Intervention de Riadh Cammoun

Réunion du jeudi 3 novembre 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Riadh Cammoun, vice-président des affaires institutionnelles de Thales Alenia Space :

Monsieur le rapporteur, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les élus, merci de permettre à Thales Alenia Space de témoigner aujourd'hui sur les enjeux de la prochaine session ministérielle de l'ESA, ce mois de novembre. Avant d'aborder les priorités telles que nous, industries satellitaires, les voyons à cette conférence ministérielle, je voudrais revenir sur le contexte actuel de transformation de notre filière, un contexte paradoxal que je voulais partager avec vous.

L'industrie spatiale française des satellites est un des leaders mondiaux, notamment grâce à une très bonne coordination des investissements de R&D et d'innovation avec le CNES et l'ESA, et nos autorités qui soutiennent cette politique d'innovation. Ceci nous a permis, dans le temps et dans la continuité, de bâtir ce leadership. C'est grâce à cette vision et cet engagement de long terme qu'aujourd'hui nous sommes présents sur tous les marchés export et que 50 % de notre chiffre d'affaires est fait tant sur les marchés export européens commerciaux que sur les marchés du grand export. Ceci doit être comparé à nos concurrents américains, qui ont un marché institutionnel protégé pour plus de 90 % de leur chiffre d'affaires. Voilà aujourd'hui la situation, un positionnement fort, que je vais illustrer par des exemples.

Avec Copernicus, l'industrie française est très présente sur l'observation de la Terre. Sur la navigation, avec les programmes Galileo et Egnos, la position française est très forte. Vous l'avez dit en introduction, elle l'est aussi sur l'exploration.

Une autre dimension importante est le positionnement dans le domaine des satellites télécoms. C'est un domaine hautement compétitif, où l'industrie française est aujourd'hui leader mondial. Nous avons gagné la plus importante des compétitions, grâce à l'innovation et à notre compétitivité. C'est aujourd'hui le principal moteur de notre rayonnement à l'export. Encore une fois, ce succès vient de la co-construction de modèles d'innovation avec le CNES et l'ESA. C'est ce qui a permis à notre industrie satellitaire d'avoir les deux maîtres d'œuvre mondiaux dans ce domaine, avec un exemple d'innovation de rupture.

Nous avons inventé en Europe les satellites software defined, c'est-à-dire complètement digitaux. Nous avons développé l'ensemble des technologies nécessaires en Europe. Elles sont disponibles en Europe, sur les marchés export et les marchés commerciaux. Aujourd'hui, l'industrie française est de loin le numéro 1 mondial. Grâce à cette vision commune avec le CNES, nous avons aussi bâti une stratégie d'innovation, par exemple autour de Neosat, de la propulsion électrique. C'est ce qui permet à notre industrie d'être leader.

Mais cette industrie vit aussi un moment important, une révolution avec des vents contraires et une situation économique critique.

Le premier élément de cette révolution est une compétition mondiale exacerbée. Nous sommes confrontés à cette compétition tous les jours sur les marchés export. Le retour des États-Unis sur le marché télécom, par exemple, est de plus en plus compétitif, avec des soutiens massifs du ministère américain de la défense, comme sur les programmes SDA ou Blackjack.

Deuxième point, dont on ne parle peut-être pas assez, l'accélération historique des cycles d'innovation est un élément déterminant pour notre modèle économique. On n'a jamais vu une telle accélération de la R&D et de l'innovation dans nos domaines, qui crée un besoin d'investissement massif en R&D et des difficultés à dégager suffisamment d'autofinancement sur ce marché très concurrentiel.

Enfin, les conséquences des crises Covid successives, puis la crise ukrainienne, se traduisent par des pertes de marchés export, comme le marché russe, qui est important pour nous, des tensions sur l'approvisionnement, notamment des composants, et l'inflation qui touche l'ensemble de l'industrie, dont la supply chain.

Dans ce contexte, vous comprenez l'importance vitale de la prochaine conférence ministérielle et des investissements institutionnels pour soutenir notre filière. La session ministérielle est primordiale pour accélérer notre innovation, garder notre leadership et nos emplois de haute qualification en France.

