La séance est ouverte à neuf heures trente.
Mes chers collègues, au cours de cette audition à huis clos, nous entendrons M. Nicolas de Maistre, directeur de la protection et de la sécurité de l'État au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), sur le retour d'expérience de l'exercice Orion.
Auparavant, je veux vous donner des nouvelles rassurantes de notre collègue Vincent Bru. Il va bien et entame une période de convalescence qui devrait le ramener parmi nous, en pleine forme, peut-être dès juillet, très certainement en septembre. Il nous manque et je voudrais, en votre nom à tous, l'assurer de nos amicales pensées et lui transmettre nos vœux de prompt rétablissement.
Notre collègue récupère d'une première opération et se prépare pour la seconde, mais il va bien. Après quelques séances de rééducation, nous devrions le retrouver en forme, plus sûrement à la rentrée. Sachez qu'il apprécie nos messages amicaux.
Par ailleurs, je voudrais vous remercier pour les débats que vous avez menés tout au long de l'examen de la loi de programmation militaire (LPM), tant en commission qu'en séance publique. Les chiffres témoignent de l'ampleur du travail accompli : 90 heures de débat, 721 amendements discutés en commission, dont 229 adoptés ; 1791 amendements discutés en séance, dont 177 adoptés d'origine parlementaire. Au-delà des chiffres, nous pouvons nous féliciter de la qualité des débats, notamment sur la dissuasion nucléaire, notre modèle d'armée, l'équilibre entre volume et cohérence, entre technologie et rusticité ou la qualité de vie de nos militaires. Je tiens à saluer le travail du rapporteur, fin connaisseur de la chose militaire. Le travail préparatoire réalisé en amont durant plusieurs mois par les missions d'information et les cycles d'audition ont permis de bien préparer cette LPM.
Il reste à voter le texte et je forme le vœu que chacun adopte une attitude responsable. Après l'examen du texte par le Sénat, nous devrions le retrouver début juillet en commission mixte paritaire. Nous aurons encore du travail dans les années à venir pour approfondir ces sujets, les concrétiser au travers des projets de loi de finances et élargir la réflexion au-delà des enjeux purement capacitaires. Quatre commissions permanentes sur huit ont été mobilisées. Je les remercie, et tout particulièrement Mme Sabine Thillaye, rapporteure par délégation pour avis au nom de la commission des lois.
Monsieur le président, il y a un trou dans la raquette du règlement de l'Assemblée nationale. La commission des lois ayant été saisie au fond, j'étais bien rapporteure saisie au fond, mais comme ce titre n'existe pas, celui de rapporteure pour avis m'a été attribué.
Effectivement, j'ai bien saisi la commission des lois pour délégation au fond sur quatre articles du projet de LPM. Le règlement est imprécis, mais dès lors qu'il y a eu délégation au fond, nous nous sommes astreints au strict suivi de l'avis de la commission des lois ; il conviendrait sans doute toutefois de préciser plus précisément dans le règlement ce mode de fonctionnement.
N'oublions jamais que les enjeux capacitaires soutenus par la loi de programmation militaire ne sont qu'une partie de la défense militaire en tant que telle. Les ressortissants du ministère des armées représentent 300 000 actifs sur trente millions, soit 1 %, et la défense nationale n'est réellement efficace que si elle concerne l'ensemble des forces vives de la nation, ce qui fait écho à notre ordre du jour.
Nos deux réunions de ce matin sont consacrées au retour d'expérience de l'exercice majeur Orion, tant du point de vue civilo-militaire que du point de vue strictement militaire.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Nicolas de Maistre, directeur de la protection et de la sécurité de l'État au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).
Monsieur le directeur, vous occuper cette fonction depuis août 2020, après un parcours comme officier de la gendarmerie puis comme haut fonctionnaire, notamment au sein de la Commission européenne.
Orion, exercice d'une ampleur inégalée en France depuis plusieurs décennies, visait à adapter la préparation opérationnelle des armées aux exigences du combat de haute intensité, face à un ennemi conventionnel aux capacités quasi-symétriques aux nôtres. Orion 23 constitue la première édition d'un exercice qui se tiendra désormais tous les trois ans. Vous nous avez tous été invités à y participer, soit lors de la journée du 4 mai, dans les camps de Champagne, soit dans vos territoires.
L'objet de cette audition est d'aborder la troisième phase inédite de l'exercice Orion, qui s'est tenue fin mars. Coordonnée par le SGDSN, elle a permis d'aborder les aspects interministériels d'une crise qui accompagneraient un engagement de haute intensité dans le contexte des guerres hybrides du XXIe siècle. D'une certaine façon, l'exercice avait pour but de réapprendre les réflexes de la défense globale et d'étudier l'adaptation de dispositifs conçus pendant la guerre froide et peu actualisés.
Monsieur le directeur, nous serions heureux de vous entendre sur les conclusions des groupes de travail qui ont préparé, joué et analysé cette phase interministérielle. Nous attendons votre analyse sur les apports de l'exercice Orion et, le cas échéant, vos principaux points de vigilance.
Monsieur le président, mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi d'abord de présenter les collègues qui m'accompagnent et qui pourront répondre à vos questions. M. Antoine Pavageau a travaillé sur le GT juridique. Le lieutenant-colonel Jean-Charles Coste, officier de marque de l'exercice ORION 3 au SGDSN et qui a une connaissance précise de la problématique des réserves et M. Gwenaël Jézèquiel, représentant du cabinet du secrétaire général, qui est un spécialiste de la communication.
Monsieur le président, vous l'avez souligné, l'exercice Orion revêt une importance extraordinaire. Quand on prend un peu de recul et quand on aime l'histoire, on repère les petites pierres blanches montrant que nous avons changé de monde. Relancer un exercice interarmées de cette nature, c'est renouer avec un passé historique mis entre parenthèses de 1995 à nos jours, et c'est un marqueur fort d'une nouvelle vision de la défense. Il a aussi corroboré une vision civile consécutive à la crise du Covid et la nécessité d'améliorer la coordination interministérielle de manière générique.
En mettant cet exercice en perspective avec ce que nous avons vécu depuis un certain temps, on constate que la menace terroriste ne faiblit pas – nous aurons bientôt la posture Vigipirate pour les six mois à venir -,et que nous assistons à une multiplication et une superposition des crises en même temps qu'à une diversification de leurs typologies. Longtemps, on a pensé qu'un simple coup de collier permettrait de revenir à la normale alors que nous enchaînons les crises et que l'état de crise devient donc permanent. Nous en tirons la conséquence que la crise relève structurellement du niveau interministériel. C'est pourquoi nous avons voulu, avec nos amis des armées, confronter ces constats au cadre nouveau créé par les tensions internationales et la guerre en Ukraine en vue de superposer leur logique et la nôtre.
