La réunion

Source

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

Présidence de M. Patrick Hetzel, président.

La commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous nous retrouvons ce matin pour cette quarantième audition, qui devrait être la dernière de notre commission d'enquête. Il est normal que nous confrontions nos réflexions et nos analyses, qui ont eu le temps de s'affiner, à celles du ministre de l'intérieur. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu à la convocation de la commission.

L'existence d'une commission d'enquête étant limitée à six mois, nous allons prochainement conclure nos travaux. En accord avec M. le rapporteur, je vous propose de nous réunir mardi 31 octobre pour examiner le projet de rapport. Celui-ci aura été mis en consultation au cours de la semaine précédente, ce qui permettra à l'ensemble des commissaires d'en prendre connaissance.

En outre, comme je vous l'avais indiqué la semaine dernière, la convocation que nous avons adressée au mouvement des Soulèvements de la Terre s'est heurtée à un refus définitif de comparaître. Le fait de ne pas se présenter devant une commission d'enquête constitue un délit. En accord avec notre rapporteur, qui s'associe à cette démarche, et comme m'en charge l'ordonnance du 17 novembre 1958 en ma qualité de président, j'ai décidé de saisir de ces faits l'autorité judiciaire afin qu'elle fasse respecter les droits du Parlement. Un courrier sera donc adressé en ce sens à la procureure de la République de Paris.

Monsieur le ministre, vous avez reçu le questionnaire que vous a préalablement adressé notre rapporteur. Vous savez que nous avons déjà entendu plusieurs directeurs de votre administration et plusieurs membres du corps préfectoral. Je n'ai pas à vous décrire les manifestations de ce printemps, les violences qui les ont émaillées, les risques qu'elles ont fait courir et les critiques diverses, parfois contradictoires, suscitées à cette occasion par l'action des autorités publiques.

Depuis la création de cette commission, nous partageons tous, je crois, la volonté de préserver le droit fondamental de manifester, l'intégrité physique des personnes – tant des manifestants que des agents des forces de sécurité intérieure – ainsi que l'ordre public et les biens. En un mot, il s'agit de protéger l'État de droit et les libertés démocratiques.

Le printemps a mis à rude épreuve les hommes et les femmes de votre ministère, auxquels nous adressons, à travers vous, nos remerciements républicains pour leur engagement au service de l'intérêt général. Estimez-vous avoir disposé de tous les moyens nécessaires – humains, matériels et budgétaires – pour qu'ils puissent accomplir leur mission dans les meilleures conditions et pour que les citoyens puissent user au mieux de leur liberté de manifester ?

Nous avons consacré beaucoup de temps à étudier les méthodes des black blocs. La présence des fauteurs de troubles est malheureusement devenue habituelle dans les manifestations. Comment y remédier ? Comment, d'une part, prévenir et dissuader, et, d'autre part, sanctionner et éviter les réitérations ?

Monsieur le ministre, avant de vous donner la parole, et en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Gérald Darmanin prête serment.)

Permalien
Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

Votre convocation m'offre l'occasion de revenir, d'une part, sur les manifestations violentes qui ont eu lieu en marge des discussions sur le projet de réforme des retraites – notamment après l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, soit à compter du 16 mars – et, d'autre part, sur les faits qui se sont produits à Sainte-Soline au cours d'une manifestation en milieu rural. Ce sont deux exemples de violences organisées par des groupuscules, pas si petits que cela, dans des contextes très différents.

Les groupuscules d'ultragauche ne sont pas très structurés contrairement à ceux de l'ultradroite, ce qui pose des problèmes aux services de renseignement. Il s'agit davantage de nébuleuses, quelque peu anarchiques, difficiles à caractériser. Ces groupes sont animés par une pensée très majoritairement anticapitaliste et anti-institutionnelle, qui remet profondément en cause nos principes républicains. Ce sont des personnes organisées et équipées, qui disposent de moyens de coordination, par exemple les vêtements noirs portés par les black blocs, et d'outils technologiques. Nous avons trouvé à Sainte-Soline un système de radio parallèle. Ces groupes avaient fait en sorte que les services de renseignement et les forces de l'ordre ne puissent pas écouter les propos qu'ils échangeaient au sujet des violences prévues.

L'organisation générale et coordonnée de la dissimulation, tant par l'usage des réseaux sociaux que par les choix vestimentaires, distingue les actions du printemps 2023 des mouvements de contestation violents non organisés des années précédentes ou des émeutes urbaines de juin dernier. Ces groupes recourent à la violence contre les biens et, par voie de conséquence, contre les personnes lorsque celles-ci s'interposent. On relève également une tactique et une organisation qui s'approchent, par certains côtés, d'une coordination militaire. Lorsqu'ils attaquent les forces de l'ordre ou un bien donné, ces groupes agissent dans le cadre d'une structure hiérarchisée, avec leurs généraux, leurs sous-officiers et leurs soldats du rang. À Sainte-Soline, ils avançaient en colonnes.

Les manifestations contre la réforme des retraites et les événements de Sainte-Soline ainsi que, dans une moindre mesure, les émeutes de juin, ont donné lieu à deux débats médiatiques importants.

Premièrement, pour montrer la légitimité de leur combat, les black blocs et une partie des Soulèvements de la Terre mettent en avant le fait qu'ils s'en prennent uniquement aux biens. Ils dénoncent l'usage de la violence physique pour protéger ces derniers par les forces de l'ordre, affirmant que les policiers et les gendarmes sont à l'origine des troubles en s'interposant. Je veux rappeler que les biens sont aussi importants que les personnes. C'est un vieux combat que celui de la défense de la propriété, ce droit fondamental de l'homme. À Sainte-Soline, les forces de l'ordre ne faisaient qu'appliquer des décisions de justice. Elles ne mènent évidemment pas un combat pour ou contre l'écologie. Il serait opportun de rappeler, dans le débat politique, que les forces de l'ordre sont chargées non seulement de protéger les personnes mais aussi les biens. Les groupuscules violents, notamment à l'ultragauche, jugent légitime d'attaquer des biens qui ne correspondent pas à l'idée qu'ils se font de la société de demain. L'action politique et les recours juridiques manquant d'efficacité, ils estiment devoir mener le combat de la violence. Ils considèrent que les forces de l'ordre n'ont pas à s'interposer pour protéger des biens. Des personnalités politiques, parmi lesquelles des parlementaires, m'ont dit que, si je n'avais pas envoyé des gendarmes protéger les bassines, il ne se serait rien passé à Sainte-Soline, si ce n'est la destruction des ouvrages. La question est de savoir si on fait respecter la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Le second débat médiatique a trait à l'usage de la violence par les forces de l'ordre. La question est non pas de savoir elles ont le droit de faire usage de cette violence légitime, si elles peuvent blesser ou tuer. Pensons au Bataclan, par exemple ! La question est de savoir si les policiers et les gendarmes utilisent la violence de manière proportionnelle. Juger de la réussite d'une opération de police au vu du nombre de blessés, voire de morts, me paraît un mauvais débat médiatique. Il est légitime, en revanche, de discuter de la proportionnalité, des armes employées, de la formation des agents et de la manière dont ils utilisent leurs armes.

Pour répondre à vos premières questions, monsieur le président, nous avons disposé des moyens nécessaires. Mais nous avons été confrontés à une difficulté tenant à la répétition des événements en certains endroits du territoire, ce qui nous a conduits à revoir l'organisation de nos moyens. Nous avons fait beaucoup de progrès depuis les gilets jaunes, notamment en formant à l'ordre public un certain nombre de policiers et de gendarmes en fonction dans des villes qui n'avaient pas connu, au cours des années précédentes, de manifestations violentes. La répétition de ces manifestations et la multiplication des points de confrontation ont conduit à la création, par la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur du 24 janvier 2023, de onze unités de forces mobiles supplémentaires ainsi qu'au renforcement de la mobilité des unités, à l'image de la compagnie républicaine de sécurité n° 8 et de la brigade de répression de l'action violente motorisée à Paris.

