peu comme une tente, mais sur la Lune.
Ces technologies sont matures et disponibles en Europe ou dans des États membres de l'Agence spatiale européenne. Aujourd'hui, il existe déjà un habitat gonflable sur la station spatiale internationale. Nous travaillons avec le CNES et Thales sur un projet visant à développer de tels habitats, ainsi qu'avec d'autres partenaires, comme Air Liquide et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), sur des sous-systèmes, notamment la gestion d'énergie, le recyclage et la réduction chimique de CO2. Notre modèle économique suppose de valoriser ces technologies sur Terre parce qu'elles peuvent nous aider à relever les défis auxquels nos sociétés sont confrontées.
Cet habitat serait placé sur la Lune et y resterait, contrairement au système américain. Ce serait donc un ambassadeur du savoir-faire français du spatial, un signe assez fort. On parle beaucoup de nos capacités en matière de vol habité. Euro-Hab est un système complémentaire aux capacités américaines. Je suis entièrement d'accord avec l'idée que l'Europe doit développer sa capacité à lancer les astronautes. C'est tout de même une hérésie que nous soyons passagers sur les fusées des autres. Mais je pense qu'il faut aussi aller plus loin, et ce genre de projet peut se positionner en complémentarité par rapport à ce qui existe déjà du côté américain.
Nous ne travaillons pas tout seuls sur ce projet mais avec plusieurs partenaires, notamment le CNES, l'Agence spatiale européenne et certains partenaires industriels. Ce que vous voyez à l'écran est la maquette que nous avons pu construire grâce aux financements que nous avons obtenus. Elle est partie à Dubaï pour l'Exposition universelle et elle est actuellement au centre européen des astronautes de Cologne. Nous voulons pousser ce développement à la manière du New space : nous ne voulons pas le vendre comme un produit aux agences mais le proposer comme un service. Tout cela aura un impact sur l'emploi, pas seulement pour notre petite société, mais pour tous ses partenaires.
J'irai même plus loin. On parle beaucoup d'inspiration. Un projet comme le nôtre peut être un projet phare qui inspire. Quand je parle d'inspiration, il ne s'agit pas de faire briller les yeux des enfants, mais d'arrêter cette fuite des cerveaux vers les États-Unis. Aujourd'hui, un étudiant peut signer un contrat avec Space X pendant ses études. Mais à la fin de ses études, il devra aller travailler aux États-Unis. Malgré cette contrainte, de nombreux étudiants se laissent tenter. Aujourd'hui, avec l'envergure des projets auxquels nous participons, nous pouvons essayer de retenir des talents en Europe et en France. Et cela peut être une contribution d'Artemis, une place forte sur la Lune pour que nous ne soyons pas uniquement spectateurs.
Il faut se mettre en mesure de proposer une contribution significative à ces missions. Mais pour cela, il va falloir de l'aide, un positionnement très fort du CNES et du gouvernement. C'est vous qui allez nous donner les tickets sur Artemis. Ce n'est pas ma petite start-up qui peut le faire. C'est pour cela que nous avons besoin de votre soutien. Merci beaucoup.
Avant que je passe la parole à l'intervenant suivant, pourriez-vous nous donner une idée de ce que coûte un tel module ?
Il n'est pas très facile de répondre à cette question, mais je m'y suis un peu préparé. Comme je le disais, nous ne voulons pas proposer notre produit comme une marchandise. Je n'ai pas l'intention de vendre Euro-Hab au CNES. J'ai l'intention de le proposer comme un service. Aujourd'hui, SpaceX ne vend pas de fusées à la NASA mais un service de transport sol-orbite. Nous nous proposons de faire la même chose. Cela aura un impact assez important sur des dépenses en capital de Spartan. Construire le module devient mon problème. Bien sûr, le transport restera un gros poste de dépenses. L'ordre de grandeur du coût du module I-HAB est d'environ 304 millions d'euros, je crois.
Merci pour vos propos et merci d'avoir précisé qu'il faut aussi donner à nos jeunes scientifiques l'envie de rêver et de rester travailler sur le sol français. Je passe la parole à M. André-Hubert Roussel, président exécutif d'ArianeGroup, qui est l'industriel européen responsable du développement et de l'intégration des lanceurs. Au Congrès international d'astronautique (IAC), en septembre dernier, ArianeGroup a présenté Susie, une capsule adaptée au transport d'astronautes et compatible avec Ariane 6, dont nous espérons tous le vol inaugural en 2023.
Monsieur le rapporteur, merci de votre invitation. Comme vous vous en doutez, je vais beaucoup parler d'Ariane, qui est le programme emblématique de l'Agence spatiale européenne depuis plus de 40 ans et qui a permis la conquête par les Européens d'un accès autonome à l'espace. C'est clairement le socle de notre souveraineté spatiale. Malheureusement, cette souveraineté a un prix.
La souveraineté suppose un engagement très fort, politique d'abord, mais évidemment financier. Comme tous les programmes de l'ESA, le programme Ariane 6 est, depuis son lancement en 2015, financé par les appels de fonds auprès des États membres qui les souscrivent tous les trois ans lors des conférences ministérielles. Celle des 22 et 23 novembre à Paris est un moment capital pour finir le développement d'Ariane 6 et lancer sa mise en exploitation.
Aujourd'hui, je souhaite faire passer trois messages. D'abord, le développement d'Ariane 6 entre dans sa dernière ligne droite et je confirme que c'est bien notre priorité absolue, ainsi que pour le CNES. La conférence ministérielle de l'ESA est un rendez-vous à ne pas manquer pour les États européens s'ils veulent s'assurer de disposer d'Ariane 6 pour la prochaine décennie et conserver un accès autonome à l'espace. La suite se prépare aujourd'hui, en dotant l'Europe de sa propre technologie en matière de lanceurs réutilisables.
Le développement d'Ariane 6 est un marathon, comme tout programme spatial et tout programme d'armement. Nous sommes dans la dernière ligne droite. Il reste encore un certain nombre de haies à franchir. C'est le moment où nous intégrons tout ce qui a été développé, toutes les pièces, la mécanique, la fluidique, l'électronique, l'avionique, où nous connectons les différentes lignes de code et les logiciels entre eux. Malheureusement, quelques difficultés imprévisibles surgissent et il va falloir les enjamber les unes après les autres, sans perdre de vue cette course contre la montre maintenant largement lancée.
Le calendrier d'Ariane 6, du premier vol, de la montée en puissance industrielle et de la croissance de l'exploitation, est absolument clé pour deux raisons. La première est commerciale, puisqu'un certain nombre de clients nous attendent, avec plus de 29 lancements en carnet, ce qui est une performance jamais vue – je pense notamment à la constellation Kuiper, avec 18 lancements. La seconde est stratégique dans la mesure où la guerre en Ukraine a eu un effet direct sur la filière, avec l'arrêt des lancements Soyouz et la perte d'autonomie temporaire de l'Europe pour lancer ses satellites souverains, notamment les missions institutionnelles européennes Galileo et CSO-3, qui devaient partir sur ce lanceur Soyouz.
Nous avons rencontré sur notre chemin, au cours du développement, un certain nombre d'embûches, notamment les conséquences de la crise sanitaire de la Covid et de la guerre en Ukraine, qui ont fortement perturbé la filière, tant les activités de nos équipes que les chaînes d'approvisionnement – ce qui se constate aujourd'hui encore. Ces bouleversements ont ralenti le calendrier et ont également conduit Arianespace à suspendre onze lancements Soyouz. La bonne nouvelle est que nous avançons à grandes enjambées. Cette dernière semaine, nous avons franchi avec succès plusieurs étapes majeures en vue de la qualification du lanceur pour le premier vol.
Tout d'abord, nous avons réussi le premier essai à feu de l'étage supérieur en Allemagne, ainsi que le premier assemblage du lanceur Ariane 6 sur son pas de tir. Le succès de ces étapes a conduit l'ESA à confirmer il y a quelques jours la forte probabilité que le vol de qualification ait lieu à l'automne 2023. Nous sommes donc pleinement mobilisés avec l'ESA, le CNES, l'agence spatiale allemande (DLR – Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt) et l'ensemble des partenaires industriels pour passer les dernières haies, lesquelles sont d'abord la finalisation des essais à feu de l'étage supérieur, propulsé par le moteur Vinci et le petit moteur APU qui est unique au monde. Ce moteur donne un avantage comparatif à Ariane 6 en lui conférant la possibilité de réaliser toutes les missions de lancement de constellations en orbite basse, moyenne ou géostationnaire, et plus loin encore pour l'exploration déjà évoquée. Il permet également la désorbitation de l'étage supérieur en fin de mission.
La deuxième étape importante, ou le deuxième chemin très important, est le démarrage des essais combinés pour tester la connexion du lanceur avec son pas de tir. Les tests à feu devraient commencer début 2023. Enfin, l'assemblage du premier modèle de vol et des suivants dans nos usines aux Mureaux, à Brême et à Kourou est déjà bien avancé. Pendant ce temps, les équipes d'ArianeGroup continuent de parcourir d'autres chemins et de suivre d'autres priorités, en particulier au service de la dissuasion française avec la permanence du M51, et les trois derniers vols d'Ariane 5 que nous devons réussir, le prochain étant programmé le 14 décembre 2022. Le dernier lancement est en principe une mission emblématique de plus pour Ariane 5, avec la mission Juice qui va aller vers les lunes de Jupiter. La vie continue.
La conférence ministérielle est évidemment un rendez-vous à ne pas manquer, pour nous, les industriels, et pour les États européens. Des travaux ont été menés au sein du COSPACE, et le Gifas a proposé un cadre global pour la contribution française de l'ordre de 3,6 milliards d'euros, soit 20 % du budget total demandé par l'exécutif de l'ESA, ce qui mettrait la France en très bonne position. Pour ce qui concerne le budget Ariane, le premier objectif est de préserver la solidarité européenne et le soutien à l'exploitation d'Ariane 6, conformément aux engagements préalables qu'ont pris les États membres participant à ce programme.
Ceci passe notamment par le financement de la transition entre Ariane 5 et Ariane 6 sur la période 2023-2025, avec des surcoûts liés à la faible cadence de tir et à la courbe d'apprentissage ; la confirmation du modèle d'exploitation d'Ariane 6 à partir de 2026, en exploitation stabilisée, avec l'engagement pris par l'ESA d'acheter quatre lancements institutionnels, trois Ariane 62 et une Ariane 64, d'attribuer à Arianespace 140 millions d'euros par an pour soutenir une « cadence 7 lancements » dans la chaîne industrielle, ainsi que 100 millions d'euros par an pour le maintien en condition opérationnelle du système de lancement. Cela passe également – ce n'est pas optionnel – par le financement du Centre spatial guyanais (CSG) et de ses évolutions, particulièrement important pour qu'Ariane 6 soit un succès commercial et puisse tenir les cadences auxquelles nous nous sommes engagés vis-à-vis de nos clients.
Le deuxième objectif porte sur le financement des évolutions programmées d'Ariane 6. Nous les appelons Bloc 2. Ces travaux sont nécessaires pour adapter Ariane 6 à l'évolution des besoins de ses clients, en particulier pour le développement des méga-constellations, y compris le projet Kuiper d'Amazon, et pour l'exploration, avec par exemple le petit véhicule mentionné par M. Peter Weiss. L'enveloppe comprend notamment des développements complémentaires sur le booster d'Ariane 6 et de Vega, le P120-C, élément commun.
C'est également aujourd'hui qu'il va falloir écrire la suite, en dotant l'Europe de ses propres technologies en matière de lanceurs réutilisables. En parallèle d'Ariane 6, ArianeGroup et le CNES ont convaincu l'ESA, à partir de 2016, de lancer des travaux technologiques et de dégager les moyens nécessaires pour permettre à l'industrie européenne de rattraper son retard en matière de réutilisation. La brique essentielle de la réutilisation est le moteur à poussée variable. Pour l'Europe, ce moteur s'appelle Prometheus. Il est en cours d'essai à Vernon pour un premier allumage dans les toutes prochaines semaines sur le banc d'essai Themis qui préfigure le premier étage réutilisable européen.
