La séance est ouverte à 10 heures 05.
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La Commission auditionne M. Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), sur le rapport annuel d'activité de la HATVP.
Lien vidéo : https://assnat.fr/b2LTf3
Nous avons le plaisir d'accueillir, pour la première fois de cette législature, M. Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vient nous présenter le rapport d'activité de 2022 de cette autorité essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Ce rapport vient d'être publié et chacun d'entre nous a déjà pu le consulter.
Je rappelle que la HATVP a été créée par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Elle comprend treize membres, nommés pour un mandat de six ans non renouvelable et soumis au secret professionnel. Elle a trois missions principales : garantir la déontologie des responsables publics, encadrer les activités des représentants d'intérêts et diffuser une culture de l'intégrité.
Monsieur le président, 2022 ayant été une année marquée par des échéances électorales, l'activité de la HATVP a logiquement été marquée par le contrôle de très nombreuses déclarations d'intérêt et de patrimoine – près de 10 000. Mais le champ de vos travaux est plus large et votre rapport comprend notamment huit recommandations principales, que vous souhaiterez certainement nous présenter.
Après cette année 2022, diriez-vous que les élus se conforment mieux à leurs obligations qu'il y a quelques années ?
Le répertoire des représentants d'intérêt a été étendu aux actions de lobbying menées en direction des collectivités territoriales. Quel bilan en tirez-vous ?
Ce même répertoire des représentants d'intérêts permet-il d'identifier des tentatives d'ingérences étrangères ? Comme vous le savez, aux États-Unis le Foreign Agents Registration Act (Fara) impose aux représentants d'intérêts de divulguer leurs relations avec un gouvernement étranger. Le Parlement britannique examine actuellement le National Security Bill, qui vise à instaurer un registre dit Firs (Foreign Influence Registration Scheme). La délégation parlementaire au renseignement (DPR) – que je préside – publiera prochainement un rapport sur les ingérences étrangères. Sans en dévoiler les conclusions, je crois qu'elle préconisera qu'il soit procédé à une meilleure identification des actions d'influence et d'ingérence étrangères. Quel est l'avis de la HATVP à cet égard ?
La compétente de la HATVP a été considérablement étendue en matière de contrôle des collectivités territoriales. Selon vous, accusent-elles un retard en matière de culture de la transparence ? Sont-elles particulièrement exposées aux conflits d'intérêts ?
Le répertoire des représentants d'intérêts est tenu de manière stricte par la HATVP. Rencontre-t-elle des difficultés avec certaines catégories de personnes, notamment morales, certaines associations estimant ne pas relever du champ du répertoire au motif que la cause légitime qu'elles défendent les en exonérerait ?
Comme vous l'avez dit, 2022 a été une année exceptionnelle pour les responsables publics et la Haute Autorité, dont le cœur de l'activité consiste à accompagner et à contrôler 18 000 de ces derniers – élus ou non – afin de s'assurer de l'absence de conflits d'intérêts et d'enrichissement personnel, ce qui contribue à garantir leur probité aux citoyens. Elle a aussi pour mission de contrôler les mobilités professionnelles entre les secteurs public et privé pour 15 000 agents publics exerçant les fonctions les plus stratégiques. L'enjeu est donc important.
Il l'était d'autant plus en 2022, année chargée sur le plan politique et électoral qui a donné lieu, pour la Haute Autorité, à une intense activité d'accompagnement et de conseil. Dès la fin de 2021, nous avions renforcé l'accompagnement individuel, par téléphone ou par écrit, et organisé des sessions d'information sur internet à l'attention de ceux qui doivent remplir des déclarations. À l'occasion des élections, nous avons procédé à de très nombreuses relances lors des campagnes de dépôt de déclarations, afin que les délais prévus par la loi soient respectés. L'activité déclarative a été intense : 5 245 responsables et agents publics ont déposé 10 659 déclarations de patrimoine ou d'intérêt auprès de la HATVP. Les dossiers de 41 personnes – principalement des élus locaux – ont été transmis au procureur de la République pour défaut de déclaration.
Nous observons que les taux de dépôt dans les délais avant relance sont inégaux selon les catégories de responsables publics. Ils s'améliorent depuis quelques années. En témoigne le taux de déclaration dans les délais des députés élus en 2022, nettement meilleur qu'en 2017. Des divergences sont néanmoins observées entre le dépôt des déclarations initiales et celles de fin de mandat. Pour ces dernières, le taux de déclaration dans les délais est en moyenne seulement de 49 %, contre 74 % pour les déclarations initiales. Il y a donc quelques marges de progrès. D'où un travail important de relance : 545 relances pour non-dépôt dans les délais ont été adressées, ainsi que 193 injonctions après relance. Comme je l'ai déjà indiqué, 41 dossiers ont été transmis au procureur de la République pour défaut de déclaration.
Le niveau de cette activité déclarative implique également une intense activité de contrôle de la situation des responsables publics, avec 4 170 déclarations de début et de fin de mandat contrôlées – dont notamment celles des responsables publics les plus importants. De l'ordre d'un tiers des déclarations initiales sont entièrement conformes aux exigences d'exhaustivité, d'exactitude et de sincérité imposées par la loi. Cette part demeure stable. Plus de 60 % des déclarations contrôlées font l'objet de demandes de modifications, afin de rendre ces déclarations plus claires et exactes. Dix dossiers ont été transmis à la justice pour des manquements déclaratifs ou des manquements à la probité. Même en ajoutant les 41 dossiers transmis au parquet pour défaut de déclaration, cela fait un faible nombre de cas par rapport à la totalité des personnes concernées. Dans l'ensemble, l'immense majorité des responsables publics remplissent correctement leurs obligations déclaratives.
L'activité de contrôle des déclarations et d'accompagnement des députés et des membres du Gouvernement a été particulièrement soutenue. Les contrôles approfondis de la Haute Autorité ont contribué à améliorer significativement la qualité des déclarations mises à la disposition des citoyens.
La prévention des conflits d'intérêts est un objectif majeur et un sujet qui retient tout particulièrement l'attention de la société civile. S'il n'est heureusement pas interdit d'avoir des intérêts et même des conflits entre ces différents intérêts, la neutralité de la décision publique doit toujours être protégée, car elle vise l'intérêt général. Ainsi, un décret de déport a été imposé à plusieurs membres du Gouvernement pour prévenir les risques de conflits d'intérêts ou de prise illégale d'intérêts. Plus largement, sept contrôles de déclaration sur dix conduisent la Haute Autorité à demander des mesures de prévention d'une situation de conflit d'intérêts – notamment pour des élus locaux.
