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Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 28 juin 2023 à 10h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Didier Migaud, président de la HATVP :

Si, mais sans prendre de décisions pouvant être de nature à compromettre l'indépendance, l'objectivité, l'impartialité de l'administration. C'est la fameuse jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation : un maire peut être en situation de conflit d'intérêts, et même de prise illégale d'intérêts, du fait de ses liens avec son partenaire de golf.

Dans la mesure où il existe des variations selon les départements, il pourrait être utile que la Chancellerie apporte des précisions sur la politique pénale à suivre dans certaines situations.

Nous avons une équipe qui se consacre à répondre à toutes vos questions, composée d'une dizaine de personnes, sous la responsabilité de notre directeur des publics, de l'information et de la communication, Ted Marx, ici présent. Nous sommes saisis d'énormément de demandes d'avis et de conseils et nous y donnons très volontiers suite : mieux vaut prévenir que guérir.

Les projets de reconversion professionnelle des élus des collectivités de plus de 20 000 habitants nous sont soumis. Le statut de l'élu local est un sujet – il fait l'objet d'une réflexion depuis des années et l'on peut vraisemblablement progresser en la matière –, mais il est en dehors de nos missions. Un élu local qui se consacre entièrement à ses missions de service public doit veiller à ne pas se trouver en situation de conflit d'intérêts ; quand la profession qu'il a exercée est concernée, il peut se déporter : cela facilitera son retour à la vie professionnelle. C'est l'avantage de nos avis de prénomination : nous pouvons prévenir une personne qui vient du privé et qui est invitée à exercer des fonctions dans un cabinet ministériel qu'il lui faudra se déporter sur tel ou tel sujet intéressant l'entreprise où elle a été salariée. Cela les protège et leur permet de reprendre leur activité par la suite. Bien sûr, quand le déport est systématique, il n'a plus de sens : la situation équivaut à une incompatibilité.

J'entends la petite musique selon laquelle les reconversions dans le privé seraient impossibles pour celles et ceux qui exercent des fonctions publiques ; j'en suis étonné, car dire cela, c'est ignorer que près de 94 % de nos avis sont des avis de compatibilité – certes assortis parfois de réserves, qui sont justifiées. Nous assumons totalement nos décisions concernant plusieurs anciens ministres, qui ont pu être galvaudées dans la presse ou mal interprétées. Parfois, on perd le sens des mots : « s'abstenir de toute démarche », cela ne veut pas dire « ne pas contacter par téléphone pour donner des informations », mais « ne pas intervenir pour influencer la décision », compte tenu des fonctions que l'on a pu exercer précédemment ou pour fausser une éventuelle concurrence entre entités. On a entendu des choses stupides au moment de nos décisions concernant Jean Castex ou Roselyne Bachelot.

Nous apprécions le risque pénal et le risque déontologique. Quand le premier existe, nous protégeons la personne en disant qu'il ne lui est pas possible de rejoindre telle ou telle entreprise. J'ai vu que les décisions de la Haute Autorité concernant M. Cédric O n'étaient pas totalement comprises de celui-ci. Je pense que nous l'avons protégé – peut-être « à l'insu de son plein gré »… D'autant que, dans la définition du conflit d'intérêts retenue par le législateur, l'apparence compte aussi. En ce qui concerne le risque pénal, il s'agit de droit « dur », qui soulève peu de difficultés ; le risque déontologique relève d'un droit plus souple et est plus difficile à interpréter. Mais toutes nos décisions sont susceptibles de pourvoi devant le Conseil d'État, qui nous a toujours suivis jusqu'à présent.

Concernant l'agrément, ce n'est pas à moi, mais à la loi, qu'il appartient de dire si telle ou telle procédure doit être retenue. Il existe deux procédures d'agrément, mais les missions ne sont pas les mêmes dans les deux cas ; l'agrément délivré par la Haute Autorité et celui accordé par la Chancellerie n'ont pas un degré d'exigence identique. En effet, pouvoir se constituer partie civile dans une procédure est beaucoup plus lourd qu'avoir la possibilité d'adresser des signalements à la Haute Autorité. Si le législateur nous confiait toute la procédure d'agrément, nous nous conformerions à cette mission.

