La réunion

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La commission auditionne Mme Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, ancienne ministre des solidarités et de la cohésion sociale.

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Notre commission d'enquête reçoit notre ancienne collègue, Mme Roselyne Bachelot, au titre de ses fonctions de ministre de la santé entre 2007 et 2010.

L'hôpital public traverse une période extrêmement difficile depuis plusieurs années. Nous devons répondre à l'inquiétude de nombreux compatriotes quant à la possibilité d'être reçus et soignés rapidement et avec un haut niveau de qualité, partout sur notre territoire. Il est également impératif de répondre à l'angoisse, à la fatigue et au sentiment de crise permanente ressentis par nos soignants. La crise actuelle ne se limite pas à une question de moyens financiers, bien que des efforts aient été faits en sortie de covid : elle est multifactorielle, plus complexe, impliquant des problèmes d'organisation du système de soins et des évolutions sociétales.

Pendant des décennies, nous avons formé de moins en moins de soignants, l'organisation de l'hôpital a été transformée, notamment avec l'introduction des trente-cinq heures, et un cloisonnement entre la ville et l'hôpital s'est installé. Parallèlement, les besoins ont évolué : notre population vieillit et présente de plus en plus de maladies chroniques. Les aspirations des soignants ont changé, ceux-ci ne souhaitant plus mener la même vie que leurs aînés. Il est donc essentiel de comprendre et d'analyser ces différents facteurs pour proposer des solutions adaptées.

L'hôpital public n'est pas le seul à être confronté à ces difficultés. Nous analysons donc une situation en prenant en compte l'ensemble du système de soins.

Madame la ministre, votre nom est notamment associé à l'un des textes les plus importants des deux dernières décennies, à savoir la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi « HPST ». Cette loi comprenait un ensemble de mesures sur l'équilibre des pouvoirs au sein de l'hôpital, la création de communautés hospitalières de territoire, la création des agences régionales de santé (ARS) ainsi que la maîtrise de la répartition des médecins sur le territoire.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Mme Roselyne Bachelot prête serment.)

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, ancienne ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Je souhaite débuter par une remarque introductive. Vous m'avez transmis vendredi soir un questionnaire contenant des demandes que je qualifierais d'exorbitantes. Comment pourrais-je en seulement deux jours, sans accès à des archives qui sont évidemment déposées aux Archives nationales, ayant exercé une fonction il y a dix-sept ans, fournir des tableaux des effectifs hospitaliers de 2007 et 2010 ?

Bien que je puisse m'engager dans une recherche administrative approfondie, il existe ici des fonctionnaires extrêmement compétents pour accomplir cette tâche. À 77 ans, j'estime avoir gagné le droit de ne pas m'investir dans ce travail d'archéologie administrative durant le peu de temps qu'il me reste à vivre. Je me concentrerai donc sur les principes et aborderai la politique hospitalière que j'ai menée.

Tout d'abord, j'ai dû gérer des dossiers urgents pour l'hôpital, notamment la rénovation de la filière radiothérapie. À mon arrivée en fonction, j'ai été confrontée à un scandale sanitaire majeur touchant plus de cinq mille personnes sur-irradiées, notamment à l'hôpital d'Épinal. J'ai donc entrepris de faire vérifier l'ensemble des appareils de radiothérapie dans les différentes structures hospitalières et de réformer en profondeur la formation des manipulateurs de radiologie. Cette initiative a inclus la généralisation des accélérateurs linéaires, la refonte des études et l'indemnisation des victimes avant même le début des procédures judiciaires, compte tenu du pronostic tragique des personnes irradiées.

Ensuite, j'ai trouvé des comptes épargne-temps chargés de vingt-trois millions d'heures et j'ai débloqué un crédit exceptionnel de 700 millions d'euros (M€), permettant de purger la moitié des heures stockées à hauteur de 300 euros par jour.

Troisièmement, j'ai mené des actions de fond en matière de santé publique, qui impactent directement le fonctionnement de l'hôpital. La première de ces actions a été le lancement d'un plan « Alzheimer ». Une rénovation du système de santé ne peut être comprise qu'en brisant les cloisonnements qui affectent l'hôpital. Ce plan, qui concernait également la maladie de Parkinson et la sclérose en plaques, a permis l'ouverture de plusieurs établissements spécialisés, tels que les pôles d'activité et de soins adaptés (Pasa) et les unités d'hébergement renforcées (UHR).