Il n'est pas anormal que leurs déclarations fassent l'objet de davantage de mesures de prévention de ces conflits, car lorsqu'on est élu local on continue très souvent à avoir des activités professionnelles. Nous avons publié récemment notre doctrine en matière de conflit d'intérêts publics pour les élus locaux, à la suite de l'adoption de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (loi « 3DS »), qui a en partie seulement clarifié la notion de conflit entre un intérêt public et des intérêts publics. Comme vous le savez, la France est le seul pays à reconnaître ce type de conflit d'intérêts.
La Haute Autorité a également diffusé une analyse des données figurant dans les déclarations d'intérêts des députés à l'occasion de leur publication. Cette analyse portait sur les activités professionnelles des députés de la XVIe législature mais aussi sur leurs fonctions et mandats électifs. Elle comprenait aussi des comparaisons avec les résultats de l'étude portant sur la législature précédente. Cela a permis notamment de montrer que l'Assemblée nationale – dont la moitié des membres est constituée par de nouveaux élus à la suite des dernières élections législatives – est composée par 70 % de personnes qui ont exercé une activité professionnelle au cours des cinq années précédant leur mandat, pour les deux tiers dans le secteur privé. Un député sur six entendait conserver au moins une activité professionnelle au cours de son mandat et un député sur deux exerce un autre mandat électif – de conseiller municipal dans près de 40 % des cas.
Les déclarations publiées sur le site de la HATVP ont été consultées plus de 1 million de fois.
Enfin, qui dit année politique et électorale exceptionnelle dit aussi exercice exceptionnel en matière de contrôle des mobilités entre le public et le privé. La Haute Autorité joue sur ce point un rôle de régulation. Elle recherche systématiquement un équilibre entre différents intérêts à concilier. Permettre des passages entre les secteurs public et privé n'est pas interdit – contrairement à ce que j'entends parfois –, mais il faut défendre l'impartialité de l'action publique et protéger les responsables et agents publics contre les risques de nature pénale et déontologique qui peuvent résulter de leur projet. Nous appliquons strictement la loi.
L'année 2022 a été marquée par un nombre record de 639 saisines, soit une augmentation de 93 % par rapport à l'année précédente. Nous nous sommes organisés pour les traiter dans des délais raisonnables, souvent bien en deçà des délais légaux – en particulier s'agissant des avis préalables à la nomination des collaborateurs du Président de la République ou des membres de cabinets ministériels ayant exercé dans le secteur privé. Environ 30 % des membres des cabinets sont issus de ce secteur. La HATVP doit formuler un avis préalable à leur nomination et dès que ces personnes repartent travailler dans le privé.
S'agissant plus précisément des mobilités vers le secteur privé, qui supposent davantage de protéger l'intérêt public, la Haute Autorité a rendu dans près de 80 % des cas des avis de compatibilité avec réserves, lesquelles sont destinées à prévenir les risques d'ordre pénal ou déontologique. Les avis d'incompatibilité, adoptés lorsqu'aucune mesure de précaution ne permet de prévenir les risques identifiés, concernent principalement les projets de reconversion professionnelle qui présentent plus de risques de nature à compromettre l'indépendance et l'impartialité de l'administration, ou de prise illégale d'intérêts. Ces avis d'incompatibilité stricte représentent 6,3 % de l'ensemble des avis – cela relativise quelques commentaires que l'on peut entendre ici ou là. Les avis d'irrecevabilité et d'incompétence sont désormais très limités ; ils représentent moins de 4 % du total, à comparer avec les 30 % constatés en 2020. Cela traduit une meilleure appropriation des dispositions votées en 2019 par les autorités hiérarchiques dans l'administration. Quatre dossiers ont été transmis à la justice dans le cadre du contrôle des mobilités entre les secteurs public et privé.
L'année 2022 a été aussi une année charnière pour la régulation de la représentation d'intérêts. Les mises en demeure pour défaut d'inscription au répertoire des représentants d'intérêts ont fortement augmenté, passant d'une en 2021 à 76 en 2022. 19 d'entre elles ont été rendues publiques sur le site de la Haute Autorité, qui pour la première fois a transmis 8 dossiers au parquet. Lorsqu'elles ont procédé à leur déclaration, les entités inscrites doivent bien entendu convenablement déclarer leurs actions de représentation. De ce point de vue, 55 contrôles ont conduit à des modifications. Par ailleurs, les contrôles réalisés ont conduit à inscrire 38 organismes. L'inscription est évidemment essentielle, car elle permet aux citoyens de s'informer sur l'influence de la société civile sur la décision publique.
L'année 2022 a également été celle de l'extension du dispositif d'encadrement de la représentation d'intérêts aux collectivités territoriales et à certains agents publics, entrée en vigueur le 1er juillet. Nous avons publié plusieurs documents destinés à faciliter son appropriation par les représentants d'intérêts, dont un vade-mecum consacré à l'identification des nouveaux responsables publics auprès desquels entrer en communication pouvait être qualifié d'action de représentation d'intérêts. Nous avons eu aussi des échanges avec les associations d'élus et celles de représentants d'intérêts. Cette prise en compte du lobbying à l'échelon local a entraîné plus de 300 nouvelles inscriptions sur le répertoire, représentant près du quart de l'ensemble des activités déclarées pour l'année 2022.
Il y a parfois, en effet, des réticences à s'inscrire sur le répertoire des représentants d'intérêts. Certains estiment que leurs travaux sont d'intérêt général et qu'ils n'ont donc pas à le faire. Nous avons eu quelques discussions parfois difficiles, notamment avec des think tanks. Nous leur avons expliqué que le législateur n'avait pas fait de distinction entre l'intérêt général et les intérêts particuliers. À partir du moment où l'on intervient pour influencer une décision publique, cela peut être considéré légalement comme une action de représentation d'intérêts. Le législateur a prévu d'exclure un certain nombre d'acteurs du périmètre d'application de la loi, mais il ne l'a pas fait pour les think tanks.
L'Institut Montaigne a engagé une action devant le Conseil d'État, à la fois en référé et au fond, au sujet d'une demande de renseignement que nous lui avons adressée. Sa requête en référé a été rejetée et nous attendons désormais la décision au fond.
Je m'étonne parfois des arguments curieux avancés pour défendre le fait de se soustraire à l'obligation légale d'inscription au répertoire des représentants d'intérêts. D'aucuns disent que cela pourrait remettre en cause l'indépendance ou porter atteinte à la liberté des think tanks. Je ne pense pas que telle était la volonté du législateur pour les personnes susceptibles de s'inscrire sur ce répertoire.