Cet exercice Orion, anticipé et planifié bien avant l'invasion russe en Ukraine procédait d'une réflexion de fond et s'inscrivait dans un cadre général. La structuration de la stratégie nationale de résilience (SNR), lancée en 2021 et validée par le cabinet du Premier ministre, puis de la Première ministre, en avril 2022, prévoit plusieurs axes de durcissement de la capacité de l'État à encaisser les chocs : une préparation approfondie aux crises, incluant la contribution de la nation à un effort des armées ; une vision capacitaire du développement des moyens humains et matériels et une réflexion sur la communication grand public, puisqu'il s'agit aussi de viser à mobilier le citoyen. On nous a ensuite demandé d'élargir cette SNR à l'ensemble de la société. Des discussions sont en cours avec les collectivités locales et toutes leurs grandes associations nationales, auprès des entreprises essentiellement sur le sujet des stocks, et des réflexions en cours pour définir une action de communication citoyenne.
Par ailleurs, au sein de la direction, nous avons estimé qu'il convenait de revoir radicalement notre mode de planification, en particulier les plans gouvernementaux. Jusqu'à présent, on considérait que notre imagination permettrait toujours d'identifier les risques et les menaces pour leur opposer un plan, mais en réalité, nous sommes très souvent surpris. Dans un monde où la malveillance sera omniprésente, il n'y a pas de raison que la surprise ne soit pas systématique. Nous avons donc voulu concevoir une planification qui ne soit pas du type « un risque, un plan », ou « une menace, un plan », mais un assemblage de briques tenant compte de la réalité et privilégiant une approche « multirisque ». Nous nous y employons sur la base doctrinale de la directive générale interministérielle n°320, publiée récemment.
Enfin, un cadre essentiel pour nous a été le discours du Président de la République à Toulon, auquel vous assistiez, Monsieur le président, qui, au titre de l'objectif stratégique n° 2 de la RNS, affichait une France unie et résiliente et visait notamment à conforter le dialogue civilo-militaire.
Ce contexte rendait donc tout à fait légitime cet exercice.
Nous l'avons organisé et conduit en deux temps : des travaux préparatoires et un exercice sur table. Non seulement, on ne renoue pas avec des exercices qu'on n'a pas faits depuis trente ans sans un travail préparatoire conséquent, mais nous souhaitions optimiser les réflexions de ces groupes de travail pour qu'ils produisent des fiches mesures à intégrer dans notre nouveau dispositif de planification.
Nous avons donc mis en place cinq groupes de travail sur les thèmes suivants : les soutiens et acheminements, piloté par l'état-major des armées (EMA) et le commissariat général aux transports (Comigetra) ; l'adaptation des normes et la dimension juridique, pilotée par le secrétariat général du gouvernement (SGG) ; les ressources humaines et la mobilisation de la réserve, pilotée par le secrétariat général de la garde nationale ; les rétroactions sur le territoire national, piloté par la cellule de coordination intérieur défense, et la communication gouvernementale, pilotée à la fois par l'EMA et le service d'information du Gouvernement (SIG). Nous voulions monter ces groupes pour produire des fiches mesures, afin de réaliser un exercice résolument nouveau et structurer un réseau d'experts interministériel que nous avons bien l'intention d'inscrire dans le temps. Compte tenu de l'affichage d'un exercice Orion tous les trois ans, il faut que ce réseau fonctionne.
L'exercice s'est déroulé le 30 mars 2023, en présence du directeur de cabinet de la Première ministre, du chef d'état-major des armées et du secrétaire général du SGDSN, dans la volonté de combiner défense civile et défense militaire.
Le choix, légèrement différent du scénario originel, était d'aller au bout de la logique des stratégies hybrides ou indirectes, afin de mobiliser toutes les composantes de l'appareil d'État. Un pays allié connaissait une guerre civile dans laquelle des milices étaient soutenues par son puissant voisin doté de l'arme nucléaire. La France, dans le cadre d'une coalition européenne ad hoc, envoyait en soutien de premier échelon un volume de force habituel, ce qui est déjà de nature à mobiliser l'ensemble de l'appareil d'État, du fait notamment du niveau d'intensité de cet engagement, nous forçant à régénérer soldats et matériels. En réaction le voisin doté engageait contre nous une stratégie hybride en cherchant à déstabiliser un État tiers où se trouvait une grande communauté française, nous obligeant à les évacuer et à gérer la crise militairement et diplomatiquement. Il manifestait aussi la volonté de déstabiliser notre outre-mer au moyen d'une menace par des proxies depuis une lointaine île inhabitée, nécessitant l'envoi de moyens militaires et de sécurité intérieure et utilisait la palette complète des moyens de déstabilisation sur le territoire national : cyber, terrorisme, influence, manipulation de l'information.
Une fois le travail réalisé par les groupes de travail et le scénario défini, nous avons joué trois tours, désireux de rompre avec le tour unique qui ne correspond plus à ce que nous voulons développer. Nous sommes passés de l'endurance à la résistance. Nous souhaitons non seulement inscrire l'effort dans la durée, mais aussi envisager un accroissement de l'effort dans la durée, ce qui n'a pas souvent été le cas. Parvenus à un certain palier, on tenait sur la durée. Aujourd'hui, nous voulons faire comprendre à tous qu'on ne doit cesser d'augmenter l'effort. Le premier tour visait l'expression du besoin des armées d'un point de vue logistique, le deuxième, quelques semaines plus tard, était destiné à faire le point et à définir les moyens d'accroître l'effort de soutien. Le troisième tour, lors duquel sont venues les autorités, visait les répercussions sur le territoire national.
Ces tours ont été ritualisés par un journal télé très professionnel, un point de situation des besoins par le ministère des armées (Minarm), la réponse des pilotes des groupes techniques aux interrogations du Minarm, mises en perspective historique. Nous avions fait venir un historien, persuadés en renouant avec l'histoire longue de pouvoir y puiser des idées. Nous avons retenu principalement un besoin accru d'interministérialité et de coordination. Un échange interministériel a été suivi de conclusions.
J'en viens aux principales conclusions, au cœur de cette audition.
Orion est un exercice global qui vise à inverser la formulation en vigueur depuis une trentaine d'années et qui peut dorénavant s'exprimer en ces termes : quel soutien la Nation peut-elle offrir aux armées ? Cela réinterroge à juste titre notre dispositif en soulignant que l'objectif n'est pas simplement de disposer d'une armée efficace mais aussi d'un outil étatique lui permettant de durer et d'accroître progressivement son effort. C'est pour moi le cœur de la réflexion de la phase 3 de l'exercice Orion. Il s'agit aussi de sensibiliser l'appareil d'État aux stratégies hybrides nuisibles et qui restent sous le seuil de conflictualité et de pointer le besoin d'une coordination interministérielle fine pour y faire face.