Nous avons parfois des débats avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement pour savoir si la finalité du renseignement correspond aux personnes que nous poursuivons. Il va de soi que nous comprenons et respectons ses décisions, même si elles empêchent parfois le travail des services. Je ne peux qu'insister sur l'importance que revêtent certaines techniques de renseignement pour permettre, à l'heure de Telegram, de Signal, de WhatsApp, d'améliorer notre connaissance de groupuscules dont les raisons de penser qu'il s'agit des structures factieuses existent. Les écoutes téléphoniques classiques, quant à elles, produisent de moins en moins de résultats.

Pendant les manifestations contre la réforme des retraites, nous n'avions pas la possibilité de faire voler des drones. Cela nous a grandement handicapés. À Sainte-Soline, les personnes qui avaient des visées violentes ont utilisé les drones contre les gendarmes, lesquels n'avaient pas le droit d'employer les leurs. Nous pouvons désormais les utiliser, le Parlement ayant aplani l'obstacle. L'usage d'un drone de la préfecture de police a par exemple permis à la brigade de répression de l'action violente motorisée, à la suite de l'ignoble manifestation dite anti-police, d'interpeller trois personnes qui avaient attaqué un véhicule des forces de l'ordre.

J'en viens au bilan des manifestations. À la suite du recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, une petite partie des participants aux journées d'action a mené des actions très violentes. Le nombre de blessés, parmi les forces de l'ordre, a été multiplié par dix le 23 mars. Il est ensuite demeuré à un niveau élevé avant de connaître un nouveau pic à l'occasion du 1er mai. Le nombre de blessés était proportionnel à celui des interpellations, ce qui montre bien que la police et la gendarmerie ne sont pas à l'origine des violences.

Les services de renseignement, dont les notes classifiées sont à votre disposition, ont dû vous confirmer qu'ils avaient prévu la présence de l'ultragauche, à partir de la fin du mois de mars notamment, dans des actions violentes contre les symboles du capitalisme, les sites institutionnels et les forces de l'ordre.

On a dénombré, au total, 1 518 policiers et gendarmes blessés et plus de 3 500 incendies de voie publique. Des élus, des membres du Gouvernement ont été pris à partie, et 164 parlementaires ont vu leur permanence saccagée. Un commissariat a failli brûler à Lorient, une ville qui n'est pourtant pas connue pour ses violences contre les forces de l'ordre, alors que des fonctionnaires s'y trouvaient encore. La porte de l'hôtel de ville de Bordeaux a été incendiée. La mairie du 4e arrondissement de Lyon a fait l'objet de dégradations. Dans cette ville, les compagnies républicaines de sécurité ont reçu des pavés lors d'une manifestation interdite. Les forces de l'ordre ont également été victimes d'actes violents à Dijon. À Paris, pompiers et policiers ont évacué vingt-trois personnes en raison de l'incendie de leur immeuble dû à des feux de poubelles.

À Sainte-Soline, de nombreuses dégradations, dont les préjudices se chiffraient à plusieurs centaines de milliers d'euros, avaient déjà été commises sans attirer l'attention des médias en 2021 et 2022. La manifestation la plus importante, celle du 25 mars, comptait quelques milliers de manifestants, dont 500 black blocs d'après les services de renseignement. La présence importante de personnes étrangères est à souligner, même si nous en avons évité grâce à des interdictions administratives du territoire prises en collaboration avec nos partenaires suisses, belges et allemands. Il y a une internationale de l'ultragauche qui se mêle aux violences organisées. On a ainsi compté jusqu'à 300 activistes étrangers sur le site. Pendant les contrôles réalisés en amont, les gendarmes et les policiers ont découvert des haches, des coquetels Molotov, des piques, des armes létales.

Les groupuscules violents représentent plusieurs idéologies. Il y a une mouvance d'ultragauche très ancrée dans la culture de la violence depuis les années 1960 ; une mouvance d'ultra-jaunes peut-être moins politisée ; des délinquants opportunistes ; des militants radicalisés et expérimentés, dont beaucoup appartiennent à des catégories socioprofessionnelles supérieures, avocats, médecins, qui habitent de beaux quartiers, ont un patrimoine élevé et connaissent parfaitement leurs droits. Ces derniers ne sont pas des ouvriers en colère après la fermeture de l'usine. Leur pedigree n'est pas non plus celui du Lumpenprolétariat.

Ces groupuscules ont un noyau d'organisation avec des ramifications étrangères. Ils ont une pensée radicale, une expérience et des moyens intellectuels, juridiques et techniques. Ils disposent de radios parallèles et n'utilisent pas leurs téléphones portables qui sont, par un curieux hasard, souvent éteints la veille de la manifestation jusqu'au lendemain. Parmi les quelque 8 000 individus qui font l'objet d'un suivi par les services de renseignements en raison de potentielles actions violentes, il y a 3 000 fichés S d'ultragauche et 1 300 fichés S d'ultradroite. Le fiché S n'est pas forcément destiné à commettre personnellement des actes répréhensibles mais il peut être en contact avec des personnes dangereuses ou les financer. Par comparaison, nous suivons 5 300 fichés S islamistes.

Cette violence n'est pas nouvelle. Il y a eu plusieurs lieux de forte contestation, avant l'élection de l'actuel Président de la République : à Sivens avec la mort de Rémi Fraisse, puis à Notre-Dame-des-Landes. Au printemps 2016, la contestation contre la loi dite « travail » a été l'occasion de fortes violences. Le mouvement des gilets jaunes, au départ pacifique, a vu apparaître des exactions et une radicalisation dans certains territoires.

La France n'est pas le seul pays concerné. Le sujet n'est pas non plus propre aux policiers puisque les zones rurales sont aussi touchées. Chacun se rappelle les heurts au G20 de Hambourg, au G8 de Rostock ou au G20 de Londres, qui ont fait des morts et plusieurs milliers de blessés. Les zones à défendre (ZAD) sont partout présentes sur le territoire européen ainsi que sur le sol américain. En janvier 2023, à Lützerath en Allemagne, il y a eu des tirs contre les forces de l'ordre et des blessés très graves, notamment chez les « manifestants ». Le même mois, à Atlanta aux États-Unis, une ZAD s'est installée sur le lieu de construction d'une école de police. Les affrontements ont fait un mort et plusieurs blessés.

Les black blocs sont une sorte de franchise dont on exporte le savoir-faire. Des gens peuvent agir comme eux sans en faire partie. Leur organisation est nébuleuse, contrairement à celle de l'ultradroite qui a un rapport obsessionnel à l'ordre. Il existe des camps d'entraînement, des tutoriaux sur le dark web, que nous surveillons. Ces gens cherchent aussi à comprendre comment fonctionnent les forces de l'ordre. Il existe une stratégie d'anonymisation, comme je l'ai dit, ainsi que d'homogénéisation des apparences. On entend parler d'observateurs qui rencontrent des difficultés avec la police et la gendarmerie. Nous essayons de faire en sorte qu'ils puissent mener leur travail dans des conditions totalement démocratiques et acceptables pour eux. Mais vous constaterez qu'il y a très peu de reportages à l'intérieur du black bloc parce que, une fois découverts, les journalistes sont menacés et violentés. L'ouverture démocratique de ces gens n'est pas totale.

Le travail des forces de l'ordre est compliqué puisque les auteurs sont difficiles à identifier et que ces gens connaissent parfaitement les qualifications pénales. Il n'y a pas de possibilité de désescalade avec eux, contrairement au cas d'une manifestation qui tournerait mal, puisqu'il n'y a pas de contact avec le black bloc. Il n'y a pas aucun responsable qui vient discuter avec le préfet ou le commissaire de police sur place.

Parmi les éléments montrant l'organisation intellectuelle et pratique de ces groupuscules, je vous ai apporté un tract distribué à des milliers d'exemplaires la veille de la manifestation de Sainte-Soline. Il faut trouver un imprimeur, un graphiste pour tracer ces jolis dessins, des éléments pédagogiques. On y explique comment cela se passe. Si vous êtes blessé, par exemple, il ne faut surtout pas voir un vrai médecin, mais un soignant bénévole. Il ne faut avoir ni téléphone portable ni pièce d'identité. Il y figure les numéros d'avocats à appeler, les choses à dire aux policiers – en l'occurrence : rien. Cela devrait nous interpeler. Il faut des moyens pour produire ce type de documents. Il faut réfléchir. Les conseils juridiques et médicaux sont à la fois dangereux et bien faits. Ils démontrent une organisation malfaisante des événements.