Un autre thème d'importance a concerné les soins palliatifs. Ce travail, confié aux docteurs Régis Aubry et Godefroy Hirsch, s'est concrétisé par un plan 2008-2012. Bien que certainement insuffisant, il a permis la création de 800 lits en soins palliatifs, de 15 équipes mobiles, de 15 réseaux de prise en charge, de 16 unités de soins permanents, ainsi que la mise en place d'un Observatoire de la fin de vie. Ce travail initié il y a dix-sept ans résonne encore aujourd'hui avec les débats actuels au Parlement.

La prévention des accidents vasculaires cérébraux (AVC), première cause de handicap chez les adultes, a constitué une troisième action de fond. Le plan AVC lancé en 2010, doté de 134 M€, a permis d'augmenter de 87 à 152 le nombre d'unités neurovasculaires. En effet, la rapidité de la prise en charge est essentielle pour éviter des incapacités permanentes.

Quatrièmement, mon action a concerné des avancées sociales, notamment le passage des infirmières en catégorie A. Cette mesure, à laquelle je tenais particulièrement, s'est accompagnée du passage de l'âge de la retraite de 55 à 60 ans. Toutefois, les infirmières qui souhaitaient conserver l'âge de la retraite à 55 ans pouvaient rester en catégorie B, à condition d'avoir au moins quinze ans d'exercice, ce qui leur permettait de bénéficier à la fois de la retraite à 55 ans et du passage en catégorie A.

Le cinquième point de mon action hospitalière a porté sur l'enseignement et la recherche, avec une attention particulière aux CHU. J'ai œuvré pour la modernisation de la loi Huriet-Sérusclat, notamment en ce qui concerne les recherches non interventionnelles et l'obligation de solliciter l'accord d'un comité de protection des personnes (CPP).

Le sixième point a concerné la prévention et la gestion des risques épidémiques. J'ai eu l'opportunité de participer à la présidence française de l'Union européenne au second semestre 2008. Dès ma prise de fonction, j'ai été préoccupée par la probabilité d'une épidémie à virus respiratoire, malgré l'incrédulité générale. J'ai chargé les hôpitaux de se doter de masques et d'équipements d'oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO, Extracorporeal Membrane Oxygenation ), indispensables pour traiter les malades frappés par l'épidémie de grippe A/H1N1. Durant cette présidence, j'ai invité mes collègues à réaliser un exercice de simulation d'une épidémie à virus respiratoire. Nous étions en juillet 2008 et l'épidémie de virus A/H1N1 a éclaté le 24 avril 2009.

D'autres initiatives ont été mises en place, comme l'enseignement spécifique de la médecine générale et la création de filières universitaires.

Le septième point a trait au plan « Hôpital 2012 », qui a mobilisé, comme son prédécesseur en 2007, 10 milliards d'euros (Md€) d'investissements pour les hôpitaux, tant privés que publics, 90 % des crédits étant alloués aux hôpitaux publics.

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Je vous prie de nous excuser pour le délai d'envoi du questionnaire. Cependant, je relève que les trois ministres auditionnés avant vous ont eu la courtoisie de mener des recherches et de solliciter les informations nécessaires auprès du ministère de la santé. Il est regrettable que vous ne l'ayez pas fait. J'entends vos arguments et le respect dû à votre âge, qui ne peut cependant pas tout excuser.

Vous avez exprimé à plusieurs reprises votre intérêt pour le conventionnement sélectif des médecins. Vous avez mentionné que ce conventionnement avait fonctionné avec les infirmières et que les pharmaciens ne disposent pas de la liberté d'installation. Concernant les médecins, quel type de conventionnement sélectif préconisez-vous ? Pensez-vous que restreindre la liberté d'installation des médecins serait bénéfique, et de quelle manière ?

Cette mesure devrait-elle s'appliquer uniquement à la médecine de ville ou également aux hôpitaux ? Un médecin ou un chirurgien ne devraient-ils pas être dirigés vers les territoires où les hôpitaux sont en déficit de personnel ?

