La commission a auditionné, dans le cadre d'une table-ronde avec des organisations représentant les infirmières et infirmiers libéraux, M. Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), M. John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) et Mme Diane Braccagni, administratrice de l'Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (Onsil).
Notre commission d'enquête auditionne aujourd'hui, dans le cadre d'une table-ronde, plusieurs organisations représentant les infirmières et infirmiers libéraux, à savoir la Fédération nationale des infirmiers (FNI), le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) et l'Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (Onsil). L'organisation « Convergence infirmière » avait également été invitée à s'exprimer devant la commission d'enquête : elle n'a pas envoyé de représentant et je le regrette.
L'hôpital public est dans une situation extrêmement difficile depuis plusieurs années et nos concitoyens, notamment ceux qui vivent dans des territoires périurbains ou ruraux, ont de plus en plus de peine à accéder aux soins.
Dans ce contexte, il faut sans doute s'autoriser à réinterroger certaines modalités structurantes d'organisation de l'offre de soins – y compris, par exemple, la manière dont médecins et infirmiers articulent leurs interventions dans le cadre des parcours de soins des patients ou le rôle des infirmières et infirmiers dans le suivi des pathologies chroniques et non significativement évolutives.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Daniel Guillerm prête serment.)
(M. John Pinte prête serment.)
Notre système de santé est composé de deux rouages principaux, l'hôpital et la médecine de ville. Lorsque l'un de ces rouages se grippe, c'est l'ensemble du système qui en pâtit. Actuellement, nous sommes dans une situation telle que ce sont les deux rouages qui semblent se gripper : cela rend d'autant plus urgente la prise de mesures fortes.
De grandes attentes se sont manifestées après la crise sanitaire, notamment au niveau des hôpitaux. Le « Ségur de la santé » a permis un déblocage significatif de ressources pour les hôpitaux. Ce sont ainsi 20 milliards d'euros (Md€) qui leur ont été alloués – contre seulement 300 millions d'euros (M€) pour la médecine de ville, avec des mesures principalement fléchées vers les médecins.
Ce déséquilibre a engendré un malaise chez les infirmières et infirmiers libéraux. Dans ce contexte, il apparait nécessaire de repenser la répartition des ressources et des valorisations et de mettre en place une organisation plus efficiente.
Les médecins urgentistes soulignent que le problème ne réside pas tant dans l'accueil des patients aux urgences que dans la gestion du retour à leur domicile. L'engorgement des services d'urgence est en partie dû à ce manque de réponses en termes d'organisation du retour à domicile.
Des mesures pragmatiques doivent donc être envisagées. Le Gouvernement a promis des actions et nous espérons voir présenter, d'ici la fin de l'année, une loi encadrant la profession infirmière, afin de permettre à ces professionnels de jouer pleinement leur rôle dans le système de santé, notamment face à la désertification médicale.
Les difficultés rencontrées par les services hospitaliers ne peuvent être résolues uniquement par les professionnels de santé en ville, notamment les infirmiers.
Dès qu'une problématique surgit, que ce soit en ville ou à l'hôpital, les regards se tournent immédiatement vers certains professionnels – notamment la profession infirmière. Or cette situation contribue à une perte de sens du métier : à force de diversifier les tâches (certificats de décès, prévention, vaccination, etc.)… quel est réellement le métier d'infirmier ? La profession ne pourra pas pallier toutes les carences du système de soins sans une réforme profonde.
Cette réforme que nous attendons avec impatience doit permettre de redonner du sens au métier d'infirmier. La délégation d'actes et de tâches doit aussi s'accompagner d'une montée en compétences. La profession a besoin d'entendre qu'elle n'est pas une « rustine », qu'elle n'est pas là uniquement pour pallier des carences et des difficultés ponctuelles : il faut construire ce métier dans l'avenir.
Des lois ont bien été votées récemment, mais leurs textes d'application manquent : ainsi, les lois du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi « Rist », et du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite loi « Valletoux », ne sont toujours pas mises en œuvre. Il est impératif de résoudre ces difficultés pour avancer.
(Mme Diane Braccagni prête serment.)
Je suis en accord avec les propos de mes confrères des syndicats FNI et Sniil.
Je suis infirmière libérale depuis vingt-quatre ans dans un désert médical, en Eure-et-Loir. Dans les déserts médicaux, les infirmières libérales doivent « courir après des prescriptions » et réaliser parfois des actes pour lesquels elles ne disposent pas des outils nécessaires, au risque de créer des situations ubuesques.