Il y avait de tout à Sainte-Soline : des gens extrêmement violents, des étrangers venus rejoindre l'ultragauche, des écologistes radicaux, mais aussi des gens qui avaient envie de manifester pacifiquement. La manifestation avait été interdite par la préfète, interdiction confirmée par toutes les juridictions. Comme le montrent des vidéos, les véhicules de gendarmerie ont été ciblés par des jets de pavés. Tout se passe dans un champ ; il a donc fallu les apporter, ces pavés. Les gens ont fait des kilomètres à pied pour se confronter aux gendarmes avec des munitions. Notre-Dame-des-Landes a été une école pour une partie de ces militants aguerris.

L'État essaie d'améliorer la façon dont il peut fonctionner et d'apporter des réponses. Il faut distinguer ce qui relève du maintien de l'ordre lors de manifestations et ce qui relève du rétablissement de l'ordre quand il y a des violences. Vouloir appliquer les moyens et les règles du maintien de l'ordre dans une manifestation nécessitant un rétablissement de l'ordre, ce n'est pas comprendre le travail des forces de sécurité et les priver de rétablir l'ordre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est un point presse du Gouvernement, en fait !

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Pour les manifestations, qui peuvent parfois dégénérer, j'ai été le premier ministre de l'intérieur à proposer une doctrine dont les attendus ont été validés par le Conseil d'État en juin 2021, après avoir été retoqués une première fois. Le texte concerne l'organisation des forces de l'ordre, leur formation, la création de nouveaux centres d'entraînement en plus de celui de Saint-Astier. Un nouveau centre verra le jour à Villeneuve-Saint-Georges après avoir été voté dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur du 24 janvier 2023. Nous avons formé l'intégralité du corps préfectoral au maintien de l'ordre. Nous avons aussi acté la fin des grenades assourdissantes, clarifié les sommations, généralisé les caméras-piétons. Les travaux de la commission Delarue permettront d'améliorer la relation entre la presse et les forces de l'ordre.

Des dispositions légales sont prévues pour réprimer les attroupements. Rappelons que la participation à une manifestation interdite n'est pas légale et qu'elle tombe sous le coup d'une contravention. Le fait de l'organiser constitue, aux termes de l'article 431-9 du code pénal, un délit puni de six mois d'emprisonnement. Participer à un attroupement, soit dans une manifestation non autorisée, soit en marge d'une manifestation, après les sommations ou dans des rues parallèles qui ne font pas partie du parcours, c'est également sanctionné de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Le fait de dissimuler son visage, c'est un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. Le fait de détruire des biens, c'est jusqu'à dix ans d'emprisonnement, jusqu'à vingt ans l'infraction est commise en bande organisée – encore une fois, les biens sont particulièrement protégés par le droit. Les violences contre les forces de l'ordre sont quant à elles punies de trois ans de prison ou plus.

Des moyens inédits ont été déployés pour le maintien de l'ordre. Sur les sept nouveaux escadrons de gendarmerie mobile dont vous avez voté la création, trois et demi sont déjà opérationnels. Sur les quatre compagnies républicaines de sécurité, l'une a été mise en place et les trois autres le seront en novembre. Nous avons également donné des moyens au déploiement des drones. Par ailleurs, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a modifié le cadre juridique des dissolutions. Un nouveau bureau a été créé au sein du ministère de l'intérieur, à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. Il s'agit d'aider les préfets et les sous-préfets grâce à une cellule anti-ZAD permettant de mener une guerre juridique. Une trentaine de projets actuellement – autoroutes, aéroports, lignes à grande vitesse, bassines – sont susceptibles de voir surgir ces occupations sauvages.

Nos mesures ont été efficaces puisque nous avons dissous quarante-quatre associations ou groupements de fait depuis 2012, dont neuf depuis la loi du 24 août 2021. En outre, 666 interdictions administratives du territoire ont été prononcées par la direction générale de la sécurité intérieure pour les étrangers qui viendraient participer à des actions violentes en France. Les dissolutions sont partagées entre ultradroite et ultragauche : Zouaves Paris, Bloc lorrain, Bordeaux nationaliste.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez mentionné à plusieurs reprises l'existence de camps d'entraînement de ces groupuscules violents. Même s'il s'agit d'une nébuleuse, vous avez également fait état d'un noyau, de rameaux et de moyens juridiques et techniques. Le ministère de l'intérieur a-t-il d'ores et déjà engagé des actions contre tout cela ?

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Le fait de s'entraîner à des sports de combat ou de jouer à la guerre n'est pas un délit en soi. Le faire dans le but d'organiser le black bloc est constitutif, pour nous, d'une préméditation. Ce sont des éléments qui plaident en faveur de la dissolution auprès du Conseil d'État. La difficulté, c'est que l'ultragauche est composée de groupements de fait. On peut caractériser le fait qu'il y ait une hiérarchie, une idéologie, des réunions mais cela n'est pas juridiquement installé. Lutter contre une telle nébuleuse requiert un grand travail de renseignement avant de présenter le décret de dissolution en Conseil des ministres, après examen et accord du secrétariat général du Gouvernement. Nous organisons la surveillance de ces lieux qui servent à des projets factieux. Ils ont parfois plusieurs utilités : stands de tir, clubs d'arts martiaux. Tout ce travail prend du temps.

Pour ce qui est des noyaux, des gens sont surveillés selon diverses techniques. Si l'on essaie de caractériser des faits, il ne peut pas y avoir de Minority report, d'action préventive avant la commission du délit en droit français. Mais ces gens sont très au courant du droit et ils en utilisent les méandres pour limiter leurs peines en cas d'interpellation. Si nous voulons les interpeller et que leur condamnation soit sérieuse, nous devons caractériser une intention de nuire extrême et immédiate. Or, nos renseignements ne peuvent pas toujours se traduire en décisions de justice.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai entendu mon collègue Ugo Bernalicis s'interroger tout à l'heure sur l'utilité des éléments que vous avez communiqués à la commission d'enquête, en se demandant s'il s'agissait d'une conférence de presse du Gouvernement. Je trouve, pour ma part, ces éléments très intéressants. Nous avons entendu la semaine dernière l'un des collectifs les plus en pointe dans la lutte contre les bassines. Ses représentants ont expliqué que les pierres se prenaient à même la terre à Sainte-Soline, parce que le changement climatique avait entraîné une érosion des sols et que les pierres s'y cueillaient comme des fleurs. Les boules de pétanque, les machettes et les haches avaient été saisies dans les coffres parce que l'État avait procédé à un grand nombre de fouilles de véhicules : il était tombé sur des bûcherons et des amateurs de pétanque. Je pense, monsieur Bernalicis, qu'il était important que le ministre de l'intérieur nous fasse part de sa vision.

Il y a eu 3 339 interpellations entre le 16 mars et le 3 mai pour plusieurs millions de personnes mobilisées dans les manifestations. Je ne sais pas si la proportionnalité est un terme à retenir dans notre futur rapport mais l'existence d'un ciblage est relativement incontestable.

Est-ce qu'une logique de désescalade est possible ? J'entends ce que vous dites, que l'on ne peut pas discuter avec les black blocs. Mais, si je me fais l'avocat du diable, est-ce qu'il ne revient pas à l'État, qui a le monopole de la violence légitime, de faire le premier pas dans une désescalade ? C'est ce que je me suis demandé, comme beaucoup, à la suite de l'audition de Bernard Cazeneuve, la semaine dernière, qui donnait d'ailleurs plutôt un satisfecit à votre gestion du maintien de l'ordre alors même qu'il ne vous soutient pas politiquement. Comment atteindre ce but ? Les Français s'inquiètent de la résurgence systématique de phénomènes de violences à l'occasion des manifestations. Est-ce que cela passe par des moyens intermédiaires renforcés – je pense notamment aux canons à eau ? Faut-il employer des forces non spécialisées dans le maintien de l'ordre pour renforcer celles qui le sont ?