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, ancienne ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Les mesures coercitives et incitatives ont été au cœur des débats de la loi HPST. Les médecins de premier recours, notamment ceux de ville, ont mené un lobbying extrêmement intense contre toute mesure pouvant être perçue comme coercitive. Les syndicats médicaux, sans exception, ont ainsi combattu férocement ces mesures. Dans mon esprit, le conventionnement sélectif ne pouvait être envisagé qu'avec un minimum d'adhésion de la part des médecins, invités à exprimer leur vision lors des négociations avec le ministère, tant pour l'installation que pour la permanence des soins. Cependant, ce projet n'a pas prospéré. Je ne peux estimer la manière dont la situation aurait pu évoluer, car il a également suscité un puissant mouvement de grève des internes, futurs médecins. Le Premier ministre m'a alors invité à renoncer à toute mesure coercitive.

Devant cette commission d'enquête, je tiens à dire toute la vérité : mon départ du ministère de la santé vers le ministère des solidarités m'a été présenté comme une nécessité pour se réconcilier avec les médecins libéraux. Je reste néanmoins convaincue qu'aucune organisation satisfaisante de la médecine de premier recours ne peut se passer d'un minimum d'actions fortement incitatives.

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, ancienne ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Je ne percevais pas du tout cette approche comme applicable à la médecine hospitalière ou aux soins hospitaliers. Ma démarche consistait à promouvoir les communautés hospitalières de territoire. Ces communautés se réunissent pour déterminer la meilleure allocation des ressources, tant sur le plan technique qu'humain.

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Vous avez également tenu les propos suivants : « On m'attribue fréquemment la responsabilité de la tarification à l'activité (T2A), alors que je ne l'ai pas instaurée. Cela dit, je n'y suis pas opposée. Comme la démocratie, c'est le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres. »

Vous venez de rappeler les circonstances dans lesquelles vous avez quitté le ministère de la santé. Avant de quitter le ministère, aviez-vous entamé une réflexion sur l'amélioration possible de la T2A ? De quelle manière ce système pourrait-il être amélioré ?

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, ancienne ministre des solidarités et de la cohésion sociale

On m'a effectivement appelée, à tort, « la maman de la T2A ». Ayant une longue expérience, j'ai connu l'époque où cette T2A n'existait pas, l'époque des dotations globales. Je suis une fervente défenseuse de la T2A, car elle constitue un droit de tirage illimité, permettant une flexibilité vis-à-vis du système. C'est précisément cet aspect conceptuel qui rend la tarification à l'activité intéressante. Cependant, ce système est extrêmement complexe et nécessite un pilotage et une amélioration continus, car les situations évoluent. C'est ce que j'ai entrepris avec la V11, en intégrant deux critères auparavant absents : la précarité des patients – un patient en situation de précarité reste plus longtemps à l'hôpital pour des raisons évidentes – et la difficulté des soins dispensés à l'hôpital. Le pilotage fin de la T2A doit être maintenu, bien qu'il puisse perturber le personnel soignant. Cependant, je suis satisfaite de constater que les critiques acerbes à l'encontre de la T2A se sont quelque peu apaisées.

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Parmi les mesures de la loi HPST, nous notons le regroupement des hôpitaux, une gouvernance renforcée exercée par un directeur d'hôpital aux pouvoirs étendus, et surtout la continuation de la T2A. Ce mode de financement attribue les moyens financiers aux hôpitaux en fonction des actes de soins pratiqués, passant ainsi d'une logique de service public de la santé à une logique de performance. Quinze ans après cette réforme, les hôpitaux demeurent en déficit. Ils s'inscrivent de plus en plus dans une logique de rentabilité que nous, à La France insoumise, considérons comme mortifère.

Concrètement, cela se traduit par une dégradation générale de la qualité des soins à l'hôpital, en raison de la diminution constante du nombre de lits et de la recherche de réduction de la durée d'hospitalisation. Avec le recul, l'intégration de ce logiciel de la rentabilité dans un service public aussi essentiel que celui de la santé vous paraît-il toujours avoir constitué un tournant judicieux ?

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, ancienne ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Je ne suis pas d'accord avec l'idée que la T2A constituerait une recherche de rentabilité. Il n'y a pas de rentabilité à l'hôpital, car il est financé par la solidarité nationale. L'hôpital ne génère pas de bénéfices et ne fonctionne pas comme une entreprise, contrairement à une idée reçue souvent répétée. On rémunère l'activité de l'hôpital, ce que verse la solidarité nationale pour l'activité réellement effectuée, ce qui me semble être le b.a.-ba d'un bon fonctionnement.

