La parole publique a une influence sur les personnes. C'est incontestable. Et c'est encore plus vrai quand vous êtes un responsable politique, candidat à l'élection présidentielle, que des millions de personnes votent pour vous et que vous avez accès à un très large public. Dans « responsable politique », il y a « responsable ». Quand on a la chance, l'honneur, de susciter une large adhésion, on a des responsabilités.
Les slogans, les caricatures et les insultes font partie du jeu politique. Ils ont toujours existé dans la République. Mais ils peuvent devenir dangereux. Le parti communiste et le parti socialiste se sont désolidarisés de la manifestation dite « anti-police » organisée notamment par La France insoumise, parce qu'ils savaient qu'elle allait mal se terminer. On peut saluer leur décision. Que dire de slogans comme « Un flic, une balle » ou « Suicidez-vous ! » ? Les mêmes parlementaires qui nous interrogent sur le malaise dans la police nationale participent à des manifestations où l'on brandit ce genre de pancartes. Les policiers et les gendarmes encadrent des manifestations de gens qui ne les aiment pas, qui les insultent et qui les invitent à se suicider !
Je pense, en effet, que les propos du chef de La France insoumise ne sont pas étrangers à l'hyper-violence que nous avons connue. Je note que certains élus de La France insoumise prennent leurs distances avec ces propos : je pense à M. François Ruffin, qui explique volontiers que la question est plutôt sociale et économique qu'identitaire et anti-police, mais aussi à M. Alexis Corbière, qui tient souvent des propos positifs sur l'action de la police. C'est l'un des seuls députés de La France insoumise à se rendre au commissariat lorsque je me déplace. Je l'en remercie car il montre qu'on peut être à la fois très opposé au Gouvernement, exigeant vis-à-vis de la police nationale et ne pas partager les propos excessifs, insultants, voire ignominieux qui déclenchent, de mon point de vue, certaines violences. Ce qui est certain, c'est que cela crée une atmosphère défavorable au respect des forces de l'ordre.
N'oublions pas qu'il existe une longue tradition, à gauche, de soutien à la police et à la gendarmerie nationales. De grands courants humanistes ont pris fait et cause pour la police et la gendarmerie. Pierre Joxe et Jean-Pierre Chevènement incarnent cette tradition, dont fait aussi partie Bernard Cazeneuve. Je ne confonds pas la gauche, dont une partie des policiers et des gendarmes font d'ailleurs culturellement partie, avec les propos excessifs et abjects de certains représentants de La France insoumise et d'autres mouvements d'extrême gauche.
Les policiers et les gendarmes sont souvent des enfants du peuple. Ils gagnent entre 2 000 et 3 000 euros par mois. Ils ont des conditions de logement difficiles. Ils subissent beaucoup de pression et ils sont confrontés à la misère sociale. Ce ne sont pas les enfants des patrons du CAC40 qui sont policiers – ou alors, c'est l'exception. Ce sont souvent des enfants de petits fonctionnaires, d'artisans et de commerçants. Par ailleurs, ce sont souvent des jeunes, alors qu'on a tendance à opposer la police et la jeunesse. Les policiers et les gendarmes qui viennent des couches populaires, qui adhèrent plutôt à l'idéal de la gauche et qui sont attachés au service public, car on ne devient pas policier par goût de l'argent ou par passion pour la financiarisation de l'économie, peuvent avoir un sentiment de trahison. L'appel à la violence que certains lancent contre eux s'y ajoute.
Au fond, je crois qu'une partie de La France insoumise exerce, à l'égard des forces de l'ordre, une double violence. Il y a d'abord la violence systémique contre les policiers, qui peut pousser des gens à l'agression envers eux, parce qu'ils tueraient ou qu'ils commettraient des violences. Et il y a la violence que ressentent ceux qui s'estiment trahis. Je constate que, dès que des responsables politiques reçoivent des menaces ou sont victimes de coups, les gendarmes et les policiers n'hésitent pas un instant à les accueillir et à enquêter. Du reste, c'est parfaitement normal.
Cette violence peut être difficile à vivre pour les policiers et les gendarmes. Il n'est pas drôle, pour un père, d'entendre son enfant lui demander, après avoir regardé la télévision : « Tu tues, papa ? ». Les policiers et les gendarmes n'indiquent plus forcément leur métier sur le carnet de correspondance de leur enfant. On a créé ce halo de suspicion autour d'eux. Pourtant, 75 % des Français font évidemment confiance à leur police.
S'agissant des parlementaires présents à Sainte-Soline, je n'ai pas grand-chose à dire. Je m'étonne que des gens qui jouent le jeu démocratique, qui se présentent aux élections et qui connaissent le rapport de force refusent les règles du jeu quand ils perdent. Ils ont perdu les élections. Ils gagneront peut-être les prochaines. La démocratie, c'est l'alternance. J'ai du mal à comprendre que des parlementaires soient allés manifester avec leur écharpe malgré l'interdiction de la préfète, confirmée par un juge, et alors que cette même préfète avait pris contact avec eux pour les prévenir qu'il y aurait de la violence. On a aussi assisté à une scène étonnante : un nouveau sénateur a été pris à partie par des manifestants qui lui reprochaient sa présence. Cela témoigne de luttes internes qui peuvent expliquer la surenchère dans la violence. Quand je vois des parlementaires en écharpe au milieu de ce qui s'apparente à une scène de guerre, au contact des boucliers des gendarmes, avec quelqu'un qui filme le tout, je suis circonspect.