Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Réunion du mercredi 7 décembre 2022 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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commission d'enquête VISANT à éTABLIR LES RAISONS DE LA PERTE DE SOUVERAINETé ET D'INDéPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE

Mercredi 7 décembre 2022

La séance est ouverte à 17 heures 05.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

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Je remercie Mme Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature, ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts, et son adjoint, M. Brice Huet, lui aussi ingénieur des ponts, des eaux et des forêts, d'avoir répondu rapidement à notre invitation.

Malgré ce que l'intitulé de vos fonctions peut laisser entendre, au premier abord, nous avons souhaité vous auditionner pour compléter les informations que nous avons d'ores et déjà recueillies au sujet des mines et de l'approvisionnement de la France en métaux ou matériaux critiques. Cela dit, les autres compétences de la direction générale placée sous votre autorité, madame Dupuy-Lyon, nous intéressent aussi. En effet, la question de l'acceptabilité sociale et territoriale a souvent été évoquée lors de précédentes auditions, notamment pour ce qui est de l'implantation de panneaux solaires et, plus encore, d'éoliennes. Je rappelle, à cet égard, que la protection des paysages et des sites est dans le périmètre de vos compétences. Le débat en cours dans l'hémicycle sur les énergies renouvelables nous dispensera toutefois d'aborder certaines questions, sauf peut-être de façon rétrospective, car notre commission d'enquête porte sur la façon dont on a abouti à la situation actuelle.

Ce n'est qu'en consultant les décrets relatifs aux attributions ministérielles et portant organisation des administrations centrales qu'il est possible d'identifier vos responsabilités en matière minière. Le décret du 9 juillet 2008, modifié, portant organisation de l'administration centrale des ministères chargés de la transition écologique, de la cohésion des territoires et de la mer, qui place la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) au sein de ces ministères, dispose ainsi que votre direction générale « élabore, anime et évalue les politiques de l'urbanisme, de la construction, du logement, des paysages, de la biodiversité, de l'eau et des substances minérales non énergétiques », la recherche et l'exploitation de ces matières relevant de la direction de l'eau et de la biodiversité.

En application du décret du 1er juin 2022, votre direction générale est placée sous l'autorité du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Cependant, le décret relatif aux attributions du ministre de la transition énergétique prévoit que celui-ci dispose de votre direction générale et précise que la politique des matières premières et des mines relève de sa compétence « conjointement avec le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à l'exception des mines en mer ». Le décret relatif aux attributions du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique lui donne compétence pour « le renforcement des chaînes de valeur et d'approvisionnement critiques » et précise qu'il est chargé conjointement avec le ministre de la transition énergétique de la politique des matières premières et des mines, à l'exception des mines en mer, et que, pour celles-ci, il participe à la politique conduite par le Premier ministre, comme d'ailleurs le ministre de la transition énergétique.

Si je comprends bien, vous n'êtes pas sous l'autorité de la ministre chargée de la transition énergétique. Surtout, on est en droit de se demander, au vu de ces différentes dispositions, qui fait quoi dans le domaine minier.

La loi du 22 août 2021, dite « climat et résilience », ainsi que diverses ordonnances, semble-t-il, ont réformé le code minier. Quelle administration a été cheffe de file en la matière et quelles ont été les grandes évolutions introduites par cette réforme ? Je rappelle que nous avons entendu, lors d'une précédente audition, des responsables du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui est apparemment soumis à la tutelle des ministres chargés de la recherche, de l'écologie et de l'économie.

La troisième observation que je souhaite formuler concerne le caractère relativement récent de la prise en compte des contraintes liées à l'approvisionnement minier, notamment dans le cadre des travaux prospectifs sur le mix énergétique, un peu comme si l'on découvrait une réalité pourtant connue depuis longtemps par les professionnels et les experts.

Je précise enfin que vous avez été destinataires d'un questionnaire préparé par le rapporteur. Avant de vous donner la parole pour un propos introductif, je vous demande, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de bien vouloir prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Stéphanie Dupuy-Lyon et M. Brice Huet prêtent successivement serment.)