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Tout dépend des « manifestations » dont vous parlez. Je ne crois pas possible d'entrer dans une désescalade avec les black blocs. Vous avez eu raison de souligner qu'on ne les confond absolument pas avec les manifestants et encore moins avec les syndicats, qui nous appellent tous d'ailleurs pour surveiller le précortège. Il est compliqué d'imaginer une quelconque désescalade avec le black bloc, même si je suis toujours tenté de parier sur l'intelligence humaine. On ne voit pas bien la cause qui les anime ; ils ne veulent aucun contact avec les forces de l'ordre, la préfecture ou les syndicats. Les dirigeants syndicaux sont eux-mêmes insultés, parfois violentés. Ils sont violents, non seulement contre les forces de l'ordre, mais contre les représentants de tout système, y compris syndical. Je ne vois pas quelle autre réponse apporter que celle des forces de l'ordre et de la justice.

Les manifestations dites rurales ont lieu pour défendre des causes identifiées. Les black blocs vont quelque part semer la violence par principe d'action. À Sainte-Soline, des gens ont manifesté pacifiquement : une manifestation avait été autorisée dans la ville et s'est bien déroulée. Mais, pour les gens violents, ce n'est pas le jour de la manifestation qu'il peut y avoir une désescalade alors qu'ils n'ont tenu compte d'aucune étape démocratique : l'interdiction du préfet, les décisions administratives et juridictionnelles, y compris les interdictions de transport de matériel dangereux. La désescalade est délicate quand, en face, on conteste même l'arrêté du préfet qui interdit d'emporter des armes et des matières dangereuses dans sa voiture.

C'est en amont que la désescalade peut s'organiser. Mais on est là en dehors de mes compétences de ministre de l'intérieur. Les ministères de l'écologie, de l'agriculture, du renouveau démocratique peuvent être des endroits de discussion. Mais je ne suis pas sûr que ce soit le travail des gendarmes et des policiers, chargés de maintenir ou de rétablir l'ordre.

Il importe de faire la distinction entre le maintien de l'ordre, qui s'applique à des manifestations – dont vous avez défini dans la loi qu'elles supposent une déclaration préalable et des parcours précis – et le rétablissement de l'ordre public, qui intervient face à des attroupements sauvages visant notamment à commettre des violences. La désescalade est toujours possible dans un contexte de manifestation. Elle est, en revanche, difficile – et n'est en tout cas pas le travail du ministère de l'intérieur – dans une situation de rétablissement de l'ordre.

Beaucoup de gens disent aujourd'hui qu'ils étaient venus pacifiquement à Sainte-Soline et que la situation s'est dégradée. Or, à Sainte-Soline, les gendarmes n'ont pas quitté leur ligne. Dans une manifestation qui dégénère, comme cela a été le cas dans les rues de Paris lors du débat sur les retraites, on peut toujours se demander, images à l'appui, si les forces de l'ordre sont intervenues, si des provocations ont eu lieu, si le dispositif était proportionné ou s'il fallait recourir à la mobilité. À Sainte-Soline, il n'y a aucun doute. La consigne des gendarmes était claire : malgré l'interdiction de manifestation, ils n'ont jamais avancé contre les colonnes qui arrivaient sur eux, recevant patiemment des milliers de pierres, de haches et de coquetels Molotov. Ils ont accepté de prendre sur eux la violence, qui aurait été bien plus importante s'ils avaient répondu durant la première heure. Or, ils ont tenu leur ligne et c'est lorsque ces personnes sont arrivées au contact que la violence légitime a dû s'exercer afin de les empêcher de passer. Lorsqu'on en est là, il est trop tard pour désescalader. J'ose espérer que d'autres ministères et d'autres acteurs pourront préparer en amont l'organisation d'une manifestation qui devrait avoir lieu en début d'année prochaine afin que, toute bruyante qu'elle soit, elle ne s'en prenne pas physiquement aux forces de l'ordre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ceux d'entre nous qui se sont déplacés sur le terrain, à Sainte-Soline, ont constaté, au vu de la topographie, que pour qu'il y ait affrontement avec les forces de l'ordre, qui étaient statiques pour protéger une infrastructure, il fallait le vouloir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lors de leur audition par notre commission d'enquête, la semaine dernière, les représentants de Bassines non merci ! auxquels nous avons rappelé la saisie de boules de pétanque, de haches, de coquetels Molotov et de six tonnes de pierres, ont expliqué qu'il était normal d'avoir de tels objets dans le coffre de sa voiture. Pourquoi avez-vous contrôlé autant de véhicules ? A-t-on pu démontrer que la majorité de ceux qui ont été contrôlés se rendait à cette manifestation ? D'après ces personnes auditionnées, en effet, on a fouillé le tout-venant et même des habitants qui ne voulaient pas manifester.

Parmi les nombreux sujets évoqués durant l'audition et sur lesquels je ne reviendrai pas, comme l'autogestion, la responsabilité des violences était systématiquement imputée à la police. Selon les personnes auditionnées, ce serait la gendarmerie qui aurait décidé d'aller au contact alors que les militants n'étaient pas violents et qu'ils se trouvaient là pour des raisons éducatives. Ils souhaitaient informer, montrer ce qu'étaient les bassines et leurs impacts sur le climat, l'écologie et la biodiversité. Ceci explique pourquoi ils réunissaient un si grand nombre de gens venus de France et d'Europe.

Pourquoi avez-vous envoyé autant de gendarmes si cette manifestation ne devait pas être violente ? À entendre ces organisations, en effet, tout serait de la faute du ministère de l'intérieur, de la gendarmerie et, potentiellement, des politiques qui n'ont pas compris leur objectif. Comment avez-vous pu vous rendre compte que cette manifestation allait finir par dériver et pourquoi a-t-elle été annulée en amont ? Qu'est-ce qui a motivé les positions du ministère de l'intérieur dans cette affaire ? Selon les personnes auditionnées, ce sont elles qui sont victimes d'une forme de dictature de l'État. Il n'y aurait pas eu de violences de la part des manifestants et, si le cortège était divisé en trois, ce n'était certainement pas pour prendre les gendarmes en tenaille.

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Au sens physique du terme, de nombreuses manifestations interdites se passent bien malgré les violences, les autoroutes coupées, les trains arrêtés et la dévastation d'entreprises ou de certains sites. Nous parvenons à anticiper et nous mobilisons beaucoup de moyens, comme récemment dans les Alpes où une ZAD s'est constituée autour de La Clusaz en raison de difficultés liées à l'accès à l'eau, qui suscitent de nombreuses confrontations entre les stations de ski, les agriculteurs et les personnes qui contestent ces retenues.

En premier lieu, nous nous efforçons d'obtenir des renseignements. Tout le travail du ministère de l'intérieur en la matière consiste à savoir ce qui va se passer, combien seront les manifestants, s'ils seront violents et si des personnes que nous suivons en feront partie. Quand on sait, comme c'était le cas à Sainte-Soline, que quelques centaines de personnes qui viendront de l'étranger comme de France sont fichées, on peut penser que la manifestation risque de mal évoluer. Ces personnes peuvent certes subitement devenir de gentils agneaux, mais lorsque les autorités de l'Allemagne, de la Suisse, de l'Italie, de l'Espagne et du Royaume-Uni nous signalent que, sur la foi d'écoutes téléphoniques et de sources internes, elles savent que des gens considérés ultraviolents d'ultragauche, ayant participé à des manifestations très dures sur leur sol national, ont l'intention de se déplacer en France, nous savons que ce ne sera pas le rendez-vous des copains de Georges Brassens. Nous savons donc, sur la base de ces indications, qu'il y aura des difficultés. Nous proportionnons les forces en conséquence.

On sait aussi, en source ouverte, si les associations mobilisent beaucoup leurs amis et si, territorialement, comme c'est le cas dans l'ouest de la France, les gens se sentent concernés. À Sainte-Soline, nous avons été alertés par le fait qu'un agriculteur avait autorisé l'occupation de son terrain pour installer la fameuse tour. Des signes de coordination montraient qu'il y aurait du monde. Il était également prévu qu'une noria de tracteurs se joigne à cette manifestation. La préfète des Deux-Sèvres a obtenu, et je l'en remercie, une désescalade sur ce point en discutant avec la Confédération paysanne, que je remercie également d'avoir renoncé à cette démonstration de force. Imaginez ce qui se serait produit si les tracteurs étaient venus sur site affronter les gendarmes ! Les choses auraient été encore plus graves. Je le répète : des dizaines d'opérations se passent bien et ne donnent lieu ni à débat médiatique ni à commission d'enquête. En général, le nombre des forces de l'ordre mobilisées dissuade les personnes qui en seraient tentées de recourir à la force.