La question de la régulation du lobbying à l'échelon local va certainement constituer un enjeu majeur au cours des années à venir et il est important que les acteurs concernés s'approprient le dispositif en vigueur. Nous allons publier prochainement de nouvelles lignes directrices.
Autre enjeu qui retient beaucoup l'attention ces derniers mois : l'ingérence étrangère. Cette dernière peut se manifester dans plusieurs domaines dont le contrôle a été confié à la Haute Autorité, comme la régulation du lobbying ou les mobilités entre secteurs public et privé – avec la possibilité de rejoindre une entreprise sous influence étrangère. Les déclarations d'intérêts et de patrimoine doivent également faire état d'un certain nombre d'informations qui peuvent révéler une influence étrangère. Nous avons lancé un travail sur l'ingérence avec l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Je suis bien entendu à votre disposition pour vous en présenter les conclusions dès qu'elles seront disponibles, car il s'agit d'un sujet majeur si l'on considère les activités d'un certain nombre d'États.
Tout cela montre qu'une révision du dispositif d'encadrement du lobbying est de plus en plus souhaitable. J'ai eu l'occasion de m'exprimer à ce sujet à de nombreuses reprises. J'ai été entendu par votre commission ou des commissions du Sénat à huit reprises en trois ans ; cela a été l'occasion à chaque fois de dresser un bilan de la mise en place du répertoire des représentants d'intérêts, qui est, selon nous, en demi-teinte.
L'un des points extrêmement positifs est que la loi Sapin 2 a, d'une certaine manière, reconnu la légitimité de la représentation d'intérêt. Toutefois, cette activité doit se faire en toute transparence et respecter des règles déclaratives et déontologiques. Le problème est qu'il existe un certain nombre de possibilités de contourner la loi. Le dispositif en vigueur ne permet pas toujours de disposer des informations nécessaires pour assurer la transparence voulue par le législateur sur la traçabilité des actions et leur influence sur la décision publique. D'où plusieurs propositions pour conforter le dispositif.
Certaines aberrations ont été bien identifiées lors de travaux menés au sein de votre commission, notamment dans le cadre de la récente mission flash sur la rédaction du décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d'intérêts. Ses rapporteurs ont formulé des propositions.
Ce décret présente en particulier cette curiosité que l'appréciation de l'activité de représentation d'intérêts repose sur les actions de la personne physique et non de la personne morale qui l'emploie. Or il pourrait être intéressant d'identifier l'influence de cette dernière sur la décision publique.
Le critère de l'initiative a pour conséquence que les grosses entités n'ont pratiquement rien à déclarer, car elles sont systématiquement consultées par les pouvoirs publics. Il est paradoxal que telle fédération départementale de la boucherie soit soumise à plus d'obligations déclaratives que de grandes entreprises. En consultant le répertoire, on peut constater que des entreprises comme Dassault ou Vinci déclarent assez peu d'actions. Il serait pourtant naïf de penser qu'elles n'interviennent jamais pour essayer d'influencer la législation ou la réglementation.
Dix ans après l'adoption des lois de 2013, plusieurs choses sont extrêmement positives. Mais des évolutions sont nécessaires pour aller plus loin.
Le bilan de la Haute Autorité est reconnu et elle est ancrée dans le paysage institutionnel. Son champ d'intervention s'est accru, car le législateur lui a confié de nouvelles missions, ce qui prouve la confiance qu'il lui accorde. Avec l'accord de la présidente de l'Assemblée nationale, nous organiserons un colloque en octobre prochain pour discuter des dix ans de la HATVP. Les principaux responsables ou agents publics sont désormais accompagnés et contrôlés lors de leur entrée dans la vie publique, pendant l'ensemble de l'exercice de leurs fonctions et lorsqu'ils quittent cette vie publique.
Nous disposons du recul nécessaire pour savoir comment pourrait évoluer le dispositif français d'intégrité publique, parallèlement à ce qui se fait dans d'autres pays ou pour répondre à des initiatives d'institutions comme l'OCDE ou le Groupe d'États contre la corruption (Greco), qui travaillent beaucoup sur ces sujets-là. Cette dimension internationale est importante. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité créer, avec onze organes de contrôle d'autres pays de l'Union européenne, un réseau européen d'éthique publique chargé de formuler des propositions auprès des institutions de l'Union européenne.
La dynamique doit être globale autour de la Haute Autorité et suppose une coordination avec les différents acteurs de la probité publique. Les référents déontologues des élus locaux, que vous avez institués, en font partie. Nous leur portons une attention toute particulière et échangeons régulièrement avec eux pour faire connaître notre doctrine. Nous avons d'ailleurs réuni 150 d'entre eux à l'occasion d'une rencontre annuelle organisée au Sénat la semaine dernière.
Nous avons formulé un certain nombre de propositions depuis plusieurs années. Nous souhaiterions que la Haute Autorité soit dotée d'un pouvoir de sanction propre. Il ne s'agit surtout pas de se substituer au juge pénal, mais, dans certaines circonstances, une amende administrative nous paraît plus appropriée qu'une poursuite pénale. C'est notamment le cas lorsqu'une personne ne remplit pas ses obligations déclaratives, tant en matière d'intérêts que de patrimoine. Une sanction administrative serait beaucoup plus rapide et incitative.
Que faisons-nous actuellement lorsque nous sommes face à ces situations ? Encore une fois, elles sont extrêmement peu nombreuses – puisque nous avons transmis une quarantaine de dossiers au parquet en 2022 – mais elles marquent nos concitoyens et rejaillissent sur tous. Les personnes qui ne déclarent pas sont extrêmement rarement sanctionnées. Nous leur adressons d'abord une relance, suivie d'une injonction. Puis, nous transmettons le dossier au parquet. Mais la plupart sont souvent débordés et ne considèrent pas toujours que ces affaires sont prioritaires. C'est ainsi que des citoyens peuvent nous interroger sur l'absence de publication de déclaration de certains élus sur notre site au bout de trois ans, et nous ne pouvons que répondre que le dossier a été transmis à la justice et qu'aucune sanction n'a été prise à ce stade.
L'instauration d'une amende administrative, infligée avant l'étape de la transmission du dossier au parquet, permettrait de mieux répondre à ce type de situations. Cette amende serait bien entendu prononcée par une commission des sanctions indépendante du collège de la HATVP. Il faut bien voir que pendant que la justice examine le dossier, nous ne pouvons réaliser aucun contrôle ni prendre de mesures de prévention des conflits d'intérêts. Ce non-respect de la loi est donc doublement gênant.