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

En réponse à vos questions, je commencerai par présenter la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature. C'est une structure interministérielle qui dépend non seulement du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires mais aussi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, de la ministre de la transition énergétique et du secrétaire d'État en charge de la mer. Au gré des gouvernements et du découpage des portefeuilles ministériels, cette direction générale peut dépendre de différents ministères : nous étions auparavant sous la tutelle du ministère de la transition écologique et du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

La direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature est en charge de douze politiques publiques, réparties en quatre grands blocs : assurer la disponibilité et la qualité des ressources, y compris les ressources minérales, le bois et l'eau ; protéger les écosystèmes, en veillant en particulier sur les espèces et espaces protégés, notamment les espaces littoraux et marins ; accélérer l'aménagement durable, ce qui inclut la maîtrise de l'usage de l'espace, le droit des sols – vous avez ainsi parlé des paysages –, l'urbanisme et la planification, c'est-à-dire tout ce qui constitue le cadre de vie ; enfin, garantir l'accès à un parcours de logement adapté à tous, par la régulation et la transparence du marché du logement, mais aussi la performance énergétique et environnementale des bâtiments.

Nous avons deux directions, celle de l'eau et de la biodiversité et celle de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, qui sont outillées par des structures transverses. Notre raison d'être est d'offrir un cadre de vie de qualité, en harmonie avec les dynamiques des territoires et de la nature, en limitant les pressions sur les écosystèmes, en développant une gestion durable des ressources et en favorisant l'accès à un logement adapté, sain et sûr. Nous nous occupons ainsi de l'habitabilité de la planète, dans toutes ses composantes, notre socle étant la question des ressources naturelles : l'eau, le sol, le sous-sol, la biodiversité et les ressources minérales non énergétiques – j'y reviendrai.

La politique énergétique n'est pas le cœur de métier de la DGALN, mais nous concourons à la réalisation de la transition bas-carbone, en particulier sous l'angle de l'approvisionnement national en ressources minérales non énergétiques, et nous avons pour mission de donner un cadre de développement au mix énergétique, notamment en matière de planification, d'urbanisme et de droit des sols. Nous sommes donc très concernés par le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Quand on veut implanter des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques, des règles d'urbanisme, de droit des sols ou encore de protection des paysages s'appliquent. Nous apportons notre appui à la direction générale de l'énergie et du climat sur ces sujets.

Depuis sa création, il y a douze ans, la DGALN est l'administration des mines : elle conduit la politique minière, laquelle doit permettre à la France de renforcer sa connaissance de son sous-sol, y compris le sous-sol profond, et de préparer des ouvertures de mines en fonction de la potentialité des ressources pour l'ensemble de l'industrie. Dans le cadre de la transition énergétique et écologique, la DGALN mène aussi la politique de sécurisation des approvisionnements primaires et secondaires, sous l'autorité du ministre chargé des mines, à savoir le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Les mines et les ressources minérales non énergétiques, avant d'être un sujet industriel, sont profondément un enjeu territorial. C'est une question de ressources dans un territoire donné, et cela ne se délocalise pas. Afin de conduire la transition écologique et énergétique, nous allons extraire autant de matériaux dans les trente prochaines années que depuis le début de l'humanité. Nous serons au cœur de ce défi majeur.

Le ministre chargé des mines dispose de la DGALN, de la direction générale de la prévention des risques, qui est également rattachée au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et de la direction générale de l'énergie et du climat, que vous allez sans doute auditionner si vous ne l'avez pas déjà fait. La DGALN est l'héritière, pour la partie matières premières, de l'ancienne direction générale de l'énergie et des matières premières. Les ressources minérales sont réparties entre deux directions : la direction générale de l'énergie et du climat est chargée des ressources minérales énergétiques, tandis que la DGALN a compétence pour les ressources minérales non énergétiques, comme les minerais et les métaux, les minéraux industriels, les granulats et les autres matériaux de construction, les roches massives et les argiles.

Nous avons développé notre expertise selon trois axes : informer et sensibiliser en ce qui concerne les risques d'approvisionnement ; conforter un approvisionnement responsable ; mobiliser l'action internationale afin de construire une diplomatie des ressources. La DGALN travaille en interministériel, notamment avec la direction générale des entreprises (DGE), qui est spécialisée dans l'accompagnement des filières industrielles – je reviendrai sur le travail partenarial que nous avons mis en place.