À Sainte-Soline, la difficulté tenait au fait qu'une partie de ces personnes avaient incontestablement la volonté d'utiliser la violence pour montrer que l'État était violent. Toute la question est de savoir qui a été l'agresseur dans cette affaire. Je pense, quant à moi, que ce ne sont évidemment pas les forces de l'ordre, qui n'ont eu recours à la violence que d'une manière légitime et proportionnée. Une autre difficulté tenait à la particularité du site. Il fallait couvrir des dizaines de kilomètres sur un terrain agricole et les opérations pouvaient se dérouler en une multiplicité d'endroits puisque d'autres bassines pouvaient être également visées. Enfin, les agriculteurs et les élus de la zone, avec qui j'ai eu des réunions, craignaient que l'on vienne sectionner des câbles, envahir des fermes ou détruire des installations.

Les renseignements dont nous disposions, qui laissent toujours un risque d'erreur, montraient que les choses n'allaient pas très bien se passer. Nous avons néanmoins été surpris de constater qu'à l'exception de la Confédération paysanne, avec laquelle une désescalade a été possible, une partie des personnes attendues affichait une volonté de nuire. La justice a d'ailleurs reconnu le bien-fondé de tous les actes de la préfète des Deux-Sèvres et des préfets des territoires concernés.

Par ailleurs, de nombreux responsables politiques nationaux s'étaient annoncés. Des parlementaires revêtus de leur écharpe tricolore se sont parfois placés face au cordon de gendarmes, devant des individus violents. J'avais heureusement demandé aux gendarmes de filmer ces scènes car je sais trop, par expérience, que pour certaines personnalités politiques, c'est toujours, par principe, la faute des policiers. Les images ont montré que, pour la parlementaire concernée, la provocation n'était pas du côté des gendarmes, et l'on n'a d'ailleurs plus beaucoup entendu parler de cet incident par la suite.

Plusieurs faisceaux d'indices laissaient donc penser que les choses ne se passeraient pas bien, que les manifestants seraient nombreux, qu'il y aurait des individus violents, venus notamment de l'étranger, et que les possibilités d'attaque et la zone à couvrir appelaient une démonstration très forte de la part des forces de l'ordre.

On peut certes transporter des haches. Mais il faut alors penser qu'il y a à Sainte-Soline beaucoup de bûcherons et beaucoup de gens qui font des travaux de terrassement, jouent à la pétanque, font des coquetels Molotov et transportent des bidons d'essence pour le plaisir ! Les arrêtés des préfets pour interdire le transport d'armes ont tous été validés par le juge administratif. Nous ne parlons pas ici d'une arme, d'une boule de pétanque ou d'un pavé isolé. Ceux qui se sont rendus sur le site ont constaté que les boules de pétanque ne poussaient pas dans ce champ. En outre, nous avions pris soin de retirer tout le matériel de travaux aux alentours car il arrive que, dans les manifestations de foule, ce matériel soit utilisé à des fins martiales. Par ailleurs, pour atteindre la ligne des gendarmes, il fallait franchir des kilomètres sans pouvoir se servir de son véhicule : un bûcheron devait donc prendre sa hache dans son coffre et traverser le champ avec. Chacun a bien vu que ces personnes étaient organisées, avec boucliers et parapluies, alors qu'il ne pleuvait pas ce jour-là.

Pour une partie des manifestations violentes, la préméditation est caractérisée. Il serait bon de le reconnaître. Les causes souvent nobles et respectables sont bousculées par la violence d'un groupe certainement très minoritaire, comme c'était le cas à Sainte-Soline, par rapport aux milliers de personnes présentes ou manifestant dans les autres cortèges et dans la ville. Malheureusement, ces quelques centaines de personnes agressives, en attaquant les forces de l'ordre, n'ont pas servi la cause écologique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lorsque vous vous étonniez, monsieur le ministre que les gens fassent usage des droits qui leur sont dévolus par le code de procédure pénale, comme celui de garder le silence, et évoquiez ceux qui ont l'habitude d'utiliser tous les moyens de droit pour se défendre, j'ai cru que vous parliez des membres du Gouvernement mis en cause pénalement. Mais j'ai dû me tromper car la suite de vos propos était assez claire sur cette question.

Je souscris toutefois à votre idée : il conviendrait de combler le déficit démocratique pour éviter des situations de violence. Si, par exemple, une convention citoyenne sur le climat était organisée et que le Président de la République s'engageait à inscrire dans la loi toutes ses propositions, cela pourrait peut-être contribuer à la désescalade.

Pour en revenir à Sainte-Soline, vous confondez, pour la convenance de votre discours, plusieurs manifestations et plusieurs événements. Ce n'est pas grave et nous n'entrerons pas dans ces détails. Vous dites qu'il n'y a pas eu de provocation et que les forces de l'ordre ont encaissé et subi durant de longues minutes ou de longues heures. Si l'on fait abstraction des quads et du fait que les gendarmes ont tiré sur le mauvais cortège, tout ce que vous avez raconté est presque vrai. S'agissant précisément des quads et des tirs de lanceur de balles de défense sur un cortège pacifique, vous avez déclaré n'avoir constaté aucun problème de disproportion de l'usage de la force.

Continuez-vous à vouloir que les policiers ne puissent pas être mis en cause et placés en détention provisoire lorsqu'ils commettent des exactions, comme l'a proposé cet été le directeur général de la police nationale ? Avez-vous l'intention de déposer un projet de loi en ce sens, visant à ce que les policiers mis en cause dans le cadre de leurs fonctions pour usage disproportionné de la force ne puissent pas faire l'objet de mesures privatives de liberté au moment de l'enquête ?

Enfin, comment se fait-il qu'avec 24 000 fouilles, il y ait encore eu des pavés et des armes sur le terrain ? C'est invraisemblable ! Les forces de l'ordre feraient-elles mal leur travail ? Qui mettez-vous en cause de la sorte ?

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Certaines de vos questions ne me semblent pas relever de l'objet de votre commission d'enquête. Mais je veux bien y répondre, par principe.

Je regrette qu'une nouvelle fois, vous ne condamniez pas les violences. Vous les justifiez même. C'est dommage car il me semble que les mouvements pacifistes condamnent la violence. À la différence de vous, je ne vois pas de rapport entre le combat pour le climat et le fait de jeter un coquetel Molotov sur un gendarme, ou entre la défense de l'écologie et de la nature et des jets de boules de pétanque à la tête d'un policier. Je ne suis pas sûr que les gens qui agissent ainsi se disent qu'ils arrêteraient de jeter des haches sur un sous-officier de la gendarmerie à terre si un texte de loi reprenait les propositions d'une convention citoyenne. Tout le monde, monsieur le député, gagnerait à dire que la violence n'est jamais une bonne chose. La politique consiste d'ailleurs à tenir dans un débat pacifié et non-violent des discussions qui étaient auparavant violentes. Je ne souscris donc pas à vos attendus.

Quant aux quads, ils servent, comme les deux-roues de la brigade de répression de l'action violente motorisée, à assurer la mobilité des forces de l'ordre. Je vous rappelle à cet égard que j'ai saisi l'inspection générale de la gendarmerie nationale, dont le rapport est à votre disposition. La vidéo a montré le tir effectué depuis le quad. C'est la raison de cette saisine concernant deux gendarmes. Mais les images ne montrent malheureusement pas ce qui se passait autour de la scène.