Je constate d'ailleurs que l'hôpital a pu surmonter des crises graves grâce à l'implication des soignants, du personnel, mais aussi de ses structures et de sa gouvernance. Les critiques émises sur les risques de dysfonctionnement dans la relation entre le président du directoire et le président de la commission médicale d'établissement (CME), vice-président du directoire, ne se sont pas concrétisées. Peut-on imaginer un système de dotation indéfini, où les établissements hospitaliers présenteraient une facture illimitée à la solidarité nationale ? Il est estimé que seulement 10 % à 20 % des progrès en termes de santé sont dus aux soins. L'amélioration de la santé est également due à des logements mieux aérés, à une meilleure alimentation et à l'éducation. Un spécialiste de santé publique disait que pour améliorer la santé dans un pays en développement, il vaut mieux installer des systèmes d'assainissement que construire un hôpital. On ne peut donc pas indéfiniment présenter une facture illimitée, mais je réfute complètement l'idée selon laquelle les questions de rentabilité auraient été au cœur des décisions que j'ai prises.

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Quelle était la perception de la société, et plus précisément votre perception, lorsque vous étiez ministre il y a une quinzaine d'années, des sujets devenus cruciaux d'aujourd'hui ? Je pense notamment à la désaffection pour le métier de soignant, la lassitude des personnels dans les hôpitaux, mais aussi dans d'autres secteurs, la carence de médecins, les déserts médicaux, la difficulté d'accès aux soins ou aux urgences, et l'insuffisance de coordination entre la ville et l'hôpital. Aujourd'hui, il semble évident de dire que ces problèmes existent. Mais quelle était la perception il y a quinze ans ?

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, ancienne ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Je réfute l'idée que nous n'ayons rien entrepris. La perception de la situation n'avait pas la gravité qu'elle présente actuellement. Cependant, lors de flambées épidémiques hivernales ou lors de la grippe A/H1N1, des tensions apparaissaient dans environ 15 % des services d'urgence. La médecine de premier recours commençait à ressentir ces pressions. À mon sens, il fallait intervenir davantage en périphérie de l'hôpital plutôt qu'en son cœur, afin de préserver ce dernier des difficultés qui l'ont affecté. Depuis quelques années, nous nous concentrons principalement sur l'hôpital, alors que nous devrions également nous pencher sur les aménagements nécessaires de la médecine de premier recours. L'hôpital assume avec les urgences des fonctions qui ne lui incombent pas. Il est également anormal qu'une personne accueillie en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) doive finir sa vie à l'hôpital. La médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées représente un enjeu majeur.

Ce consensus général, visible dans les débats sur la loi HPST, a conduit à la création des ARS. J'ai d'ailleurs été surprise de voir certains défenseurs de cette mesure prétendre ne jamais l'avoir soutenue. Je souhaitais préparer le pays à une révolution systémique et organisationnelle. Cependant, la durée de vie des ministres étant limitée, leurs successeurs n'ont souvent pas la volonté d'assurer la mise en œuvre des réformes qui ne portent pas leur nom. Cela n'est pas spécifique aux ministres qui m'ont succédé, c'est inévitable.

La diminution du nombre de lits hospitaliers avait été abordée en son temps par Jack Ralite, ancien ministre de la santé, qui avait souligné que nous disposions effectivement d'un surplus de lits hospitaliers. Les transformations en cours à l'hôpital ne se limitent pas à une obligation de réduire la durée des séjours. Par exemple, traiter une tumeur cérébrale avec un Gamma-Knife ou un CyberKnife permet à un patient d'entrer à dix heures du matin et de sortir à seize heures, alors qu'auparavant, une trépanation du crâne suivie de plusieurs mois de rééducation était nécessaire.

Nous ne sommes plus dans la même optique. Aujourd'hui, nous pratiquons des valvuloplasties et des opérations de chirurgie cardiaque lourdes avec des techniques non invasives, voire mini-invasives, ce qui est absolument extraordinaire. Nous réalisons également des ablations de kystes ovariens de manière similaire. Nous savions qu'il y avait trop de lits de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), des lits inoccupés. À l'époque, nous évaluions à 50 000 le nombre de lits de court séjour en excédent à l'hôpital, et je pense que ce chiffre était en deçà de la réalité. Il était bien sûr nécessaire de supprimer des lits inutiles.

En résumé, tout cela devait être anticipé et les moyens devaient être réalloués. En examinant la situation, on constate qu'il n'y a jamais eu de diminution des crédits consacrés à la santé. Au contraire, ces crédits ont augmenté de manière significative.