J'en viens aux missions de la DGALN concernant la politique des mines. Nous élaborons et mettons en œuvre la politique des ressources minérales, qui vise à assurer la sécurité des approvisionnements, notamment stratégiques, dans des conditions économiques compétitives et respectueuses de l'environnement. La DGALN assure une veille économique sur les marchés des matières premières, avec l'appui de la cellule d'intelligence minérale du BRGM et du tout récent Ofremi, l'Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles, qui a vu le jour la semaine dernière. La DGALN contribue au contrôle des pratiques d'approvisionnement à risque, faisant l'objet de réglementations européennes – cela concerne l'or, l'étain, le tantale et le tungstène, soumis au règlement relatif aux minerais de conflit, dit 3TG, le nickel, le cobalt, le graphite et le lithium. La DGALN élabore la législation et la réglementation concernant la recherche et l'exploitation des substances minières non énergétiques. C'est ainsi elle qui a eu le lead pour la réforme du code minier. Lors de ma première bilatérale avec Barbara Pompili, à mon arrivée en décembre 2019, la décision a été prise de faire aboutir cette réforme, après dix ans de travaux, dans le cadre de la loi « climat et résilience ». La DGALN procède également, pour le compte du ministère chargé des mines, à l'instruction des demandes de titres d'exploration et d'exploitation des substances de mines non énergétiques, sur terre et en mer. Par ailleurs, elle coordonne l'élaboration des schémas régionaux des carrières, avec l'appui des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), et elle contribue au développement économique de la mine en France, par la valorisation d'actifs miniers nationaux. Elle accompagne des opérateurs économiques dans le développement de procédés minéralogiques ou métallurgiques et elle consacre, sur son budget propre, le programme 113, 5 millions d'euros à des activités en lien avec les ressources minérales, dans le cadre d'une convention d'appui au BRGM, qui concerne l'inventaire des ressources minérales sur notre sol.

La DGALN a créé en 2011 le Comité pour les métaux stratégiques (Comes) afin de rassembler l'État, les opérateurs des mines et les filières industrielles. Le site internet MineralInfo, qui permet de diffuser largement tous nos travaux et ceux du BRGM, est devenu le portail de référence dans la communauté des ressources naturelles minérales non énergétiques françaises, et nous faisons aussi référence au sein des instances européennes et internationales. Peter Handley, chef de l'unité chargée des matières premières de la Commission européenne, avec qui nous travaillons étroitement, était présent la semaine dernière lors du lancement de l'Ofremi.

J'en viens à l'articulation avec la DGE – vous vous êtes, je crois, interrogés sur ce point lors de l'audition de Thomas Courbe. L'amont minier, les opérations de première transformation et la transparence dans le secteur extractif sont le cœur d'expertise de la DGALN. La DGE se concentre sur l'aval, les utilisateurs des matières premières, en particulier les chaînes de valeur qui doivent bénéficier d'approvisionnements responsables. Nous nous rencontrons, avec la DGE, sur la sécurisation des chaînes de valeur pour notre industrie et nous travaillons main dans la main pour soutenir des champions des mines, du recyclage et de la transformation des métiers.

Où en sommes-nous en matière de ressources ? La France est l'un des rares pays européens à avoir la possibilité d'accéder directement à certains des métaux – on en compte environ soixante – qui sont indispensables à la transition bas-carbone, à savoir le lithium, le silicium et le nickel. Il faut toutefois introduire une nuance : les ressources nationales, telles que nous les connaissons aujourd'hui, ne permettront pas, a priori, de couvrir l'intégralité des besoins de l'industrie nationale. Au-delà des métaux de la transition bas-carbone, notre sous-sol offre beaucoup d'opportunités, face aux monopoles détenus par certains pays ou à certains contextes de conflit, pour assurer un approvisionnement durable en matières premières. Je pense à l'antimoine, utilisé par l'industrie électronique, au tungstène, pour l'outillage et l'armement, au tantale, pour l'électronique, et à l'or. Il existe actuellement vingt-cinq permis exclusifs de recherches (PER), qui constituent des titres valides d'exploration, pour le lithium, l'hélium, le tantale et l'or, et quarante titres miniers d'exploitation, c'est-à-dire de concession sur notre territoire, concernant l'or, le sel, la bauxite et le calcaire bitumineux.