C'est dommage, comme dans le cas de la vidéo montrant une voiture de police et un policier sortant son arme durant une manifestation, abondamment relayée par des membres ou des sympathisants de votre parti politique avant qu'on se rende compte de ce qui se passait dans les trente secondes qui précédaient, lesquelles ont suscité moins de commentaires. De fait, on ne vous a pas entendu condamner les personnes qui avaient frappé à coups de barre de fer. Je rappelle d'ailleurs que, dans ce dernier cas, les policiers concernés ne couvraient pas la manifestation, mais venaient d'arrêter un trafiquant de drogue dans le contexte de la Coupe du monde de rugby et en un lieu où il n'était pas prévu que passe le cortège. Il s'agit donc là d'une forme intéressante de manipulation médiatique de la part de ceux qui n'aiment pas la police et les policiers, tout en leur reprochant, comme vous venez de le faire, monsieur Bernalicis, de ne pas effectuer assez de contrôles. Peut-être faut-il donc, comme vous le demandez, qu'il y ait davantage de contrôles ? Je retiens votre proposition. Toujours est-il que nous avons saisi ce jour-là six tonnes de pierres. Pour en revenir à la vidéo tronquée de Paris, heureusement que les trente secondes précédentes ont été diffusées : les personnes concernées n'étaient pas dans la manifestation et s'en prenaient à des policiers qui n'encadraient pas cette dernière, mais venaient d'interpeller un trafiquant de drogue. Monsieur le député, quand on dit la vérité, il ne faut pas la dire à moitié.

En troisième lieu, vous m'avez interrogé sur la responsabilité des forces de l'ordre et leur lien avec l'autorité judiciaire. Je souscris pleinement, je le répète, aux propos du directeur général de la police nationale et du préfet de police. Il ne s'agit pas que policiers et gendarmes bénéficient, à la demande de leur hiérarchie à laquelle j'appartiens, d'une justice d'exception. J'ai d'ailleurs proposé moi-même l'aggravation des sanctions contre les policiers et les gendarmes qui commettent des fautes à l'encontre des règles qui s'appliquent à tous les Français. Portant l'uniforme de la République, dépositaires de la violence légitime, portant des armes et exerçant la contrainte du droit, ils sont investis d'un devoir d'exemplarité. De fait, et je crois que vous avez même voté ces dispositions, lorsqu'un policier ou un gendarme, en dehors de ses fonctions, est condamné pour violences conjugales ou confondu comme consommateur de drogues, il n'est plus traduit devant le conseil de discipline comme c'était le cas auparavant, mais purement et simplement banni du port de l'uniforme de la République. Les policiers et les gendarmes doivent être condamnés plus sévèrement que les simples citoyens lorsqu'ils utilisent à mauvais escient les moyens que leur a donnés le Parlement.

Il faut toutefois distinguer la faute consciente de celle qui relève du quotidien et n'a pas été commise intentionnellement. À Marseille, dans le cas du policier du Raid qu'évoquait le directeur général de la police nationale, et dans le respect du secret de l'instruction, on peut penser qu'en utilisant des armes intermédiaires plutôt que des armes à feu, les policiers acceptent l'idée de la proportionnalité de l'emploi de la force. Comme je le disais avant votre arrivée, monsieur le député, la question n'est pas celle de l'utilisation de la violence, mais de la proportionnalité de cette utilisation. C'est très différent. C'est à l'inspection générale de la police ou de la gendarmerie nationale, dans le cadre judiciaire ou administratif, de déterminer si l'usage de la violence est proportionné. Puis la question peut être confiée à un juge d'instruction.

Il s'agit de savoir si un policier ou un gendarme a droit à la présomption d'innocence. Je pense que la réponse est oui. J'ai même l'impression que le policier ou gendarme mis en cause ne peut pas être traité comme un délinquant. Il a en effet, avec les responsabilités supplémentaires qui lui sont confiées, une voix assermentée, comme on disait naguère, et l'on doit le croire davantage que le délinquant. De même, je crois la parole du professeur plutôt que celle de l'élève : lorsqu'il dit à un parent que son fils a commis telle action, peut-être ment-il mais, si on respecte l'autorité, peut-être faut-il d'abord donner crédit à sa parole. Cela ne signifie pas que cette parole doive être acceptée quoi qu'il arrive. Mais je suis, a priori, plutôt du côté du policier, du juge, du professeur et du maire.

Quant à la détention provisoire, des policiers et gendarmes s'y trouvent actuellement. Ils sont une vingtaine pour la police nationale et ils le méritent pleinement s'ils sont confondus par l'évidence des preuves, car ils ont déshonoré l'uniforme de la République. Il est normal, par exemple, pour l'honneur de la police nationale, que les policiers adjoints qui ont participé à un trafic de cocaïne en Guyane soient en détention provisoire dans l'attente de leur jugement. Les faits sont incontestables. Je n'ai jamais demandé le contraire. En revanche, un policier ou un gendarme qui, dans le cadre de ses fonctions, a peut-être – j'insiste sur ce mot – employé la force d'une manière non conforme à la déontologie et aux règles, s'il doit évidemment être jugé et, au bout du compte, sanctionné, a-t-il vraiment sa place en prison au même titre qu'un délinquant qui n'a aucune garantie de représentation que requiert le code de procédure pénale, veut faire pression sur les témoins, dispose d'une bande organisée qui peut le lui permettre et peut partir se cacher à l'étranger, ce qui n'est pas le cas pour l'immense majorité des policiers et gendarmes ? Il ne s'agit aucunement que ces derniers ne répondent pas de leurs actes et ne soient pas condamnés. Ils doivent évidemment l'être, et plus lourdement que les autres citoyens, lorsqu'ils ont commis des fautes. Mais il faut d'abord, a priori, écouter plutôt leur parole que celle des délinquants. Établir une égalité entre eux me choque. Je suis de leur côté.

Monsieur le député, il est dommage que vous ne vouliez pas parler des manifestations. Il y aurait beaucoup à dire à propos des black blocs. Il est également dommage que vous ne restiez pas un jour durant parmi les policiers et les gendarmes, comme le sénateur de Saône-et-Loire qui avait beaucoup dénoncé les actions de la brigade de répression de l'action violente motorisée, et qui a passé une journée avec elle. Vous verrez qu'il s'agit de pères et mères de famille qui ont envie que les choses se passent bien. Vous pourrez mesurer la violence qu'ils subissent. Sans être nécessairement d'accord avec moi, peut-être, comme ce sénateur, changerez-vous d'opinion.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La semaine dernière, nous avons auditionné le collectif Bassines, non merci ! et plusieurs d'entre nous ont été effarés par ce que nous avons entendu. Nous avons écouté patiemment des personnes certainement mues par une extrême motivation en faveur de la protection de l'environnement, mais dont les propos nous ont alertés, s'il en était encore besoin, à propos d'une tendance à la désobéissance civile observée dans la société et chez certains groupes écologistes.

Il faut distinguer entre des personnes pacifistes venues manifester pour des idées et des groupuscules violents qui ne sont absolument pas là pour des revendications, mais pour casser. L'audition de la semaine dernière a montré que certains organisateurs de manifestations relient directement leur cause à une volonté d'être violents à cette occasion. La semaine dernière, le porte-parole de cette organisation nous disait s'être autorisé à pratiquer la désobéissance civile. Il estimait que c'étaient vos arbitrages qui avaient conduit à la violence dans cette manifestation. Il allait même jusqu'à suggérer que les forces de l'ordre pouvaient être qualifiées de « groupuscule violent ».

Nous croyons quant à nous, monsieur le ministre, que le fait de transgresser la loi de la République sous prétexte qu'une action serait légitime est un glissement dangereux dans nos démocraties. Cette légitimité peut être prétextée par n'importe qui, pacifiste ou dangereux criminel. Comment gérer cette inversion des valeurs et stopper cette tendance grave ? L'arsenal juridique, déjà renforcé par la loi du 24 août 2021, est-il suffisant face à cette radicalité ?

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Dans mon propos introductif, je me suis efforcé d'évoquer deux glissements sémantiques ou deux inversions de valeurs touchant respectivement la proportionnalité dans l'utilisation de la violence et le fait qu'il est aussi important de protéger les biens que les personnes. C'est du moins ce qu'affirment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'ensemble de nos codes juridiques.

Un troisième glissement sémantique, minoritaire, consiste à considérer que deux groupes s'opposent : d'un côté les policiers et gendarmes, et de l'autre les manifestants. Il suffirait de constater, à la fin de l'affrontement, lequel de ces deux groupes a mal utilisé la force. Je m'inscris totalement en faux contre ce glissement. Il n'y a pas deux camps qui s'opposent. Les forces de l'ordre sont la police et la gendarmerie nationales, et non celles du Gouvernement. Elles appliquent la loi votée par les parlementaires et les décisions de justice.