Lors de la conférence ministérielle de 2022, le financement de la fin du développement et de la première série de Prometheus est absolument essentiel, ainsi que le financement des démonstrateurs Themis, pour faire les premiers tests de réutilisation et permettre à la France de lancer le premier mini-lanceur réutilisable Maïa et de préparer la prochaine génération des lanceurs lourds d'ArianeGroup.
En parallèle, nous continuons d'innover et voulons être force de proposition auprès de l'ESA et des États européens pour porter une vision européenne intégrée et cohérente, destinée à développer une famille européenne de lanceurs réutilisables partageant des briques communes.
Lors de l'IAC à Paris, nous avons donc rendu public un nouveau concept, appelé Susie (Smart Upper Stage for Innovative Exploration). C'est une innovation unique qui répond à la fois à l'ambition d'ArianeGroup de développer un nouveau paradigme de déplacement dans l'espace et une nouvelle logique spatiale, de hub et non plus de point à point, et à l'évolution vers des lanceurs entièrement réutilisables. En effet, quand on parle de Themis, il est question de la réutilisation du premier étage et pas encore de l'étage supérieur. Susie permettra également de développer de nouvelles compétences et technologies, et de préparer un éventuel positionnement de l'Europe sur le transport humain.
La ligne est donc claire. La session ministérielle doit permettre de défendre auprès de l'ESA le triptyque « exploitation d'Ariane 6 – adaptation du lanceur aux nouveaux besoins – préparation de l'avenir ». Au-delà de ces lignes programmatiques, c'est également la coopération européenne, en particulier avec l'Allemagne et l'Italie, qui devra en sortir renforcée. En renouvelant son engagement à respecter la préférence européenne, conformément aux accords en vigueur, tout en contribuant au budget nécessaire aux lanceurs lourds européens, Berlin fera un pas décisif pour permettre à Ariane 6 de se battre à armes égales avec son concurrent américain sur le marché commercial mondial.
La poursuite de l'approfondissement de la coopération franco-italienne est un autre enjeu majeur de cette session ministérielle, avec l'augmentation de la performance du booster P120-C+, commun à Ariane 6 et à Vega-C, déjà cité. La période actuelle est malheureusement marquée par un affaiblissement du projet commun européen, avec la multiplication de projets nationaux pour des micro- ou des mini-lanceurs. La compétition peut être utile à l'innovation et à la compétitivité, à condition qu'elle ne mène pas à une rupture. La fragmentation du secteur spatial européen n'est pas compatible, de mon point de vue, avec sa pérennité. Ariane, c'est la construction européenne et elle doit rester au-dessus des intérêts nationaux.
Merci pour ce tour d'horizon de l'actualité d'ArianeGroup, qui permet d'y voir plus clair sur les grands objectifs.
Nous allons continuer ces présentations avec M. Olivier Piepsz, président de Prométhée, qui est un opérateur de constellations de nano-satellites d'observation de la Terre, un pionnier dans ce domaine en France.
Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, je vous remercie d'avoir associé des start-up à ces réflexions. Prométhée se positionne comme le premier opérateur du New space français de constellations de nano-satellites destinés à l'observation de la Terre et capables de délivrer des informations en temps réel sur toute la surface de la planète. Je vous présente tout d'abord une courte vidéo.
[Diffusion d'une vidéo]
Vous avez vu de belles images avec une belle musique. Derrière tout cela, la question est l'habitabilité de notre planète – on parle de dérèglement climatique –, la pérennité des ressources naturelles, les politiques de défense et de sécurité, en lien avec les conflits induits par ces crises et la nouvelle donne mondiale, marquée par l'affaiblissement du multilatéralisme et où, de nouveau, la loi du plus fort et du plus riche reprend le dessus. Les conséquences sont importantes et les préoccupations sont fortes quant aux infrastructures critiques que sont par exemple les oléoducs et les câbles intercontinentaux de télécommunication – vous avez peut-être vu les images du gazoduc North Stream 1 laissant échapper du gaz au milieu de la mer Baltique, vous avez vu les problèmes d'essence que crée en quelques jours une rupture d'approvisionnement. Si une ressource essentielle est coupée, c'est toute l'économie nationale qui s'arrête et la sécurité des citoyens qui est menacée.
L'engagement de la France pour le développement durable et pour la sécurité est extrêmement fort. Ce n'est pas un hasard si aujourd'hui, après le Brexit, la France est le seul pays européen à avoir un siège permanent au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (ONU). C'est une importante responsabilité vis-à-vis des Européens. Il est nécessaire d'avoir une vision globale actualisée pour être en mesure de tenir notre rang et de prendre les bonnes décisions.
Aujourd'hui, la seule technologie, le seul outil répondant à ce besoin est l'observation de la Terre en temps réel permise par les constellations de nano-satellites. Les Chinois et les Américains l'ont compris depuis longtemps. Ils ont cinq ans d'avance. Les Américains ont décidé de s'appuyer sur les acteurs du New space privés, qu'ils ont financés massivement dès leur naissance. Cette année, 5 milliards de dollars ont été versés en commandes publiques par le ministère américain de la défense à BlackSky, Maxar et Planet, avec un objectif clair : tuer dans l'œuf l'émergence d'un compétiteur européen. La vraie question qu'il faut se poser est : voulons-nous utiliser pour longtemps des images américaines – je parle des images disponibles en temps réel ? Pensons-nous que, pour l'observation de la Terre, la souveraineté européenne est importante ?
Nous sommes une petite start-up. Qu'est-ce qu'une start-up ? Cela part d'une idée folle qui trotte dans la tête et qu'on ne sait pas élever. C'est ce qui m'a fait quitter la sécurité et le confort du siège d'une société du CAC 40, avec l'obligation que je ressentais de donner vie à cette idée. Mais la vie d'une start-up en France n'est pas facile du fait du couplage entre crédibilité et financement. Pour avoir du financement, il faut être crédible ; et en France, pour être crédible, il faut avoir du financement. C'est le serpent qui se mord la queue. Mais la France est formidable, car si on y met de l'énergie, si on se lie aux bonnes personnes, on a le soutien des institutions. Je tiens à insister sur le fait que, depuis le début, nous avons été accompagnés par le CNES ( via les space tickets en particulier), la BPI, la DGE.
Nous travaillons encore. Un plan de relance spatial impliquant le CNES, la DGE et l'Union européenne a été élaboré juste après la crise sanitaire de la Covid-19. Nous gagnons un de ses appels d'offres, ce qui nous permet de réaliser nos premières levées de fonds. Alors, nous progressons en crédibilité et devenons même un acteur à l'export. Pour nous, il est important de s'associer aux acteurs traditionnels du secteur. Avec les trois grands prime européens dont nous parlions, notre ligne directrice est la complémentarité. Nous gagnons donc le plan de relance et travaillons dans cette optique. 1,5 million d'euros sont versés à Safran pour lancer sa nouvelle gamme de caméras spatiales. La connexion start-up /grande entreprise est formidable. Nous signons des accords à l'IAC avec Naval Group, pour intégrer des données spatiales au cœur du système d'information naval de défense. Nous signons des accords en moins de deux mois. Cela veut dire qu'ensemble, grandes sociétés et start-up, nous pouvons aller très vite.
La France réagit à la menace d'hégémonie américaine. Je tiens à souligner la révolution copernicienne qui a eu lieu au CNES, initiée par Philippe Baptiste, qui décide de vraiment mettre l'innovation liée aux start-up au cœur du réacteur. Nous sommes complémentaires des acteurs patrimoniaux. L'État lance France 2030, qui est essentiel pour nous parce que ce programme génère de la commande publique nationale. Le modèle américain est une grande partie de la solution pour nous, start-up. Ce qui est fondamental – je souligne ce point – est la vitesse d'exécution, le processus étant tout de même complexe, avec de nombreux interlocuteurs. De ce point de vue, le plan de relance s'est déroulé de manière remarquable, et il est important que France 2030 aille vite aussi, que l'argent arrive en six à neuf mois, parce que les start-up sont très fragiles sur un plan financier. Le timing est vital.
L'Europe, sujet du jour, est un grand réservoir pour l'expertise. Si nous voulons être excellents et concurrencer les Chinois et les Américains, il faut raisonner au niveau européen. C'est d'ailleurs la taille critique du marché. Cependant, la France est quasi absente des fonds européens destinés aux start-up. Les Belges et les Espagnols se sont servis sans complexe de ces outils et nous nous sommes retrouvés dans une situation de concurrence presque déloyale. C'est pour cela que je vous demande que la France finance elle aussi les programmes européens de type « bass », Scale-Up, IntUBE. Nous avons besoin de votre soutien sur ce point.
En conclusion, je rappelle que toutes les Gafam sont américaines. Nous avons été distancés sur les vols habités, mais plus pour longtemps étant donné ce que j'entends de Peter Weiss. Nous sommes attaqués sur le segment des lanceurs. La place de la France dans l'Europe, et donc de l'Europe dans le monde, dépend aussi des choix qui seront pris sur les constellations temps réel. La France a investi avec succès dans les constellations d'Internet avec le formidable projet Kinéis, et avec Unseenlabs dans les constellations radiofréquences. Nous demandons de faire la même chose avec l'observation de la Terre en temps réel, synonyme de souveraineté et d'emplois à haute valeur ajoutée sur tout le territoire. Nous sommes petits, mais nous sommes déjà présents en Île-de-France, en région Sud, en Occitanie et bientôt en Bretagne. Le spatial et les constellations d'observation de la Terre sont des outils essentiels pour construire un monde durable et plus sûr. S'il vous plaît, aidez-nous à avancer.
Merci, Monsieur Piepsz. Je pense que nous vous avons entendu. Avec l'énergie que vous développez, vous n'allez pas rester longtemps une start-up. C'est tout le mal que nous vous souhaitons !
Nous allons maintenant entendre M. Riadh Cammoun, vice-président des affaires institutionnelles de Thales Alenia Space, qui, je le rappelle, est un acteur et un constructeur majeur de l'industrie satellitaire européenne. Parmi ses nombreuses activités, Thales Alenia Space participe au programme américain Artemis et met au point des modules pressurisés pour la future station spatiale lunaire.
Monsieur le rapporteur, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les élus, merci de permettre à Thales Alenia Space de témoigner aujourd'hui sur les enjeux de la prochaine session ministérielle de l'ESA, ce mois de novembre. Avant d'aborder les priorités telles que nous, industries satellitaires, les voyons à cette conférence ministérielle, je voudrais revenir sur le contexte actuel de transformation de notre filière, un contexte paradoxal que je voulais partager avec vous.
L'industrie spatiale française des satellites est un des leaders mondiaux, notamment grâce à une très bonne coordination des investissements de R&D et d'innovation avec le CNES et l'ESA, et nos autorités qui soutiennent cette politique d'innovation. Ceci nous a permis, dans le temps et dans la continuité, de bâtir ce leadership. C'est grâce à cette vision et cet engagement de long terme qu'aujourd'hui nous sommes présents sur tous les marchés export et que 50 % de notre chiffre d'affaires est fait tant sur les marchés export européens commerciaux que sur les marchés du grand export. Ceci doit être comparé à nos concurrents américains, qui ont un marché institutionnel protégé pour plus de 90 % de leur chiffre d'affaires. Voilà aujourd'hui la situation, un positionnement fort, que je vais illustrer par des exemples.
Avec Copernicus, l'industrie française est très présente sur l'observation de la Terre. Sur la navigation, avec les programmes Galileo et Egnos, la position française est très forte. Vous l'avez dit en introduction, elle l'est aussi sur l'exploration.