Concernant l'organisation, nous avons tiré la conclusion que la petite roue indépendante du ministère des armées tournait très vite, alors que la grande roue de la Nation tournait un peu moins vite et qu'il convenait dorénavant de mieux relier les deux par une boîte de vitesses. Afin de la concevoir et la tester, nous avons conclu à la nécessité de créer une commission interministérielle pour y exposer et valider ces questions et de réaliser régulièrement de nouveaux exercices Orion pour identifier les points de blocage et les traiter.
Nous nous sommes aussi demandé comment impulser au sein des ministères la dynamique civilo-militaires. Inclus dans le ministère de la transition écologique (MTE), le Comigetra est l'exemple d'une telle structure militaire et l'un des rares survivants de ces dispositifs. Nous avons plaidé en faveur du maintien, voire du développement de cette structure pour assurer une intrication civilo-militaire à l'intérieur du ministère. Le deuxième et dernier exemple est la délégation du service de santé des armées au sein du ministère de la santé et de la prévention.
Dans le prolongement de l'image de la boîte de vitesse, il y a, au sein des ministères, des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité dont les services ont depuis longtemps été ramenés au juste suffisant. Nous nous interrogeons sur le renforcement de ces structures afin qu'elles soient en mesure de soutenir, en interne des ministères, une connaissance précise de nos sujets.
Enfin, et c'est un de mes regrets, nous devons encore prolonger notre réflexion sur l'organisation civilo-militaire au niveau territorial, non seulement dans l'appareil d'État mais aussi avec les collectivités.
Sur le plan juridique, nous disposons d'outils performants mais permettant une montée en puissance limitée. D'une part, les régimes d'exception, comme l'état de siège, l'état de guerre ou l'article 16 de la Constitution ne sont d'aucune utilité pour faciliter une réaction dans le scenario envisagé. Nous nous interrogeons donc sur la mise en œuvre concrète de deux régimes de défense : la mobilisation et la mise en garde. Nous avons, en effet, d'abord besoin de mettre en place un continuum permettant à la France de s'adapter, sans heurt et sans rupture, à toutes les situations, puisque les conditions historiques ont changé. D'autre part, nous aurions intérêt à prévoir, à l'instar de Vigipirate, des niveaux de défense enclenchant mécaniquement des processus juridiques et d'avoir, dès lors, une vision interministérielle partagée de ce que cela justifierait et permettrait.
S'agissant des réserves, l'excellent rapport de MM. Christophe Blanchet et Jean-François Parigi évoquait déjà, en juin 2021, un foisonnement de dispositifs disparates et un déficit de cohérence. Le constat est partagé lors de cet exercice d'une forme « d'auberge espagnole » résultant d'une sorte de délitement à l'issue de la conscription et, à l'inverse, d'un volontarisme nouveau de constituer des masses dans certaines administrations pour faire face aux crises. Cet enchevêtrement mérite d'être toiletté. À défaut d'un jardin à la française, nous souhaitons un jardin anglais plutôt que la jungle. Il convient, en effet, de trouver un équilibre entre une vision trop centralisée qui contraindrait les gestionnaires dans l'emploi des réserves et une nécessaire perspective générale d'emploi, pour nous centrale, que la garde nationale pourrait dresser. Nous voudrions passer d'une levée en masse à une levée en compétences. Pour cela, nous avons besoin d'identifier les compétences nécessaires.
Dans le domaine sanitaire, nous connaissons les difficultés d'accès, pour réaliser des projections humanitaires ou de soutien à un allié, à certains vecteurs maritimes ou aériens. Il faut donc veiller en amont à la complémentarité des moyens entre moyens privés et patrimoniaux. Nous devons également envisager l'organisation de la reprise en main des hôpitaux d'instruction des armées par le ministère des armées incluant un transfert de la patientèle vers le milieu civil, des évacuations massives de blessés et leur traitement. Une réflexion est en cours sur le concept logistique nouveau de base industrielle de combat. Ce concept n'est pas entièrement superposable à la base industrielle et technologique de défense (BITD), entièrement dédiée à la fourniture de systèmes d'armes, mais est bien relatif à l'ensemble du matériel nécessaire à la projection.
Concernant la communication et l'influence, la réflexion du groupe de travail sur les stratégies capables de nous nuire le plus et les capacités légales pour s'y opposer a été très utile. Elle est venue percuter la vision de la fonction stratégique d'influence dont la responsabilité a été confiée par le Président de la République au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE). Une articulation technique doit s'opérer, comme avec le cyber ou le comité de liaison sur les dossiers de sécurité économique (Colisé), le comité de lutte contre les manipulations de l'information (CLMI). Tout cela doit s'intriquer dans une vision plus large soutenue par la MEAE sur la fonction « influence ».
Outre sa grande utilité et les nombreux enseignements que nous en avons tirés, cet exercice présentait un intérêt historique dans la mesure où il renouait avec la vision républicaine du lien armées-Nation. Nous renouons avec l'idée d'une armée adossée à la Nation qui, seule, lui confère une solidité que les uns et les autres peuvent apprécier. Il s'agit de retisser ce lien de cohérence dont nous avons absolument besoin compte tenu des enjeux de demain.
Monsieur le président, mesdames et Messieurs les députés, se préparer à la crise, anticiper la surprise ne peut se faire sans intégrer la dimension juridique, considérée non comme un droit contraignant, mais comme un droit fournisseur de ressources, une boîte à outils utile au soutien des armées. C'était le rôle du groupe de travail chargé de réfléchir à l'adaptation des normes aux impératifs de la montée en puissance des armées, au regard non seulement du droit des conflits mais aussi de notre droit interne, qu'il s'agisse du droit commun ou des régimes d'exception.
Notre premier constat est que la mobilisation des états d'exception traditionnellement attachés à la dimension militaire apparaît impossible ou, pour ce qui est de l'état d'urgence, d'un intérêt relatif.
L'état de siège n'est activable qu'en cas de péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée et suppose des combats sur le territoire, ce qui n'était pas le cadre de l'exercice.
L'article 16 suppose l'existence d'une menace grave et immédiate sur les institutions de la République et une interruption du fonctionnement normal des pouvoirs publics constitutionnels, difficilement envisageables pour un conflit en dehors du territoire national.
L'état d'urgence ne serait utile que pour limiter des effets de rétroactions d'un conflit sur le territoire national se traduisant par des troubles à l'ordre public et il n'apporterait qu'une réponse limitée à un engagement d'envergure et au soutien des forces armées.