Nous formulons également une proposition s'agissant des ministres. À l'instar de la déclaration de situation patrimoniale, ils disposent de deux mois pour déposer leur déclaration d'intérêts. Si l'on y ajoute le délai nécessaire aux contrôles de la HATVP, il peut s'écouler trois à quatre mois pendant lesquels des ministres se trouvent en situation de conflits d'intérêts, voire de prise illégale d'intérêts.
Nous avons appelé l'attention du Président de la République et de la Première ministre sur ce point et avons proposé qu'un ministre puisse, dès la première semaine suivant sa nomination, prévenir toute situation de conflit d'intérêts en saisissant le secrétariat général du gouvernement et la HATVP. Des arrêtés de déport pourraient ainsi être pris rapidement.
Nous suggérons aussi que le contrôle des mobilités soit étendu à plusieurs responsables. Je pense au président de l'Union des groupements d'achats publics (Ugap) ainsi qu'au directeur général exécutif de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). Compte tenu des nombreux contacts qu'ils entretiennent avec les entreprises dans l'exercice de leurs fonctions, les risques de conflit d'intérêts sont d'autant plus grands. Pourtant, leur départ vers le privé ne donne pas lieu à un contrôle.
Enfin, nous proposons de simplifier le dispositif d'encadrement la représentation d'intérêts. Il convient notamment de revoir le critère d'initiative et de préciser la décision publique sur laquelle est susceptible de porter le lobbying. En vertu du décret du 9 mai 2017, toute décision publique peut en effet être concernée par le dispositif. Une intervention du législateur pour définir le champ de la décision publique serait bienvenue, particulièrement depuis que le dispositif a été étendu aux collectivités territoriales.
Ces évolutions pourraient contribuer à renforcer la confiance des citoyens dans leurs représentants. Nous sommes parfois accusés d'accentuer la suspicion à l'égard des responsables publics lorsque nous nous opposons à une mobilité vers le privé ou lorsque nous transmettons un dossier au parquet. Pourtant, ce n'est pas en cassant le thermomètre que l'on fait baisser la fièvre.
Nos contrôles démontrent que l'immense majorité des responsables publics exercent leur mission avec probité. Les manquements sont regrettables mais ils sont heureusement marginaux. Pourtant, la défiance reste forte : selon le baromètre de la confiance en politique de Sciences Po Cevipof de février 2023, deux tiers des Français estiment que leurs élus ne sont pas honnêtes, ce qui est préoccupant. Il y a donc un décalage entre ce sentiment et les résultats des contrôles que nous effectuons.
Les citoyens ignorent très largement les mesures qui ont été prises depuis plusieurs années. Dans les conférences que je donne, ils posent de très nombreuses questions et reconnaissent souvent leur méconnaissance. Aujourd'hui, les manquements aux obligations sont mieux identifiés et la justice les sanctionne plus qu'hier. Les contrôles ne doivent pas être perçus par les élus comme une contrainte mais comme un moyen de garantir aux citoyens qu'ils exercent leurs fonctions honnêtement.
La politique publique de lutte contre les atteintes à la probité doit être mieux identifiée et moins dispersée qu'elle ne l'est aujourd'hui. La Parlement n'en discute jamais sauf pour tirer les leçons législatives de scandales. Il serait logique que le Parlement débatte chaque année de cette politique et de ses résultats. Plus on en parle, plus les citoyens sont informés des dispositifs existants. Cela pourrait contribuer à réduire la défiance à l'égard de l'ensemble des responsables publics – élus mais aussi autorités administratives indépendantes – même si celle-ci a bien d'autres causes, j'en ai conscience.
Je vous remercie d'avoir répondu à l'ensemble de mes questions – c'est assez rare pour être souligné.
Je me permets de nuancer vos propos sur un point : l'un des premiers textes examinés en 2017 concernait la transparence de la vie politique. Nous avons ensuite adopté des mesures importantes qu'ignorent nos concitoyens, telles que la suppression du régime spécial de retraite, du régime spécial de retour à l'emploi, ou encore de la réserve parlementaire – de mon point de vue parfaitement justifiée –, mais aussi le contrôle de l'utilisation des frais de mandat.
En outre, la mission flash sur la rédaction du décret relatif au répertoire numérique des représentants d'intérêts donnera certainement lieu à une proposition de loi transpartisane. Vous le voyez, la commission des lois se saisit pleinement du sujet et votre audition en est la preuve.
L'obligation de déclaration de situation patrimoniale et de déclaration d'intérêts contribue à une transparence indispensable à la vie politique. Celle-ci s'impose tout au long du mandat puisque toute modification doit être rapidement notifiée à la HATVP. Vos services, par leur compétence et leur efficacité, nous apportent une aide précieuse.
Loin de moi l'idée de contester le caractère public des déclarations, mais je note toutefois que la confidentialité est anormalement et fréquemment remise en cause.
Un contribuable, s'il réside dans le même département, est en droit de consulter les déclarations fiscales de ses voisins. En revanche, il lui est interdit d'en communiquer le contenu, même partiellement, ou de le publier. Les déclarations de situation patrimoniale des parlementaires, des ministres et du personnel politique peuvent être consultées dans les préfectures par tout citoyen. À ma connaissance, ces informations sont soumises au même régime de confidentialité que les déclarations fiscales. Est-il donc normal de les retrouver régulièrement dans la presse ? Est-il normal que des députés fassent publiquement mention du contenu des déclarations à la HATVP de leurs collègues ? Quelles sanctions peuvent être prises et par quelle autorité contre ces débordements inacceptables ?
La HATVP exerce une mission primordiale de contrôle de la probité de l'action publique et des élus.
Son rapport d'activité pour 2022 mentionne des trous dans la raquette grâce auxquels perdurent des manquements à la transparence de la vie politique en France, aussi bien au niveau local que national. Le rapport formule plusieurs recommandations, parmi lesquelles l'octroi à la HATVP d'un pouvoir de sanction administrative. Pouvez-vous revenir sur ce point que vous avez déjà brièvement esquissé ?
Le rapport préconise également l'instauration d'un questionnaire de prévention des conflits d'intérêts qu'un ministre devrait transmettre à la HATVP dans la semaine suivant sa nomination. Envisagez-vous d'assortir cette proposition d'un pouvoir de coercition ?
Enfin, vous avez estimé, dans un entretien à la presse, que les élus locaux sont plus exposés aux lobbys que les élus nationaux. Un an après l'extension aux collectivités locales du dispositif d'encadrement de la représentation d'intérêts, quel bilan en dressez-vous ?