Une autre dimension importante est le positionnement dans le domaine des satellites télécoms. C'est un domaine hautement compétitif, où l'industrie française est aujourd'hui leader mondial. Nous avons gagné la plus importante des compétitions, grâce à l'innovation et à notre compétitivité. C'est aujourd'hui le principal moteur de notre rayonnement à l'export. Encore une fois, ce succès vient de la co-construction de modèles d'innovation avec le CNES et l'ESA. C'est ce qui a permis à notre industrie satellitaire d'avoir les deux maîtres d'œuvre mondiaux dans ce domaine, avec un exemple d'innovation de rupture.
Nous avons inventé en Europe les satellites software defined, c'est-à-dire complètement digitaux. Nous avons développé l'ensemble des technologies nécessaires en Europe. Elles sont disponibles en Europe, sur les marchés export et les marchés commerciaux. Aujourd'hui, l'industrie française est de loin le numéro 1 mondial. Grâce à cette vision commune avec le CNES, nous avons aussi bâti une stratégie d'innovation, par exemple autour de Neosat, de la propulsion électrique. C'est ce qui permet à notre industrie d'être leader.
Mais cette industrie vit aussi un moment important, une révolution avec des vents contraires et une situation économique critique.
Le premier élément de cette révolution est une compétition mondiale exacerbée. Nous sommes confrontés à cette compétition tous les jours sur les marchés export. Le retour des États-Unis sur le marché télécom, par exemple, est de plus en plus compétitif, avec des soutiens massifs du ministère américain de la défense, comme sur les programmes SDA ou Blackjack.
Deuxième point, dont on ne parle peut-être pas assez, l'accélération historique des cycles d'innovation est un élément déterminant pour notre modèle économique. On n'a jamais vu une telle accélération de la R&D et de l'innovation dans nos domaines, qui crée un besoin d'investissement massif en R&D et des difficultés à dégager suffisamment d'autofinancement sur ce marché très concurrentiel.
Enfin, les conséquences des crises Covid successives, puis la crise ukrainienne, se traduisent par des pertes de marchés export, comme le marché russe, qui est important pour nous, des tensions sur l'approvisionnement, notamment des composants, et l'inflation qui touche l'ensemble de l'industrie, dont la supply chain.
Dans ce contexte, vous comprenez l'importance vitale de la prochaine conférence ministérielle et des investissements institutionnels pour soutenir notre filière. La session ministérielle est primordiale pour accélérer notre innovation, garder notre leadership et nos emplois de haute qualification en France.
Je voulais aussi saluer le travail qu'a fait le COSPACE pour préparer cette session ministérielle. Durant toute l'année 2022, ce comité de filière a travaillé avec le CNES et l'administration pour bâtir le programme de la prochaine ministérielle, faire remonter les priorités et les besoins, éclairer les décisions publiques par le vécu du terrain, ce que nous vivons sur le marché export. Nous avons bâti en commun trois grandes priorités, grâce à une vision consolidée de la filière :
1) sécuriser le socle des programmes déjà lancés. En exploration, nous avons beaucoup parlé de I-Hab, mais il y a aussi le développement d'ESPRIT. Peut-être n'est-ce pas assez su, mais aujourd'hui l'Europe est l'acteur principal de la Gateway lunaire développée dans le cadre d'Artemis. Nous sommes aussi leader sur le volet observation de la Terre avec le développement des six nouveaux satellites de la flotte Copernicus et les Sentinelle de nouvelle génération ;
2) soutenir les programmes de compétitivité, c'est-à-dire les programmes récurrents de l'ESA, comme les programmes ARTES dans les télécoms ;
3) permettre à la France et à son industrie de participer aux futurs programmes de l'ESA. Je citerai le LEO PNT, qui vise à augmenter et améliorer le signal Galileo, ou la constellation européenne promue par le commissaire Thierry Breton pour développer une infrastructure européenne souveraine.
Les arbitrages sont en cours. La France est un contributeur essentiel à l'ESA. Nous avons vraiment besoin de cette contribution et de ce couplage entre le volet européen et le volet national pour permettre à l'industrie satellitaire française de garder son leadership.
En conclusion, je vais apporter un bref éclairage sur trois sujets, qui ouvriront sûrement le débat par la suite. Le premier est la place de l'Europe sur le marché des constellations et la régulation. L'industrie française doit être fière de ce qu'elle a réalisé dans le domaine des constellations, notamment pour les télécom, puisque les principales constellations mondiales ont été réalisées par l'industrie française (Globalstar, O3B, Iridium, Telesat, OneWeb). Cela montre le dynamisme et le bon positionnement de l'industrie et traduit une avance technologique, qu'il va falloir transformer en business. En effet, aujourd'hui, des milliardaires aux poches extrêmement profondes abordent ce marché d'une manière totalement différente, avec de nouveaux modèles économiques complètement verticalisés, comme ceux de Kuiper et Starlink, .
Mais ce développement est indispensable. Nous savons que nous avons besoin de ce type d'infrastructure. J'ai parlé tout à l'heure d'USC, la constellation européenne de connectivité qui sera une infrastructure majeure pour l'Europe, en tout cas une infrastructure de souveraineté. Tout cela pose aussi des questions sur la maîtrise de l'espace. Il faut faire de l'espace un milieu au développement soutenable. La prolifération des satellites en orbite autour de la Terre pose un certain nombre de questions, et l'Europe doit se donner les moyens d'agir sur les plans réglementaire, politique et opérationnel pour défendre ces actifs, qui sont aujourd'hui critiques pour la vie du citoyen.
Le deuxième sujet concerne l'observation de la Terre et les applications associées. Copernicus y tient une place majeure, mais il en est de même pour d'autres problématiques, comme la météo. C'est l'une des applications les plus importantes que nous développons en France, un domaine d'excellence scientifique et industrielle. Le premier satellite de la troisième génération de météorologie, le MTG, qu'a construit Thales Alenia Space, va être lancé d'ici la fin de l'année. Il soutient un vaste développement autour du climat, mais aussi des applications environnementales. Là aussi, la prochaine session ministérielle devrait faire preuve, dans le domaine de l'observation, d'une certaine continuité pour soutenir les programmes déjà lancés. Il faudra également soutenir la préparation du futur avec le grand programme Future EO.
Enfin, je veux évoquer l'exploration, notamment l'exploration habitée. L'Europe est un acteur majeur de l'exploration. Je rappelle les programmes ExoMars et Mars Sample Return, le module cargo Cygnus, la Gateway lunaire, dont les trois principaux modules sont développés en Europe, ainsi que des systèmes très avancés comme le Space Rider, avec les technologies de réentrée. En ce domaine, la poursuite de la coopération sur Artemis entre la France et les États-Unis et entre l'ESA et la NASA est essentielle.
Ceci va aussi ouvrir à l'industrie européenne l'accès au New space dans le domaine de l'exploration. Je rappelle que Thales Alenia Space a remporté les premiers contrats dans ce domaine. En effet, nous allons fournir un des modules d'Axiom, une start-up américaine qui développe une station orbitale en orbite basse. Cela va permettre de construire les éléments clés de ce que pourrait être l'exploration habitée dans un second temps. Mais la première étape est vraiment de permettre à l'industrie européenne, et à l'Europe, dans le cadre du partenariat avec Artemis et la NASA, de développer toutes les technologies clés, pour envoyer aussi bien du fret que des astronautes en orbite basse ou autour de la Lune et de Mars.
Merci pour cette présentation très complète. Nous continuons avec M. Antoine Lefebvre, président de Kermap, une start-up qui traite et valorise les images et les données du programme Copernicus, particulièrement connu. Le marché mondial de l'observation satellite de la Terre est aujourd'hui estimé à près de 3 milliards d'euros et il se développe. Dans ce contexte, votre vision nous intéresse. C'est avec la mise en avant de certaines de ces start-up que nous pouvons parler de l'ensemble de l'écosystème spatial français.
Merci Monsieur le président, Monsieur le rapporteur et Mesdames et Messieurs les élus. C'est un véritable honneur pour moi-même et l'ensemble de l'équipe de Kermap de pouvoir témoigner aujourd'hui. Kermap est une entreprise qui a été créée en 2017. C'est une société de géo-intelligence. Nous fournissons des informations stratégiques à nos clients. Notre force est de pouvoir traiter de très grands volumes de données d'images satellites en un temps relativement court, grâce à une technologie de rupture qui se fonde sur de l'intelligence artificielle.
Nous mettons notre savoir-faire au profit d'acteurs publics et privés pour leur permettre d'élaborer la meilleure stratégie d'adaptation au changement climatique. Qu'est-ce qui nous différencie des autres sociétés de l'observation de la Terre ? Avant tout, nous sommes des passionnés. Nous souhaitons donner à tous la possibilité de bénéficier d'une information issue de l'espace. Cette information doit avoir les avantages suivants : être objective, homogène, globale et continue dans le temps. Notre histoire a commencé avec la réalisation de la première plateforme nosvillesvertes.fr, qui permet à tous publics confondus de comparer le patrimoine arboré d'une ville française avec celui d'une autre.
Cette plateforme montre que nous sommes en capacité de maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur de l'information issue de la donnée satellite. Nous produisons l'information à partir de la donnée, nous l'analysons en dérivant des statistiques, et nous la valorisons à partir d'une plateforme de visualisation simple et ludique pour tous. Cette plateforme nous a permis de devenir rapidement le partenaire des collectivités territoriales. Aujourd'hui, avec nosvillesvertes.fr, les collectivités ont découvert que nous pouvions facilement extraire de l'information à partir de la donnée satellite, puis voir et manipuler cette information. C'est ainsi qu'un dialogue s'est créé et que Kermap a réussi à réaliser diverses prestations auprès de différents acteurs à différentes échelles : la petite métropole, la grande métropole, la région ou le département.
Forts de cette expérience, nous nous sommes intéressés à une nouvelle « verticale » qui est l'agriculture. Nous avons développé une technologie unique qui permet de suivre toutes les parcelles agricoles d'Europe en temps quasi réel. Pour ce faire, nous stylisons des données issues de la constellation européenne Copernicus. Pour faire connaître nos services, nous avons également mis en place la plateforme agri.nimbo.earth. On peut y découvrir le potentiel de l'ensemble des images satellites issues des données Copernicus. Surtout, cette plateforme confirme que Kermap peut extraire une information fiable, précise et quantifiable de la donnée satellite.
Le résultat a été à la hauteur de nos attentes. Aujourd'hui, nous travaillons notamment pour le ministère de l'Agriculture. Nous lui fournissons tous les mois un indicateur sur la production des fourrages. Cet indicateur a été indispensable cet été avec l'événement de sécheresse qui a frappé la France. Avec l'agence Eau de Paris, nous suivons les pratiques des agriculteurs sur leurs aires de captage. Eau de Paris a mis en place des mesures incitatives pour le respect de bonnes pratiques agricoles, qui ont pour objectif de préserver l'environnement et les sols. Et si l'on préserve les sols, on préserve les nappes phréatiques qui se trouvent au-dessous.
Aujourd'hui, surtout, nous travaillons avec des multinationales, comme Nestlé et McCain, qui ont mis en place un système pour décarboner leur chaîne d'approvisionnement. Ils incitent les fournisseurs à adopter de bonnes pratiques environnementales pour régénérer les sols et stocker du carbone. Il s'agit finalement de mettre en place un système d'agriculture régénératrice. Kermap suit l'efficacité de ce programme en observant par satellite les parcelles de tous les fournisseurs de Nestlé. L'objectif pour cette entreprise est vraiment d'avoir une information fiable, précise et quantifiable.
Notre dernier produit, le plus ambitieux, est Nimbo. Il reprend tout ce dont je viens de vous parler autour de l'accès facilité à la donnée, mais il s'agit plutôt ici de démocratiser l'usage de la donnée. Que va-t-on pouvoir faire de la donnée juste après ? Nimbo est destiné à tout type d'acteurs, notamment le secteur de l'éducation qui n'a pas forcément accès à ce type de données. C'est un produit dont les valeurs se basent notamment sur l'innovation. Il s'agit de bénéficier d'images satellites sans subir les contraintes liées au satellite lui-même (la couverture nuageuse, le défilement des orbites, etc.).
