Intervention de André-Hubert ROUSSEL

Réunion du jeudi 3 novembre 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

André-Hubert ROUSSEL :

La question du vol habité est géopolitique. Dans un proche avenir, les Américains, les Chinois, les Russes et bientôt les Indiens seront autonomes en matière de vol habité. Ceci pose clairement une question sur la place de l'Europe. D'un point de vue purement industriel, nous avons participé à la plupart des grands programmes d'exploration et de vol avec toutes les technologies en Europe, que ce soit Thales Alenia Space, Airbus ou ArianeGroup, ou dans l'ESM, module de service européen du vaisseau Orion qui va participer à la mission Artemis. Néanmoins, au vu des investissements qui vont être mis en place par les autres pays, il faut continuer à développer les technologies et à progresser sur le plan industriel, au risque d'un décrochage. C'est très important.

Je souhaite également insister sur un autre aspect. Nous assistons en ce moment à une guerre des compétences dans le monde, en particulier autour des projets spatiaux. Le vol habité suscite une part de rêve extrêmement importante. Il n'est qu'à voir l'audience dont dispose Thomas Pesquet. Si nous voulons attirer nos jeunes ingénieurs, les garder dans l'industrie française plutôt que les voir émigrer dans des pays qui leur proposeraient des projets plus attractifs, je pense que le vol habité est certainement un projet à considérer pour l'Europe.

En matière de gouvernance européenne, la fragmentation des budgets et la fragmentation des initiatives créent un contexte un peu compliqué. Il est clair que, pour nous, industriels, une gouvernance plus simple nous faciliterait la vie.

Pour compléter ce que disait M. Baptiste à propos de la concurrence sur les lanceurs, la réforme du geo-return est un vrai sujet. Ne pas pouvoir remettre en compétition les contributeurs à un programme de production de série est une réelle difficulté. D'ores et déjà, un certain nombre de fournisseurs d'Ariane 6 augmentent leurs prix pour faire face à l'augmentation des prix de l'énergie, des matières premières et de la main-d'œuvre. Cela pose un vrai problème de compétitivité potentiellement sur le marché mondial.

La réforme n'est pas simple. Quand nous disons cela, on nous répond : « Vous, ArianeGroup, vous êtes protégés, vous n'êtes pas mis en concurrence pour le développement et la fabrication d'Ariane. » C'est certes vrai. Nous pourrions dire : comment cette gouvernance pourrait-elle évoluer ? Il n'est pas simple d'envisager une gouvernance de type américain, c'est-à-dire fondée sur l'achat de services et non sur l'achat du développement de lanceurs, ce qui est le cas encore du programme Ariane 6, même s'il y a eu une contribution industrielle. La demande européenne institutionnelle de services de lancement n'est pas suffisante pour assurer la pérennité et la soutenabilité d'un tel système de lancement. Les États-Unis en ont deux et en soutiennent deux, celui de United Launch Alliance et celui de SpaceX.

En effet, lors des derniers appels d'offres, notamment du ministère de la Défense, une recommandation du Government Accountability Office (GAO – équivalent américain de la Cour des comptes) était : « N'en sélectionnez que deux, parce que vous n'aurez pas les moyens d'en sélectionner et d'en soutenir plus. » Les budgets sont cinq fois plus élevés aux États-Unis et la demande de services de lancement est au moins dix fois plus élevée qu'elle ne l'est en Europe. Cela pose la question du modèle que nous allons adopter. Je n'ai pas la réponse. Mais il est certain que, si nous voulons rester concurrentiels sur le marché mondial, il faut que nous réformions ce système.

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