J'avais suggéré aux parlementaires qui travaillaient sur ces sujets qu'un contrôle soit effectué par la Cour des comptes, notamment sur les aspects budgétaires et financiers, préalablement à la délivrance d'un agrément. Ce serait légitime dans la mesure où les associations bénéficient de mesures de générosité publique, la contribution à leur financement ouvrant droit à des facilités fiscales. Mais c'est au législateur de trancher.

S'agissant des référents déontologues, les centres de gestion sont un outil utile. Je ne sais pas pourquoi le ministre de l'intérieur a des réserves à ce sujet ; il faudra regarder cela de plus près et nous rapprocher de vous, madame Untermaier. Il m'arrive de regretter que les différentes composantes de l'État ne se parlent pas davantage. On m'a ainsi signalé en fin de semaine dernière que la direction générale des collectivités locales (DGCL) avait produit un document sur les conflits d'intérêts sans nous en parler ; les divergences d'appréciation qui s'ensuivent n'aident pas les élus. Ce type de comportement est d'une rare stupidité ! De plus, c'est à la Haute Autorité que le législateur a confié le soin de définir la doctrine.

Le recours aux centres de gestion fonctionne bien ; il permet que plusieurs personnes s'emploient à répondre aux élus, ce qui garantit davantage de disponibilités. Si une grande collectivité n'a aucune difficulté à trouver un référent déontologue, notamment dans les villes universitaires où il y a toujours un professeur de droit ou un ancien magistrat pour contribuer aux comités de déontologie, il n'en va pas de même dans les petites communes. Dans ce cas, les centres de gestion ou les associations de maires peuvent être bien utiles.

Dès lors que nous émettons des réserves, il faut que nous puissions les suivre. Nous interrogeons donc régulièrement la personne concernée, nous croisons les renseignements qu'elle nous donne et d'autres informations que nous obtenons, et nous assurons un suivi de toutes les lettres plus ou moins confidentielles qui concernent la situation des responsables publics. Nous le faisons pendant les trois années suivant l'expression de nos réserves.

Je vous mentirais si je vous disais que nos moyens sont totalement suffisants pour assurer toutes nos missions. Nous avons déjà émis un certain nombre de propositions pour les augmenter progressivement, et nous avons obtenu satisfaction. Nous allons encore en formuler quelques-unes pour l'année 2024. En 2022, nous avons dû contraindre une partie des personnels de la Haute Autorité à assurer des astreintes pour faire face à l'augmentation de 93 % du nombre de saisines relatives à des projets de mobilité professionnelle. Il y a actuellement beaucoup de mouvement dans les cabinets ministériels, en tout cas un peu plus qu'avant. Il me semble que les conseillers restent moins longtemps dans leurs fonctions – compte tenu de mes fonctions passées, j'ai un peu d'expérience sur ces sujets. À chaque aller-retour, la Haute Autorité est saisie. Notre charge est donc continue : il y a des pics assez hauts, mais le rythme tendanciel n'en est pas moins élevé. Si les moyens de la Haute Autorité pouvaient être renforcés, je serais le premier à m'en féliciter.

Effectivement, monsieur Iordanoff, il y a quelques trous dans la raquette du contrôle des mobilités. Ainsi, on peut déplorer que les militaires et les magistrats de l'ordre judiciaire démissionnant de leurs fonctions pour rejoindre tel ou tel cabinet ne fassent l'objet d'aucun contrôle. De même, il est curieux que les dirigeants d'établissements comme Solideo ou l'Ugap échappent à l'obligation de saisine – ils mériteraient pourtant d'être contrôlés –, alors que le président d'un établissement public industriel et commercial (Epic) local se voit contraint de solliciter l'avis de la Haute Autorité pour sa reconversion professionnelle. Nous avons formulé quelques propositions visant à élargir un peu le champ de la saisine. Quoi qu'il en soit, ces anomalies pourraient être facilement rectifiées par une disposition législative.

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