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Il y a quinze ans, vous étiez en poste lorsque le site hospitalier de ma circonscription, l'hôpital de Carhaix, était menacé de fermeture, notamment pour la maternité. Cette situation avait alors suscité une mobilisation massive de la population du centre Bretagne, révélant la vulnérabilité d'un petit site hospitalier et avait conduit au rattachement de ce site au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Brest. Quinze ans plus tard, les hôpitaux subsistent. Celui de Carhaix a survécu, mais les problèmes persistent et certaines situations se sont même aggravées. Aujourd'hui, ce site voit ses urgences fermées vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis près d'un an.

Ma question concerne la gouvernance des CHRU et des sites délocalisés, en particulier les petits sites. Comment assurer une gouvernance équitable de ces établissements hospitaliers et garantir que les moyens humains et financiers et les innovations cliniques ne soient non pas seulement alloués au site principal, mais également de manière équitable pour assurer la permanence des soins dans les territoires ruraux ? Cette question est centrale dans nos réflexions actuelles, au sein de notre commission d'enquête.

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, ancienne ministre des solidarités et de la cohésion sociale

En l'espèce, il s'agit d'un exemple typique d'une mobilisation que j'ai trouvée peu pertinente. Certes, monsieur Christian Troadec possédait une capacité d'entraînement considérable. Cependant, je considère que maintenir une maternité qui n'atteint même pas le seuil très bas de 300 accouchements par an, comme c'était le cas pour la maternité de Carhaix, met en danger la santé des femmes et des enfants.

Prétendre que la proximité est un facteur de sécurité pour la mère et l'enfant est trompeur. Le récent rapport de la Cour des comptes l'a d'ailleurs montré de manière irréfutable. Face à l'émotion suscitée et à la difficulté de faire preuve de pédagogie dans ce domaine, j'ai élaboré, avec l'aide précieuse de Jean-Yves Le Drian, alors président du conseil régional, une solution novatrice : le rattachement de l'hôpital de Carhaix au CHU de Brest. Je note d'ailleurs que monsieur Troadec s'est violemment opposé à ce rattachement. Lorsqu'il a eu l'audace de me rencontrer à Carhaix, il y a deux ans, je lui ai rappelé qu'il n'avait pas accepté cette solution, que nous avions mise en place avec Jean-Yves Le Drian. À tout pécheur, miséricorde.

Nous savons désormais que le seuil de sécurité n'est pas de 300 accouchements par an, mais plutôt de 900 à 2 000 accouchements en réalité. On met souvent en avant des exemples de personnes ayant accouché dans leur voiture ou dans un camion de pompiers. J'ai moi-même une amie qui, bien qu'habitant à trois kilomètres de la maternité, a accouché de son cinquième enfant sur le trottoir. Il est possible de disposer d'une maternité à proximité et néanmoins d'accoucher dans des conditions imprévues. En ce qui concerne les accouchements difficiles, notamment ceux impliquant une anoxie ou une hypoxie du bébé, seules les maternités de haut niveau peuvent sauver la mère et l'enfant. Il est donc impératif de cesser de promouvoir le mythe de la maternité de proximité pour la santé génésique de la mère et de l'enfant.

Il n'en demeure pas moins que nous pourrions améliorer nos performances dans ce domaine. Cependant, les maternités de proximité ne le permettront pas. La solution réside dans la gradation et l'harmonisation des structures. En transformant un hôpital de proximité en un centre de suivi de néonatologie, nous adoptons la bonne formule, qui permet de repérer les grossesses à risque, de suivre plus précisément les multipares – même si elles sont de moins en moins nombreuses – et de prévoir les risques d'accouchement prématuré ou de procéder à des hospitalisations préventives.

Vous soulevez également la question du regroupement en communautés hospitalières et de la gouvernance. Quinze ans après, je ne suis pas en mesure de juger des dysfonctionnements qui auraient pu survenir, mais j'encourage la structure-mère à opérer avec doigté et démocratie, en respectant les petites structures.

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Député des Républicains, je suis cardiologue et chef de pôle au CHU Grenoble Alpes. Nous formons actuellement le même nombre de médecins qu'en 1970, alors que la population française a augmenté de quinze millions. De plus, la moitié de nos professionnels de santé dans certaines filières se forment à l'étranger, notamment en Roumanie, ce qui constitue une véritable hémorragie. Lorsque vous étiez ministre, avez-vous ressenti ce manque de formation et vous êtes-vous interrogée sur la nécessité d'un numerus clausus plus ouvert ?