Je salue le travail depuis de nombreuses années de la HATVP, qui répond à une aspiration profonde de la société française d'améliorer la qualité des gouvernants et des responsables publics.
Le retrait de l'agrément de l'association Anticor, qui est une composante décisive de la lutte pour la probité des responsables publics dans notre pays, nous alarme.
L'arrêté prolongeant l'agrément d'Anticor, pris par le Premier ministre Jean Castex en 2021, était mal rédigé. Il semblait, en effet, dire que l'association ne satisfaisait pas aux obligations légales – être désintéressé, avoir un fonctionnement normal. Résultat des courses, le tribunal administratif n'a pu faire autrement que d'annuler l'agrément. Cette situation est très dommageable.
Selon vous, n'y a-t-il pas une anomalie originelle à confier l'octroi de l'agrément à l'exécutif, autrement dit, à l'autorité susceptible d'être contrôlée ? Peut-être faudrait-il supprimer tout agrément, comme dans certains pays, ou charger la HATVP de délivrer l'agrément ? Nous pourrions débattre très rapidement de cette solution envisagée par de nombreux députés lors de l'examen du projet de loi d'orientation de programmation pour la justice.
Ma question concerne la possibilité de conflit d'intérêts entre deux intérêts publics, que la France est seule à envisager, ce qui ne va pas sans poser de problème dans l'exercice quotidien des mandats locaux.
Dans toutes les collectivités, le système délibératif est devenu particulièrement complexe, les déports étant quasi systématiques sur les délibérations relatives à des structures satellites – des associations notamment – dans lesquelles un élu pourrait avoir des intérêts. Or les élus siègent souvent dans les conseils d'administration de telles structures au titre de leur mandat. Ils occupent une fonction qui revient de droit à une personne désignée par la collectivité. Ces déports massifs, organisés de manière plus ou moins adroite, font peser un risque juridique sur les délibérations.
Quel regard portez-vous sur ce concept relativement abstrait d'intérêt public local, qui est un des grands pourvoyeurs de conflit d'intérêts ?
La Haute Autorité et son mode de fonctionnement – accompagner, conseiller puis conseiller encore avant de contrôler et de sanctionner – pourraient être un modèle pour nombre d'autorités administratives indépendantes.
Devant une telle réussite, on serait tenté de vous confier toujours plus de tâches. Je pense au contrôle de la transparence et des conflits d'intérêts dans les médias ou dans certaines associations – si j'en crois votre rapport, celles habilitées à ester en justice. Toutefois, j'ai perçu un appel à l'aide à la page 78 de votre rapport lorsqu'il est écrit « le traitement de ces dossiers devant respecter un délai de 15 jours, un tel nombre de saisines sur une période aussi courte a constitué une contrainte particulièrement forte pour le collège ». De quelles prérogatives nouvelles souhaiteriez-vous être dotés et avec quels moyens ?
S'agissant de la transparence, à laquelle nous sommes attachés, je m'interroge sur l'utilisation qui est faite des données publiées, patrimoniales notamment. Ce qui ne devrait être qu'un état des lieux d'entrée et de sortie et un outil de prévention des conflits d'intérêts me semble malheureusement être utilisé pour stigmatiser le patrimoine d'un élu ou d'un ministre, la situation de son conjoint, quand l'absence de patrimoine ne devient pas suspecte – je l'ai vécu. Ces données ne sont jamais exploitées pour souligner la probité des élus, qui concerne une immense majorité d'entre nous. Il serait intéressant que le prochain rapport d'activité répertorie l'usage qui est fait des données afin de mesurer si la recherche de la transparence ne concourt pas davantage à vilipender les élus qu'à démontrer leur probité.
Dix ans après sa création, la HATVP est bien ancrée dans nos institutions démocratiques.
Pour renouer avec la confiance, il est important de rappeler à chaque égarement que la très grande majorité des élus se comportent bien.
Si les référents déontologues, installés depuis le 1er juin 2023, sont une excellente initiative que nous devons à Sébastien Lecornu, je suis régulièrement sollicitée par les centres de gestion qui pensent être l'outil approprié pour aider les collectivités locales, en particulier les petites communes, à offrir à leurs élus les conseils d'un référent déontologue, ainsi qu'elles en ont désormais l'obligation. J'ai saisi le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, de ce sujet. Pour éviter aux élus locaux que le référent déontologue ne représente une charge supplémentaire, il faut leur ménager la possibilité de faire appel aux centres de gestion.
La mission flash sur la capacité des associations à agir en justice que nous avons conduite avec Gilles Legendre concluait à la nécessité de confier à la HATVP la délivrance de l'agrément de ces associations. De quels moyens auriez-vous besoin pour assumer cette mission ?
Je peux témoigner de ce que la HATVP a, en 2022, accompagné les élus bien plus qu'auparavant.
Certains élus locaux qui siègent dans des conseils régionaux de grande taille ont parfois des difficultés à savoir dans quel organisme ils siègent – lycées, associations, etc. Les nominations des élus dans des structures où ils représentent les collectivités faisant l'objet de délibérations, on pourrait imaginer que lesdites collectivités vous transmettent directement les informations, voire préremplissent les déclarations pour la partie qui les concerne. Ce serait sans doute une aide précieuse, en particulier en fin de mandat.
Si j'ai bien compris, il existe deux agréments pour les associations, l'un délivré par la HATVP et l'autre par le garde des sceaux, ou la Première ministre, s'il se déporte. Pourrait-on envisager de fusionner les deux au profit de la HATVP ?
S'agissant des allers-retours entre public et privé, ce qu'on appelle le pantouflage et le rétro-pantouflage, de nombreuses fonctions donnent lieu à un contrôle systématique de la HATVP, mais pour la grande majorité des agents publics, c'est encore la procédure de droit commun qui s'applique, sauf saisine expresse de la HATVP – c'est arrivé une seule fois en 2022, selon votre rapport. Vous dites vous-même que ce constat laisse planer un doute sur la réalisation effective du contrôle par les administrations.
J'ai l'exemple récent d'une administratrice principale des affaires maritimes détachée auprès du lobby européen de la pêche industrielle sans avis de la HATVP, qui a ensuite été visée par une enquête pour prise illégale d'intérêts – enquête déclenchée par un signalement d'Anticor. Ne faudrait-il pas élargir la liste des fonctions imposant une saisine obligatoire de la HATVP ? En auriez-vous les moyens ?
Après vos propos sur le manque de suites données à vos injonctions par le parquet, l'idée de doter la HATVP d'un pouvoir de sanction administrative me semble très pertinente.