Lorsque c'est possible, des mines sont rouvertes. Nous sommes en avance pour ce qui est du lithium en roches dures et du lithium géothermal : deux PER relatifs à des mines de lithium ont ainsi été délivrés. Un PER dit « permis lithium d'Outre-Forêt », dans le Bas-Rhin, a été attribué pour une durée de cinq ans à la société Électricité de Strasbourg, du groupe EDF. Il s'agit de rechercher du lithium et des substances connexes dans des fluides géothermaux du fossé rhénan. Par ailleurs, le PER dit « permis de Beauvoir », à Échassières, dans l'Allier, lui aussi délivré pour cinq ans, vise la recherche de lithium, d'étain, de tantale, de niobium, de tungstène et de nombreuses substances connexes. Je me suis rendue sur place, il y a un mois, pour rencontrer les dirigeants d'Imerys, la préfète et l'ensemble des services locaux.

Cela fait plusieurs années que nous travaillons sur ce projet avec la société Imerys, qui est en train de finaliser la connaissance du potentiel avéré du gisement et travaille à la modélisation de la mine. Ce sera une mine souterraine, installée sous une carrière de kaolin existante. Le procédé d'extraction, totalement novateur, est également en cours de finalisation. La roche sera broyée de manière souterraine, on va extraire et séparer ce dont on a besoin, en particulier le lithium, puis on va remblayer avec tout le reste, afin de « recompacter » la roche. Une usine sera implantée à l'extérieur pour produire du lithium, sous forme de lithium carbonate : 30 000 tonnes de poudre de lithium doivent ainsi être produites par an. Ce projet représente un milliard d'euros d'investissement, 1 000 emplois directs et indirects et une production permettant de subvenir aux besoins pour 700 000 véhicules électriques.

S'agissant de la gouvernance mise en place en matière de connaissance des ressources et des besoins d'approvisionnement, nous conduisons trois actions depuis de nombreuses années pour poser les bases de la stratégie française en matière de mines. La première action est le renforcement et la mise à jour, avec le BRGM, de la connaissance du sol et des sous-sols. Les données de l'inventaire minier, réalisé de 1975 à 1991, ont ainsi été réexploitées : 99 cibles minières ont été étudiées en priorité entre 2012 et 2015, et les fiches afférentes ont été rendues publiques. On a également étudié les potentialités des résidus miniers : il existe aujourd'hui très peu de recyclage des ressources minérales et des métaux, hormis le fer et le cuivre. Il faudrait passer à 70 % de recyclage à terme, c'est un enjeu essentiel. Enfin, nous avons entrepris tout un travail de classification du potentiel des gisements connus, suivant des critères internationaux – la norme UNFC ( United Nations Framework Classification for Resources, classification-cadre des Nations unies pour les ressources) .

Nous préparons depuis 2020 un programme ciblé d'acquisitions stratégiques en magnétisme et gamma-spectrométrie, pour lequel nous avons mandaté le BRGM, en vue de pouvoir mieux explorer notre sous-sol et recaractériser nos ressources minérales stratégiques. Nous avons obtenu un premier budget de 5 millions d'euros pour démarrer l'exploration à l'est du Massif central, qui était la zone prioritaire. Les résultats sont en cours de livraison mais paraissent assez prometteurs. Nous devons ensuite lancer des programmes concernant le Cotentin, les Pyrénées, l'ouest du Massif central, les Vosges et la Corse.

Le Comes, que j'ai déjà évoqué, a été installé à la suite d'un décret du 24 janvier 2011 pour servir, avant tout, de lieu de diffusion d'informations et de concertation entre les acteurs français, à la fois les ministères, les organismes publics et surtout les industries, minières et utilisatrices des produits de la mine, en lien avec le comité stratégique de la filière mines et métallurgie. Puis l'Ofremi, dont la création était très fortement soutenue par la DGALN et le BRGM, a vu le jour tout récemment, grâce à un cofinancement – 6 millions d'euros de financement public et 4 millions venant du secteur privé –, pour assurer une véritable veille en matière d'intelligence minérale. Tous les travaux réalisés depuis dix ans avec le BRGM en matière de connaissance de nos ressources et d'intelligence minérale ont été communiqués à l'Ofremi.

J'en viens à la question de la stratégie française pour l'approvisionnement en ressources stratégiques, qui est au cœur des enjeux de souveraineté. Plusieurs documents de programmation ont jalonné la mise en place de la gestion stratégique des ressources.

