Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les sénateurs, chers collègues, le graphique présenté sur les écrans, réalisé par Euroconsult, dit toute l'histoire. On y voit les financements massifs, civils et militaires, des États-Unis. Ce n'est pas pour créer une opposition avec les États-Unis, mais c'est un fait : ce pays mène une politique de space dominance. On y voit aussi les pays européens (en rouge), avec l'addition de leur contribution nationale et à l'Agence spatiale européenne.
Napoléon avait raison, un bon croquis vaut mieux qu'un long discours. Pierre Dac a même ajouté qu'un petit croquis en disait plus long qu'un grand discours, mais moins qu'un gros chèque, et c'est bien la question. Voulons-nous, en Europe, faire un gros chèque ensemble et réaliser de grands projets ? Parce que les grands projets se réalisent à l'échelle européenne. Je pense à Ariane, Galileo, Copernicus, notre système de météo, qui sont des projets de classe mondiale parce que nous avons fédéré nos efforts. Ou voulons-nous faire des petits chèques ? C'est malheureusement un risque. C'est une tendance que nous observons avec les difficultés intra-européennes. Voulons-nous fédérer un effort européen ou rester fragmentés, devenir sous-critiques et perdre notre avantage ? Le conseil de l'ESA, réuni au niveau ministériel, a précisément pour objectif de fédérer les ambitions, de mutualiser les efforts, même si ce n'est jamais facile, et de renforcer le leadership mondial de l'Europe dans de nombreux domaines.
En France, comme cela a été dit, nous travaillons ensemble. Il y a une préparation conjointe de la session ministérielle par les tutelles, le CNES, la DGA, la DGRI, les entreprises du secteur et les organismes de recherche. Le but est d'identifier collectivement les priorités et de construire ensemble un scénario financier. Pour donner un exemple de mission qui pourrait être décidée à la session ministérielle, je vais citer Aeolus 2. Aeolus 1 est une mission qui a été réalisée pour le compte de l'ESA par Airbus, lancée en 2018. Comme son nom le donne à penser, Aeolus permet de mesurer la vitesse du vent : des profils de vent sont réalisés dans l'épaisseur de l'atmosphère grâce à un laser Doppler. C'est une technologie extrêmement pointue, maîtrisée par la France. La mission a fourni des cartes dynamiques qui ont suscité l'enthousiasme de la communauté des météorologues.
Nous espérons donc que lors de la session ministérielle sera décidée la suite de ce programme, la mission Aeolus 2, sous leadership français. Aeolus 2 aura une utilité sociétale importante, puisque cette mission permettra d'améliorer les prévisions météorologiques et de prendre en compte des événements climatiques très violents. On ne doute pas qu'il y aura ensuite des récurrences de cette mission Aeolus 2, qui sera pilotée par Eumetsat. Un effet de levier sur l'investissement consenti est donc quasi certain.
Pour parler brièvement du vol habité, notre niveau d'engagement peut prendre différentes formes. Une première option consiste à continuer ce que nous faisons aujourd'hui en utilisant les moyens de pays tiers. L'avènement possible de stations commerciales en orbite basse va probablement changer la donne et la façon dont ce type de mission sera réalisé à l'avenir. Une deuxième option consisterait, en plus de ce qui se fait aujourd'hui en orbite basse, à envoyer un astronaute européen sur la Lune. Cela pourrait se faire grâce au programme d'alunisseur européen EL3, celui que Spartan Space a montré dans sa présentation. Cet alunisseur peut emporter une charge utile de plus de 1,5 tonne. Ce fret pourrait être utilisé pour des échanges avec des pays tiers, par exemple pour alimenter la station américaine ou une mission de radioastronomie sur la Lune, en échange de quoi nous pourrions faire voler une astronaute ou un astronaute européen sur un lanceur d'un pays tiers. Enfin, à condition que plusieurs pays européens soient intéressés au même moment, nous pourrions imaginer que l'Europe ait l'ambition de se doter de moyens propres pour le vol habité ; si cette ambition politique se manifestait, l'industrie spatiale française répondrait présente, ayant des compétences et des technologies très pertinentes.
En matière de constellation, Airbus a gagné l'appel d'offres mondial lancé par OneWeb et a développé les premiers satellites ainsi que la chaîne d'assemblage final. C'est un atout que d'avoir en France des industriels, de grands maîtres d'œuvre, des équipementiers qui ont réalisé ce type d'objet. Cela nous positionne bien sur les futures constellations commerciales et la constellation USC – j'espère que le nom va changer – de l'Union européenne. Notre principal message est qu'il faut décider rapidement de lancer cette méga-constellation en orbite basse. Pourquoi ? Il n'y aura pas beaucoup de constellations de ce type. Si nous tardons trop, l'utilisation et la coordination du spectre radiofréquence deviendront un casse-tête insoluble. La coordination de OneWeb et de la constellation de SpaceX a été très compliquée. Il ne faut donc pas traîner. S'il y a des couches disponibles en orbite moyenne ou en orbite géostationnaire, nous saurons faire. Nous saurons trouver les fréquences et les positions orbitales. Sur ce plan, nous ne sommes pas vraiment inquiets. Mais il faut lancer très rapidement la méga-constellation européenne en orbite basse pour être dans la course.
En matière d'observation de la Terre, des acteurs historiques deviennent aussi des acteurs du New space, Airbus ayant totalement autofinancé sa constellation très haute résolution Pléiades Neo avec un cloud. Ce programme a eu beaucoup de succès et a créé de nouveaux modes de consommation de la géo-information. Airbus offre en propre un certain nombre de services à forte valeur ajoutée qui ont demandé beaucoup d'investissements, inscrits dans la durée. Nous travaillons avec des start-up. Nous donnons accès à notre cloud, à des images gratuitement, notamment dans le cadre des boosteurs du COSPACE qui visent à accélérer le développement des applications. Nous sommes aussi engagés dans un partenariat public-privé avec le CNES pour le développement d'une constellation très haute résolution intitulée CO3D et pour développer des services de cartographie avec différents types d'applications.
Pour conclure, nous sommes encore une fois à la croisée des chemins avec ce conseil ministériel de l'ESA, avec la décision imminente, je l'espère, sur le futur système de connectivité souverain de l'Union Européenne, dans un environnement qui est extrêmement perturbé par le dérèglement climatique, la crise sanitaire, la guerre à nos portes en Europe et l'inflation. Il faut tirer les leçons de tout ceci. Je crois que l'espace va apporter des solutions uniques, dont l'Europe et la France en particulier doivent tirer parti.