Enfin, une valeur très forte pour Kermap est la souveraineté. Nous avons développé ce service à partir d'une solution 100 % hébergée en France, principalement à Rennes. Ce sont 20 millions de kilomètres carrés de surface terrestre qui sont actualisés tous les mois. Aujourd'hui, nous couvrons l'Europe, le Moyen-Orient et l'Amérique du Nord. Au premier trimestre 2023, nous fournirons une couverture globale. Grâce à elle, demain, nous serons les seuls à pouvoir offrir l'unique jumeau numérique de la Terre actualisé tous les mois à partir de données Copernicus.
Si nous entrons un peu plus dans la technique, Kermap travaille sur deux axes : 1) comment traiter en masse des données satellites ? Nous internalisons cette phase avec une vraie brique de traitement ; 2) comment apporter cette information aux utilisateurs ? Actuellement, il y a de plus en plus de données, de fournisseurs de données, ce qui crée une sorte de goulot d'étranglement au niveau de leur analyse et de leur interprétation. C'est là que nous nous positionnons : comment faire ce pont entre la quantité d'informations disponibles et le service rendu à l'utilisateur final ?
En cinq ans, Kermap a beaucoup grandi. Nous avons mis en place des cas d'usage opérationnels. Aujourd'hui, nous avons devant nous un marché potentiellement mondial. Mais pour pouvoir l'aborder convenablement, nous avons besoin d'accélérer. Nous pouvons notamment le faire au travers de la commande publique. L'Europe s'est mise en mesure d'avoir des outils formidables, dont cette constellation de satellites Copernicus. Mais, de mon point de vue, elle reste encore sous-exploitée à cause d'un manque de connaissance des utilisateurs finaux. Je pense notamment qu'il existe des utilisateurs du spatial qui s'ignorent. Pourtant, les solutions existent. Nous les produisons aujourd'hui.
Nous avons déjà des cas d'usage, avec des acteurs publics et privés qui ont clairement identifié l'apport effectif de ces données pour piloter des initiatives au service des transitions agroécologiques. Les acteurs institutionnels comme l'Agence spatiale européenne pourraient promouvoir ces solutions pour accompagner des grands programmes européens, comme la politique agricole commune. Il faut par ailleurs que l'Agence spatiale européenne continue à promouvoir l'utilisation et la valorisation de toutes ces données mises à disposition. Cela peut passer par notre outil Nimbo.
En soutenant ces actions, les institutions favoriseraient l'émergence de nouveaux champions européens, ce dont a bien besoin le domaine aujourd'hui. Dans le contexte actuel, le secteur spatial risque d'être dominé demain par des acteurs extra-européens. Sur le versant amont, il existe déjà des poids lourds de l'imagerie spatiale comme Maxar et Planet. Et je ne parle pas de tous les acteurs chinois qui se positionnent actuellement sur le marché français. Ils sont très organisés et agissent de manière groupée. Sur le versant aval, les acteurs extra-européens du numérique et de l'infrastructure sont également puissants. Kermap a fait le choix de développer une infrastructure souveraine, en partenariat notamment avec OVHcloud depuis de nombreuses années.
Pour résumer, la démarche de soutien qui peut être apportée par l'Agence spatiale européenne au travers de la commande publique fait vraiment sens. En effet, elle peut répondre à l'urgence climatique, grâce à des solutions que nous pouvons offrir notamment au service de l'agriculture, et à des enjeux européens forts, comme le green deal, faisant émerger de nouveaux leaders européens.
Merci. Je passe maintenant la parole à M. Wagner, vice-président d'Airbus Defence & Space (ADS), une division du groupe Airbus spécialisée entre autres dans le spatial et impliquée dans divers projets d'observation de la Terre par satellite.
Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les sénateurs, chers collègues, le graphique présenté sur les écrans, réalisé par Euroconsult, dit toute l'histoire. On y voit les financements massifs, civils et militaires, des États-Unis. Ce n'est pas pour créer une opposition avec les États-Unis, mais c'est un fait : ce pays mène une politique de space dominance. On y voit aussi les pays européens (en rouge), avec l'addition de leur contribution nationale et à l'Agence spatiale européenne.
Napoléon avait raison, un bon croquis vaut mieux qu'un long discours. Pierre Dac a même ajouté qu'un petit croquis en disait plus long qu'un grand discours, mais moins qu'un gros chèque, et c'est bien la question. Voulons-nous, en Europe, faire un gros chèque ensemble et réaliser de grands projets ? Parce que les grands projets se réalisent à l'échelle européenne. Je pense à Ariane, Galileo, Copernicus, notre système de météo, qui sont des projets de classe mondiale parce que nous avons fédéré nos efforts. Ou voulons-nous faire des petits chèques ? C'est malheureusement un risque. C'est une tendance que nous observons avec les difficultés intra-européennes. Voulons-nous fédérer un effort européen ou rester fragmentés, devenir sous-critiques et perdre notre avantage ? Le conseil de l'ESA, réuni au niveau ministériel, a précisément pour objectif de fédérer les ambitions, de mutualiser les efforts, même si ce n'est jamais facile, et de renforcer le leadership mondial de l'Europe dans de nombreux domaines.
En France, comme cela a été dit, nous travaillons ensemble. Il y a une préparation conjointe de la session ministérielle par les tutelles, le CNES, la DGA, la DGRI, les entreprises du secteur et les organismes de recherche. Le but est d'identifier collectivement les priorités et de construire ensemble un scénario financier. Pour donner un exemple de mission qui pourrait être décidée à la session ministérielle, je vais citer Aeolus 2. Aeolus 1 est une mission qui a été réalisée pour le compte de l'ESA par Airbus, lancée en 2018. Comme son nom le donne à penser, Aeolus permet de mesurer la vitesse du vent : des profils de vent sont réalisés dans l'épaisseur de l'atmosphère grâce à un laser Doppler. C'est une technologie extrêmement pointue, maîtrisée par la France. La mission a fourni des cartes dynamiques qui ont suscité l'enthousiasme de la communauté des météorologues.
Nous espérons donc que lors de la session ministérielle sera décidée la suite de ce programme, la mission Aeolus 2, sous leadership français. Aeolus 2 aura une utilité sociétale importante, puisque cette mission permettra d'améliorer les prévisions météorologiques et de prendre en compte des événements climatiques très violents. On ne doute pas qu'il y aura ensuite des récurrences de cette mission Aeolus 2, qui sera pilotée par Eumetsat. Un effet de levier sur l'investissement consenti est donc quasi certain.
Pour parler brièvement du vol habité, notre niveau d'engagement peut prendre différentes formes. Une première option consiste à continuer ce que nous faisons aujourd'hui en utilisant les moyens de pays tiers. L'avènement possible de stations commerciales en orbite basse va probablement changer la donne et la façon dont ce type de mission sera réalisé à l'avenir. Une deuxième option consisterait, en plus de ce qui se fait aujourd'hui en orbite basse, à envoyer un astronaute européen sur la Lune. Cela pourrait se faire grâce au programme d'alunisseur européen EL3, celui que Spartan Space a montré dans sa présentation. Cet alunisseur peut emporter une charge utile de plus de 1,5 tonne. Ce fret pourrait être utilisé pour des échanges avec des pays tiers, par exemple pour alimenter la station américaine ou une mission de radioastronomie sur la Lune, en échange de quoi nous pourrions faire voler une astronaute ou un astronaute européen sur un lanceur d'un pays tiers. Enfin, à condition que plusieurs pays européens soient intéressés au même moment, nous pourrions imaginer que l'Europe ait l'ambition de se doter de moyens propres pour le vol habité ; si cette ambition politique se manifestait, l'industrie spatiale française répondrait présente, ayant des compétences et des technologies très pertinentes.
En matière de constellation, Airbus a gagné l'appel d'offres mondial lancé par OneWeb et a développé les premiers satellites ainsi que la chaîne d'assemblage final. C'est un atout que d'avoir en France des industriels, de grands maîtres d'œuvre, des équipementiers qui ont réalisé ce type d'objet. Cela nous positionne bien sur les futures constellations commerciales et la constellation USC – j'espère que le nom va changer – de l'Union européenne. Notre principal message est qu'il faut décider rapidement de lancer cette méga-constellation en orbite basse. Pourquoi ? Il n'y aura pas beaucoup de constellations de ce type. Si nous tardons trop, l'utilisation et la coordination du spectre radiofréquence deviendront un casse-tête insoluble. La coordination de OneWeb et de la constellation de SpaceX a été très compliquée. Il ne faut donc pas traîner. S'il y a des couches disponibles en orbite moyenne ou en orbite géostationnaire, nous saurons faire. Nous saurons trouver les fréquences et les positions orbitales. Sur ce plan, nous ne sommes pas vraiment inquiets. Mais il faut lancer très rapidement la méga-constellation européenne en orbite basse pour être dans la course.
En matière d'observation de la Terre, des acteurs historiques deviennent aussi des acteurs du New space, Airbus ayant totalement autofinancé sa constellation très haute résolution Pléiades Neo avec un cloud. Ce programme a eu beaucoup de succès et a créé de nouveaux modes de consommation de la géo-information. Airbus offre en propre un certain nombre de services à forte valeur ajoutée qui ont demandé beaucoup d'investissements, inscrits dans la durée. Nous travaillons avec des start-up. Nous donnons accès à notre cloud, à des images gratuitement, notamment dans le cadre des boosteurs du COSPACE qui visent à accélérer le développement des applications. Nous sommes aussi engagés dans un partenariat public-privé avec le CNES pour le développement d'une constellation très haute résolution intitulée CO3D et pour développer des services de cartographie avec différents types d'applications.
Pour conclure, nous sommes encore une fois à la croisée des chemins avec ce conseil ministériel de l'ESA, avec la décision imminente, je l'espère, sur le futur système de connectivité souverain de l'Union Européenne, dans un environnement qui est extrêmement perturbé par le dérèglement climatique, la crise sanitaire, la guerre à nos portes en Europe et l'inflation. Il faut tirer les leçons de tout ceci. Je crois que l'espace va apporter des solutions uniques, dont l'Europe et la France en particulier doivent tirer parti.
Merci à tous pour toutes ces présentations très riches et très intéressantes. Je vous propose d'aborder l'échange sous forme de questions en trois temps. Je vais d'abord vous poser un certain nombre de questions. Suivra une deuxième vague de questions de la part de mes collègues sénateurs et députés. Nous finirons par les questions des internautes. Nous allons faire les choses de manière relativement vivante.
Un groupe de travail sur le vol habité a récemment été mis en place par l'ESA pour définir une feuille de route et des recommandations sur le futur vol habité européen. Nous aimerions connaître vos attentes vis-à-vis de ce groupe de travail.
Selon vous, quel avenir se dessine pour l'industrie des lanceurs ? Notamment, pensez-vous que l'ESA devra avoir un rôle d'arbitre pour apaiser la concurrence entre les différents pays européens sur le sujet ? C'est un sujet que nous avions déjà abordé il y a trois ans, mais qui reste, je pense, d'actualité.
Je m'interroge beaucoup sur la problématique des débris et cette forme de pollution spatiale que l'on peut voir apparaître. Quelle est votre vision du sujet ? D'après vous, comment doit-on s'en emparer et quelles sont les pistes pour avancer clairement dans les années qui viennent ? Je pense que cela va devenir un sujet de plus en plus important.
L'organisation européenne telle qu'elle existe aujourd'hui vous semble-t-elle viable – ce mot n'est peut-être pas le meilleur, disons donc « bien adaptée » ? Les rôles sont-ils bien définis entre l'ESA, la Commission européenne, les gouvernements des pays membres, les agences spatiales nationales ?