Le premier d'entre eux a fait suite à l'adoption, en 2015, de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte : un plan de programmation des ressources nécessaires aux principaux secteurs d'activité économique a été élaboré par l'ensemble des directions – du grand ministère de l'environnement ou, selon les époques, de la transition écologique – que j'ai évoquées tout à l'heure. Publié dès l'été 2018, ce plan délivrait quatre messages : la nécessité d'accélérer la transition vers une économie circulaire ; le fait que le recours à des ressources primaires, qu'elles soient produites sur le territoire national ou importées, resterait indispensable ; l'idée que la transition énergétique allait se traduire par un besoin accru en biomasse et en ressources minérales ; le besoin, pour anticiper les risques associés aux évolutions de l'offre et de la demande en matière de ressources naturelles, de mener d'importants efforts d'amélioration des connaissances, en particulier des sols et des ressources minérales.

Le Gouvernement a souhaité compléter ces travaux au moyen d'un plan de programmation des ressources minérales de la transition bas-carbone, qui s'est traduit par quatre rapports publics décrivant les choix technologiques, les enjeux en termes de matières et les opportunités industrielles associées au photovoltaïque, aux mobilités bas-carbone, à l'éolien et aux réseaux électriques – lignes électriques, stockage stationnaire et réseaux intelligents. Ces rapports ont également été rendus publics.

Une stratégie a été engagée sous l'impulsion du Premier ministre, lors du quinquennat précédent, pour soutenir et accompagner le regain d'activité qui doit permettre de contribuer à la sécurité d'approvisionnement de notre industrie et de créer des emplois dans les territoires d'implantation. Plusieurs blocs de travaux ont été réalisés : la réforme du code minier, la mise en évidence d'un ensemble de bonnes pratiques, au-delà du simple respect des obligations légales, et le renforcement de l'attractivité minière de la France.

Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, j'ai hérité de quasiment dix ans de travaux sur la réforme du code minier lors de mon arrivée à la tête de la DGALN, et j'ai jugé que nous étions parvenus au bout de ce processus. Dès ma première bilatérale avec la ministre Barbara Pompili, qui arrivait également, nous nous sommes entendues sur l'importance d'achever la réforme du code minier dans le cadre du projet de loi « climat et résilience ». Cette réforme a amélioré le cadre juridique de l'activité minière et renforcé la concertation et l'association du public. Par ailleurs, le code minier permet d'établir une politique minière, dénommée « politique nationale des ressources et des usages du sol et du sous-sol ».

Le renouveau de l'activité minière ne peut s'envisager que dans le cadre de projets exemplaires, respectant les meilleurs standards en matière d'exploitation et d'insertion dans les territoires. Pour moi, je le répète, la mine et la ressource minérale sont d'abord des objets éminemment territoriaux, avant d'être des objets industriels. La mine de bauxite de Villeveyrac, la mine d'andalousite exploitée par Imerys en Bretagne et la future mine d'Imerys à Échassières s'inscrivent ainsi dans le cadre du concept de mines responsables. La stratégie française en la matière est fondée sur la reconnaissance de standards environnementaux, sociaux et de gouvernance. Sans chercher à introduire une norme unique, nous travaillons à une procédure d'homologation, au niveau européen ou international, d'un certain nombre de labels de mines responsables.

La France s'est dotée d'une stratégie à la suite du Conseil de défense et de sécurité nationale du 14 septembre 2021, dont les recommandations opérationnelles sont classifiées. Un certain nombre de recommandations ont ensuite été formulées dans le rapport remis, en janvier 2022, par Philippe Varin, qui conforte et amplifie toutes les actions que j'ai mentionnées, notamment le financement et l'accélération industrielle au sein de la filière. Ce rapport a trouvé un écho dans France 2030. Une enveloppe de subventions de 350 millions d'euros a ainsi été prévue pour un appel à projets portant sur une liste de métaux prioritaires, dans le cadre du volet « sécurisation des approvisionnements » de la stratégie minière. Cinq projets ont été identifiés lors d'une première relève. Nous avons aussi une enveloppe de 45 millions pour un appel à projets qui cible des solutions innovantes pour améliorer le recyclage et la réincorporation des matériaux – c'est vraiment le défi des cinquante ans à venir –, et nous sommes en train de travailler sur une enveloppe de fonds propres, de 500 millions, en vue d'accompagner, aux côtés des acteurs privés, le lancement d'un fonds Métaux qui permettra d'aller chercher de la ressource minérale et de faire des acquisitions de mines pour des matières que nous n'aurions pas sur le sol français. À cela s'ajoutent les 6 millions d'argent public, dont je vous ai déjà parlé, destinés à l'Ofremi.