À côté de ces états d'exception, le code de la défense prévoit des régimes de défense plus appropriés à un engagement d'envergure et à même d'être activés graduellement selon l'intensité de la crise. Ce droit offre une réponse permanente à des crises déployées dans des champs divers, y compris non strictement militaires. Il est donc bien adapté à l'hypothèse de l'exercice.
Le code de la défense a progressivement rompu avec la distinction entre temps de paix et temps de guerre. Au tournant du XXIe siècle, en lien avec le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, la mise en place d'une stratégie de sécurité nationale a ouvert un droit de la crise, lequel se traduit par un ensemble de régimes juridiques caractérisé par une gradation de la montée en puissance dans des situations en deçà de l'état de guerre.
En particulier, le régime de la mise en garde permet au gouvernement de se doter de prérogatives inédites, pleinement adaptées à une crise majeure. Défini à l'article L2141-1 du code de la défense, ce régime permet l'adoption de certaines mesures propres à assurer la liberté d'action du gouvernement, à diminuer la vulnérabilité des populations ou des équipements, à garantir la sécurité des opérations de mobilisation ou de mise en œuvre des forces armées. Il est simplement décrété par le Président de la République en conseil des ministres. Il permet une palette d'actions : réquisition des biens, des services et des personnes, contrôle de la répartition des ressources et des matières premières nécessaires au ravitaillement, possibilité de rappeler ou de maintenir en activité les réservistes opérationnels et activation des dispositions du code de justice militaire propres au temps de guerre.
Ce régime n'a jamais été mis en œuvre. Il est issu d'une ordonnance de 1958, qui n'a pas précisé les conditions de sa mise en œuvre, et c'est là une de nos difficultés. La doctrine tend à considérer qu'il correspond à une situation où des éléments subversifs chercheraient à paralyser l'action de l'État au moment où l'ennemi déclencherait une menace ou serait sur le point de le faire. Ce cadre correspondant bien à notre exercice. C'est une sorte de pré-mobilisation préparatoire de l'appareil de défense en cas d'impossibilité de maintenir le fonctionnement libéral normal de l'économie, mais lorsqu'il est inutile de décréter la mobilisation générale.
D'autres dispositions sectorielles de droit commun sont susceptibles d'être mobilisées dans des champs très divers. Les exigences liées à la défense sont prises en compte dans de nombreuses législations, pour alléger les procédures du code de l'environnement ou de l'urbanisme ou pour mobiliser certaines personnes.
En matière économique, le cadre juridique permet un contrôle des activités des entreprises de la BITD. Il est renforcé dans le projet de loi de programmation militaire par un article relatif à la constitution de stocks stratégiques. En matière d'approvisionnement, il est possible d'adopter certaines mesures de blocage des prix, motivées par une situation de crise, au moyen d'un décret pris en Conseil d'État.
Pour les militaires blessés, le code de la santé publique permet au ministre de la défense de reprendre l'entière maîtrise des hôpitaux ou de convoquer la réserve sanitaire. De nombreux dispositifs de réserve existent et ont été pour partie simplifiés et coordonnés par le projet de loi de programmation militaire.
Ces différentes mesures ne constituent pas l'aboutissement des réflexions sur la préparation de l'économie de guerre. D'autres dispositions doivent être envisagées pour répondre au besoin de réapprovisionnement des forces armées, mais pour disposer d'un droit-ressources mobilisable au moment adéquat, il est indispensable de s'entraîner à son maniement. Il en est du droit comme des hommes ou des équipements, il faut l'utiliser, apprendre à le manier pour qu'il soit mobilisable. Par exemple, il est utile de mener une réflexion sur la mobilisation du régime de la mise en garde afin de mieux cerner les conditions dans lesquelles il pourrait être mis en œuvre et les mesures qui pourraient être adoptées sur son fondement. Afin d'être opérationnel pour la prochaine crise, il est essentiel, dans une dimension interministérielle, que chacun des acteurs ait non seulement la connaissance, mais aussi la maîtrise pratique de l'utilisation de ces outils juridiques.
Avant d'être nommé chef d'état-major des armées, le général Burkhard évoquait déjà les prémices de cet exercice. Après la première phase de participation, nous abordons la phase de retour d'expérience et la vision du SGDSN et de l'EMA. Et nous avons décidé en réunion de Bureau, d'une mise en situation, le 28 juin prochain, de la commission de la défense, une sorte de stress test afin de définir son rôle si un tel scénario se produisait.
Merci pour vos retours transparents, y compris sur les lacunes du système. Comme le disait le chef d'état-major des armées, si vous nous aviez dit que tout est bien, que la France est parfaitement préparée, nous aurions pensé : soit ils nous mentent, soit le niveau d'ambition de l'exercice était insuffisant pour prévenir toutes les situations, y compris les pires, auxquelles on n'est nécessairement par pleinement préparé. Ce large retour est important pour nous, chers collègues, car n'oublions pas que nous sommes à la fois la commission des forces armées, donc, du capacitaire, de la loi de programmation militaire, et la commission de la défense nationale. Compte tenu des ambitions et de la dimension de notre pays, il importe d'engager cette réflexion pour être en mesure de produire des effets intégrés dans le nouveau contexte géopolitique mondial et face au développement massif des menaces hybrides.
Nous en venons aux orateurs de groupe.
La dégradation du contexte international et le retour de la guerre de haute intensité sur le territoire européen imposent à nos armées de répondre à de nouvelles exigences de combat. Les armées françaises ont conduit un exercice d'ampleur visant à préparer nos armées aux combats de haute intensité. Dans ses différentes phases, l'exercice Orion a intégré la manipulation de l'information comme partie intégrante de toute stratégie militaire. Nous l'observons au Sahel avec la propagande russe, où l'outil cyber représente un enjeu majeur pour nos armées. La quatrième phase de l'exercice intègre l'espace informationnel comme lieu d'affrontement des forces. Comment s'est déroulé l'exercice en matière cyber ? Quels sont les dilemmes rencontrés face aux dangers de la manipulation, de la désinformation et des cyberattaques, en lien avec les questions juridiques ?
Nous devons faire face à de forts enjeux de protection du territoire et de la population, dans la perspective de la Coupe du monde de rugby, en septembre prochain, et des Jeux olympiques, l'année prochaine. Dans ce contexte, quel est votre retour d'expérience de l'exercice Orion en matière de lutte anti-drones ? Dans la guerre en Ukraine, le drone est une menace majeure pour les infrastructures et les populations.