Pensez-vous que le conflit avec la Russie va changer la donne sur l'échiquier spatial ? Si oui, dans quel sens ?
Nous auditionnerons le directeur général de l'ESA début décembre, conjointement avec la Commission des affaires européennes. Quelles sont les questions que nous devrions aborder avec lui ?
Ce sont des questions très directes. D'avance, merci à tous pour vos réponses.
Les questions que vous posez balaient des champs très larges. Sur le vol habité, la commission qui s'est mise en place sous l'égide de l'ESA répond à une demande du Président de la République. Lors du sommet spatial de Toulouse, il a clairement rouvert cette question. L'Europe, jusqu'à maintenant, a fait le choix de ne pas investir directement dans les vols habités, réserve faite de diverses coopérations spatiales avec l'agence spatiale russe Roscosmos dans un premier temps, puis avec nos amis américains aujourd'hui. Des partenariats se nouent, mais l'Europe n'a pas aujourd'hui la capacité, ni en termes de lanceur, ni en termes de station spatiale, d'avoir des astronautes qui seraient indépendants.
La question doit être posée et abordée sous des angles multiples. Quel est l'intérêt scientifique d'avoir des astronautes aujourd'hui ? Quel modèle économique pouvons-nous envisager ? Nous voyons de nombreuses entreprises aujourd'hui qui se positionnent sur le sujet, aussi bien des fournisseurs de technologies que des entreprises qui souhaitent faire de la R&D sur des matériaux ou de la recherche médicale. Des secteurs s'intéressent de plus en plus à ces questions et voudraient pouvoir réaliser des manipulations en microgravité.
C'est aussi une question de rayonnement européen. Peut-on concevoir une Europe du spatial demain sans capacité de faire accéder ses astronautes à des moyens liés aux vols habités ? Je rappelle que nos amis américains sont autonomes et se dirigent aujourd'hui très clairement vers une multiplicité de stations spatiales en orbite basse privée, ainsi que vers des programmes lunaires et martiens très ambitieux. Les Chinois ont évidemment des capacités d'accès et une station spatiale. Les Russes ont la volonté de continuer. Les Indiens ont un programme qui va se concrétiser l'année prochaine avec l'envol d'un premier astronaute indien sur un lanceur indien et dans une capsule indienne. Nous voyons bien la multiplicité de projets aujourd'hui. La question est simplement : peut-on imaginer demain une Europe sans un tel positionnement ?
La situation aujourd'hui est, je crois, très différente de celle d'il y a 20 ans. Par exemple, le coût d'une station spatiale européenne se chiffrerait à quelques milliards d'euros. C'est beaucoup d'argent, mais c'est envisageable à l'échelle européenne. Il y a 20 ans, une station spatiale internationale coûtait 100 milliards de dollars. Ainsi, ce qui était inenvisageable il y a 20 ans est peut-être envisageable aujourd'hui. Ce sont toutes ces questions que doit aborder ce groupe de haut niveau. Il doit éclairer justement les politiques, puisqu'à la fin, c'est bien une décision politique dont nous avons besoin.
Toutes les capacités techniques sont présentes en Europe pour faire du vol habité, pour avoir une station spatiale. Nous savons faire. Ce n'est pas une question technique. La question est : y a-t-il une volonté politique de le faire et quels sont les enjeux économiques, quels sont les intérêts ?
Je ne vais pas répondre à toutes les questions, mais au moins à celle portant sur l'organisation européenne du spatial au travers du rôle de l'Union, celui de l'ESA et des différentes agences. C'est une gouvernance qui est peut-être un peu complexe, où l'on voit beaucoup de recoupements, mais qui est en pleine évolution, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, de nouveaux acteurs émergent, donc de nouvelles questions se posent en permanence ; ensuite l'Union a pleinement conscience du fait que le secteur spatial est un enjeu majeur pour l'Europe et veut donc y prendre toute sa part.
Pour parler de manière un peu simple et pour ne pas éluder les sujets compliqués, il existe des difficultés consubstantielles de notre organisation. Les périmètres de l'ESA et de l'Union ne sont pas les mêmes, ce qui induit un certain nombre de difficultés mécaniques de fonctionnement. Parfois, l'Union va vouloir faire des programmes réservés à ses membres, ce qui me semble absolument légitime. Le cadre de l'ESA n'est pas immédiatement adapté à cette démarche et il faut donc mener un travail institutionnel qui n'est pas sans difficulté.
De même, il me semble important que l'ESA évolue pour tenir compte de l'arrivée des nouveaux acteurs et soutenir le nouvel écosystème du New space plus fortement qu'elle ne le fait aujourd'hui. Une autre difficulté est un point de friction qui existe depuis très longtemps entre la France et plusieurs de nos partenaires, à savoir la question du retour géographique. C'est un mécanisme consubstantiel à la plupart des programmes de l'ESA, consistant à dire que chaque euro mis par chaque État participant à un programme ESA doit revenir au pays dans l'organisation industrielle de ce programme. C'est un outil extraordinaire pour faire émerger de nouveaux entrants. Vous avez vu la carte : de très nombreux pays ont pu développer ainsi des programmes spatiaux. Pour le dire simplement, vous faites un chèque à l'ESA de 50 millions d'euros, et vous êtes sûr qu'au bout de quelques années, vous avez 50 millions d'euros de dépenses industrielles en retour sur votre territoire. C'est très favorable.
Un côté plus complexe, moins enthousiasmant, est le fait que quand on doit monter des programmes industriels compétitifs, avec des coûts bas, le principe du retour géographique n'est pas le moyen le plus simple pour faire des programmes peu chers. En effet, il doit être organisé entre divers centres de production répartis dans toute l'Europe, donc des sous-traitants avec lesquels vous êtes quasi obligatoirement lié compte tenu des contributions géographiques des différents États. C'est une rigidité extrêmement forte. Or nous entrons dans une économie du secteur spatial beaucoup plus concurrentielle qu'elle ne l'était précédemment.
Le principe du retour géographique ne pose aucune difficulté en matière de programmes scientifiques, comme l'observation de la Terre, ou tout ce qui se situe sur le segment amont. Dès que l'on entre sur des marchés concurrentiels, comme les télécoms ou les lanceurs, il crée des difficultés et je pense qu'il faudrait le rénover. Ce que je dis là n'est malheureusement pas totalement partagé par tous nos partenaires européens, ce qui nous laisse le temps de discuter encore un peu.
La question du vol habité est géopolitique. Dans un proche avenir, les Américains, les Chinois, les Russes et bientôt les Indiens seront autonomes en matière de vol habité. Ceci pose clairement une question sur la place de l'Europe. D'un point de vue purement industriel, nous avons participé à la plupart des grands programmes d'exploration et de vol avec toutes les technologies en Europe, que ce soit Thales Alenia Space, Airbus ou ArianeGroup, ou dans l'ESM, module de service européen du vaisseau Orion qui va participer à la mission Artemis. Néanmoins, au vu des investissements qui vont être mis en place par les autres pays, il faut continuer à développer les technologies et à progresser sur le plan industriel, au risque d'un décrochage. C'est très important.
Je souhaite également insister sur un autre aspect. Nous assistons en ce moment à une guerre des compétences dans le monde, en particulier autour des projets spatiaux. Le vol habité suscite une part de rêve extrêmement importante. Il n'est qu'à voir l'audience dont dispose Thomas Pesquet. Si nous voulons attirer nos jeunes ingénieurs, les garder dans l'industrie française plutôt que les voir émigrer dans des pays qui leur proposeraient des projets plus attractifs, je pense que le vol habité est certainement un projet à considérer pour l'Europe.
En matière de gouvernance européenne, la fragmentation des budgets et la fragmentation des initiatives créent un contexte un peu compliqué. Il est clair que, pour nous, industriels, une gouvernance plus simple nous faciliterait la vie.
Pour compléter ce que disait M. Baptiste à propos de la concurrence sur les lanceurs, la réforme du geo-return est un vrai sujet. Ne pas pouvoir remettre en compétition les contributeurs à un programme de production de série est une réelle difficulté. D'ores et déjà, un certain nombre de fournisseurs d'Ariane 6 augmentent leurs prix pour faire face à l'augmentation des prix de l'énergie, des matières premières et de la main-d'œuvre. Cela pose un vrai problème de compétitivité potentiellement sur le marché mondial.
La réforme n'est pas simple. Quand nous disons cela, on nous répond : « Vous, ArianeGroup, vous êtes protégés, vous n'êtes pas mis en concurrence pour le développement et la fabrication d'Ariane. » C'est certes vrai. Nous pourrions dire : comment cette gouvernance pourrait-elle évoluer ? Il n'est pas simple d'envisager une gouvernance de type américain, c'est-à-dire fondée sur l'achat de services et non sur l'achat du développement de lanceurs, ce qui est le cas encore du programme Ariane 6, même s'il y a eu une contribution industrielle. La demande européenne institutionnelle de services de lancement n'est pas suffisante pour assurer la pérennité et la soutenabilité d'un tel système de lancement. Les États-Unis en ont deux et en soutiennent deux, celui de United Launch Alliance et celui de SpaceX.
En effet, lors des derniers appels d'offres, notamment du ministère de la Défense, une recommandation du Government Accountability Office (GAO – équivalent américain de la Cour des comptes) était : « N'en sélectionnez que deux, parce que vous n'aurez pas les moyens d'en sélectionner et d'en soutenir plus. » Les budgets sont cinq fois plus élevés aux États-Unis et la demande de services de lancement est au moins dix fois plus élevée qu'elle ne l'est en Europe. Cela pose la question du modèle que nous allons adopter. Je n'ai pas la réponse. Mais il est certain que, si nous voulons rester concurrentiels sur le marché mondial, il faut que nous réformions ce système.
Sur le sujet de la gouvernance, ou de l'organisation européenne, un des points importants, vu d'un acteur industriel, est l'accès à un marché consolidé. C'est un élément déterminant de notre compétitivité. Nous avons deux moteurs de compétitivité : la R&D et l'innovation, et l'accès à un marché public ou institutionnel suffisamment important pour pouvoir lancer des programmes d'ampleur. Ce dernier point est un élément structurel de la compétitivité de l'industrie européenne, qui a la particularité d'être exposée à un marché export important, pour plus de 50 % de son chiffre d'affaires. Aussi, dans cette gouvernance, le point clé est la capacité de l'Europe à lancer de grands programmes ambitieux et à avoir l'organisation et la gouvernance qui le permettent.
Le niveau européen est indispensable. Nous n'aurions pas pu réaliser les grands programmes Copernicus et Galileo à l'échelle d'une nation. Ce sont des programmes qui nécessitent une ambition européenne. L'arrivée prochaine d'une troisième composante, USC, composante de connectivité, ne sera elle aussi possible qu'avec une dimension européenne. J'insiste sur le besoin d'avoir à la fois ce marché non fragmenté, ce marché consolidé qui ouvre la capacité de lancer des grands programmes et l'innovation au travers de la R&D, qui est indispensable pour notre compétitivité.
La maîtrise des débris est un élément clé de la soutenabilité de la filière spatiale. Si nous n'arrivons pas à gérer les débris et, d'une manière plus générale, à gérer la maîtrise de l'espace, c'est tout notre avenir qui est en jeu. La France a pris beaucoup d'avance dans ce domaine avec la loi sur les opérations spatiales (LOS) qui impose une démarche responsable pour la fin de vie des satellites. Nous pouvons proposer aux autres nations spatiales d'avoir une approche identique à la LOS, ou en tout cas en synergie avec ce que fait la France.
Il faut aussi parler de la capacité à identifier ces débris– c'est la Space Situational Awareness (SSA) – et de tout ce qu'il faut mettre en place en termes d'infrastructures, aussi bien à terre qu'en orbite, pour identifier les débris et pouvoir les maîtriser dans un second temps.