Toute cette action s'inscrit dans un cadre stratégique européen et international. Nous menons, avec l'appui du MEAE, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, une diplomatie des ressources qui est déclinée en cinq axes. Nous nous assurons de la cohérence entre la stratégie française et celle de l'Union européenne, et nous travaillons en particulier à l'élaboration de l' European Raw Materials Alliance – Alliance européenne des matières premières. Nous promouvons les priorités de la diplomatie française dans les instances de discussion clefs pour nos approvisionnements – je pense notamment à l'initiative américaine. J'ai d'ailleurs rencontré cet été le sous-secrétaire d'État américain à l'énergie, M. Jose W. Fernandez. Nous avons aussi identifié un certain nombre de positions consolidées sur le code de bonnes pratiques à privilégier dans le secteur minier. Enfin, nous menons, dans une logique interministérielle, la diplomatie des métaux français – il existe en effet des opportunités d'échanges, bilatéraux et multilatéraux, avec le Canada, l'Afrique du Sud, l'Australie, l'Indonésie et le Chili.

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Merci beaucoup, madame la directrice générale. Il est toujours intéressant d'entrer dans le détail du fonctionnement de l'État et de ses subdivisions fonctionnelles.

S'agissant de l'organisation administrative, une question de néophyte : pourquoi distinguer ressources minérales énergétiques et ressources minérales non énergétiques ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Il y a d'un côté le pétrole et le gaz, et de l'autre toutes les autres ressources minérales stratégiques. Ce sont deux typologies de ressources minérales différentes, et nous n'avons pas tellement de pétrole et de gaz sur notre sol. La DGALN est l'administration des mines : elle s'occupe de toutes les ressources minérales présentes sur notre sol, lesquelles sont plutôt de nature non énergétiques.

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Cela n'explique pas pourquoi on fait une telle distinction entre les ressources minérales.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Comme je vous l'ai dit tout à l'heure – mais je n'ai pas dû me faire bien comprendre –, la DGALN s'occupe du sol. J'ai évoqué les ressources en eau, mais j'aurais pu vous parler également de la lutte contre l'étalement urbain et de l'objectif de zéro artificialisation nette, dont nous sommes également chargés. Il y a une cohérence très forte entre la question des ressources minérales stratégiques non énergétiques qui sont présentes dans notre sous-sol et les questions d'aménagement.

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Le gaz et le pétrole sont aussi présents dans le sous-sol – pas forcément le nôtre, c'est vrai.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Oui, je vous parle effectivement de notre sous-sol. La réglementation des mines concerne l'exploitation du sous-sol, qui a des conséquences sur d'autres ressources, comme l'eau, et il y a aussi la question des paysages. À Échassières, la mine de lithium ne se verra pas : elle sera souterraine. D'autres mines, en revanche, se verront sûrement. Rouvrir des mines sur notre sol, comme nous allons le faire, c'est d'abord une question de projets de territoire, de ressources des territoires, de planification et d'urbanisme.

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Je comprends parfaitement ce qu'implique une mine : je suis député d'une circonscription où on a fermé une des dernières mines de notre pays – toute activité n'y a pas encore cessé, mais l'exploitation minière est terminée. En revanche, je continue de ne pas comprendre la distinction qui est faite, du point de vue de l'administration, entre les ressources minérales énergétiques et les ressources minérales non énergétiques. Si on considère la façon dont on traite la question, dont on gère les conséquences sur le sol et les conjugaisons avec les autres intérêts environnementaux, je ne vois pas ce qui distingue les ressources minérales énergétiques et celles non énergétiques.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Nous n'avons ni pétrole ni gaz, ou très peu…

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

À l'inverse, nous avons des ressources minérales stratégiques non énergétiques conséquentes, qui entrent dans mon champ de responsabilité. Ma direction générale s'occupe de l'ensemble des ressources – la biodiversité, le sol et la maîtrise de l'espace, l'eau et le sous-sol –, ce qui est assez cohérent.

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Ce sont des marchés différents. L'un est régulé et l'autre non. Les réglementations sont différentes, de même que les flux. L'action de l'administration n'est donc pas du tout la même pour les ressources minérales non énergétiques qui sont présentes sur notre sol, même si ce n'est pas de façon pléthorique, et pour d'autres matières dont on ne dispose que peu. Il faut agir différemment.