L'injonction de la haute intensité pesant sur nos armées résulte du contexte de réarmement global que la guerre en Ukraine n'a fait qu'aggraver. Sur les champs de bataille, le drone est devenu une arme cruciale. De grande ou de petite manufacture, sa mobilité et sa discrétion font planer sur l'ennemi une menace permanente et la terreur parmi la population. L'exercice Orion a été l'occasion d'évaluer notre maîtrise des drones. Pourquoi chacune de nos armées dispose-t-elle d'un programme dédié alors que la DGA a lancé le programme Parade qui a vocation à empêcher toute attaque de drone lors des grands événements sportifs ? L'exercice Orion a-t-il permis d'évaluer nos forces ? Que nous apprend-il de l'opérabilité et de l'efficacité de nos dispositifs de lutte anti-drones ? Sommes-nous prêts à parer toutes les menaces de drones à échéance 2023, pour le début de la Coupe du monde de rugby ?
Je n'ai pas saisi la distinction que vous établissez entre la BITD et la base industrielle de combat.
Le calendrier ne permettait pas d'introduire dans la LPM des mesures issues du Retex. Toutefois, s'agissant d'un exercice inédit depuis trente ans, il aurait peut-être été pertinent de coupler les deux travaux. Une traduction législative est-elle envisagée ? L'évocation du toilettage du droit d'exception qui figure déjà en partie dans la LPM me pose question.
Celui qui me succédera à cette place lors de la prochaine audition sera plus à même de vous répondre sur l'aspect militaire des attaques cyber ou des drones. Nous sommes chargés d'organiser des exercices majeurs de niveau gouvernemental. Depuis deux ans, ils ont tous fait l'objet d'un scénario intégrant attaques cyber ou manipulation de l'information, mais je ne puis vous répondre sur la traduction concrète de ces actions pour les armées.
Dans la mesure où nous suivons la mise en œuvre d'une politique globale sur les drones et où nous sommes chargés de mettre en cohérence ces différents travaux, je puis vous assurer que nous ne sommes pas en retard comparé à d'autre pays à la pointe de l'aérien. Toutefois, l'émergence d'une nouvelle technologie pose des difficultés réglementaires de détection et de gestion, dans lesquels tous les pays sont en train de mettre de l'ordre. Nos amis américains ont produit récemment des documents pour le Congrès afin de clarifier la répartition des responsabilités entre les opérateurs aériens et l'administration.
Une réflexion technologique, réglementaire et législative est en cours au niveau européen, mais je ne pense pas qu'on puisse envisager une version unique du drone. Les drones de la marine et de l'armée de l'air n'ont pas les mêmes vocations. Il n'est pas anormal de prévoir des programmes différenciés pour adapter au mieux l'outil à son milieu.
La BITD est un concept soutenu par la DGA qui fixe un cadre aux relations entre l'État et les entreprises qui fournissent de l'armement. Connue et encadrée depuis longtemps, elle est un partenariat structuré par des outils juridiques et fait l'objet d'un accompagnement. La base industrielle de combat, non encore entièrement définie, vise, de façon plus large, à ajouter tous les éléments nécessaires à la projection de la force, incluant le service de santé, les uniformes, les= pièces de rechange etc. Dans une dimension commissariat, au sens large, elle doit fournir immédiatement l'outillage nécessaire pour les soldats projetés.
Entre la LPM et l'existant, le cadre juridique a largement permis de couvrir nos besoins. En revanche, nous avons voulu tester si le changement d'échelle entraînait un changement de nature. Nous n'avons pas encore suffisamment d'informations en retour pour savoir si une nouvelle dimension législative est nécessaire. De nombreux éléments doivent être structurés et organisés. Les administrations civiles et militaires, doivent prendre l'habitude de travailler régulièrement les unes avec les autres, au niveau central comme au niveau territorial. Nous devons mettre en œuvre des besoins exprimés par les armées dans les administrations civiles avant d'envisager un cadre législatif nouveau.
Si nous étions engagés dans une opération majeure à l'est de l'Europe, tous les plans de l'Otan prévoient des flux logistiques importants à travers la France. Comment améliorer cette situation d'un point de vue opérationnel ou juridique ? Je pense aux franchissements de frontière par certains matériels militaires qui peuvent présenter des difficultés.
Nous rencontrons parfois des difficultés avec des administrations déconcentrées de l'État pilotées au niveau régional et des préfets de département. Le sujet a-t-il été abordé dans le cadre de l'exercice ? Qui le pilotait ? Dans les crises civiles que nous avons connues, en particulier celle du Covid, les choses ont commencé à aller beaucoup mieux quand les préfets ont tout centralisé.
Je rejoins l'excellente question de notre collègue Saintoul. Identifiez-vous dès maintenant des évolutions législatives indispensables ? Des travaux sont-ils envisagés à ce sujet ? Avez-vous testé les décisions prises dans le régime de la mise en garde en incluant dans les juridictions administratives ? Des référés-liberté ou autre ne pourraient-ils pas paralyser l'action publique ?
Orion a fait appel à des prestataires qui ont contribué au bon déroulement de l'exercice, notamment des entreprises spécialisées dans la sécurité, la logistique, les technologies de l'information, la cyber et d'autres domaines pertinents. Mais leur étroite collaboration avec nos armées oblige à s'assurer de leur fiabilité. Il convient d'établir avec elles une communication claire, efficace et sécurisée, en précisant les objectifs, les rôles et les responsabilités de chacun. Lors du recrutement de ces prestataires, quelles vérifications préalables ont été effectuées par les services des armées ? À quelle typologie de prestataires avez-vous fait appel ? Quelles difficultés ont été rencontrées sur le terrain. Quels enseignements ont été tirés de leur participation ? Comment ces enseignements seront-ils utilisés pour améliorer la coopération avec ces prestataires ?
J'ajoute qu'il serait intéressant de connaître, entre les coûts internes et les coûts externes, le coût global le coût de l'exercice Orion comparé à ce qu'il a rapporté en termes de retour d'expérience ?
J'ai entendu votre volonté de renforcer le déploiement d'un tel exercice au niveau territorial car la mise en situation me semble fondamentale. Il y a quelques mois, j'ai participé à un exercice de simulation d'accident nucléaire piloté entre le commandement de l'Île Longue, les services de l'État, la sécurité civile et les maires de ma circonscription. Cela avait été l'occasion d'échanges de compétences efficaces en situation de crise pour résoudre des questions de logistique très techniques.
Sommes-nous regardés par nos compétiteurs lors d'un tel exercice ? Avez-vous des éléments des services de renseignement à ce sujet ? Un exercice comparable a-t-il leu dans d'autres pays ?