Si nous disposions des outils adéquats et des moyens pour agir, nous pourrions libérer du temps médical et participer ainsi à lutter contre les déserts médicaux. Notre rôle ne peut se limiter à combler les manques, nous avons un rôle et des missions propres qui doivent être reconnus.
Notre rôle inclut notamment la prise en charge des personnes âgées et dépendantes à domicile. C'est une part importante de notre travail, car il y a actuellement huit cent mille personnes dépendantes en France et ce nombre devrait atteindre 1,2 million très prochainement. La prise en charge de cette dépendance nous impose souvent de devoir solliciter des ordonnances auprès de médecins, mais ceux-ci sont rarement disponibles dans les déserts médicaux.
En tant que membre d'une communauté professionnelle territoriale de santé, je suis convaincue qu'il est essentiel que les infirmières collaborent étroitement avec les médecins, les pharmaciens, les kinésithérapeutes, etc. et qu'elles puissent bénéficier de délégations d'actes pour libérer du temps médical. Il faut cependant veiller à ce que ces délégations restent dans le cadre des compétences propres aux infirmières. Les certificats de décès n'ont pas été très bien accueillis par les infirmières libérales : je suis membre du collectif « Infirmiers libéraux en colère » et de l'Ordre national des infirmiers et je puis vous garantir qu'une majorité des infirmières libérales exprime sa réticence à signer de tels certificats.
Nous souhaitons que notre cœur de métier soit mieux reconnu, notamment en ce qui concerne la prise en charge de la dépendance, les soins des plaies et les vaccinations.
Je tiens à rappeler l'importance des infirmiers libéraux dans notre système de santé et vous remercier pour votre présence.
Pourriez-vous nous expliquer, de manière synthétique, comment fonctionne la relation avec l'hôpital public ? Nous savons qu'il existe une interdépendance entre les hôpitaux et les médecins libéraux. Mais quelles sont les conséquences directes, pour la profession infirmière, des difficultés de l'hôpital ?
Pourriez-vous également dresser un premier bilan des réformes Rist et Valletoux ? Quels sont les effets des décrets déjà en vigueur et quelles mesures attendez-vous avec le plus d'impatience ?
Enfin, quelles sont vos attentes concernant une future loi sur les infirmiers libéraux ?
Concernant les relations avec l'hôpital public, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dite loi « Touraine », a mis en place des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), ainsi que des groupements hospitaliers de territoire (GHT) proposant une réorganisation de l'offre hospitalière au niveau de ces territoires.
Les CPTS jouent un rôle important dans la prise en charge des patients. Elles sont l'échelon qui manquait et qui doit résoudre les problématiques de parcours de soins à l'échelle des territoires. Tels sont bien les objectifs principaux des CPTS : tisser des liens privilégiés avec les hôpitaux desservant le territoire et constituer une interface clé entre l'hôpital public et la population, dans l'organisation des parcours de soins.
Cependant, le degré de maturité des CPTS reste très hétérogène. Si les indicateurs de santé publique montrent que les CPTS couvrent un pourcentage significatif du territoire national, encore faut-il savoir ce que fait concrètement chaque CPTS. La montée en charge des CPTS se poursuit et elle modifie progressivement l'organisation et le paysage sanitaires.
S'agissant du bilan des lois Rist 1, Rist 2 et Valletoux, je regrette vivement que le Sénat ait « raboté » les mesures contenues dans les lois Rist initiales, en limitant les accès directs protocolisés aux structures d'exercice coordonnées.
Cela fait vingt ans que les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) sont mises en avant pour coordonner des professionnels de ville au sein d'une même structure. Mais aujourd'hui, seuls 20 % de l'offre de soins sont intégrés dans des MSP ; se concentrer exclusivement sur les MSP revient donc à négliger 80 % des professionnels de santé.
Pourquoi ces professionnels n'adoptent-ils pas massivement le modèle des MSP ? Les raisons sont multiples. En tout état de cause, il est évident que le périmètre des autorisations accordées par la loi Rist aux structures d'exercice coordonné comme les centres de santé et les équipes de soins primaires réduit la portée de la loi en termes de leviers systémiques de réorganisation du système.
Nous avons été extrêmement satisfaits lors de la promulgation de la loi Valletoux, pour deux raisons.
Tout d'abord, la loi reconnaît le rôle des infirmières dans les soins non programmés. Or, à la Fédération, nous estimons que les 135 000 infirmières et infirmiers libéraux peuvent être mobilisés de manière efficace pour aider à la prise en charge des soins non programmés.