J'aimerais revenir sur les vols habités. Hier, j'ai eu le plaisir de présenter notre projet Euro-Hab à un groupe de conseillers, au Centre européen des astronautes de Cologne. Il était d'ailleurs intéressant de parler avec les personnels de ce centre, qui est aujourd'hui très orienté vers les opérations de la station spatiale internationale. Beaucoup de monde se demande ce qui va venir après.
Certes, il y a Gateway, mais au niveau des opérations lunaires, des missions Artemis, ce n'est pas très clair. C'est peut-être quelque chose sur lequel il faut travailler, donner une ligne claire. Qu'est-ce que l'Europe veut faire sur la Lune ? Comme cela a été dit, aujourd'hui nos astronautes rêvent d'y aller. Il faut être très clair. Si l'on ne prend pas rapidement des décisions, ils vont continuer à rêver et nous allons regarder les autres marcher sur la Lune. L'Europe doit avoir un rôle significatif dans cette course, car c'est de nouveau une course. On peut l'appeler comme on veut, mais c'est bien une course entre les Américains et les Chinois. Je pense que nous devrions faire porter nos efforts du côté américain. En effet, si l'Europe n'a aucune activité en surface lunaire, nous serons en dehors du jeu. Nous serons simplement spectateurs de toutes ces opérations.
C'est un sujet important. S'agissant de la position des start-up, je crois qu'il y a une volonté de contribuer pleinement à l'effort européen.
Nous voulons être des champions environnementaux. Nous avons toujours des solutions duales où l'environnement est important. Il est clair que si nous choisissons de laisser des satellites pourrir en orbite, nous ne sommes pas très crédibles. Le syndrome de Kessler, bien connu, décrit un scénario dans lequel on laisse des satellites opérer dans un environnement spatial de plus en plus pollué jusqu'au moment critique où la densité de débris devient telle que tout explose et où l'espace devient inhabitable pour tout le monde. C'est le scénario catastrophe.
Nous avons parlé de la LOS en France. Elle impose de sortir des orbites utiles tout satellite en fin de vie et de le détruire dans l'atmosphère. Cette obligation est très claire depuis le début pour chacun d'entre nous. En 2027, environ 140 satellites seront en orbite. J'ai fait le calcul : pour une orbite à une altitude de 500 kilomètres, il faut se représenter une sphère dont la surface fait 3 millions de kilomètres carrés, soit environ un tiers de l'Europe. Si nous sommes intelligents, il y aura encore de la place en orbite basse. Si nous sommes responsables, il y aura encore un espace pour travailler.
Je me bats un peu pour les start-up. Pour être compétitifs et avancer, les Américains ont choisi d'associer les start-up. Le CNES a fait des pas importants dans ce sens. Or, si la connexion entre le CNES et l'ESA est réelle, il faut, je crois, que l'ESA puisse aussi avancer. Cela fait deux ans que nous travaillons pour l' European Innovation Council (EIC), et nous n'avons encore rien alors que tout autour, l'environnement bouge très vite ; c'est compliqué. Peu de start-up peuvent investir en Europe. Les décisions doivent être plus rapides. Encore plus qu'en France, il existe une déconnexion liée à la durée des processus.
Merci, Messieurs, pour vos présentations. Je vais faire un petit rappel. Il y a dix ans, l'Office a remis un rapport, à l'époque où nous devions faire le choix entre Ariane 5 et Ariane 6. Nous y évoquions déjà le problème – je vois certains hocher la tête – des débris spatiaux, des fusées réutilisables, des constellations en orbite basse et des difficultés de gouvernance. Je vois que les mêmes sujets sont toujours sur la table. Des avancées ont eu lieu, mais elles sont lentes.
Je ne suis pas là pour parler du passé, mais du futur. J'ai trois ou quatre questions assez courtes. On parle de gouvernance et d'objectifs européens. Pensez-vous que ceci soit possible avec deux contributeurs majeurs, la France et l'Allemagne, dont le second fait de plus en plus cavalier seul, y compris en matière de politique spatiale, en évoquant des pas de tir en mer du Nord, alors que, jusqu'à présent, le centre spatial de Kourou n'était pas remis en cause ?
Nous avons évoqué les débris, ce qui me mène à une deuxième question. Aucun d'entre vous n'a parlé du terrorisme spatial, en l'occurrence des menaces récentes formulées par la Russie. Je parle aux grandes agences plus qu'aux start-up. Réfléchit-on déjà à la manière de protéger nos satellites actuels ou en projet de ce risque que l'on n'évoquait pas jusqu'à présent ?
Ma troisième question s'adresse surtout aux deux premières start-up, donc à M. Weiss et M. Piepsz. Lorsque vous concevez ces projets passionnants, vous interrogez-vous sur le type de lanceur dont vous aurez besoin ? Pour l'instant, nous attendons Ariane 6, mais prévoit-on déjà l'avenir en matière de lanceur ? Nous avons « conçu » Ariane 6 il y a environ dix ans. Déjà, nous ne le concevions pas par rapport à tous ces projets de constellations qui fleurissent. Savez-vous comment pourraient être lancés vos projets dans l'espace ?
Merci, Monsieur le président et Monsieur le rapporteur, pour l'organisation de cette audition vraiment passionnante. Je suis frappée par la quasi-unanimité des intervenants sur l'idée que c'est avec une vision politique à long terme, garantie par des financements pérennes, portée par une organisation institutionnelle solide et par le marché consolidé que vous évoquez que nous pouvons devenir leaders du secteur. Évidemment, ce qui vaut pour le spatial vaut pour tout autre sujet, en particulier la lutte contre le dérèglement climatique et les politiques agricoles. Je retiendrai donc votre leçon en la matière pour m'en servir dans d'autres lieux. J'ajoute, en tant qu'élue, la question du contrôle démocratique sur les choix qui sont faits, qui me paraît extrêmement importante.
Par rapport à ces choix, je ne vais pas être très originale en revenant sur la question des vols habités. J'ai entendu plusieurs propos. Certains ont souligné, et je le reprends avec humour, les vieux rêves d'enfants (et celui du Président) et la conservation des talents. Des choix ont été faits, notamment par les États-Unis et l'Inde. Ces choix ont été certainement liés à des décisions qui ne relèvent pas que de ces déterminants, ni même de la concurrence. Ce n'est pas parce que l'un le fait que nous sommes obligés de le faire. Vous vous posez des questions, mais il me semble que, dans ce débat, il manque les réponses que vous pourriez apporter.
Mis à part les deux moteurs que je viens d'évoquer, pourquoi serions-nous obligés de faire du vol habité ? Est-ce juste pour la course avec d'autres puissances ? Mais en quoi la France et l'Europe auraient-elles intérêt à entrer dans cette course plutôt que d'investir d'autres thèmes, comme l'observation de la Terre, l'orbite basse, la météorologie ou l'observation de l'activité humaine proposée par la start-up que vous avez présentée ? Un choix stratégique est à faire. Nous ne pouvons pas tout financer. En l'occurrence, le vol habité apporterait-il véritablement à l'Europe quelque chose de bien particulier que je n'ai pas saisi dans vos interventions ?
Sur la question des débris, nous n'avons pas su anticiper, comme c'est le cas chaque fois que l'humanité déploie des activités, sur la Terre comme dans l'espace. Maintenant, il faut corriger, nettoyer. Y aurait-il une filière industrielle de recherche que nous pourrions investir non pas pour éviter les débris, mais les récupérer ?
S'agissant de la recherche, que pensez-vous du dispositif français du crédit impôt recherche (CIR) auquel vous devez certainement avoir recours ? Paraît-il véritablement correspondre aux ambitions que nous pouvons nourrir, tant en termes de montants que de procédure ? Je m'adresse ici plus particulièrement aux start-up.
Ma dernière question s'adresse surtout à Monsieur Wagner. Vous avez parlé de l'urgence à lancer des constellations en orbite basse. Je n'ai pas bien saisi à quel niveau se situe cette urgence. Pourriez-vous nous le préciser ?
Merci au président et au rapporteur pour la qualité de cette audition publique. Le petit croquis de M. Wagner était bien informatif et j'espère que cela va déclencher un gros chèque. Après, on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Quand on consolide l'ensemble des budgets européens, on est quasiment au niveau de la Chine. Nous avons bien compris que la conférence ministérielle du mois de novembre est au cœur de vos préoccupations. Ce qui est important pour nous sur l'aspect économique – et Victor Habert-Dassault est d'accord avec moi – est que ces investissements se traduisent par beaucoup de sous-traitance sur nos territoires. Le spatial, c'est aussi de l'emploi dans nos régions.
J'ai surtout deux questions. J'ai entendu que nous allions auditionner le directeur général de l'ESA, ce qui est une excellente chose. Je reviens donc sur sa déclaration du 19 octobre dernier selon laquelle, du fait du retard d'Ariane 6, il veut faire appel à SpaceX. J'ai entendu cette saine concurrence entre l'Europe et les États-Unis, entre autres, faute de lanceurs européens disponibles. Pensez-vous que le retard d'Ariane 6 profite directement à SpaceX ? Que pensez-vous de cet impact et – pour revenir sur les propos de ma collègue – de cette course effrénée ? Ce retard et ce recours à SpaceX sont-ils temporaires ? Pour combien de temps ? Pour quelle raison ceci nous nuit-il ? Au-delà d'être les premiers, quels sont les impacts économiques – ou autres – de ce retard et du recours à SpaceX ?
Un petit mot sur l'Allemagne et les pays européens. Il est toujours difficile de coopérer, de se mettre d'accord avec certains pays, et en particulier, dans la période actuelle, avec l'Allemagne. C'est néanmoins indispensable, puisque la France et l'Allemagne représentent ensemble parfois plus de 66 % des contributions à un projet européen. En un sens, c'est bien d'avoir des partenaires ambitieux. Chacun a évidemment ses intérêts nationaux, mais il est très important d'arriver à trouver des points de convergence, des sujets d'intérêts communs.
Je vais prendre l'exemple du projet Metop-SG, un projet de météo opérationnelle à basse altitude qui va permettre d'améliorer les prévisions météorologiques. La France et l'Allemagne s'étaient mises d'accord préalablement sur le fait qu'elles feraient une contribution à parité en se répartissant l'activité de façon intelligente (les instruments optiques en France et les instruments radars en Allemagne) et en couvrant chacune de l'ordre de 30 % du coût de Metop-SG. Finalement, il y a eu un énorme effet de levier pour ces pays, qui disposent de tous les résultats en matière météo sans avoir dépensé plus de 30 %. C'est l'idéal.
Le pire est quand l'Allemagne et la France ne se mettent pas d'accord, que l'on fait de la surenchère, qu'au dernier moment l'un d'eux sort un gros chèque pour essayer de passer devant l'autre. Finalement, les programmes sont sursouscrits à l'ESA. Cela génère du gaspillage budgétaire alors qu'on aurait pu essayer, dans la mesure du possible, de se mettre d'accord et de bien répartir nos budgets sur les bons programmes. Il est toujours difficile de se mettre d'accord, mais quand on y arrive, je pense que l'on emmène toute l'Europe avec nous, et c'est très important.
J'aimerais revenir sur la question relative au sens des vols habités. J'ai plusieurs réponses. La première est que l'Europe est le continent des explorateurs. Si, dans le passé, les nations européennes avaient dit que l'exploration n'était pas leur objectif, quel serait l'état du monde aujourd'hui ? Il y a aussi des enjeux technologiques. On me dit très souvent : « Vous êtes en train de construire des habitats pour le spatial, pour la Lune ou pour Mars plus tard. C'est pour fuir la Terre ? » Ce n'est pas du tout ça.
Les technologies que nous sommes en train de développer peuvent revenir sur Terre et doivent y revenir. Je parle de gestion énergétique, de recyclage, de réduction chimique du CO2. Ce sont des technologies qui aujourd'hui peuvent nous aider à faire face aux défis que nous rencontrons aussi sur Terre.