Je rappelle à ce propos que les placements en garde à vue, les prolongations de garde à vue et les contrôles d'identité sont toujours effectués sous l'autorité de magistrats, et non sous celle du ministre de l'intérieur. Même si beaucoup de gens aimeraient que je puisse décider des arrestations, interpellations et mises en garde à vue ou en examen, ce pouvoir appartient à des magistrats indépendants, qui l'emploient de manières diverses, qu'il s'agisse du procureur de la République compétent à Sainte-Soline ou à Paris. La séparation des pouvoirs est garantie.

On ne peut pas placer un signe d'égalité entre les forces de l'ordre et, quelle que soit la cause qu'ils défendent, les manifestants violents – et encore ce mot est-il inapproprié dans ce contexte, où il vaudrait mieux parler de « personnes violentes ». Cela signifierait que les règles que la République s'est fixées démocratiquement sont relatives et susceptibles d'interprétation, et que la violence permettrait de les changer. Il y a des moments qui permettent de faire évoluer les lois démocratiques : ce sont les élections. Il y a aussi un moyen d'action démocratique et pacifique qui permet de faire pression pour modifier ces lois : c'est la manifestation.

Certains de nos compatriotes, minoritaires mais dont le discours est relayé médiatiquement et politiquement, estiment que le combat démocratique ne suffit pas et qu'il faut aller vers des actions violentes pour se faire entendre. Cela doit nous interpeller. On a déjà connu ce genre d'expériences par le passé. L'ultragauche italienne des années 1970 a commencé par s'en prendre aux biens pour finir par assassiner des gens. Je ne dis pas que c'est ce qui se passera en France. Je dis que, lorsqu'on commence à recourir à la violence, il est difficile de l'arrêter car si les attaques contre les biens ne produisent pas le changement attendu, on peut être amené à aller plus loin. Si la violence contre les personnes ne se fait plus seulement par ricochet, comme celle qui touche les gendarmes lorsqu'ils protègent les bassines, mais qu'elle devient un but en soi avec l'idée qu'il faut s'attaquer à telle personne pour changer les choses, on bascule dans une autre logique.

La question de la violence contre les biens est très importante. Si le législateur change les principes du droit, les policiers les appliqueront. Mais, dans le droit actuel, les biens sont protégés. Le droit de propriété est fondamental. À Sainte-Soline, on a souillé le droit de propriété, pas seulement des bassines mais aussi des champs des agriculteurs. Dans ces champs qui ont été traversés et piétinés par des milliers de manifestants, on a retrouvé pendant des semaines des mortiers, des boules de pétanque et des pavés, ce qui les a rendus incultivables pendant plusieurs mois. Or, cela ne semble avoir choqué personne : les médias n'en ont rien dit.

La défense de l'écologie cache souvent une idéologie anticapitaliste et antidémocratique. Chacun sait qu'une partie de l'ultragauche est opposée à la propriété et qu'elle estime que certains biens, comme l'eau, devraient être mis en commun. Une partie de l'ultragauche s'oppose au droit de propriété...

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

...à la démocratie libérale et aux élections libres. D'aucuns estiment que leur cause est plus importante que la démocratie, que le choix majoritaire libre et disputé.

Les policiers et les gendarmes, en tout cas, appliquent les principes que nous avons définis depuis 1789. Si vous voulez changer les fondements de notre droit, il faut seulement le leur dire : ils feront ce qu'on leur demande et ils appliqueront le droit voté par le Parlement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lorsque nous avons auditionné M. Bernard Cazeneuve, il a déclaré que l'attitude de La France insoumise à l'égard des forces de l'ordre était irresponsable et que qualifier un ancien ministre de l'intérieur d'assassin sans dénoncer les violences dans les manifestations était indigne. Selon vous, quel est l'impact des déclarations et postures de certains responsables politiques sur l'ampleur des violences lors des manifestations dont nous parlons ? Pensez-vous que les événements de Sainte-Soline et l'incendie de la mairie de Bordeaux pendant les manifestations contre la réforme des retraites auraient eu lieu sans certaines déclarations de responsables politiques ? Établissez-vous un lien direct entre elles et le caractère insurrectionnel et violent de certains manifestants ?

Vous avez décrit l'attitude de certains parlementaires présents à Sainte-Soline. Pouvez-vous préciser de qui il s'agissait ? Les membres du collectif Bassines non merci !, que nous avons auditionnés la semaine dernière, étaient accompagnés d'un juriste de la Ligue des droits de l'homme, qui nous a remis un rapport dans lequel on voit des photos de parlementaires en écharpe, dont certains sont identifiables. Que pensez-vous de tout cela ?

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

La parole publique a une influence sur les personnes. C'est incontestable. Et c'est encore plus vrai quand vous êtes un responsable politique, candidat à l'élection présidentielle, que des millions de personnes votent pour vous et que vous avez accès à un très large public. Dans « responsable politique », il y a « responsable ». Quand on a la chance, l'honneur, de susciter une large adhésion, on a des responsabilités.

Les slogans, les caricatures et les insultes font partie du jeu politique. Ils ont toujours existé dans la République. Mais ils peuvent devenir dangereux. Le parti communiste et le parti socialiste se sont désolidarisés de la manifestation dite « anti-police » organisée notamment par La France insoumise, parce qu'ils savaient qu'elle allait mal se terminer. On peut saluer leur décision. Que dire de slogans comme « Un flic, une balle » ou « Suicidez-vous ! » ? Les mêmes parlementaires qui nous interrogent sur le malaise dans la police nationale participent à des manifestations où l'on brandit ce genre de pancartes. Les policiers et les gendarmes encadrent des manifestations de gens qui ne les aiment pas, qui les insultent et qui les invitent à se suicider !

Je pense, en effet, que les propos du chef de La France insoumise ne sont pas étrangers à l'hyper-violence que nous avons connue. Je note que certains élus de La France insoumise prennent leurs distances avec ces propos : je pense à M. François Ruffin, qui explique volontiers que la question est plutôt sociale et économique qu'identitaire et anti-police, mais aussi à M. Alexis Corbière, qui tient souvent des propos positifs sur l'action de la police. C'est l'un des seuls députés de La France insoumise à se rendre au commissariat lorsque je me déplace. Je l'en remercie car il montre qu'on peut être à la fois très opposé au Gouvernement, exigeant vis-à-vis de la police nationale et ne pas partager les propos excessifs, insultants, voire ignominieux qui déclenchent, de mon point de vue, certaines violences. Ce qui est certain, c'est que cela crée une atmosphère défavorable au respect des forces de l'ordre.

N'oublions pas qu'il existe une longue tradition, à gauche, de soutien à la police et à la gendarmerie nationales. De grands courants humanistes ont pris fait et cause pour la police et la gendarmerie. Pierre Joxe et Jean-Pierre Chevènement incarnent cette tradition, dont fait aussi partie Bernard Cazeneuve. Je ne confonds pas la gauche, dont une partie des policiers et des gendarmes font d'ailleurs culturellement partie, avec les propos excessifs et abjects de certains représentants de La France insoumise et d'autres mouvements d'extrême gauche.

Les policiers et les gendarmes sont souvent des enfants du peuple. Ils gagnent entre 2 000 et 3 000 euros par mois. Ils ont des conditions de logement difficiles. Ils subissent beaucoup de pression et ils sont confrontés à la misère sociale. Ce ne sont pas les enfants des patrons du CAC40 qui sont policiers – ou alors, c'est l'exception. Ce sont souvent des enfants de petits fonctionnaires, d'artisans et de commerçants. Par ailleurs, ce sont souvent des jeunes, alors qu'on a tendance à opposer la police et la jeunesse. Les policiers et les gendarmes qui viennent des couches populaires, qui adhèrent plutôt à l'idéal de la gauche et qui sont attachés au service public, car on ne devient pas policier par goût de l'argent ou par passion pour la financiarisation de l'économie, peuvent avoir un sentiment de trahison. L'appel à la violence que certains lancent contre eux s'y ajoute.

Au fond, je crois qu'une partie de La France insoumise exerce, à l'égard des forces de l'ordre, une double violence. Il y a d'abord la violence systémique contre les policiers, qui peut pousser des gens à l'agression envers eux, parce qu'ils tueraient ou qu'ils commettraient des violences. Et il y a la violence que ressentent ceux qui s'estiment trahis. Je constate que, dès que des responsables politiques reçoivent des menaces ou sont victimes de coups, les gendarmes et les policiers n'hésitent pas un instant à les accueillir et à enquêter. Du reste, c'est parfaitement normal.