Afin d'améliorer le contrôle des mobilités entre les secteurs public et privé, vous envisagez de l'étendre à certaines catégories d'agents issus de l'État ou d'établissements publics spéciaux. Cette préoccupation me semble légitime, notamment parce que les intérêts de certaines institutions privées peuvent entrer en contradiction directe avec ceux de la nation. Pour prévenir toute atteinte aux intérêts fondamentaux, ce contrôle doit s'exercer aussi dans les hautes sphères de l'État. Il me semble particulièrement délicat que d'anciens ministres puissent prétendre à des postes dans la sphère privée relevant du même domaine d'activité que leur portefeuille passé.
Vous avez en partie répondu à ma question : à quels postes entendez-vous étendre le contrôle du passage du public au privé ? Pourrait-il être rétroactif afin de dissuader une personnalité ayant précédemment occupé un rôle important au sein de l'État d'user de son réseau et des compétences qu'il y a acquises pour servir des intérêts privés ?
Je suis étonné d'entendre des députés se plaindre de la transparence, considérant le fait que les citoyens veuillent connaître le patrimoine de leurs représentants comme une investigation exagérée.
Ma question concerne le site internet qui permet aux citoyens d'avoir connaissance des intérêts des élus. Il est relativement simple et ergonomique et son fonctionnement plutôt satisfaisant. Cependant, je m'étonne que le patrimoine immobilier et mobilier y soit dissocié. On connaît les valeurs mobilières – pendant la discussion de la réforme des retraites, certaines révélations sur la détention d'actions ont pu laisser penser à un possible conflit d'intérêts pour certains élus. Pourquoi le patrimoine immobilier n'est-il pas traité de manière similaire ? Des décisions portant sur la construction d'une autoroute pourraient être influencées par la possession d'une propriété traversée par ladite autoroute. Il serait donc nécessaire de pouvoir être informé sans avoir à passer par une démarche aussi sophistiquée qu'une demande en préfecture. Ce serait de nature à renforcer la confiance des citoyens dans leurs élus.
Je pense que nous n'avons rien à gagner à nous accuser mutuellement de conflits d'intérêts alors que la HATVP a démontré la probité des élus.
Il est de plus en plus difficile d'attirer des personnes vers les fonctions électives, que ce soit à cause des violences que les élus subissent ou des incertitudes professionnelles que ces fonctions comportent, parmi lesquelles la reconversion en fin de mandat, surtout pour les élus locaux, notamment dans les collectivités de taille moyenne. La loi offre peu de protections dans ce cas. Il existe un droit à la réinsertion qui permet à l'élu de suspendre son contrat et de retrouver son emploi à l'issue de son mandat, mais il s'éteint après un mandat.
Quelles évolutions du statut de l'élu la Haute Autorité pourrait-elle préconiser pour concilier la nécessité de contrôler les activités exercées afin d'éviter tout conflit d'intérêts et le besoin pour l'élu de retrouver une activité en fin de mandat ?
Quels seraient les risques de conflit d'intérêts si la pratique d'une suspension du contrat de travail assortie de la garantie de retrouver son emploi venait à s'étendre ? La HATVP s'interrogerait-elle sur la persistance des liens entre l'élu et l'entreprise ? De tels cas ont-ils déjà été signalés ? Avez-vous travaillé sur ces questions ?
Par ailleurs, de quels moyens de contrôle disposez-vous pour vous assurer que vos réserves et avis négatifs sont respectés ?
Seules les déclarations de patrimoine des membres du Gouvernement et de ceux du collège de la HATVP, soit, au total, 55 personnes environ, sont rendues publiques sur le site de la Haute Autorité.
Celles des parlementaires – députés, sénateurs et députés européens – sont consultables en préfecture, selon des conditions strictes : sur rendez-vous, sans stylo ni crayon, sans pouvoir prendre de photographies ni disposer de son téléphone portable, sans avoir le droit d'en faire état. Les consultations sont très rares : une cinquantaine par an, sachant que plusieurs déclarations peuvent intéresser une même personne.
Les déclarations de patrimoine des élus locaux ne sont pas rendues publiques.
Les déclarations d'intérêts des ministres, des parlementaires et des élus locaux sont publiées sur le site de la Haute Autorité.
Les déclarations de patrimoine et les déclarations d'intérêts des fonctionnaires sont contrôlées, mais ne sont pas rendues publiques. C'est ce qu'ont voulu le législateur ainsi que le Conseil constitutionnel, lequel a établi une distinction entre élus et non-élus, les premiers étant soumis à des obligations de transparence plus fortes.
Votre question, monsieur Pont, s'explique sans doute par le fait que la déclaration d'intérêts indique les rémunérations perçues au cours des cinq dernières années ou la détention d'actions. Toutefois, que ces éléments soient rendus publics dans votre déclaration d'intérêts ne vient pas d'un non-respect de la confidentialité : c'est le législateur qui l'a voulu. Nous n'avons aucune marge de manœuvre en la matière ; les rubriques elles-mêmes sont définies par la loi. Peut-être faudrait-il voir ce qui peut y être modifié sans remettre en cause l'objectif de transparence : certaines rubriques pourraient être regroupées, d'autres n'ont pas besoin de faire l'objet d'une publication intégrale qui pourrait confiner au voyeurisme. Cela nécessiterait en tout cas un nouveau véhicule législatif. Actuellement, tout le monde respecte la confidentialité et le secret.
Nous ne sommes pas encore en mesure de dresser un bilan de l'extension au niveau local du répertoire des représentants d'intérêts ; nous devrions pouvoir le faire dans le mois qui vient – nous collectons actuellement les données. Les 300 inscriptions supplémentaires semblent liées à cette extension. Cela dit, nous invitons le législateur à préciser et à corriger le dispositif de régulation du lobbying pour qu'il atteigne ses objectifs de transparence. Il faut mettre fin à toutes les possibilités de le contourner. Voilà plusieurs années que nous appelons votre attention sur ce point. Je reconnais une certaine réticence d'une partie de notre haute administration en la matière ; il faut pouvoir en parler avec elle, mais il faut se mettre à la page : nous sommes au XXIe siècle et beaucoup d'autres pays instaurent des éléments de transparence sans que cela remette en cause l'efficacité des entreprises. On entend parler de démarches excessives qui entraveraient la capacité d'agir des décideurs, publics comme privés ; pourtant, au Canada ou aux États-Unis, le système de régulation du lobbying, plus opérationnel que le nôtre, ne semble pas porter atteinte à l'efficacité économique.