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D'accord. La loi « énergie et climat » incluait une réforme du code minier par ordonnances – vous m'arrêtez si je me trompe.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

En partie par ordonnances, en effet.

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La petite musique, à l'époque, était qu'on y travaillait depuis dix ans et qu'on allait enfin aboutir. Comment ont évolué les enjeux et les objectifs de la réforme du code minier au cours de ces dix années ? J'ai le sentiment que l'évolution n'a pas été très linéaire.

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Les objectifs politiques n'ont pas changé au cours des dix années, mais il y a eu un momentum, lié aux différentes crises que vous connaissez, qui a permis d'inclure la réforme dans un projet de loi. C'était une question d'opportunité politique. Auparavant, le projet avait mûri et une proposition de loi avait fait un bout de parcours à la fin du mandat de François Hollande.

L'objectif était de sortir du statu quo en prévoyant plus de concertation, plus d'information des parties prenantes et une simplification des procédures tout en donnant aux pétitionnaires la capacité d'instaurer un dialogue dans le territoire où ils envisagent d'installer leur projet. Les procédures qui s'appliquent encore jusqu'au début de l'année prochaine, car la réforme entre en application avec un décalage temporel, conduisent à sélectionner les pétitionnaires selon des critères qui ne correspondent plus aux enjeux et aux exigences d'aujourd'hui. Les pétitionnaires sont retenus en fonction de critères de capacités techniques et économiques avant même d'avoir pu engager vraiment un dialogue pour construire le projet avec le territoire concerné. Les deux fondements de la réforme étaient l'accélération des procédures et l'acceptabilité des projets.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

La majorité des mines en activité jusque-là avaient été ouvertes au XIXe siècle. On n'avait pas vraiment connu de processus d'ouverture de mines au siècle dernier. Le projet de la réforme, depuis son démarrage, était de redonner un cadre juridique, ce qui était un point sensible. Les questions qui se posaient concernaient l'information, l'acceptabilité sociale et le rôle des élus, et il fallait aussi s'inscrire dans une logique de mines responsables : l'exploration minière et l'exploitation doivent prendre en compte la question de l'habitabilité de la planète, les conséquences environnementales et les conditions humaines d'exploitation.

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Quand la réflexion sur la réforme du code minier a-t-elle débuté au sein des services ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

C'était il y a dix ans, en 2012.

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Les objectifs étaient-ils alors les mêmes ? La logique suivie était-elle l'ouverture de nouvelles mines ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Oui, en tout cas pour l'administration en charge des mines, au regard de notre potentiel. Comme je vous l'ai dit, nous avions formulé dès 2018 des recommandations sur la nécessité de sécuriser nos approvisionnements.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Ce que je veux dire, c'est que cela a été conforté par des rapports et différentes actions, mais nous poursuivons le même objectif depuis le début.

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Depuis le début du projet de réforme du code minier, l'objectif était donc de rouvrir des mines en France ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Si on laissait les choses en l'état, on ne risquait pas de rouvrir des mines : c'était compliqué compte tenu de la législation. Par conséquent, oui.

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J'en viens à une autre question, même si elle sort peut-être du champ de notre commission d'enquête : sous quelle forme se présente le filon de lithium à Échassières ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Il est enchâssé dans la roche. Si vous allez à Échassières, ce que je vous recommande de faire, vous pourrez voir des carottes qui ont été extraites. C'est du granite et du mica, avec des zones un peu translucides. On va broyer la roche, séparer le lithium et d'autres substances, comme l'étain, pour les récupérer. Ce qui n'aura pas été utilisé sera réinjecté. Une usine faisant appel à une technologie totalement novatrice, ce qui nécessite des investissements industriels très importants de la part d'Imerys et une recherche technologique, permettra de produire une poudre de lithium.

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Quelle est l'épaisseur du filon et à quelle profondeur se trouve-t-il ?

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Il est en forme de pain de sucre, à 1 000 mètres de profondeur.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Je pourrai vous montrer des photos après la réunion : Imerys a modélisé la mine. Cela ressemble à un gros pain de sucre souterrain.

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Et vous disiez que cela se trouve en dessous d'une autre mine.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Il y a une exploitation de kaolin. La nouvelle mine sera totalement souterraine : tout se passera dans le sol, jusqu'à 1 000 mètres de profondeur.

