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Intervention de Philippe Baptiste

Réunion du jeudi 3 novembre 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Philippe Baptiste, président du Centre national d'études spatiales (CNES) :

L'invitation de l'Office est particulièrement importante pour nous et pour l'ensemble de la communauté spatiale, au moment où nous préparons les grandes lignes de la contribution française à l'ESA et la structuration du travail de l'ESA pour les trois prochaines années. L'ESA réalise les programmes décidés par son conseil, où siègent les ministres ou les représentants permanents des États membres. La session ministérielle est un moment vraiment important. En effet, elle marque les ambitions de tous les États membres et permet de voir, sur les différents sujets, qui va prendre le leadership sur tel ou tel programme.

Aujourd'hui, les États-Unis dépensent pour le spatial environ 50 milliards de dollars par an, en comptant les activités civiles, les activités militaires, ainsi qu'une partie des investissements privés. Au dernier conseil ministériel de l'ESA, en 2019, à Séville, le budget a amené une souscription des États membres de 14,5 milliards d'euros pour trois ans. Il est important de garder en tête ces deux montants pour tenir compte du fait que les budgets dont nous parlons sont très différents. Il ne s'agit pas d'être dans une posture misérabiliste. Ce n'est absolument pas le sujet. L'Europe est aujourd'hui une grande puissance spatiale. Mais fondamentalement, du fait de ce décalage budgétaire, les priorités et les moyens d'action que nous nous donnons sont aussi différents.

Ce différentiel a toujours existé. L'Europe, l'ESA et les différents États membres ont toujours été extrêmement attentifs à avoir une stratégie différenciée en choisissant des sujets sur lesquels nous sommes en mesure d'investir, sans pour autant vouloir systématiquement couvrir l'ensemble des domaines du spatial. Nous sommes bien dans cette stratégie aujourd'hui. Cependant, la dynamique d'investissement mondial autour du spatial est extrêmement forte chez les différents acteurs. L'ambition est donc forte elle aussi autour de cette session ministérielle. L'ESA vise une souscription de 18 milliards d'euros, ce qui est beaucoup et sans doute un peu ambitieux.

Lors du Congrès international d'astronautique qui a eu lieu il y a quelques semaines à Paris et qui a réuni 9 000 personnes, la Première ministre a annoncé un budget total pour le spatial de l'ordre de 9 milliards d'euros pour les trois prochaines années, une augmentation très significative par rapport au budget triennal précédent. C'est la marque d'une forte ambition pour la France et, indirectement, pour l'Europe.

Je voudrais aussi rappeler l'architecture globale. Nous ne sommes pas en train de dire qu'il y aura 9 milliards d'euros dans les trois prochaines années pour l'ESA. En effet, la France a une spécificité dans le concert européen spatial, une capacité d'action autonome assez importante, que vous avez rappelée dans vos propos liminaires. À peu près 50 % du spatial européen – si je caricature à grands traits – est en France, qui dispose aussi d'une agence ayant d'importantes capacités techniques, ce qui n'est pas forcément le cas de tous nos partenaires européens. Il y a toujours eu un équilibre, un choix entre des budgets affectés à l'ESA et des budgets affectés à des programmes multilatéraux entre la France et d'autres partenaires, pas nécessairement européens, et en tout premier lieu avec la NASA, l'agence spatiale américaine. Nous avons un très grand nombre de partenariats avec les États-Unis. Il y a donc un équilibre entre la contribution française à l'ESA et les contributions françaises à des programmes multilatéraux, au travers du CNES et du programme France 2030.

Un ensemble d'outils sont aujourd'hui disponibles. Au-delà de l'ambition budgétaire posée par le gouvernement, il faut regarder pour chaque sujet le meilleur moyen de dépenser l'argent national. Quel sera le meilleur effet de levier ? Dans quel cadre va-t-on agir pour maximiser les retours pour la France et pour l'Europe ?

La préparation de la conférence ministérielle bat son plein. Cela fait des mois que nous travaillons, au sein de l'ESA, à la préparation des différentes résolutions, des différents programmes qui vont être décidés. À côté de cela, un travail national se fait conjointement entre l'État et les industriels au sein du Comité de concertation entre l'État et l'industrie dans le domaine spatial (COSPACE), mais aussi avec la communauté scientifique. Je rappelle que les scientifiques sont nos « grands clients » du spatial. Je veux parler des scientifiques travaillant aussi bien sur l'exploration, les sciences de l'univers que sur l'observation de la Terre, qui sont des sujets absolument majeurs pour les questions de climat. Quelques jours nous séparent désormais de la conférence ministérielle. Le plus gros du travail a été fait, mais un certain nombre d'interactions restent à mener.

Je ne suis pas en mesure d'estimer ce que pourraient être les contributions françaises, mais il me semble qu'aujourd'hui nous sommes dans une dynamique très positive, notamment grâce au montant annoncé par la Première ministre, qui permettra non seulement d'assurer une bonne contribution française à l'ESA mais aussi de relancer un certain nombre de projets multilatéraux avec les États-Unis, l'Inde et nos grands partenaires internationaux ; ces projets sont absolument cruciaux et sont très fortement attendus par la communauté scientifique nationale.

Parmi les grands enjeux programmatiques aujourd'hui sur la table, nous comptons la question des lanceurs, qui a été abordée dans vos propos liminaires. La précédente conférence ministérielle a vu la contribution française connaître un pic sur les lanceurs, ce qui correspondait à un besoin de financement très élevé autour d'Ariane 6. L'enveloppe budgétaire avec laquelle nous travaillons étant contrainte, un certain nombre d'autres budgets ont été assez fortement comprimés, en particulier ceux des programmes d'observation de la Terre.

La conférence ministérielle qui s'annonce sera probablement le moment d'un rééquilibrage, avec des besoins de financement relatifs aux lanceurs qui sont sans doute un peu moindres – même si Ariane 6 n'a pas encore volé, nous sommes aujourd'hui en fin de développement. Nous aurons ainsi la capacité de réorienter une partie importante des financements vers des questions cruciales pour nos concitoyens et qui correspondent à des besoins des scientifiques travaillant autour de ces enjeux fondamentaux que sont le climat et l'observation de la Terre.

Pour conclure mon propos liminaire, je voudrais insister sur le fait qu'un de nos très grands enjeux aujourd'hui est le développement du New space. On voit apparaître de très nombreux nouveaux projets d'acteurs qui ne sont pas des acteurs traditionnels du spatial. Il ne s'agit pas du tout d'abandonner nos grands champions. La France a la chance d'avoir les trois grands prime européens, qui ont une très forte empreinte nationale : Airbus, Thales et ArianeGroup. Notre idée n'est pas du tout d'arrêter de les soutenir ou de travailler avec eux.

Mais nous considérons qu'il y a des opportunités absolument incroyables pour les entrepreneurs qui sont aujourd'hui massivement présents dans le spatial et qui sont aussi là, autour de la table. Il est essentiel d'arriver à les soutenir et à les faire participer à nos petits et à nos grands programmes de demain. C'est un objectif majeur, que ce soit au travers des financements nationaux du CNES ou au travers de l'ESA, en mobilisant France 2030 qui est tout à fait propre à cela. Je vous remercie.

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