Dans le cadre d'une opération interalliés avec des partenaires européens et internationaux, comment communiquer et dans quelle langue ? Comment s'y prépare-t-on, tout retard ou mauvaise communication sur le terrain pouvant avoir des conséquences grave ?
Le SGDSN n'a qu'un seul prestataire, Crisotech, qui contribue à la formalisation des exercices. Dans le cadre d'un marché, il participe à la structuration de nos exercices majeurs. Nous entretenons une relation de confiance, puisqu'il participe à l'élaboration des différents scénarios. C'est le seul et il participe à Orion comme dans à l'ensemble des exercices sur lesquels nous travaillons.
Je ne peux ni afficher le coût d'ensemble de l'exercice ni exprimer un point de vue sur les prestataires, mais je sais qu'on ne peut envisager une quelconque projection sans faire appel à des prestataires privés. Une nuit, après le tremblement de terre de Haïti, j'ai cherché désespérément un avion pour y envoyer des secours, et c'était une foire d'empoigne entre pays européens. Cela a d'ailleurs conduit l'Union européenne à concevoir le dispositif RescUE pour la mise à disposition de droits de tirage sur des vecteurs en matière d'action humanitaire. Qu'il s'agisse de Cyber, de logistique maritime ou de logistique aérienne, l'intrication des prestations est déjà effective, mais nous devrons dorénavant mettre en œuvre un changement d'échelle. Nous avons pris conscience de la nécessité d'organiser un droit de tirage sur des vecteurs en cas de crise systémique mais tous les États aspirant au même moment à les récupérer, nous devons fixer une priorisation ou, à tout le moins, savoir avec certitude sur quoi fonder une projection.
Vous avez eu la gentillesse d'évoquer les exercices de sécurité nucléaire régulièrement pratiqués au niveau territorial. Il est certain que nos exercices d'importance sont observés et participent d'une grammaire de lecture pour nos adversaires ou nos compétiteurs. Si l'exercice Orion devait conduire à la structuration de niveaux de défense impliquant la mise en œuvre de mesures réglementaires, cela clarifierait la grammaire de lecture de la montée en puissance du pays. Nous avons une grammaire de lecture pour la dissuasion. Faut-il en avoir une pour le reste ? Il est utile d'être capable d'adresser à nos adversaires ou compétiteurs le message que nous franchissons des étapes et qu'ils doivent en avoir conscience.
Nos concitoyens aussi.
Dans un monde où la compréhension mutuelle se complexifie par suite de la disparition de canaux habituels de dialogue, l'émergence d'une grammaire de lecture serait utile et les exercices de taille importante ont un rôle à jouer. Lors de la présentation de l'exercice dans les camps de Champagne, la présence de beaucoup d'alliés et d'étrangers assurait la diffusion des savoir-faire et des positionnements français.
On a d'ailleurs parlé d'opération Poker et non d'exercice Poker, eu égard à sa dimension démonstrative vis-à-vis de nos compétiteurs stratégiques et au fait que nous sommes systématiquement regardés.
Pour ce qui est de la juridiction administrative, que nous n'avons pas encore totalement fait participer, je vous propose de céder la parole à M. Pavageau.
Nous avons intégré indirectement la juridiction administrative, puisque je suis moi-même juge administratif et que le groupe de travail était composé de trois juges administratifs et d'un juge judiciaire.
Par ailleurs, les dispositions relatives à la mobilisation et à la mise en garde n'ont jamais fait l'objet de décisions des cours administratives d'appel, du Conseil d'État ou du Conseil constitutionnel. Adoptées par voie d'ordonnance et n'ayant jamais été appliquées, elles n'ont pu faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). En revanche, interroger le Conseil d'État par le biais d'un avis nous donnerait une vision plus nette ou nous permettrait de modifier le code de la défense pour en préciser les conditions de mise en œuvre.
L'organisation territoriale de l'État du point de vue civilo-militaire est un bon sujet. J'exprimerai ici un point de vue très personnel. Depuis une vingtaine d'années, je milite pour un rapprochement immobilier entre les délégations militaires départementales (DMD) et les préfectures au niveau territorial, qui n'existe pas. Je suis partisan d'une co-localisation. Je pense que dans le monde où nous sommes, l'aspect civilo-militaire doit être vécu au quotidien, toute compréhension des logiques des uns et des autres étant utile, le moment venu. Toujours au niveau territorial, une réflexion est en cours, mais je regrette que l'on n'ait pas tenté de pousser la logique jusqu'à fixer un rôle aux collectivités locales. Pour soutenir un effort de guerre dans la durée ou une montée en puissance affichée et assumée, les élus au niveau territorial joueraient un rôle clé et cela mériterait d'être retravaillé.
Je mettrai le niveau régional à part. Il faut d'abord s'assurer que le zonal militaire et le zonal civil soient bien intriqués, ce qui semble être le cas, mais il faudra probablement pousser encore la réflexion et s'intéresser davantage au passage de l'autorité civile à l'autorité militaire, à la gestion de l'instruction interministérielle (IM) 10100 pour les réquisitions de militaires. Il faut prévoir des exercices réguliers afin que chacun prenne l'habitude d'utiliser les outils disponibles. Il faut donc une réflexion au niveau étatique, sur la liaison zonale et la liaison départementale et sur l'association naturelle des collectivités locales.
Je ne peux répondre sur les problématiques de franchissement de frontière et d'envoi de troupes. Nous suivons l'opération Mousquetaire faisant intervenir la projection de moyens militaires américains. La difficulté, c'est qu'il conviendrait de considérer le changement de nature résultant d'un changement d'échelle. On a le sentiment qu'il va falloir éviter la dispersion de la compétence sur la gestion des flux et centraliser la mécanisation du transfert de ces flux. Différentes solutions sont possibles. La réflexion est en cours.
Par ailleurs, si le Comigetra a une vision sur les moyens de projection, il n'a pas de vision sur leur disponibilité. Il faut améliorer techniquement les outils d'intervention.
Le GT1 préparatoire à Orion 3 avait pour objet la réappropriation de notre connaissance de l'emploi de prestataires extérieurs dans des situations potentiellement dégradées, nécessitant des délais de mise en œuvre beaucoup plus restreints. Se réapproprier les différents outils est une des missions du Comigetra qui tient à jour la base de données Parades-Web recensant l'ensemble des moyens de transport et de travaux publics civils réquisitionnables. Ces outils seraient mobilisés, le cas échéant, pour venir en appui, du transit, soit d'une force alliée, soit de nos propres forces, avec un fort point d'attention sur la réquisition de très gros porteurs aériens. Ce sont uniquement des contrats SALIS sur les Antonov très gros porteurs qui ont une espérance de vie relativement limitée.