Ensuite, la création de l'« infirmière référente » était une mesure que nous réclamions depuis 2012. Nous considérons que, pour réorganiser le système de soins, il faut s'appuyer sur les trois professions clés que sont le médecin traitant, le pharmacien correspondant et l'infirmier référent. Grâce à des accords conventionnels tripartites sur des thématiques périmétrées, nous pourrions réorganiser progressivement les soins primaires au niveau des territoires. La création du statut d'infirmier référent constitue donc pour nous une avancée majeure et nous attendons avec impatience la publication des textes d'application.
Concernant nos attentes quant à la future loi, nous nous dirigeons vers une réorganisation des supports législatifs de notre profession. Le référentiel d'activité et de compétences, qui date de 2009, est en effet devenu obsolète en raison de l'évolution des prérogatives des infirmières et des priorités en matière d'organisation du système de santé.
Nous travaillons donc, via notre collège national professionnel, avec la direction générale de l'offre de soins à la réécriture du référentiel d'activité et de compétences et à celle du référentiel de formation. Ces textes devraient être publiés à l'automne et, ensuite, le ministère nous promet une loi qui pourrait être adoptée avant l'été et qui définirait les grandes missions de la profession. Parmi ces grandes missions, il y aurait la création de la « consultation infirmière », qui représenterait une avancée majeure.
Nous sommes dans une dynamique de réorganisation législative et réglementaire de notre profession, avec des attendus très importants en termes d'autonomie, d'accès direct et de consultation infirmière.
Vous avez parlé de 135 000 infirmiers libéraux. À titre indicatif, quels sont les effectifs de chacun de vos syndicats ?
La Fédération nationale des infirmiers compte douze mille adhérents.
Les relations entre la ville et l'hôpital demeurent très compliquées en raison des difficultés liées aux communautés professionnelles territoriales de santé. Même si la situation s'améliore progressivement, il faut que les hospitaliers connaissent mieux le secteur de la ville et que les professionnels libéraux connaissent mieux le milieu hospitalier.
Des initiatives comme la « mission Braun » ont permis de faciliter le lien. Dans ce cadre, des infirmiers libéraux ont pu, sur appel du Samu, aller « lever le doute » chez un patient. Cette initiative a contribué à améliorer les relations entre l'hôpital et la ville, en permettant à chacun de découvrir les pratiques de l'autre et de renforcer la coordination.
Si la coordination s'améliore, nous manquons malheureusement d'outils interopérables : par conséquent, la communication entre la ville et l'hôpital reste difficile. Il est donc crucial de travailler à l'amélioration de ces outils de coordination.
Concernant les décrets en attente et ceux déjà publiés, je rejoins entièrement les propos de monsieur Guillerm sur l'infirmier référent : c'est une mesure que nous attendons avec impatience. Il faudra néanmoins que ses missions soient clairement définies pour que cette initiative se révèle fructueuse. Je pense que c'est un moyen d'améliorer encore la prise en charge des patients, notamment en ce qui concerne le renouvellement des soins. Ce renouvellement par l'infirmier référent nous semble important, même s'il ne figure pas actuellement dans ses missions. Il arrive trop souvent que des prescriptions de soins infirmiers expirent et ne peuvent être renouvelées lorsque le médecin est en congés (ou a quitté son poste) ; nous espérons donc que l'infirmier référent pourra renouveler ces soins afin d'assurer leur continuité.
Nous attendons toujours les décrets d'application de la loi Rist sur la prise en charge des plaies et espérons que la loi sur la réforme du métier infirmier sera publiée en intégrant ces réformes, car la prise en charge des plaies par les infirmiers telle que prévue par la loi Rist, leur confère presque une autonomie. C'est urgent, car, sur le terrain, il y a de moins en moins de prescripteurs et de plus en plus de patients sans prescription.
Par ailleurs, si les textes sur l'autonomie des infirmiers en pratique avancée (IPA) ont enfin été publiés, nous constatons régulièrement des difficultés : ainsi, certaines caisses d'assurance maladie ne reconnaissent pas l'accès direct et ne remboursent pas les soins, car elles estiment qu'il n'y a pas eu de prescription. Ces freins administratifs sont regrettables.
Concernant la loi sur le métier infirmier, nous souhaitons une plus grande autonomie et la reconnaissance de nos compétences.
L'autonomie, c'est principalement l'accès direct pour la prise en charge des patients dépendants et des plaies, qui relèvent du rôle propre de l'infirmier. L'absence d'un tel accès direct constitue une difficulté majeure dans la prise en charge de ces patients et traduit un manque de reconnaissance – et une certaine défiance – vis-à-vis de notre profession.