C'est une motivation qui pousse à aller plus loin, à affronter cet environnement extrême. Faire vivre dans cet environnement extrême fait prospérer les technologies.
La troisième réponse est l'emploi. Mon entreprise est dépendante de l'exploration. Je ne suis pas tout seul, de nombreuses autres personnes travaillent dans ce domaine. Bien sûr, on peut dire qu'on va tout plier et faire autre chose. Aujourd'hui, très souvent, notamment en Europe, et je ne sais pas pourquoi, on a un peu le sentiment que l'espace est la cour de récréation des esprits téméraires. Cependant, il faut prendre en compte le business que ceci génère et les aspects sécuritaires sous-jacents. Dire que nous n'allons pas faire de l'exploration serait, je pense, un choix très dangereux.
Je vais revenir très rapidement sur le vol habité. Je pense que cela ne va pas de soi mais que c'est une question légitime. Pendant les deux dernières décennies, la question ne se posait pas compte tenu des budgets dont nous étions en train de parler. Donc il n'y a pas eu de débat. La seule chose que je dis, et je pense que c'est vraiment la responsabilité de l'agence, est qu'aujourd'hui la situation a changé. Faire une station spatiale européenne est à portée de main, est techniquement faisable. Voulons-nous le faire ou pas ? Ne demandez pas à une agence spatiale son opinion, parce que, forcément, nous allons vous dire que nous voulons y aller. En prenant un pas de recul, c'est vraiment une question politique, que nous pouvons éclairer. Des arguments peuvent d'abord être scientifiques.
Quand on parle de vol habité, il s'agit évidemment d'aller sur la Lune, vers Mars. Peut-être un tout petit peu plus modestement, il y a aussi l'orbite basse. Je rappelle juste que la Station spatiale internationale arrivera en fin de vie dans dix ans. Cela veut dire que si nous voulons faire voler des astronautes européens, faire des manipulations scientifiques européennes, demain, il faudra faire un chèque à des entreprises privées américaines pour pouvoir faire travailler nos astronautes. Le vol habité, c'est donc pour la science, pour la technologie, pour la R&D. C'est aussi une question de business. En effet, un business se construit autour de cela. Ce sont également des questions de géopolitique, de volonté de puissance des différents continents. Voulons-nous aller dans cette direction ou pas ? Ce n'est pas à nous, agence spatiale ou industriels, de le décider. C'est à la représentation nationale, à l'exécutif, à l'ensemble des Européens de travailler sur le sujet.
Je crois qu'il y a aussi un devoir d'exemplarité. Quand on regarde le rôle de Thomas Pesquet aujourd'hui, je pense que c'est un vecteur (qu'ont peut-être été Claudie Haigneré et quelques autres grands astronautes) d'attraction pour tous les jeunes vers la science et la technologie. Il porte un discours extrêmement écouté sur la fragilité de la Terre, sur le fait qu'il faut la préserver. Il faut regarder les choses de manière holistique. Sur cette question, nous avons un biais. Ce serait mentir que dire le contraire. Mais c'est aux politiques de se saisir du sujet. Je crois que c'est cela, l'enjeu. C'est pour cette raison que, dans le groupe de haut niveau qui a été mentionné, nous avons nous-mêmes plaidé pour qu'il n'inclue pas d'agences. C'est l'ESA qui l'abrite, mais ce groupe de haut niveau ne compte que des scientifiques qui ne sont pas du domaine du spatial, mais aussi un philosophe, un artiste, des économistes et d'anciens ministres. L'idée est de « décaler » un peu le sujet et de ne pas laisser la parole aux techniciens, qui forcément plaideront pour plus de technique – que nous le voulions ou non, c'est notre ADN.
Je voudrais réagir sur les relations entre France, Allemagne et Italie. Pour ces trois grands pays du spatial, la période actuelle n'est pas facile. Beaucoup de tensions – il suffit de lire la presse, je ne trahis aucun secret – sont focalisées autour de la question des lanceurs. Le spatial, ce sont les lanceurs, c'est une station spatiale. Mais on ne l'a peut-être pas assez dit, le spatial, c'est principalement de la science, de l'observation de la Terre, des sciences de l'Univers, des télécoms pour la compréhension du monde et de l'univers dans lequel nous vivons, la compréhension du climat, et pour la vie quotidienne de nos concitoyens – les télécoms permettent de communiquer et Galileo permet de se positionner. Ce sont donc aussi des services qui sont apportés aux citoyens. Le spatial, c'est ceci avant tout.
Pourquoi la tension entre les trois grands pays du spatial européen se focalise-t-elle aujourd'hui sur la question des lanceurs ? La réponse est simple. Quand tout va bien, tout va bien. Quand on est un peu en difficulté parce qu'on est en retard sur Ariane 6, cela réveille probablement un certain nombre de passions coupables. Cela crée donc un peu de tensions autour de la question des lanceurs. J'ai confiance dans le fait que nous allons réussir à faire un premier lancement d'ici la fin de l'année 2023. Mais Ariane 6 est un peu en retard. Cela met l'Europe en situation de fragilité car elle n'a pas assez de lanceurs disponibles aujourd'hui. Elle est obligée de recourir à des lanceurs tiers, possiblement SpaceX, mais peut être nos amis japonais ou nos amis indiens, qui ont aussi de petites disponibilités.
Il est absolument essentiel de réussir l'Europe des lanceurs. Nous avons besoin d'un lanceur indépendant. Relisons l'histoire. Pourquoi avons-nous construit une filière de lanceurs ? Parce que, quand nous avons voulu lancer un satellite de télécom, il y a plusieurs décennies de cela, nos amis et partenaires américains ont refusé, au motif que cela ne leur convenait pas. C'est pour cela que nous avons voulu développer un accès autonome à l'espace. Il est essentiel de continuer. Aujourd'hui la tension entre la France, l'Allemagne et l'Italie se concentre sur les lanceurs, notamment les petits lanceurs. De nombreux projets de petits lanceurs sont très soutenus par leurs gouvernements. C'est le cas en Allemagne, mais aussi dans d'autres pays. Petit lanceur deviendra grand. Il s'agit de savoir comment se construira l'avenir d'Ariane 6 et c'est ce qui explique les tensions industrielles et les tensions techniques. Je dis les choses de manière transparente.
Je réagis aux questions posées aux start-up sur les lanceurs et sur leur relation avec les grandes maisons. Il est évident que nous discutons très tôt des lanceurs, avec les personnels d'Arianespace. Je vous parlais de 140 satellites à l'horizon 2027. C'est beaucoup. Nous sommes tout petits, mais nous espérons pouvoir devenir un grand client d'ArianeGroup. Pour le moment, en raison de la crise actuelle, le premier satellite partira en octobre 2023 des États-Unis, parce qu'il n'y a pas de solution de rechange.
Nous attendons avec impatience Ariane 6 et Vega. C'est très important. Il y a des différences de prix importantes quand on est dans le segment purement commercial. Les Américains arrivent à offrir des solutions moins chères, il faut le dire. Mais notre mot-clé est la souveraineté. Si nous ne sommes pas capables d'envoyer de manière souveraine nos constellations dans l'espace, ce n'est pas une solution souveraine. Il est donc important d'être proche du lanceur européen. C'est la première chose.
En dix ans, la French Tech est passée d'une promesse à une réalité ambitieuse. Le CIR est un outil qui a vraiment aidé à cela. Pour nous, c'est une source de financement qui compte. J'ai fait le calcul. Cela nous donne deux mois de survie. Grâce au CIR, nous vivons deux mois de plus, ce qui n'est pas rien quand on sait que notre start-up progresse selon une logique de trois mois en trois mois.
Je dois quand même réagir quant au combat sur l'espace. Il y a l'espace lointain, l'exploration, et l'espace en général. J'ai toujours constaté qu'un franc investi dans le spatial génère beaucoup d'argent en retour. C'est donc un très bon investissement économique, par ailleurs assorti d'emplois à haute valeur ajoutée. Surtout, les progrès que l'on développe dans l'espace reviennent sur la Terre.
Par exemple, j'étais au Massachussets Institute of Technology (MIT) quand j'ai vu le premier ordinateur. Il a été développé pour que Neil Armstrong réussisse l'atterrissage d'Eagle sur la Lune. C'est là que ceci a été inventé et il y a quand même eu des impacts majeurs sur Terre. On pourrait parler du Scratch, du Fly-by-Wire, de l'IRM. Tout ce qui est développé dans l'espace constitue l'un des grands vecteurs de progrès et de mieux vivre sur la Terre.
Il faut encore répondre à la question sur le terrorisme spatial. Ensuite, nous prendrons quelques questions des internautes. Nous nous sommes engagés à vous en poser
Je vais essayer de répondre à deux questions. La première, sur la coopération européenne, et je vais abonder ce que vient de dire M. Philippe Baptiste. Aujourd'hui la coopération européenne dans le domaine du spatial fonctionne très bien. Je vais donner quelques exemples pour illustrer la puissance du niveau européen. Tout à l'heure, je l'ai présentée en termes d'agrégation de marchés permettant de lancer des projets ambitieux, comme aujourd'hui, Galileo. Airbus et Thales, sont les deux primes de la deuxième génération des satellites Galileo, qui va être fabriquée au travers d'une coopération européenne : le footprint, ou l'ensemble de la supply chain, est européen et cela fonctionne très bien.
Nous sommes par ailleurs en train de déployer le système opérationnel de navigation européen Galileo, qui est extrêmement efficient. Regardons simplement le budget consacré à ce programme et comparons-le à ce que font les Américains. Notre système est extrêmement efficient. Le système de mission est installé en France, à Toulouse, où l'on maîtrise l'ensemble de la mission Galileo. Tout cela se fait aussi dans le cadre d'une coopération européenne, qui fonctionne très bien.
Je prends un deuxième exemple, Copernicus, toujours au niveau européen. C'est le programme qui nous permet aujourd'hui de maîtriser une grande partie des éléments nécessaires à la modélisation du climat et de l'environnement. Lui aussi résulte de coopérations avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. C'est une coopération concrète qui permet à l'Europe d'être aujourd'hui leader mondial dans les domaines de l'observation de la Terre et de la maîtrise des données spatiales pour la compréhension du climat et de l'environnement.
Pour donner un dernier exemple, je vais revenir sur le marché commercial des télécoms, où la coopération européenne marche aussi très bien. L'Europe est leader mondial dans les télécoms grâce à des produits compétitifs sur le marché commercial. Nous gagnons des compétitions en Indonésie, aux États-Unis, partout dans le monde. Cette compétitivité est en partie le résultat de la coopération européenne. Certains équipements sont réalisés en Belgique, en Espagne et c'est nous, maîtres d'œuvre, intégrateurs, qui réalisons le satellite et l'intégrons en France. Quand il est compétitif, nous vendons ce satellite partout dans le monde. La coopération européenne fonctionne bien et elle est même indispensable à notre avenir.
Je reviens sur le terrorisme spatial. Comment protéger nos satellites ? L'Europe doit se donner les moyens d'agir. Pour éviter le terrorisme, il faut que nous agissions sur les plans réglementaires, politiques et opérationnels. Nous devons nous donner les moyens souverains de protéger nos satellites. Le programme ARES, lancé par le ministère des Armées, est une composante importante de la protection de nos actifs spatiaux et il donne à la France un certain leadership au niveau européen. Mais il nous faut aussi savoir établir la « situation de terrain » dans l'espace. Il s'agit de la capacité à comprendre ce qui se passe en orbite et d'agir en orbite. C'est ce qui va permettre d'éviter toute tentative de terrorisme spatial.