Orion est un formidable exercice militaire et de fonctionnement étatique. Vous soulignez qu'il faudrait descendre davantage au niveau zonal et des collectivités territoriales. Je me permets d'aller plus loin : il faut aller jusqu'au citoyen. Même en associant les collectivités, on continue de considérer le citoyen uniquement comme une cible d'effets à produire, alors qu'il peut être un élément de résolution de la crise. Si, à la manière des Scandinaves, on ne pousse pas la réflexion jusqu'au citoyen, en décrivant à chacun ce que la nation attend de lui en situation de crise, on n'ira pas au bout de l'exercice. Je vous invite à reprendre la réflexion de Thucydide sur la force de la nation qui ne réside pas pas dans ses remparts mais dans le caractère de ses citoyens. C'est l'occasion de pousser la réflexion jusqu'à la pleine association, faute de quoi on n'aura fait qu'une partie du chemin.
Je m'interroge sur le prestataire Réseau ferré de France. Nos lignes stratégiques, sont-elles gérées à votre niveau ? Le sujet des chemins de fer est tombé en déshérence. Y avez-vous réfléchi et, le cas échéant, quels enseignements en avez-vous tirés ?
Il est toujours intéressant de parler de La Guerre du Péloponnèse et des hoplites, un bel exemple de mobilisation citoyenne. Malheureusement Athènes perd, ce qui doit nous inciter à être encore plus vigilants.
Nous sommes convaincus de la nécessité d'impliquer le citoyen. Pour ce faire, il convient d'engager une réflexion sur l'amélioration de l'attractivité des réserves et de s'interroger sur les obligations à faire éventuellement peser sur certains fonctionnaires exerçant des fonctions régaliennes à s'engager dans les réserves. Sans réflexions de cette nature, il n'y aura pas de réserve performante, Des objectifs très ambitieux ayant été affichés, il faut embarquer le citoyen avec nous. Cela a toujours été le modèle de la République.
Vous connaissez aussi notre volonté d'impliquer le citoyen dans le cadre de la résilience. Vous avez vous-même évoqué nos discussions avec des collègues suédois au sujet de la notion de défense totale. Ils ont organisé le système sur ce qui existait encore il y a une dizaine d'années, mais ils ne cachent pas que la remise en route n'est pas aussi facile qu'ils l'imaginaient.
Nous voulons impliquer le citoyen, car n'aurons pas de système de défense solide s'il n'est pas convaincu de la nécessité d'y participer, au moyen, d'une part, de la stratégie nationale de résilience et, d'autre part, des réserves.
Concernant la partie ferroviaire, des interrogations sur les modes d'évacuation des blessés me sont remontées. Des outils existent, même si certains sont tombés en désuétude. Nous devons les remettre en route en regardant si les conditions actuelles nécessitent de les moderniser. La défense opérationnelle du territoire (DOT) et d'autres dispositifs peuvent être utiles à condition d'être toilettés pour tenir compte des circonstances nouvelles.
Comme M. le préfet l'a évoqué dans son propos introductif, les travaux d'Orion 3 ont été conduits dans la perspective d'une refonte de la planification de défense et de sécurité nationale qui la rende plus opérationnelle sur la base des fiches mesures. L'une d'entre elles est relative à la réactualisation de la convention des transports ferrés d'urgence défense. L'outil existe, nous ne sommes pas démunis, nous pouvons réserver des sillons ferrés. C'est perfectible et l'objet d'Orion 3 est d'identifier les travaux à conduire plus durablement après échange entre les différents partenaires concernés. C'est un des outils à réactualiser.
Au nom du groupe Horizon, je me félicite de la tenue de cet exercice qui accompagne la fermeture d'une parenthèse de l'histoire et l'ouverture d'une autre peut-être moins sereine et qui pose des questions vertigineuses. Il s'agit de mobiliser l'ensemble des moyens de l'État et de renouer avec une certaine vision républicaine du lien entre les armées et la nation.
Les phases 3 et 4 ont mis en exergue la mobilisation des arrières, au prisme du concept de défense opérationnelle du territoire, que vous n'avez pas évoqué mais qui l'a été à plusieurs reprises par des collègues députés au cours de l'examen de la LPM. La phase 3 était orientée sur les actions déstabilisatrices en arrière du front, sur le territoire national, rappelant l'action de brigade du Spetsnaz ou du GRU, spécialisés dans le sabotage et la reconnaissance. Ce scénario est décrit par Guy Brossollet dans son Essai sur la non-bataille et il peut évoquer ce qui s'est passé récemment à l'aéroport d'Hostomel. La phase 4 pose des questions importantes sur le jeu de la boucle arrière, des flux logistiques au moral des civils, en passant par la mobilisation des réservistes, la gendarmerie et la protection des infrastructures sensibles.
On revient de loin puisque, la dernière fois qu'on prévoyait un engagement militaire sur le sol français, c'était dans le Livre blanc de 2008, pour 10 000 militaires, dans le cadre du plan Neptune de lutte contre les crues centenaires à Paris. Cela ouvre des sujets multiples, nombreux, vertigineux. Pourriez-vous revenir sur la défense opérationnelle du territoire et l'évolution de la doctrine afférente ?
Concernant la cybermenace, quel est le rôle de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) dans l'exercice Orion ? Dépend-elle directement de vous ? Quel a été son degré d'implication ? Quel retour en faites-vous ?
Je suis auditrice cette année à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et il se trouve que notre rapport a cette année pour thème : comment mieux intégrer la population et le levier humain de l'économie, la jeunesse, les réserves et la population en général.
Le Président de la République et des membres du Gouvernement ont-ils été impliqués dans l'exercice Orion et cela a-t-il donné lieu à une réunion du conseil de défense ?
Je rappelle que le préambule de la loi du 13 d'août 2004, dite « loi de modernisation de la sécurité civile », prévoit que « Chaque citoyen est le premier acteur de la sécurité civile ». C'est un élément important de ce que nos anciens appelaient la défense passive. Les collectivités doivent être engagées, ainsi que les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ou les associations agréées par la sécurité civile.
Le dispositif européen RescUE fait suite aux opérations humanitaires conduites à Haïti. Lors de la crise Covid, j'ai été frappé, d'une part, par les bagarres sur les tarmacs pour récupérer des palettes de masques et des vecteurs pour les transporter, et, d'autre part, par la neutralisation sur des tarmacs russes, en février dernier, d'appareils appartenant à des compagnies du monde entier. On pouvait espérer l'exécution garantie par contrat, conformément à la règle admise par les juristes, mais ce n'était manifestement pas le cas. L'exercice a-t-il pris en compte ce genre de situation ?