Nous souhaitons que nos compétences soient reconnues et que ce qui relève du rôle propre ne dépende pas systématiquement d'une prescription médicale pour ouvrir droit à remboursement. Cela nous semble d'autant plus justifié que des mesures ont déjà été mises en place pour permettre une coordination avec les médecins et les autres professionnels de santé : l'infirmier n'agit pas en électron libre dans ces prises en charge…
Pouvez-vous nous préciser les possibilités de prescription par les infirmières et les infirmiers ?
Elles sont très limitées. Nous avons la possibilité de prescrire des dispositifs médicaux dans le cadre de la prise en charge de pansements et de plaies et ce n'est que récemment que nous avons obtenu la prescription de médicaments, notamment avec la vaccination. Nous pouvons aussi prescrire certains antiseptiques, mais nous attendons toujours le décret qui en établira la liste ; à l'heure actuelle, nous avons le droit de prescrire des antiseptiques, mais ils ne peuvent pas être remboursés en l'absence de cette liste.
Nous pouvons aussi prescrire les substituts nicotiniques et les contraceptifs oraux en renouvellement.
Nous demandons la reconnaissance de notre rôle propre en matière de prescription. Cela simplifierait le parcours en ville.
Concernant les pansements, nous avons mis en place un « bilan de plaies », qui peut être transmis au médecin. Nous disposons de tous les outils nécessaires pour assurer une coordination et, pourtant, notre compétence et notre autonomie peinent à être reconnues.
La consultation infirmière est, quant à elle, une mesure que nous attendons avec impatience. Cependant, si le ministre l'a annoncée, cette initiative suscite des résistances de la part des médecins, car la consultation est traditionnellement un domaine médical.
Nous ne cherchons évidemment pas à entrer en concurrence avec les médecins. La consultation infirmière relève de notre propre domaine de compétences et il est essentiel de le valoriser. La future loi sur les compétences infirmières doit redonner du sens à notre métier pour le rendre plus attractif. Nous attendons aussi qu'elle supprime des obstacles qui compliquent la prise en charge des patients et la continuité des soins, tout en améliorant le quotidien des professionnels de santé.
S'agissant des effectifs de notre syndicat, nous sommes environ 3 500 membres.
L'accès direct est effectivement une excellente idée, notamment pour l'attractivité du métier d'infirmière. Il est très attendu par de nombreuses infirmières, car nous sommes trop dépendantes de prescriptions parfois mal rédigées et génératrices d'indus ainsi que d'un système trop centré sur le médecin.
Concernant l'accès à l'hôpital, nous intervenons beaucoup en amont et en aval des hospitalisations. Nous jouons un rôle de lanceuses d'alerte en repérant rapidement les patients les plus fragiles. Notre avantage réside dans notre présence sur le terrain et notre grande réactivité. La présence d'une infirmière à domicile, capable de repérer les premiers signes de décompensation ou d'autres problèmes, est une véritable richesse.
Nous sommes sous-utilisées et sous-reconnues, alors que nous jouons un rôle clé dans les interactions avec l'hôpital public. Outre que nous évitons des hospitalisations, nous pouvons être amenées à revoir l'état général de la personne avec le médecin traitant, en cas d'urgence lors des retours d'hospitalisation.
S'agissant du bilan des réformes, nous attendons de voir les résultats des promesses du ministre Frédéric Valletoux concernant la consultation en soins infirmiers. Il y a eu des levées de boucliers, mais je pense qu'il s'agit d'un malentendu avec les médecins. En tant qu'infirmières, nous sommes capables de poser un diagnostic infirmier, distinct du diagnostic médical. La consultation en soins infirmiers relève principalement de la prévention, même si elle peut parfois conduire à des actions de régulation.
J'ajoute que l'accès aux plaies est notre domaine et que nous nous y formons régulièrement. Pour rendre notre métier plus attractif, il est nécessaire de nous accorder une plus grande autonomie et de reconnaître certains actes invisibles que nous accomplissons. Il est également crucial de reconnaître notre expertise, notre compétence et notre capacité à poser un diagnostic en propre.
Considérez-vous que les revendications du collectif « Infirmiers libéraux en colère » exprimées en mars dernier ont été globalement satisfaites ? Je fais notamment référence à la revalorisation de certains actes et à l'indemnité kilométrique.
L'Onsil et le Sniil s'associent avec le collectif « Infirmiers libéraux en colère » pour défendre les revendications tarifaires. Une table-ronde se tient actuellement avec les syndicats représentatifs, avec une promesse de revalorisation à l'automne ou plus tard.
Certains cabinets infirmiers sont en détresse et ferment : il faut savoir que nous n'avons pas bénéficié d'une augmentation de l'acte clé depuis quinze ans ! Une véritable revalorisation est nécessaire pour que nous puissions vivre décemment de notre métier, car à 3,15 € bruts pour l'acte médico-infirmier (AMI) de base, la situation est difficile.