Je voulais aussi saluer le travail qu'a fait le COSPACE pour préparer cette session ministérielle. Durant toute l'année 2022, ce comité de filière a travaillé avec le CNES et l'administration pour bâtir le programme de la prochaine ministérielle, faire remonter les priorités et les besoins, éclairer les décisions publiques par le vécu du terrain, ce que nous vivons sur le marché export. Nous avons bâti en commun trois grandes priorités, grâce à une vision consolidée de la filière :

1) sécuriser le socle des programmes déjà lancés. En exploration, nous avons beaucoup parlé de I-Hab, mais il y a aussi le développement d'ESPRIT. Peut-être n'est-ce pas assez su, mais aujourd'hui l'Europe est l'acteur principal de la Gateway lunaire développée dans le cadre d'Artemis. Nous sommes aussi leader sur le volet observation de la Terre avec le développement des six nouveaux satellites de la flotte Copernicus et les Sentinelle de nouvelle génération ;

2) soutenir les programmes de compétitivité, c'est-à-dire les programmes récurrents de l'ESA, comme les programmes ARTES dans les télécoms ;

3) permettre à la France et à son industrie de participer aux futurs programmes de l'ESA. Je citerai le LEO PNT, qui vise à augmenter et améliorer le signal Galileo, ou la constellation européenne promue par le commissaire Thierry Breton pour développer une infrastructure européenne souveraine.

Les arbitrages sont en cours. La France est un contributeur essentiel à l'ESA. Nous avons vraiment besoin de cette contribution et de ce couplage entre le volet européen et le volet national pour permettre à l'industrie satellitaire française de garder son leadership.

En conclusion, je vais apporter un bref éclairage sur trois sujets, qui ouvriront sûrement le débat par la suite. Le premier est la place de l'Europe sur le marché des constellations et la régulation. L'industrie française doit être fière de ce qu'elle a réalisé dans le domaine des constellations, notamment pour les télécom, puisque les principales constellations mondiales ont été réalisées par l'industrie française (Globalstar, O3B, Iridium, Telesat, OneWeb). Cela montre le dynamisme et le bon positionnement de l'industrie et traduit une avance technologique, qu'il va falloir transformer en business. En effet, aujourd'hui, des milliardaires aux poches extrêmement profondes abordent ce marché d'une manière totalement différente, avec de nouveaux modèles économiques complètement verticalisés, comme ceux de Kuiper et Starlink, .

Mais ce développement est indispensable. Nous savons que nous avons besoin de ce type d'infrastructure. J'ai parlé tout à l'heure d'USC, la constellation européenne de connectivité qui sera une infrastructure majeure pour l'Europe, en tout cas une infrastructure de souveraineté. Tout cela pose aussi des questions sur la maîtrise de l'espace. Il faut faire de l'espace un milieu au développement soutenable. La prolifération des satellites en orbite autour de la Terre pose un certain nombre de questions, et l'Europe doit se donner les moyens d'agir sur les plans réglementaire, politique et opérationnel pour défendre ces actifs, qui sont aujourd'hui critiques pour la vie du citoyen.

Le deuxième sujet concerne l'observation de la Terre et les applications associées. Copernicus y tient une place majeure, mais il en est de même pour d'autres problématiques, comme la météo. C'est l'une des applications les plus importantes que nous développons en France, un domaine d'excellence scientifique et industrielle. Le premier satellite de la troisième génération de météorologie, le MTG, qu'a construit Thales Alenia Space, va être lancé d'ici la fin de l'année. Il soutient un vaste développement autour du climat, mais aussi des applications environnementales. Là aussi, la prochaine session ministérielle devrait faire preuve, dans le domaine de l'observation, d'une certaine continuité pour soutenir les programmes déjà lancés. Il faudra également soutenir la préparation du futur avec le grand programme Future EO.

Enfin, je veux évoquer l'exploration, notamment l'exploration habitée. L'Europe est un acteur majeur de l'exploration. Je rappelle les programmes ExoMars et Mars Sample Return, le module cargo Cygnus, la Gateway lunaire, dont les trois principaux modules sont développés en Europe, ainsi que des systèmes très avancés comme le Space Rider, avec les technologies de réentrée. En ce domaine, la poursuite de la coopération sur Artemis entre la France et les États-Unis et entre l'ESA et la NASA est essentielle.

Ceci va aussi ouvrir à l'industrie européenne l'accès au New space dans le domaine de l'exploration. Je rappelle que Thales Alenia Space a remporté les premiers contrats dans ce domaine. En effet, nous allons fournir un des modules d'Axiom, une start-up américaine qui développe une station orbitale en orbite basse. Cela va permettre de construire les éléments clés de ce que pourrait être l'exploration habitée dans un second temps. Mais la première étape est vraiment de permettre à l'industrie européenne, et à l'Europe, dans le cadre du partenariat avec Artemis et la NASA, de développer toutes les technologies clés, pour envoyer aussi bien du fret que des astronautes en orbite basse ou autour de la Lune et de Mars.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion