Tout dépend des « manifestations » dont vous parlez. Je ne crois pas possible d'entrer dans une désescalade avec les black blocs. Vous avez eu raison de souligner qu'on ne les confond absolument pas avec les manifestants et encore moins avec les syndicats, qui nous appellent tous d'ailleurs pour surveiller le précortège. Il est compliqué d'imaginer une quelconque désescalade avec le black bloc, même si je suis toujours tenté de parier sur l'intelligence humaine. On ne voit pas bien la cause qui les anime ; ils ne veulent aucun contact avec les forces de l'ordre, la préfecture ou les syndicats. Les dirigeants syndicaux sont eux-mêmes insultés, parfois violentés. Ils sont violents, non seulement contre les forces de l'ordre, mais contre les représentants de tout système, y compris syndical. Je ne vois pas quelle autre réponse apporter que celle des forces de l'ordre et de la justice.
Les manifestations dites rurales ont lieu pour défendre des causes identifiées. Les black blocs vont quelque part semer la violence par principe d'action. À Sainte-Soline, des gens ont manifesté pacifiquement : une manifestation avait été autorisée dans la ville et s'est bien déroulée. Mais, pour les gens violents, ce n'est pas le jour de la manifestation qu'il peut y avoir une désescalade alors qu'ils n'ont tenu compte d'aucune étape démocratique : l'interdiction du préfet, les décisions administratives et juridictionnelles, y compris les interdictions de transport de matériel dangereux. La désescalade est délicate quand, en face, on conteste même l'arrêté du préfet qui interdit d'emporter des armes et des matières dangereuses dans sa voiture.
C'est en amont que la désescalade peut s'organiser. Mais on est là en dehors de mes compétences de ministre de l'intérieur. Les ministères de l'écologie, de l'agriculture, du renouveau démocratique peuvent être des endroits de discussion. Mais je ne suis pas sûr que ce soit le travail des gendarmes et des policiers, chargés de maintenir ou de rétablir l'ordre.
Il importe de faire la distinction entre le maintien de l'ordre, qui s'applique à des manifestations – dont vous avez défini dans la loi qu'elles supposent une déclaration préalable et des parcours précis – et le rétablissement de l'ordre public, qui intervient face à des attroupements sauvages visant notamment à commettre des violences. La désescalade est toujours possible dans un contexte de manifestation. Elle est, en revanche, difficile – et n'est en tout cas pas le travail du ministère de l'intérieur – dans une situation de rétablissement de l'ordre.
Beaucoup de gens disent aujourd'hui qu'ils étaient venus pacifiquement à Sainte-Soline et que la situation s'est dégradée. Or, à Sainte-Soline, les gendarmes n'ont pas quitté leur ligne. Dans une manifestation qui dégénère, comme cela a été le cas dans les rues de Paris lors du débat sur les retraites, on peut toujours se demander, images à l'appui, si les forces de l'ordre sont intervenues, si des provocations ont eu lieu, si le dispositif était proportionné ou s'il fallait recourir à la mobilité. À Sainte-Soline, il n'y a aucun doute. La consigne des gendarmes était claire : malgré l'interdiction de manifestation, ils n'ont jamais avancé contre les colonnes qui arrivaient sur eux, recevant patiemment des milliers de pierres, de haches et de coquetels Molotov. Ils ont accepté de prendre sur eux la violence, qui aurait été bien plus importante s'ils avaient répondu durant la première heure. Or, ils ont tenu leur ligne et c'est lorsque ces personnes sont arrivées au contact que la violence légitime a dû s'exercer afin de les empêcher de passer. Lorsqu'on en est là, il est trop tard pour désescalader. J'ose espérer que d'autres ministères et d'autres acteurs pourront préparer en amont l'organisation d'une manifestation qui devrait avoir lieu en début d'année prochaine afin que, toute bruyante qu'elle soit, elle ne s'en prenne pas physiquement aux forces de l'ordre.