Le conflit d'intérêts public-public est un vrai sujet. La commission dite Sauvé pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, dont j'ai fait partie aux côtés de Jean-Claude Magendie et de Jean-Marc Sauvé, avait formulé des propositions qui ont débouché sur la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique. Nous n'avions pas proposé que ce conflit d'intérêts-là soit traité, vu la difficulté de mise en œuvre de telles mesures. Mais le législateur en a décidé autrement, d'où des problèmes d'interprétation, notamment au niveau local, où beaucoup de collectivités désignent des élus pour les représenter dans diverses entités publiques.
À cet égard, la loi « 3DS » a utilement clarifié plusieurs éléments, même s'il reste peut-être quelques éléments à compléter. Nous avions fait des propositions à ce sujet. Jusqu'alors, certains référents déontologues se montraient excessifs dans leurs propositions de déport aux élus : les élus représentant leur collectivité dans une entité se voyaient interdire tout débat, si bien qu'ils ne pouvaient prendre part à la discussion du rapport d'activité de cette entité. Nous avons tout de suite considéré que de telles demandes étaient totalement injustifiées. La reddition de comptes est un principe général du droit, et un bon principe. Dès lors que l'on est désigné par la collectivité pour la représenter au sein d'un établissement, on doit rendre des comptes, donc pouvoir répondre aux questions de ses pairs au sein de l'assemblée en question. Aux termes de la loi « 3DS », lorsque cette représentation est prévue par la loi, le nombre de déports est limité.
Nous avons publié un tableau qui présente la situation ainsi précisée et que nous pourrons vous adresser. Dans certaines situations, le législateur a considéré que tout risque de conflit d'intérêts public-public était écarté, par exemple au niveau des centres communaux d'action sociale (CCAS) ou des caisses des écoles. Dans d'autres, le risque est circonscrit à certains actes, notamment chaque fois que la représentation est prévue par la loi. Sur ce dernier point, le collège de la HATVP interprète largement la volonté du législateur : selon lui, cela vaut que la loi ait prévu expressément cette représentation ou qu'elle l'ait sous-entendue. Dans ces cas, il n'y a pas de déport, sauf quand l'élu lui-même est concerné par la délibération ou quand celle-ci a trait à un marché ou à une concession. Dans tous les autres cas, le risque est jugé large : quand un élu est membre d'une association ou y exerce des responsabilités, il faut qu'il puisse se déporter lorsqu'il s'agit d'attribuer une subvention à cette association ou de prendre une décision qui la concerne.
Il y a quelques années, la notion de gestion de fait était opposée aux élus exerçant certaines responsabilités dans une association. Dans ce cas, il peut y avoir conflit d'intérêts. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation est stricte en la matière. Il est tout à fait possible d'être sanctionné par le juge pénal pour avoir pris part à une délibération concernant une entité vis-à-vis de laquelle on est susceptible d'avoir un intérêt. Il faut alors se déporter, ce qui consiste à quitter la salle. Cela ressort de la loi et des décisions jurisprudentielles.
Nous avions aussi formulé des propositions sur la rédaction de l'article 432-12 du code pénal, qui définit le conflit d'intérêts. Il s'agissait de substituer à la notion d'intérêt quelconque celle d'intérêt de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité. Il y a vraisemblablement encore un petit travail à faire ; nous sommes tout à fait prêts à poursuivre, avec vous et les magistrats de l'ordre judiciaire, cette réécriture qui concerne également l'article 432-13, lequel concerne les projets de reconversion professionnelle. Il faut éviter que des personnes soient mises en cause en l'absence d'intérêt en tant que tel.
Si des progrès ont été accomplis, il en reste encore à faire, et je mesure que cela peut entraîner quelques difficultés d'organisation au niveau des collectivités, surtout quand il s'agit de larges délibérations portant sur de nombreuses subventions. Mais, je le répète, cela résulte de la loi et de son interprétation par le juge pénal.
Voilà pourquoi nous nous efforçons de beaucoup accompagner les élus. Je leur écris très souvent pour les avertir et leur recommander des mesures destinées à prévenir tout conflit d'intérêts. Votre déclaration d'intérêts vous concerne personnellement ainsi que votre conjoint, mais cela ne doit pas vous interdire de réfléchir à toute autre situation de conflit d'intérêts, même si la loi ne prévoit pas de rubrique au sujet d'autres personnes : en effet, le juge pénal peut considérer qu'il y a prise illégale d'intérêts dès lors que des parents, des enfants, un ami sont impliqués.
Si, mais sans prendre de décisions pouvant être de nature à compromettre l'indépendance, l'objectivité, l'impartialité de l'administration. C'est la fameuse jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation : un maire peut être en situation de conflit d'intérêts, et même de prise illégale d'intérêts, du fait de ses liens avec son partenaire de golf.
Dans la mesure où il existe des variations selon les départements, il pourrait être utile que la Chancellerie apporte des précisions sur la politique pénale à suivre dans certaines situations.
Nous avons une équipe qui se consacre à répondre à toutes vos questions, composée d'une dizaine de personnes, sous la responsabilité de notre directeur des publics, de l'information et de la communication, Ted Marx, ici présent. Nous sommes saisis d'énormément de demandes d'avis et de conseils et nous y donnons très volontiers suite : mieux vaut prévenir que guérir.
Les projets de reconversion professionnelle des élus des collectivités de plus de 20 000 habitants nous sont soumis. Le statut de l'élu local est un sujet – il fait l'objet d'une réflexion depuis des années et l'on peut vraisemblablement progresser en la matière –, mais il est en dehors de nos missions. Un élu local qui se consacre entièrement à ses missions de service public doit veiller à ne pas se trouver en situation de conflit d'intérêts ; quand la profession qu'il a exercée est concernée, il peut se déporter : cela facilitera son retour à la vie professionnelle. C'est l'avantage de nos avis de prénomination : nous pouvons prévenir une personne qui vient du privé et qui est invitée à exercer des fonctions dans un cabinet ministériel qu'il lui faudra se déporter sur tel ou tel sujet intéressant l'entreprise où elle a été salariée. Cela les protège et leur permet de reprendre leur activité par la suite. Bien sûr, quand le déport est systématique, il n'a plus de sens : la situation équivaut à une incompatibilité.