En ce qui concerne la gouvernance, Nicolas Sarkozy avait déclaré qu'il fallait « un seul patron » à l'hôpital. Après des années de réflexion, j'ai pu constater l'efficacité de cette organisation au niveau des pôles hospitaliers. Toutefois, compte tenu des crises actuelles, ne serait-il pas pertinent de passer d'un seul patron, le directeur général de l'hôpital, à un médecin assurant cette gouvernance, à l'image des centres de cancérologie qui représentent un modèle de gouvernance exemplaire ?

Concernant la T2A, je tiens à vous remercier pour les mesures que vous aviez envisagées concernant la précarité et la sévérité des cas. Ces niveaux de sévérité nous permettent de stratifier efficacement notre stratégie et d'allouer les moyens là où ils sont nécessaires. Nous attendons la nouvelle version de cette tarification, mais pour l'instant, cela n'a pas changé.

S'agissant du virage ambulatoire, pensez-vous qu'il était raisonnable de l'envisager sans avoir suffisamment dimensionné les acteurs du terrain et du domicile, notamment en tenant compte de la loi de 2004 qui conférait aux régions la formation sanitaire et sociale ? Il semble exister une inadéquation entre, d'une part, la volonté de l'État de favoriser ce virage et, d'autre part, les régions qui n'ont peut-être pas pris la mesure de cette formation sanitaire.

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, ancienne ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Votre première question concernait le numerus clausus. J'ai eu la malchance d'arriver à une époque où les générations étaient limitées à 3 500 étudiants en médecine, car il avait été malheureusement imaginé de pouvoir résoudre les problèmes de financement de l'assurance maladie en réduisant le nombre de médecins. Cette approche était évidemment grotesque. Sous mon mandat, j'ai porté ce chiffre à huit mille étudiants.

La question de l'ouverture et de la suppression du numerus clausus s'est alors posée. Les doyens des facultés de médecine m'ont indiqué que cette solution était inapplicable, car on ne forme pas un médecin avec des polycopiés. À l'époque, la capacité d'enseignement était déjà au maximum. Aujourd'hui, bien que le numerus clausus ait été levé, les mêmes difficultés persistent. On ne forme pas plus de médecins, car il existe une sorte de « loi » de capacité d'enseignement dans les facultés de médecine et les centres hospitaliers, qui empêche d'aller au-delà d'un certain nombre. Il était évident qu'il fallait augmenter le numerus clausus, ce qui a été fait de manière significative.

Votre deuxième question portait sur la gouvernance des hôpitaux. Un hôpital représente une énorme machine qui doit gérer des personnels, des salaires, des cuisines, des jardiniers et bien d'autres aspects. Les médecins sont là pour soigner. Vous imaginez une dyarchie à égalité, mais une dyarchie existe déjà : le président (ou la présidente) de la commission médicale d'établissement (CME) est vice-président (ou vice-présidente) du directoire, et la loi prévoit divers dispositifs où son avis conforme est requis. Les directeurs d'hôpitaux sont très attentifs à cela, car, avec la T2A, ils souhaitent que les patients soient présents. On ne choisit pas un hôpital en raison de la qualité de son directeur, mais bien de celle du chef de service ou du chirurgien ou d'un cardiologue exceptionnel.

Ainsi, le directeur a la volonté de s'assurer que cette équipe soit impliquée dans les prises de décision au sein de l'hôpital. Nicolas Sarkozy avait une formule qui a marqué les esprits : « À l'hôpital, tout le monde a le pouvoir de dire non, personne n'a le pouvoir de dire oui. » Telle était bien difficulté de la gestion hospitalière. J'ai le sentiment, à travers mes observations, que cet équilibre fonctionne. J'en discutais encore récemment avec le directeur de l'hôpital sud-francilien et la présidente de la CME. Je pense que modifier davantage les structures serait source de troubles et de dissensions plus que d'améliorations.

Enfin, il est certain que la machine hospitalière est très lourde et que le virage ambulatoire nécessite de céder un peu de pouvoir. La loi contient plusieurs dispositions, notamment sur l'hospitalisation à domicile, mais je considère que cette question reste inachevée. L'hospitalisation à domicile n'a pas, dans notre pays, les capacités qu'elle devrait avoir. J'ai assisté, avec la présidente Élisabeth Hubert, à l'anniversaire de l'hospitalisation à domicile (HAD). Franchement, bien que je ne sois plus en responsabilité, il est impératif d'accélérer ce processus. Ce virage ambulatoire a été amorcé de manière trop timide.