Enfin, il faut aussi prendre des initiatives réglementaires dans un cadre multilatéral, notamment dans le domaine du trafic spatial (space traffic management), et ne pas laisser ce rôle aux autres puissances spatiales qui risquent d'imposer des contraintes incompatibles avec notre souveraineté. Là aussi, il faut agir directement sur la réglementation, sur le space traffic management. C'est aussi un élément de souveraineté et de puissance industrielle. En effet, ces réglementations internationales peuvent jouer un rôle clé dans la compétitivité des solutions qui vont être proposées.
Je réponds sur la constellation souveraine. L'Union européenne a des centres répartis sur l'ensemble du globe et a donc besoin de communications sécurisées, souveraines, résilientes, capables de résister aux cyber-attaques et aux écoutes. Une constellation en orbite basse amène une couverture mondiale à faible latence et résiliente, et permettrait d'ajouter des charges utiles de renforcement de Galileo avec une couverture mondiale : LEO PNT, détection de brouilleurs, etc. C'est pour cela que nous poussons en priorité la solution orbite basse. Il y aura des problèmes de coordination de fréquences si nous n'agissons pas assez vite. Nous avons des fréquences un peu réservées, comme la bande K militaire, mais d'autres bandes de fréquences existent, comme les bandes Q/V, pour lesquelles il y a un risque d'interférences.
Dans le système de l'Union internationale des télécommunications (ITU), qui régule l'utilisation des fréquences, le premier arrivé est le premier servi. Ensuite, il faut gérer les problèmes d'interférence avec l'ensemble des pays du globe. C'est extrêmement complexe. Plus on arrive tard, plus il est difficile, voire impossible, de se coordonner sur les fréquences. C'est pour cette raison que l'on dit qu'il faut lancer rapidement la constellation en orbite basse. Les satellites orbite moyenne (MEO) et orbite géostationnaire (GEO) posent moins de problèmes car il y a plus de solutions en termes de fréquences et de positions orbitales.
Je vous propose de passer à quelques questions posées par les internautes. Certains points ont peut-être déjà été partiellement abordés.
En 2019, Berlin avait augmenté au tout dernier moment sa contribution au budget programmatique de l'ESA, passant loin devant Paris. Résultat, ses industriels ont obtenu beaucoup plus de maîtrise d'œuvre, sur des projets satellitaires notamment. Le retour d'expérience a-t-il été fait en France ?
Comment Paris va-t-il se positionner dans le cadre de la hausse du budget (plus de 18 milliards d'euros) ? La France va-t-elle laisser complètement les clés de l'ESA à l'Allemagne, qui n'a jamais fait mystère de vouloir prendre le leadership européen dans le spatial ?
La France oriente souvent sa contribution sur des programmes lanceurs, délaissant un peu les programmes satellitaires, sources d'innovation technologique utiles pour Airbus et Thales pour qu'ils restent dans la compétition mondiale. Quelle est la stratégie française en la matière ?
Le Président de la République a souhaité que l'Europe se lance dans l'exploration spatiale. Or l'Europe n'a eu jusqu'ici que l'ambition de prendre des tickets sur de tels projets, comme on le voit sur Artemis. Faut-il selon vous que la France pousse l'Europe à participer à cette course à l'exploration spatiale ?
D'avance merci pour vos réponses aux questions des internautes.
Sur le sujet de la conférence ministérielle, j'ai rappelé le chiffre dans mon propos liminaire. La Première ministre a annoncé un budget national de 9 milliards d'euros sur les trois prochaines années pour le spatial. C'est ce montant qui est important. Il marque l'ambition spatiale française pour les trois prochaines années. On pourrait se dire que ce n'est pas assez, qu'il faudrait se mettre à la hauteur des États-Unis – je signerais alors immédiatement. Mais c'est un effort considérable de l'État, qui montre bien que le spatial est un sujet central pour le gouvernement.
Quels sont les vecteurs ? L'ESA est l'un des vecteurs par lequel nous allons mobiliser ce budget. Mais c'est un vecteur parmi d'autres. Je rappelle que ce n'est pas l'ESA qui fixe elle-même son propre budget. Elle fait une proposition et une demande, et les États contribuent. À la fin, le budget est fixé par la somme des contributions des États sur les différents programmes. Ce sont bien les États qui ont la main sur les priorités et sur les budgets exécutés par l'ESA.
Je suis assez convaincu que nous aurons une bonne contribution. Par contre, je suis aussi profondément convaincu que cette contribution ne sera pas le résultat d'une course à l'échalote avec l'Allemagne, qui n'a aucun intérêt. Le but n'est pas de savoir si la France va mettre plus ou moins que l'Allemagne à l'ESA. Ce n'est vraiment pas le sujet. Nous avons une ambition globale très forte, 9 milliards d'euros sur trois ans. Aucun autre pays en Europe n'a d'ambitions comparables. La question est : comment maximiser l'effet levier de cet investissement ? Et on regarde sujet par sujet. Si nous mettons plus que l'Allemagne, tant mieux. Si nous mettons moins, tant pis. Ce n'est pas simplement une course à l'échalote. C'est plutôt une course à l'efficience de la dépense publique en se demandant où maximiser l'effet de ces dépenses publiques.
En matière d'ambition européenne, comme l'a dit M. Philippe Baptiste, je pense qu'il faut surtout rechercher la complémentarité. Elle existe au travers de l'ESA pour ce qui est des différents pays européens, ce qui permet de réaliser au niveau européen des programmes qu'aucun des pays pris isolément ne peut se payer tout seul.
Le rapport entre programmes de lanceur et programmes de satellites ne doit pas du tout être posé en termes de compétition. Si l'Europe a réussi à développer les plus grands opérateurs de satellites de communication au monde et deux champions, en particulier français, comme constructeurs de satellites, c'est grâce à la capacité à déployer de façon autonome et compétitive des infrastructures spatiales. Il n'y aurait pas de satellites sans accès à l'espace, et il n'y aurait pas d'accès à l'espace si nous n'en avions pas besoin. Je crois qu'il ne faut pas opposer les deux, mais trouver le bon équilibre. Il est évident qu'aujourd'hui, il y a une difficulté du côté des lanceurs, que nous devons surmonter. Celle-ci est liée à l'arrêt de Soyouz, au retard d'Ariane 6 et à la compétition américaine qui crée de forts déséquilibres.
Il faut parvenir à trouver le bon équilibre pour aller de l'avant et nourrir nos ambitions avec un accès, et même un transport spatial autonome en Europe. Ceci peut également apporter des réponses aux futures problématiques des débris : il va falloir que nous rendions des services en orbite, pas seulement aller vers un point dans l'espace mais déplacer des satellites, ramasser les débris, etc. Toutes ces solutions sont complémentaires pour continuer à développer notre présence dans l'espace.
Je lance un appel aux jeunes qui nous écoutent, et en particulier aux jeunes femmes. Malheureusement, les industries spatiales n'accueillent que 20 % de femmes environ, et nous le voyons, même moins de 20 % à cette table ronde. Il faut absolument que celles-ci viennent travailler dans l'industrie spatiale. Nous avons de très beaux défis à leur faire relever, sur le dérèglement climatique, la connectivité et la mobilité. Venez travailler ! Nous avons vraiment de beaux challenges à vous offrir et des coopérations internationales absolument incroyables. Venez avec nous chercher les ondes gravitationnelles, trouver des exoplanètes. Nous avons des choses formidables à vous faire faire. Regardez du côté spatial !
Je tiens à vous remercier, simplement, directement, pour l'ensemble de vos interventions. Ce n'est pas évident, mais il faut vraiment insister sur la qualité de ces échanges et la passion que vous avez transmise. Vous avez aussi raison de lancer cet appel à la jeunesse, jeunes filles comme jeunes hommes. Il est vrai que le spatial fait rêver. Nous avons parlé du rôle d'explorateur de l'Europe. Le spatial est évidemment un vecteur fondamental de ces explorations.
Cette audition publique a permis de nous éclairer sur les enjeux du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne des 22 et 23 novembre prochains. Par les thèmes que nous avons abordés, nous avons maintenant une meilleure vision de la politique spatiale française et de ses perspectives à court et long terme. Nous avons aussi pu mesurer combien l'ambition est forte autour de cette conférence ministérielle. Je le dis très sincèrement, que ce soit au CNES, aux grands groupes et aux start-up – qui représentaient la myriade d'autres start-up acteurs du spatial), nous sommes très fiers de vous avoir reçus ce matin. Nous sentons qu'à travers vous, la France occupe une place de leader en Europe qu'il faut conforter, en cohérence avec les engagements gouvernementaux qui ont été exprimés par la Première ministre en septembre dernier.
Je vais maintenant préparer pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques une synthèse de cette matinée très riche, ainsi que des conclusions. Je présenterai l'ensemble devant l'Office dans deux semaines, l'idée étant de diffuser ensuite notre rapport à l'ensemble du Parlement. Je fais déjà le rêve que les 900 sénateurs et députés lisent ces travaux. Ainsi, la représentation nationale sera pleinement éclairée sur les enjeux de cette conférence ministérielle.
À mon tour, je remercie l'ensemble des invités qui nous ont permis d'éclairer nos débats. Je remercie également le rapporteur pour avoir élargi le panel des intervenants à de nouveaux acteurs, ici les start-up du spatial. Je pense que c'est une méthode que l'Office devra prolonger, pour mettre autour de la table, dans une mise en perspective, non seulement les acteurs « historiques » mais aussi de nouveaux arrivants, et notamment des start-up. C'est ainsi que l'Office pourra avoir une vision et des perspectives ancrées vers l'avenir lointain et vers l'avenir proche. C'est un enjeu évident pour le sujet de cette matinée, ce conseil ministériel de l'ESA qui est essentiel pour notre pays.
Nos travaux ont montré un enjeu de souveraineté qui est extrêmement important. Il est bon de rappeler que la souveraineté au niveau national passe par la coopération européenne. Le conseil ministériel de l'ESA est donc fondamental pour notre souveraineté nationale. C'est important de le rappeler, dans un contexte où la défiance européenne est assez présente, et de plus en plus au Parlement. Vous, acteurs du quotidien, êtes finalement les témoins de ces enjeux majeurs et de ce que nous avons à bâtir dans cette perspective.
Cela a été dit à plusieurs reprises, le défi qu'il nous faut relever s'étend aussi à l'attractivité, notamment par le renouvellement des générations, avec un volet humain qui a un impact économique très fort. Quand je parle de renouvellement des générations, j'entends le fait de pouvoir attirer encore plus des jeunes hommes et surtout des jeunes femmes dans le secteur spatial. Ce défi doit mobiliser l'Office, mais aussi les commissions des affaires culturelles et de l'éducation. Nous le voyons bien, si nous n'arrivons pas à être attractifs dans le secteur spatial, nous nous exposons à une perte de souveraineté.
À ce titre, je tiens à saluer la nomination très récente de l'ancien président de l'Office, Cédric Villani, comme conseiller scientifique d'un organisme qui promeut la place des femmes dans la science. Il est important que nous ayons tous cet état d'esprit, cette perspective, d'autant que l'Office pourrait être amené à se pencher sur la place des femmes dans les sciences et les technologies – plusieurs collègues l'ont demandé. Je me réjouis donc que vous ayez eu, Messieurs les intervenants, un mot pour elles ce matin, car l'avenir de la science se construit au pluriel, avec les hommes et les femmes qui continueront à œuvrer à ses progrès. Un grand merci à vous.
La réunion est close à 12 h 10.
Membres présents ou excusés
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Réunion du jeudi 3 novembre 2022 à 9 h 30
Députés
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Philippe Bolo, M. Jean-Luc Fugit, M. Victor Habert-Dassault, M. Pierre Henriet, M. Yannick Neuder
Excusé. - M. Moetai Brotherson
Sénateurs
Présents. - Mme Sonia de la Provôté, Mme Catherine Procaccia
Excusés. - M. André Guiol, M. Olivier Henno, Mme Annick Jacquemet, M. Gérard Longuet, Mme Michelle Meunier, Mme Angèle Préville