J'entends la petite musique selon laquelle les reconversions dans le privé seraient impossibles pour celles et ceux qui exercent des fonctions publiques ; j'en suis étonné, car dire cela, c'est ignorer que près de 94 % de nos avis sont des avis de compatibilité – certes assortis parfois de réserves, qui sont justifiées. Nous assumons totalement nos décisions concernant plusieurs anciens ministres, qui ont pu être galvaudées dans la presse ou mal interprétées. Parfois, on perd le sens des mots : « s'abstenir de toute démarche », cela ne veut pas dire « ne pas contacter par téléphone pour donner des informations », mais « ne pas intervenir pour influencer la décision », compte tenu des fonctions que l'on a pu exercer précédemment ou pour fausser une éventuelle concurrence entre entités. On a entendu des choses stupides au moment de nos décisions concernant Jean Castex ou Roselyne Bachelot.
Nous apprécions le risque pénal et le risque déontologique. Quand le premier existe, nous protégeons la personne en disant qu'il ne lui est pas possible de rejoindre telle ou telle entreprise. J'ai vu que les décisions de la Haute Autorité concernant M. Cédric O n'étaient pas totalement comprises de celui-ci. Je pense que nous l'avons protégé – peut-être « à l'insu de son plein gré »… D'autant que, dans la définition du conflit d'intérêts retenue par le législateur, l'apparence compte aussi. En ce qui concerne le risque pénal, il s'agit de droit « dur », qui soulève peu de difficultés ; le risque déontologique relève d'un droit plus souple et est plus difficile à interpréter. Mais toutes nos décisions sont susceptibles de pourvoi devant le Conseil d'État, qui nous a toujours suivis jusqu'à présent.
Concernant l'agrément, ce n'est pas à moi, mais à la loi, qu'il appartient de dire si telle ou telle procédure doit être retenue. Il existe deux procédures d'agrément, mais les missions ne sont pas les mêmes dans les deux cas ; l'agrément délivré par la Haute Autorité et celui accordé par la Chancellerie n'ont pas un degré d'exigence identique. En effet, pouvoir se constituer partie civile dans une procédure est beaucoup plus lourd qu'avoir la possibilité d'adresser des signalements à la Haute Autorité. Si le législateur nous confiait toute la procédure d'agrément, nous nous conformerions à cette mission.
J'avais suggéré aux parlementaires qui travaillaient sur ces sujets qu'un contrôle soit effectué par la Cour des comptes, notamment sur les aspects budgétaires et financiers, préalablement à la délivrance d'un agrément. Ce serait légitime dans la mesure où les associations bénéficient de mesures de générosité publique, la contribution à leur financement ouvrant droit à des facilités fiscales. Mais c'est au législateur de trancher.
S'agissant des référents déontologues, les centres de gestion sont un outil utile. Je ne sais pas pourquoi le ministre de l'intérieur a des réserves à ce sujet ; il faudra regarder cela de plus près et nous rapprocher de vous, madame Untermaier. Il m'arrive de regretter que les différentes composantes de l'État ne se parlent pas davantage. On m'a ainsi signalé en fin de semaine dernière que la direction générale des collectivités locales (DGCL) avait produit un document sur les conflits d'intérêts sans nous en parler ; les divergences d'appréciation qui s'ensuivent n'aident pas les élus. Ce type de comportement est d'une rare stupidité ! De plus, c'est à la Haute Autorité que le législateur a confié le soin de définir la doctrine.
Le recours aux centres de gestion fonctionne bien ; il permet que plusieurs personnes s'emploient à répondre aux élus, ce qui garantit davantage de disponibilités. Si une grande collectivité n'a aucune difficulté à trouver un référent déontologue, notamment dans les villes universitaires où il y a toujours un professeur de droit ou un ancien magistrat pour contribuer aux comités de déontologie, il n'en va pas de même dans les petites communes. Dans ce cas, les centres de gestion ou les associations de maires peuvent être bien utiles.
Dès lors que nous émettons des réserves, il faut que nous puissions les suivre. Nous interrogeons donc régulièrement la personne concernée, nous croisons les renseignements qu'elle nous donne et d'autres informations que nous obtenons, et nous assurons un suivi de toutes les lettres plus ou moins confidentielles qui concernent la situation des responsables publics. Nous le faisons pendant les trois années suivant l'expression de nos réserves.
Je vous mentirais si je vous disais que nos moyens sont totalement suffisants pour assurer toutes nos missions. Nous avons déjà émis un certain nombre de propositions pour les augmenter progressivement, et nous avons obtenu satisfaction. Nous allons encore en formuler quelques-unes pour l'année 2024. En 2022, nous avons dû contraindre une partie des personnels de la Haute Autorité à assurer des astreintes pour faire face à l'augmentation de 93 % du nombre de saisines relatives à des projets de mobilité professionnelle. Il y a actuellement beaucoup de mouvement dans les cabinets ministériels, en tout cas un peu plus qu'avant. Il me semble que les conseillers restent moins longtemps dans leurs fonctions – compte tenu de mes fonctions passées, j'ai un peu d'expérience sur ces sujets. À chaque aller-retour, la Haute Autorité est saisie. Notre charge est donc continue : il y a des pics assez hauts, mais le rythme tendanciel n'en est pas moins élevé. Si les moyens de la Haute Autorité pouvaient être renforcés, je serais le premier à m'en féliciter.
Effectivement, monsieur Iordanoff, il y a quelques trous dans la raquette du contrôle des mobilités. Ainsi, on peut déplorer que les militaires et les magistrats de l'ordre judiciaire démissionnant de leurs fonctions pour rejoindre tel ou tel cabinet ne fassent l'objet d'aucun contrôle. De même, il est curieux que les dirigeants d'établissements comme Solideo ou l'Ugap échappent à l'obligation de saisine – ils mériteraient pourtant d'être contrôlés –, alors que le président d'un établissement public industriel et commercial (Epic) local se voit contraint de solliciter l'avis de la Haute Autorité pour sa reconversion professionnelle. Nous avons formulé quelques propositions visant à élargir un peu le champ de la saisine. Quoi qu'il en soit, ces anomalies pourraient être facilement rectifiées par une disposition législative.
La séance est levée à 11 heures 40.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Edwige Diaz, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Sacha Houlié, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Julie Lechanteux, Mme Marie-France Lorho, M. Emmanuel Mandon, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Stéphane Rambaud, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Philippe Schreck, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, Mme Cécile Untermaier, M. Roger Vicot, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. - M. Xavier Breton, M. Philippe Dunoyer, Mme Marie Guévenoux, M. Benjamin Haddad, M. Timothée Houssin, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, M. Didier Lemaire, M. Benjamin Lucas, Mme Naïma Moutchou, M. Aurélien Pradié, M. Rémy Rebeyrotte, M. Davy Rimane, M. Jean Terlier
Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, M. Mickaël Bouloux, M. Pierre Cordier, M. Vincent Seitlinger