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Vous avez souligné que la loi HPST constituait un point positif de votre bilan au ministère de la santé, notamment avec la mise en place des ARS. Cependant, cette loi a profondément modifié, et pas nécessairement de manière bénéfique, l'organisation de la santé en France. Elle a même aggravé la situation des hôpitaux dans le pays. Avec cette loi, les médecins et chefs de service ont été exclus de la gouvernance des hôpitaux et des services de soins, au profit des ARS et des directeurs d'hôpitaux. Ainsi, le patient est devenu un client, un simple numéro administratif à traiter. La question médicale a été reléguée au second plan et les soignants se transforment progressivement en agents administratifs, n'ayant plus le temps de se consacrer pleinement à la médecine. Madame Bachelot, l'objectif visé par la mise en place des ARS a-t-il été atteint ? La perte de l'autorité de l'État dans les décisions de santé était-elle un objectif dissimulé de la loi HPST ?

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Madame la ministre, les ARS présentent la particularité de susciter un consensus en leur défaveur. Depuis le début de mon mandat, je n'ai jamais entendu personne en faire la promotion. Ne pensez-vous pas, vous qui affirmiez à l'époque que le dispositif permettrait la régionalisation du système de santé, que ces agences ne sont en réalité que des préfectures chargées d'appliquer les directives de l'État ?

Par ailleurs, vous avez mentionné la nécessité de fermer des lits. Ma question est la suivante : quel pourcentage de lits disponibles devons-nous maintenir ? Avant la pandémie de covid-19, 95 % à 100 % des lits étaient disponibles. Actuellement, je pense que nous dépassons 100 % de lits occupés parmi les lits disponibles. Ne croyez-vous pas que cette situation nous expose à un grave danger en cas d'épidémie, où nous n'aurions plus aucune capacité d'anticipation ?

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Vous établissez une distinction entre l'hôpital public et la médecine de ville, alors que nous savons que les soins hospitaliers reposent sur deux piliers : l'hôpital public et les cliniques. La crise de l'hôpital public est ancienne et il apparaît que ce n'est pas en augmentant systématiquement les moyens qu'il a pu mieux fonctionner. Les problèmes persistent et l'attractivité pour les soignants n'est pas améliorée. Parallèlement, les hôpitaux privés augmentent leur activité, reprenant des volumes d'activité autrefois réservés aux hôpitaux publics.

L'hôpital public ne devrait-il pas s'inspirer des méthodes de gestion des hôpitaux privés ? L'exemple de la chirurgie ambulatoire est éloquent : elle est plus développée et agile dans le privé que dans le public. Ne devrions-nous pas rapprocher les deux systèmes en un seul service public, avec les mêmes contraintes et les mêmes financements ?

Enfin, le modèle des établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic) est rarement évoqué. Ces établissements à but non lucratif pourraient-ils représenter le modèle du futur, vers lequel les deux systèmes devraient converger à l'avenir ?

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Vous avez répondu à la question sur la fermeture des maternités. Vous suggérez de fermer celles qui enregistrent moins de deux mille accouchements par an, ce qui constitue une surenchère. Cependant, vous n'avez pas répondu à l'interrogation de notre collègue Mélanie Thomin, concernant les services d'urgence et la gouvernance. Je suis députée de la circonscription de Guingamp et madame Thomin représente la circonscription de Carhaix. Nous rencontrons les mêmes difficultés d'accès aux soins dans nos zones rurales.

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Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, ancienne ministre des solidarités et de la cohésion sociale

Monsieur Isaac-Sibille, la loi HPST avait été précédée d'un travail préparatoire d'une ampleur extraordinaire. Pendant deux ans, sous l'égide de la commission présidée par Gérard Larcher, nous avons réuni toutes les parties prenantes. Gérard Larcher, alors président de la Fédération hospitalière de France (FHF), a d'ailleurs largement contribué à ce processus. Il a même été affirmé à l'époque que cette loi avait été conçue par la FHF.