Cette violence peut être difficile à vivre pour les policiers et les gendarmes. Il n'est pas drôle, pour un père, d'entendre son enfant lui demander, après avoir regardé la télévision : « Tu tues, papa ? ». Les policiers et les gendarmes n'indiquent plus forcément leur métier sur le carnet de correspondance de leur enfant. On a créé ce halo de suspicion autour d'eux. Pourtant, 75 % des Français font évidemment confiance à leur police.

S'agissant des parlementaires présents à Sainte-Soline, je n'ai pas grand-chose à dire. Je m'étonne que des gens qui jouent le jeu démocratique, qui se présentent aux élections et qui connaissent le rapport de force refusent les règles du jeu quand ils perdent. Ils ont perdu les élections. Ils gagneront peut-être les prochaines. La démocratie, c'est l'alternance. J'ai du mal à comprendre que des parlementaires soient allés manifester avec leur écharpe malgré l'interdiction de la préfète, confirmée par un juge, et alors que cette même préfète avait pris contact avec eux pour les prévenir qu'il y aurait de la violence. On a aussi assisté à une scène étonnante : un nouveau sénateur a été pris à partie par des manifestants qui lui reprochaient sa présence. Cela témoigne de luttes internes qui peuvent expliquer la surenchère dans la violence. Quand je vois des parlementaires en écharpe au milieu de ce qui s'apparente à une scène de guerre, au contact des boucliers des gendarmes, avec quelqu'un qui filme le tout, je suis circonspect.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir évoqué abondamment la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Comme je vois que vous êtes un amoureux de l'histoire, je me permettrai de rappeler que ce texte est l'enfant d'une longue suite d'illégalités particulièrement graves, dont la prise de la Bastille, qui était légitime mais illégale, et la désobéissance au roi, elle aussi légitime mais illégale. À chaque fois que vous venez à l'Assemblée nationale pour les questions au Gouvernement, vous passez devant la magnifique sculpture représentant nos illustres prédécesseurs refusant de déférer à l'ordre de dispersion du roi, ce qui était illégal mais profondément légitime. L'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen esquissait déjà le principe de la violence légitime.

Comment expliquez-vous que des personnes puissent être gravement blessées, assommées, voire mutilées et ne fassent pas l'objet d'une interpellation ? Si quelqu'un est dangereux au point qu'il faille l'assommer pour le contrôler, il est difficile de comprendre qu'il ne soit pas interpellé. Comment expliquez-vous que des manifestants aient été laissés pour morts, qu'aucune interpellation n'ait eu lieu et que l'on n'ait même pas appelé les secours ?

Quels sont les éléments dont vous disposez au sujet des élus présents à Sainte-Soline ? Les observateurs de la Ligue des droits de l'homme ont mis tout leur matériel à notre disposition : sur les photos qu'ils ont transmises, on voit en effet des élus en train de protéger un îlot où sont concentrés des blessés qui bénéficient de soins. Avez-vous des éléments montrant que des élus auraient fait autre chose ? Vous avez évoqué une députée – je crois deviner qu'il s'agissait de Mme Lisa Belluco. Mais vous vous êtes trompé de date : c'était à l'automne 2022.

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Je n'ai cité personne !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Enfin, j'aimerais savoir combien on compte de blessés par accident parmi les forces de police et de gendarmerie. J'ai posé la question à votre « subordonné » – je mets des guillemets car je n'ai jamais vu un directeur général de la police nationale dicter sa ligne politique à un ministre de l'intérieur sur un sujet constitutionnel, à savoir la séparation des pouvoirs. Il ne nous a toujours pas donné le nombre de blessés accidentels parmi les forces de police. Je crois que le directeur général de la gendarmerie nationale s'est également engagé à nous donner le nombre de blessés accidentels parmi les forces de gendarmerie. Cela permettrait d'éclairer les travaux de notre commission car les chiffres donnés forment un bloc indistinct. Or, la nuance est de mise sur des sujets aussi graves que l'atteinte à l'intégrité physique d'agents du service public.

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Votre démonstration est attrayante mais parfaitement réfutable. Vous comparez la prise de la Bastille et la Révolution française aux manifestations de Sainte-Soline. C'est parfaitement ridicule puisqu'on n'est pas du tout dans le même régime politique. Soyons sérieux !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Commencez par être sérieux, monsieur le ministre ! Vous êtes devant une commission d'enquête, pas sur un plateau de télévision !

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

J'ai prêté serment. Vous faites une comparaison étonnante en disant qu'il faut parfois commettre des actions illégales pour faire progresser le droit. Vous comparez la situation actuelle à une époque où nous étions en monarchie absolue, sans séparation des pouvoirs et sans élections libres. Les représentants qui ont fait le serment du Jeu de Paume et qui ont refusé de déférer à l'ordre de dispersion du roi que leur apportait le marquis de Dreux-Brézé n'avaient pas été élus dans le cadre d'une élection libre et disputée, dans laquelle chaque voix a la même valeur, où celle de M. Pouyanné vaut la mienne, celle de ma mère et celle de votre voisin. Tout le monde ne pouvait pas se présenter aux élections. Il n'y avait pas ni liberté de manifester ni liberté de la presse, pas plus que de liberté religieuse, de liberté de s'opposer ou de faire valoir ses droits avec des avocats de la défense. Bref, il n'y avait pas de démocratie.

Vous comparez donc la prise de la Bastille avec Sainte-Soline dans une démonstration ubuesque, en expliquant qu'on a le droit de faire des choses violentes pour faire progresser le droit. Aujourd'hui, nous avons la séparation des pouvoirs, une Constitution, des élections libres et disputées. Vous pouvez dire n'importe quoi à un ministre devant une commission d'enquête sans qu'il ne se passe rien. Fort heureusement !

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Vous avez la possibilité d'organiser des partis politiques et de les financer. Vous pouvez avoir la religion que vous souhaitez, faire les annonces politiques que vous voulez. Vous avez droit à un avocat dès la première heure de garde à vue. Vous comparez des choses qui ne sont pas comparables. Mais je comprends bien que ce que vous voulez suggérer : nous sommes en dictature et vous allez nous en libérer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai parlé de cela parce que vous parliez vous-même de glissement sémantique. Mais c'est peut-être trop compliqué pour vous.

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Évitez les insultes car cela ne vous sied pas. En démocratie, il est bon de s'écouter. Je vois que vous avez du mal à le faire. Cela montre votre conception du pluralisme. Comparer la France de la Ve République en 2023 à la monarchie de Louis XVI n'a aucun sens.

Par ailleurs, vous ne devriez pas attaquer personnellement les fonctionnaires de la République. M. Frédéric Veaux est un grand policier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est lui qui a décidé d'entrer dans le champ politique !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Mathieu, il se trouve que les directions générales ont bien transmis les données statistiques qui avaient été demandées sur les blessés du printemps. Nous allons vous les adresser.

Permalien
Gérald Darmanin, ministre

Je répète qu'il serait préférable de ne pas attaquer les fonctionnaires de la République. Je veux rendre hommage à Frédéric Veaux : c'est un grand flic, il a arrêté des terroristes et il nous a aidés dans une lutte acharnée contre la délinquance. Les attaques ad hominem ne témoignent pas d'un grand sens de la démocratie.

Enfin, permettez-moi de dire que la Ligue des droits de l'homme n'avait pas un statut d'observateur à Sainte-Soline puisqu'elle a appelé à manifester malgré l'interdiction. Cela a fait l'objet d'une décision de justice. La Ligue a même attaqué les arrêtés de la préfète demandant de ne pas transporter d'armes dans le département : voilà de drôles d'observateurs neutres !

La réunion se termine à onze heures vingt-cinq.

Présences en réunion

Présents. – M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Clara Chassaniol, Mme Félicie Gérard, M. Patrick Hetzel, Mme Patricia Lemoine, Mme Sandra Marsaud, Mme Michèle Martinez, M. Frédéric Mathieu, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Alexandre Vincendet

Excusés. – M. Romain Daubié, Mme Emeline K/Bidi