Monsieur le président, mesdames et Messieurs les députés, se préparer à la crise, anticiper la surprise ne peut se faire sans intégrer la dimension juridique, considérée non comme un droit contraignant, mais comme un droit fournisseur de ressources, une boîte à outils utile au soutien des armées. C'était le rôle du groupe de travail chargé de réfléchir à l'adaptation des normes aux impératifs de la montée en puissance des armées, au regard non seulement du droit des conflits mais aussi de notre droit interne, qu'il s'agisse du droit commun ou des régimes d'exception.
Notre premier constat est que la mobilisation des états d'exception traditionnellement attachés à la dimension militaire apparaît impossible ou, pour ce qui est de l'état d'urgence, d'un intérêt relatif.
L'état de siège n'est activable qu'en cas de péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée et suppose des combats sur le territoire, ce qui n'était pas le cadre de l'exercice.
L'article 16 suppose l'existence d'une menace grave et immédiate sur les institutions de la République et une interruption du fonctionnement normal des pouvoirs publics constitutionnels, difficilement envisageables pour un conflit en dehors du territoire national.
L'état d'urgence ne serait utile que pour limiter des effets de rétroactions d'un conflit sur le territoire national se traduisant par des troubles à l'ordre public et il n'apporterait qu'une réponse limitée à un engagement d'envergure et au soutien des forces armées.
À côté de ces états d'exception, le code de la défense prévoit des régimes de défense plus appropriés à un engagement d'envergure et à même d'être activés graduellement selon l'intensité de la crise. Ce droit offre une réponse permanente à des crises déployées dans des champs divers, y compris non strictement militaires. Il est donc bien adapté à l'hypothèse de l'exercice.
Le code de la défense a progressivement rompu avec la distinction entre temps de paix et temps de guerre. Au tournant du XXIe siècle, en lien avec le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, la mise en place d'une stratégie de sécurité nationale a ouvert un droit de la crise, lequel se traduit par un ensemble de régimes juridiques caractérisé par une gradation de la montée en puissance dans des situations en deçà de l'état de guerre.
En particulier, le régime de la mise en garde permet au gouvernement de se doter de prérogatives inédites, pleinement adaptées à une crise majeure. Défini à l'article L2141-1 du code de la défense, ce régime permet l'adoption de certaines mesures propres à assurer la liberté d'action du gouvernement, à diminuer la vulnérabilité des populations ou des équipements, à garantir la sécurité des opérations de mobilisation ou de mise en œuvre des forces armées. Il est simplement décrété par le Président de la République en conseil des ministres. Il permet une palette d'actions : réquisition des biens, des services et des personnes, contrôle de la répartition des ressources et des matières premières nécessaires au ravitaillement, possibilité de rappeler ou de maintenir en activité les réservistes opérationnels et activation des dispositions du code de justice militaire propres au temps de guerre.
Ce régime n'a jamais été mis en œuvre. Il est issu d'une ordonnance de 1958, qui n'a pas précisé les conditions de sa mise en œuvre, et c'est là une de nos difficultés. La doctrine tend à considérer qu'il correspond à une situation où des éléments subversifs chercheraient à paralyser l'action de l'État au moment où l'ennemi déclencherait une menace ou serait sur le point de le faire. Ce cadre correspondant bien à notre exercice. C'est une sorte de pré-mobilisation préparatoire de l'appareil de défense en cas d'impossibilité de maintenir le fonctionnement libéral normal de l'économie, mais lorsqu'il est inutile de décréter la mobilisation générale.
D'autres dispositions sectorielles de droit commun sont susceptibles d'être mobilisées dans des champs très divers. Les exigences liées à la défense sont prises en compte dans de nombreuses législations, pour alléger les procédures du code de l'environnement ou de l'urbanisme ou pour mobiliser certaines personnes.
En matière économique, le cadre juridique permet un contrôle des activités des entreprises de la BITD. Il est renforcé dans le projet de loi de programmation militaire par un article relatif à la constitution de stocks stratégiques. En matière d'approvisionnement, il est possible d'adopter certaines mesures de blocage des prix, motivées par une situation de crise, au moyen d'un décret pris en Conseil d'État.
Pour les militaires blessés, le code de la santé publique permet au ministre de la défense de reprendre l'entière maîtrise des hôpitaux ou de convoquer la réserve sanitaire. De nombreux dispositifs de réserve existent et ont été pour partie simplifiés et coordonnés par le projet de loi de programmation militaire.
Ces différentes mesures ne constituent pas l'aboutissement des réflexions sur la préparation de l'économie de guerre. D'autres dispositions doivent être envisagées pour répondre au besoin de réapprovisionnement des forces armées, mais pour disposer d'un droit-ressources mobilisable au moment adéquat, il est indispensable de s'entraîner à son maniement. Il en est du droit comme des hommes ou des équipements, il faut l'utiliser, apprendre à le manier pour qu'il soit mobilisable. Par exemple, il est utile de mener une réflexion sur la mobilisation du régime de la mise en garde afin de mieux cerner les conditions dans lesquelles il pourrait être mis en œuvre et les mesures qui pourraient être adoptées sur son fondement. Afin d'être opérationnel pour la prochaine crise, il est essentiel, dans une dimension interministérielle, que chacun des acteurs ait non seulement la connaissance, mais aussi la maîtrise pratique de l'utilisation de ces outils juridiques.