Nous avons repris presque exclusivement le travail effectué par les hospitaliers, notamment à travers les états généraux de l'organisation des soins, qui ont mobilisé la médecine de ville, ou le travail élaboré par la commission Ritter sur les ARS. Ce furent deux années de travail collectif – j'invite d'ailleurs les futurs législateurs à adopter cette méthode – pour élaborer une loi aussi consensuelle et opérationnelle que possible. À cette époque, tous s'accordaient à dire que le modèle idéal de fonctionnement d'un hôpital était celui des Espic, anciennement appelés « établissements privés participant au service public hospitalier » (PSPH). Toutefois, l'arbitrage a conclu qu'il serait impossible de surmonter les accusations de privatisation de l'hôpital public. Le Président de la République a donc tranché contre cette idée, bien qu'elle fût soutenue par tous les experts en gestion hospitalière.

Ceux qui ont accusé les ARS de vouloir privatiser ou étatiser le système de santé se trompent. Le rôle de l'État est absolument indispensable dans le domaine de la santé. Il en est à la fois le gestionnaire et le garant. Vous êtes invités à discuter des lois de financement de la sécurité sociale, précisément parce que cette responsabilité incombe à la fois au législateur et à l'exécutif.

Les ARS ont été créées avec le consensus de toutes les forces politiques présentes à l'Assemblée nationale. Aucun parti politique ne s'est opposé à leur mise en place. L'objectif consistait à décloisonner le système de santé et à introduire le concept de « fongibilité asymétrique », permettant de passer du sanitaire au médico-social – mais jamais l'inverse – et du curatif au préventif – mais jamais du préventif au curatif.

Le Président Sarkozy avait fixé un objectif ambitieux, consistant à augmenter les dépenses de prévention en santé, qui représentaient alors 7 % des dépenses de santé, pour atteindre un peu plus de 10 %. Ce concept est au cœur de la loi, notamment à travers l'éducation thérapeutique et les équipes d'éducation thérapeutique. La question de la composition et du financement de ces équipes, ainsi que leur pilotage par des agents de santé autres que des médecins, relève du domaine réglementaire. Les ARS ont été conçues pour décloisonner un système fonctionnant en silos. Le pilotage actuel est désormais centralisé par les ARS, qui regroupent sept services, dont les caisses primaires et régionales d'assurance maladie, les directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales et les maisons régionales de santé.

La situation est-elle pour autant totalement satisfaisante ? Je pense que nous ne sommes qu'au début du chemin dans ce domaine et que le procès intenté aux ARS face aux difficultés de la crise de la covid-19 est largement exagéré. On leur a imputé tous les maux, dans la mesure où, effectivement, les crises sanitaires sont toujours complexes à gérer dans un système fonctionnant en ordre de marche classique. Bien sûr, des insatisfactions existent et des erreurs peuvent être commises, mais elles ont tenu le choc. Je dois d'ailleurs reconnaître que les agents des ARS, qui se sont dévoués corps et âme, souvent au détriment de leur famille, ont parfois ressenti une profonde injustice face aux critiques. De plus, des enjeux de pouvoir sont également intervenus dans cette affaire. Certains « grands féodaux » auraient souhaité prendre le contrôle des ARS, mais je m'y suis fermement opposée.

Ensuite, en 2007, nous estimions qu'il y avait environ cinquante mille lits excédentaires. Cependant, la question des lits ne se limite pas au mobilier, mais concerne principalement le personnel. En cas d'épidémie, il est crucial de disposer de personnel formé, car les lits peuvent toujours être trouvés. Actuellement, nous ne pouvons pas faire apparaître des médecins, des réanimateurs, des anesthésistes ou des infirmières spécialisées du jour au lendemain. Cela nécessite un travail de fond et une formation rigoureuse. L'idée des lits implique donc une préparation préalable, axée sur la formation des personnels, l'attractivité des métiers et la capacité à surmonter, dans une société hédoniste, le contact glaçant de la souffrance et de la mort. Permettez-moi une note personnelle : lorsque j'ai installé dans le salon familial les dépouilles mortelles de mon père et de ma mère, en majesté, on m'a dit qu'il était dégoûtant d'avoir un cadavre chez soi. Cela illustre bien la société dans laquelle nous vivons.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les difficultés d'accès aux soins à l'hôpital public

Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 15 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, Mme Véronique Besse, M. Jorys Bovet, M. Emmanuel Fernandes, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Murielle Lepvraud, M. Damien Maudet, M. Paul Midy, M. Benoit Mournet, M. Yannick Neuder, Mme Mélanie Thomin

Excusé. - M. Jean-Claude Raux