Nous espérons des avancées, bien que nous ne participions pas directement aux tables-rondes car nous ne sommes pas un syndicat représentatif. L'automne nous semble loin pour une revalorisation…
La colère est légitime sur certains points. Par exemple, le montant de l'AMI, fixé à 3,15 €, n'a pas été revalorisé depuis 2009. Même si des avenants ont permis d'améliorer certaines prises en charge, des actes tels que les prises de sang (6 €) ou les injections simples (4,50 €) nécessitent une revalorisation. L'impact de l'inflation a été plus fort que les dernières mesures de revalorisation de certains actes, ce qui a mis la profession en difficulté.
Le malaise est néanmoins plus profond et ne se limite pas aux questions de rémunération.
Une revalorisation de 10 % des déplacements a été mise en place en janvier et même si elle n'est pas suffisante, nous y sommes favorables. Cet effort doit cependant être poursuivi.
La grogne est également liée aux relations avec l'assurance maladie, notamment en raison de contrôles parfois très poussés et imprévus. L'assurance maladie, qui fonctionnait selon notre convention et nos avenants, a progressivement modifié l'interprétation des textes et a commencé à contrôler des actes qui étaient auparavant acceptés. Ce changement des règles a conduit à une augmentation des indus pour les infirmiers, qui sont de plus en plus fréquents et de moins en moins acceptables. Nous demandons donc le retour à un fonctionnement conventionnel normal, c'est-à-dire où la modification des règles passe par la négociation – et non par une interprétation unilatérale des textes par l'assurance maladie.
L'assurance maladie a mis en place des groupes de travail pour aborder les difficultés liées à la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), à l'interprétation des textes ainsi qu'aux modalités de contrôle et de récupération des indus. Il est essentiel de revenir à des pratiques conformes aux textes, afin de réduire la pression sur la profession.
En actionnant différents leviers tels que la rémunération, en levant la pression qui existe sur la profession (qui a peur de facturer à tort) et en facilitant le quotidien des infirmiers, il sera possible de redonner du sens au métier. Des signes positifs apparaissent, mais cela prend du temps. Nous sommes conscients que les délais administratifs sont souvent plus longs que ceux de la profession.
Nous sommes dans un système contraint, qui fixe chaque année un objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam). Dans ce cadre, des choix s'imposent.
De notre point de vue, la distribution des ressources n'est pas équitable. Ainsi, dans les deux négociations en cours actuellement, l'assurance maladie formule des propositions à hauteur de deux milliards d'euros pour les médecins contre 179 M€ pour les pharmaciens.
Je rappelle que, dans un système de santé comprenant divers rouages, si l'un d'eux se grippe, c'est l'ensemble du système qui en pâtit. Une mise en relief de ce besoin d'équité permettrait d'améliorer et de fluidifier l'organisation du système.
Nous sommes dans un système médico-centré, où il est acquis que « si les médecins vont bien, tout le système va bien ». Ce système souffre également de « structuro-centrisme », c'est-à-dire la conviction que ce sont les structures qui prennent en charge les patients : or plus de 75 % des personnes âgées de plus de 75 ans en perte d'autonomie à domicile sont prises en charge par le secteur libéral ; les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), les services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) et l'hospitalisation à domicile (HAD) ne représentent, au mieux, que 25 % des prises en charge.
Nous avons l'impression que les pouvoirs publics considèrent le secteur libéral comme un secteur « balkanisé » et qu'il est plus facile, voire plus adéquat, de s'adresser à des organisations structurées.
J'observe que la profession infirmière est à 82 % féminine et qu'elle assure une contrainte autrement plus lourde que la « permanence des soins » ambulatoires. Elle assure la « continuité des soins » du lundi au dimanche, jours fériés inclus et la nuit si nécessaire.
Cette contrainte est lourde mais, malgré cela, la profession connaît une croissance démographique d'environ +4,5 % depuis plus de dix ans. Je vous exhorte donc à vous appuyer sur cette profession pour soulager l'hôpital public, notamment pour ce qui a trait au retour d'hospitalisation et à l'organisation de ces retours. Nous disposons de vecteurs, telles les communautés professionnelles territoriales de santé, qui nous le permettent.
Si nous obtenons ce qui nous est promis, à savoir des consultations infirmières périmétrées, nous pourrons, par exemple, mieux gérer des situations comme celles d'épisodes caniculaires de plus en plus fréquents. Bien souvent, en secteur rural, lorsqu'une personne âgée est déshydratée à son domicile, l'hospitalisation est la seule option. Cette personne risque alors de passer des heures sur un brancard, aux urgences, et de revenir avec des escarres. Aujourd'hui, si nous avions un accès direct et protocolisé à la réhydratation des personnes âgées, nous pourrions éviter une forme de maltraitance.