Associer les SDIS et des associations agrées aux actions de résilience fait partie de nos pistes de réflexion. Le tropisme est fort de maintenir les savoir-faire de chacun mais peut-être faut-il voir un peu plus large. Les SDIS, qui occupent une position d'intermédiation entre l'État et le conseil départemental ou les maires, ont un rôle central à jouer dans le développement de la résilience territoriale qui, d'évidence, participera de la défense nationale. C'est un des savoir-faire scandinaves. En Scandinavie, on distribue des documents montrant la population courir se protéger, survolée par des avions de combat Gripen lancés à l'attaque. Ce n'est pas notre culture, mais certains comportements de protection face à des catastrophes naturelles sont parfaitement transposables chez nous.
Le dispositif RescUE a amélioré la réservation des moyens. Nous avons, en effet, atteint une taille critique et obtenu de ce fait des droits de tirage. Mais la récupération de la ressource est moins vitale dans un cadre de projection humanitaire que dans la gestion des conséquences de frottements interétatiques. De plus, externaliser une part toujours plus importante des opérations à des opérateurs privés n'est pas de nature à favoriser la mise en place de capacités patrimoniales de récupération certaines. Je laisse nos amis juristes concevoir un outil utile et performant pour garantir un droit de tirage sur ces moyens quelles que soient les circonstances, car on ne pourra pas réinternaliser l'intégralité de la chaîne logistique. L'externalisation sera poursuivie, mais pour progresser en présence de difficultés interétatiques, il faut concevoir une organisation solide. Nous y travaillons, mais je n'ai pas d'outil miracle.
Concernant l'intégration du niveau sommital dans l'exercice, le conseil de défense et de sécurité nationale n'a pas joué de rôle formel, mais des acteurs du CDSN étaient présents. La réunion de conclusion du tour 3 était coprésidée par le directeur de cabinet de la Première ministre, le chef d'état-major des armées et le SGDSN, en la personne de M. Stéphane Bouillon. Nous avons donc eu une vision à très haut niveau des difficultés rencontrées et des améliorations à apporter. Ce niveau de représentation a été extraordinairement bénéfique pour mobiliser l'ensemble de l'appareil d'État. Ne participait pas seulement au tour de table les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité adjoints (HFDSA), mais aussi les titulaires et les secrétaires généraux des ministères, qui ont bien perçu ce que signifieraient concrètement pour eux, en termes de mise en œuvre, les demandes du ministère des armées. Cela a puissamment contribué à la compréhension de l'effort étatique à engager pour accompagner les armées.
Dans tous les exercices et pour tout ce qui concerne la mise en œuvre de l'appareil d'État, nous prenons systématiquement en compte les cybermenaces. Le dernier plan de protection cyber Piranet, produit par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) sera publié prochainement. De notre côté, les choses sont organisées : l'ANSSI participe aux exercices de déstabilisation du fonctionnement de l'administration.
Quant à la défense opérationnelle du territoire, j'ai connu une époque où, dans mon escadron, on prenait nos automitrailleuses pour faire du combat retardataire. C'était l'usage avant la chute du Mur. Une mécanique organisationnelle entraînait la conversion des unités de gendarmerie en unités de DOT, et on avait des territoires ou des points d'importance vitale à surveiller, Tout cela a disparu, exception faite des mesures socles de la DOT pour la protection de la force nucléaire et de certains sites militaires. C'est une base dont on devrait s'assurer de l'utilisation régulière, au-delà de la fonction militaire propre. Pour ce qui est des mesures additionnelles, un champ complet reste à élaborer. Nous avons un tableau sur la défense opérationnelle du territoire et les états d'exception, avec les mesures socle de la DOT, envisageables du droit commun à l'état de guerre, que nous pourrons vous communiquer. En revanche, la gradation des mesures additionnelles reste à définir. C'est ce sur quoi doit porter la réflexion, en matière civilo-militaire nationale et territoriale. La ressource étant rare et utilisée essentiellement ailleurs, il faudra examiner ce qui pourra être réellement mis en place localement.
D'un point de vue organisationnel ou juridique, on a une impression de sédimentation depuis cinquante, soixante ans ou plus. C'est un chantier énorme, face à un ensemble de mesures imbriquées les unes dans les autres. Faut-il réaliser ce travail par touches successives ou de façon systémique et globale ?
Vous avez répondu sur la traduction législative, mais comment l'esprit Orion et retour d'expérience va-t-il continuer à vivre ? Comment l'action des experts interministériels pourra-t-elle s'articuler avec celle des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité ? Ont-ils vocation à avoir une approche thématique pour pénétrer directement les ministères, ou bien les HFDS garderont-ils leur rôle d'animation à l'échelle des ministères ?
Pour éviter un feu de paille, il faut maintenant structurer ces résultats, comme nous l'avons affiché, de trois ans en trois ans. Une commission interministérielle évoquera ces sujets de façon formelle. Les groupes de travail doivent aller au bout de leurs propositions d'amélioration ? Ce lien dont la gouvernance n'est pas encore totalement structurée aura vocation à réfléchir aux traductions réglementaire ou législative et à soumettre des demandes d'arbitrage. Une fois mise en place, cette commission interministérielle demandera aux différents groupes de travail de soutenir leurs propositions, en débattra, puis les rapportera en CDSN si des sujets nécessitent des arbitrages de ce niveau.
À mon sens, ces experts n'ont pas vocation à être intriqués avec le service des HFDSA. Chaque HFDSA soutient la politique de sécurité et de défense au sein de son ministère. Ces experts ont vraiment une vocation de construction de passerelles civilo-militaires, alors que chaque haut fonctionnaire de défense et de sécurité agit dans une logique thématique ministérielle.
Le haut fonctionnaire de défense et de sécurité est souvent le secrétaire général du ministère. Il a le titre mais beaucoup d'autres choses à faire.
La séance est levée à dix-heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Batut, M. Mounir Belhamiti, M. Benoît Bordat, M. Hubert Brigand, M. Yannick Chenevard, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, Mme Charlotte Goetschy-Bolognese, M. José Gonzalez, M. David Habib, M. Jean-Michel Jacques, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Murielle Lepvraud, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, Mme Michèle Martinez, M. Frédéric Mathieu, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, M. Julien Rancoule, M. Lionel Royer-Perreaut, M. Aurélien Saintoul, M. Mikaele Seo, Mme Nathalie Serre, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Mélanie Thomin, Mme Corinne Vignon
Excusés. - M. Julien Bayou, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Caroline Colombier, Mme Stéphanie Galzy, Mme Anne Genetet, M. Christian Girard, M. Bastien Lachaud, M. Olivier Marleix, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, Mme Isabelle Santiago