Je partage, par ailleurs, les propos sur les craintes que la consultation infirmière suscite chez les médecins et je répète que nous n'avons pas vocation à nous substituer aux médecins. La FNI ne demande pas une consultation généraliste, mais des consultations périmétrées : nous demandons par exemple, dans le cadre de la vaccination, la création d'une consultation infirmière prévaccinale. Cela contribuera à fluidifier les prises en charge et à améliorer l'accès des patients au système de santé.
Nous sommes un petit syndicat, d'environ cinq cents membres.
Vous avez évoqué une vision « balkanisée » du secteur libéral, j'aurais souhaité savoir qui était visé par ce propos.
Je vous ai interrogés sur les relations entre les infirmiers et l'hôpital public et sur les moyens de l'améliorer. Vos réponses ont été assez générales et j'aimerais recevoir, de votre part, une contribution écrite sur les différents actes que vous pensez pouvoir être pris en charge par les infirmiers libéraux afin de décharger l'hôpital public.
Vous avez également regretté que le système de santé soit trop centré sur les médecins. Comment envisagez-vous alors son décentrage ?
Monsieur Guillerm a souligné une inéquité dans la distribution des ressources. Pourriez-vous être plus précis ?
Je ne visais personne en particulier lorsque je parlais de « balkanisation ». C'est la vision qui prospère lorsque nous avons des rendez-vous à l'Assemblée nationale ou au Sénat : les parlementaires peinent à appréhender l'organisation du secteur libéral.
Les élus savent tous ce qu'est un Ssiad, un service de HAD ou un établissement de santé. Par contre, ils pensent que le secteur libéral est composé de professionnels indépendants, chacun travaillant isolément des autres. C'est en tout cas le ressenti que nous avons.
Concernant le décentrage du système, nous avons insisté sur le fait que nous ne souhaitons pas jouer le rôle de médecin. Nous exerçons un métier différent, complémentaire à celui des médecins, avec des compétences partagées. Je n'apprécie pas l'expression « transfert de tâches », car elle suggère une dévalorisation de notre travail – alors que nous assurons une prise en charge holistique et globale des patients.
Nous avons des compétences partagées sur les plaies, sur l'éducation thérapeutique et sur la prévention. Les consultations de prévention aux âges clés de la vie constituent, pour nous qui pouvons les réaliser, les premières consultations infirmières de prévention.
Décentrer le système, c'est prendre conscience que ce n'est pas parce que les médecins vont bien que tout le système va bien.
Concernant l'inéquité des distributions, il faut se rappeler que lors du « Ségur de la santé » les ressources destinées aux hôpitaux ont atteint un total de 20 Md€. Par comparaison, les ressources allouées à la médecine de ville se sont élevées 300 M€.
Concernant les mesures d'amélioration pour alléger la charge de l'hôpital public, je confirme qu'un accès direct lorsqu'une personne est déshydratée éviterait les urgences, les risques d'escarres et la rupture avec le milieu familial. Plus généralement, toutes les actions préventives permettent d'éviter les décompensations et les hospitalisations.
J'ajoute que nous intervenons quotidiennement et que nous réagissons rapidement, contrairement aux consultations médicales traditionnelles. Nous pouvons avoir une efficacité en amont et orienter les patients vers le professionnel approprié grâce à notre réactivité et à notre place sur le terrain. Avec davantage de moyens, notre efficacité pourrait encore s'améliorer.
Je vous remercie pour vos explications. Nous souhaitons que vous puissiez nous transmettre la liste des tâches que vous estimez réalisables par les professionnels infirmiers : cela nous permettrait de déterminer celles qui seraient effectivement transférables et celles qui ne le seraient pas, après avoir entendu toutes les parties concernées.
Des mesures tarifaires ont été mises en place dans notre convention pour développer la chirurgie ambulatoire. Or il y a très peu de prescriptions pour des actes de chirurgie ambulatoire par les infirmiers libéraux, alors que cela permettrait de décharger l'hôpital. Pourquoi ces prescriptions sont-elles si peu nombreuses ?
Lorsqu'il y a une chirurgie en ambulatoire, les patients retournent à l'hôpital pour faire ce suivi. Ils renoncent aussi parfois à ce suivi, qui pourrait pourtant être réalisé par des infirmiers à domicile.
L'infirmier référent pourrait tout à fait préparer la sortie du patient dès son hospitalisation. Dans de nombreux pays, la sortie est en préparation dès l'entrée à l'hôpital. En France, la sortie s'effectue souvent dans de mauvaises conditions, parce qu'elle est préparée la veille – voire le jour même. Je pense qu'il est essentiel de travailler avec les infirmiers référents sur la sortie d'hospitalisation.
Concernant le décentrage du système de soins, il est impératif de reconnaître les compétences de chacun ; le système a besoin de partager les compétences. Ainsi, le suivi des pathologies chroniques peut être réalisé en ville par des infirmiers libéraux. Nous avons déjà développé le suivi pour la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et l'insuffisance cardiaque, mais, encore une fois, les prescriptions de suivi infirmier restent rares.
Pourquoi ne pas anticiper le suivi infirmier avant l'hospitalisation, avant que le patient ne décompense ? Les infirmiers sont formés à l'orientation et à la coordination, ils savent alerter le médecin au moment opportun.
Il est essentiel que les professionnels de santé collaborent au lieu d'être concurrents. De même, lorsqu'un texte ou un projet est élaboré, il serait préférable de consulter directement toutes les professions concernées plutôt que de les consulter séparément et de manière fragmentée.
Vous parliez de la déshydratation de la personne âgée. Est-ce qu'une perfusion à domicile permet d'éviter l'hospitalisation ?
Pour éviter les hospitalisations, nous posons une perfusion nocturne de 500 millilitres à un litre. Souvent, les personnes âgées fragiles et fatiguées semblent nécessiter une hospitalisation, alors qu'elles sont simplement déshydratées. Après 48 heures à trois jours de perfusion, elles vont beaucoup mieux. Au bout de huit jours, le problème est résolu.
Vous êtes au cœur des métiers du soin et vous subissez de plein fouet la désertification médicale et les restrictions budgétaires. La gestion managériale de l'hôpital, avec ses objectifs de réduction des coûts, privilégie une logique financière au détriment de la qualité de l'accueil et, plus largement, de l'humain. Vous êtes souvent contraints de colmater les brèches d'un système de santé en déliquescence. Nous sommes bien conscients que nombre d'entre vous sont proches du burn-out.
Le Président Macron avait annoncé, lors de la crise de la covid-19, vouloir « reconnaître » les personnels soignants de première ligne. Pourtant, les infirmiers libéraux et ceux des centres de santé sont exclus de la « prime Ségur », par ailleurs très insuffisante. Vos revendications sont légitimes, notamment une revalorisation réelle des actes dans un contexte d'inflation. Vous l'avez souligné, cela fait quinze ans sans revalorisation.
Quels impacts la crise de la covid a-t-elle eus sur votre métier et quelles nouvelles difficultés ont émergé lors de cette crise ?
Je souhaiterais savoir si, en tant que syndicats, vous aviez rencontré les syndicats de médecins. Avez-vous des échanges avec vos collègues médecins et quels en ont été les résultats ? Pensez-vous que nous devrions intervenir dans ce domaine ?
Il y a des espaces de concertation avec les syndicats de médecins. Nous avons des institutions inscrites dans la loi, telles que l'Union nationale des professions de santé (UNPS) ; nous avons également une organisation de syndicats majoritaires, les « Libéraux de santé », qui inclut les médecins. Nos échanges avec eux sont francs, très directs… et parfois agités !
Lors de la négociation de l'avenant sur la pratique avancée, les médecins ont saisi le directeur général de la caisse nationale d'assurance-maladie, M. Thomas Fatôme, pour demander à être inclus dans les discussions avec les syndicats infirmiers. Nous les avons donc reçus ; nous avons discuté, échangé et aplani les difficultés.
Actuellement, les syndicats de médecins discutent d'une mesure concernant les assistants médicaux, qui pourrait potentiellement affecter notre activité. J'ai écrit à M. Thomas Fatôme, car j'estimais qu'il s'agissait d'un sujet d'intérêt commun entre médecins et infirmiers ; je n'ai reçu aucune réponse. J'ai également contacté les syndicats de médecins, sans plus de succès. Cela illustre la manière dont le corps médical appréhende les autres professions.
Concernant l'impact de la crise de la covid-19, il faut rappeler que les centres de vaccination ont fonctionné grâce aux infirmières libérales. Des médecins étaient également présents, mais nous avons été des acteurs essentiels de la campagne de vaccination. De même, les infirmières ont réalisé beaucoup de tests antigéniques.
Nous avons souvent été les seules personnes que les personnes âgées voyaient pendant la crise de la covid. La famille ne venait pas et les auxiliaires de vie étaient rares. J'ai vu des personnes âgées décompenser sur le plan psychiatrique, parce qu'elles se retrouvaient seules.
Nous n'avons reçu aucune reconnaissance pour ce travail. Nous avons été complètement exclus du « Ségur de la santé » ; cela a démotivé beaucoup de collègues.
Pendant la crise sanitaire, certaines activités ont été facilitées par des mesures dérogatoires : par exemple, les infirmiers pouvaient renouveler les soins sans prescription. Ces mesures ont simplifié la prise en charge et répondaient à des attentes déjà présentes avant la crise.
Une fois la crise passée, ces mesures dérogatoires ont été supprimées et les difficultés antérieures ont réapparu. Cette situation a contribué au mécontentement post-crise, car des problématiques préexistantes ont resurgi.
L'inflation, qui s'est accentuée depuis la crise sanitaire, aggrave également la situation, car, dès avant la crise, nous demandions déjà une revalorisation de la lettre-clé lors des négociations de l'avenant n° 6 en 2018. L'assurance maladie avait alors préféré revaloriser certains actes spécifiques plutôt que la lettre-clé dans son ensemble. Cette décision a aussi alimenté l'insatisfaction actuelle.
Pour ce qui concerne les relations avec les médecins, nous entretenons effectivement des contacts réguliers avec leurs syndicats. Cependant, des barrières se lèvent dès que nous demandons de nouvelles prérogatives : les médecins sont ainsi opposés à l'accès direct à l'infirmier pour la prise en charge de la dépendance, car ils préfèrent que tout passe par eux.
La vaccination contre la grippe est un exemple similaire : initialement, les médecins y étaient farouchement opposés ; ils ont progressivement accepté cette pratique, mais ils ont à nouveau protesté vigoureusement lorsque la vaccination a été ouverte aux pharmaciens.
C'est pourquoi il est parfois nécessaire que le pouvoir politique prenne des décisions courageuses et ose des réformes qui visent à améliorer la coordination et la prise en charge des patients, même si elles peuvent être gênantes ou heurter certaines sensibilités.
Au-delà de la frustration liée au sentiment de promesses non tenues, la crise sanitaire a vraisemblablement accru le taux de départ dans les services hospitaliers. Des infirmières se sont installées en ville, sur une activité centrée sur les tests antigéniques et la vaccination. Cette activité a bien fonctionné pendant deux ans, mais elle a considérablement diminué depuis et ces professionnelles peinent désormais à faire face à leurs charges. Il s'agit, selon moi, d'un effet secondaire des mesures dérogatoires mises en place durant la crise sanitaire, dont nous subissons les conséquences actuellement. C'est d'ailleurs ce qui alimente les revendications relayées sur les réseaux sociaux, selon lesquelles il n'y aurait plus de travail et la profession serait en danger.
Je ne pense pas que la profession infirmière disparaîtra ni que notre système de santé pourrait se passer des infirmières. Par contre, il faudra que la profession évolue. La dynamique est engagée, mais elle doit se poursuivre et cela implique de surmonter certaines barrières liées aux positions crispées d'un corps médical qui craint de perdre ses prérogatives.
Pendant des décennies, nous avons assisté à une « confiscation sémantique » : par exemple, le terme de « consultation » ne pouvait être prononcé devant un médecin ; les mentalités évoluent néanmoins et nous disposerons peut-être, demain, de prérogatives ouvrant de nouveaux champs d'activité.
Je souhaite enfin aborder la manière dont nous négocions actuellement.
Avec l'Ondam mis en place depuis 1996, les infirmiers sont enferrés dans un deal « prix-volume » : nous ne pouvons pas être augmentés significativement en raison d'une enveloppe restreinte et d'actes en croissance rapide. Ainsi, même une augmentation limitée de l'AMI aurait des conséquences significatives sur les dépenses.
La FNI demande donc la sortie de cette logique prix-volume et la sanctuarisation dans l'Ondam d'une somme spécifique permettant de dépasser le blocage que nous connaissons depuis 2009.
Merci pour vos interventions. Nous attendons avec impatience vos différentes propositions car compte tenu de l'état général de l'hôpital sur le territoire, toutes les idées et propositions méritent d'être étudiées.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les difficultés d'accès aux soins à l'hôpital public
Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 17 h 15
Présents. - M. Éric Alauzet, Mme Véronique Besse, Mme Sophie Blanc, M. Jorys Bovet, M. Emmanuel Fernandes, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Anne Le Hénanff, Mme Murielle Lepvraud, M. Damien Maudet, M. Jean-Claude Raux, Mme Mélanie Thomin, M. Antoine Villedieu
Excusé. - M. Ian Boucard