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Ce ne sera pas fictif : on ne creusera pas un grand trou. On ira vraiment en profondeur sans impact notable supplémentaire sur le terrain. C'est réellement une exploitation souterraine.

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La mine permettrait de produire du lithium pour 700 000 batteries, mais le parc automobile français est composé d'environ 40 millions de véhicules.

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

La comparaison est peut-être à réaliser non pas avec le parc automobile mais plutôt avec la production annuelle de véhicules : cela correspondra à environ 30 % des besoins, ce qui représente une part certes minoritaire mais énorme du point de vue de la réduction de notre dépendance.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

C'est important pour la transition bas-carbone. L'objectif qui a été annoncé est de produire un million de véhicules électriques avec une chaîne de valeur intégralement française. Grâce à cette mine, on pourra fabriquer des batteries pour 700 000 voitures.

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Vous avez dit qu'une nouvelle stratégie d'acquisition de potentiels miniers hors des frontières nationales avait été mise en place à partir de 2020. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Il y a eu un malentendu. Nous faisons depuis 2020 de l'acquisition de données sur notre sol, en commençant par le Massif central – on m'a annoncé la semaine dernière que les premières données récoltées étaient assez prometteuses. L'objectif est d'améliorer notre inventaire. La question des participations dans des mines à l'étranger relève du fonds Métaux, dont la création était une des propositions du rapport Varin et qui est un des trois sujets sur lesquels France 2030 nous permet de travailler. Nous sommes en train d'étudier les modalités de sélection du gestionnaire du fonds.

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Qu'est-ce qui a déclenché, en 2020, cette nouvelle stratégie ? Il semble qu'il y ait eu, dans une certaine mesure, un changement de cap.

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Sans aller jusqu'à parler de changement de cap, c'est un peu comme pour la réforme du code minier : il y avait des compétences et une volonté depuis de nombreuses années, mais l'actualité fait davantage ressortir certains sujets. Ainsi, la tension sur certaines chaînes de valeur se faisait déjà sentir avant la crise du covid, mais c'est à partir de là que le sujet est vraiment ressorti, à propos des semi-conducteurs, mais pas seulement. Ce fut pour nous, même si c'est malheureux, une opportunité pour accélérer la réforme du code minier, la sécurisation des approvisionnements à l'étranger et le recyclage, puisque nous soutenons aussi des projets dans ce domaine.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, nous avons réalisé en priorité entre 2012 et 2015, sur la base des données de l'inventaire minier de 1975-1991, des études sur 99 cibles minières, et nous avons également fait des études de potentialité concernant les résidus miniers. C'est à ce moment-là qu'on s'est dit, en interne, que nous avions besoin d'un programme ciblé d'acquisitions stratégiques en magnétisme et gamma-spectrométrie. Nous avons préparé cette demande pendant plusieurs années et nous avons engagé des discussions à la fois avec le BRGM et sur le plan budgétaire .

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Vous semblez dire qu'il y a eu une forme de concomitance avec la prise de conscience liée aux chamboulements mondiaux qui se sont produits en 2020.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Oui, ils ont accéléré des arbitrages budgétaires sur des demandes et des projets que nous avions.

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On nous a dit lors d'une précédente audition que le Comes, créé en 2011, ne s'était pas réuni très souvent et qu'il n'intéressait pas les foules. On l'aurait donc laissé vivoter, avant de créer, très récemment, une nouvelle instance.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Le Comes et l'Ofremi sont totalement différents. Le Comes permettait de réunir à la fois l'État, les différentes administrations, les opérateurs et la filière, de première et de deuxième transformation. En réalité, la prise de conscience des industriels, en particulier dans certaines filières, a été très tardive. Il y avait un intérêt du côté de l'administration des mines, des industries minières et d'un certain nombre d'opérateurs, mais l'appétence et la prise de conscience de certaines filières industrielles, qui ne se posaient pas la question de leur amont et de leur sécurisation, parce qu'on n'était pas, a priori, dans un monde d'incertitudes, ont été un peu longues à venir. L'Ofremi est un peu différent. Il existe aujourd'hui une vraie prise de conscience dans un certain nombre de filières industrielles.

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Jusqu'à une période récente, la prise de conscience de l'administration et du Gouvernement, à l'origine de la création du Comes en 2011, n'était donc pas partagée.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

La prise de conscience était très partagée par l'industrie des mines et par l'industrie de première transformation, mais très peu par des filières industrielles acheteuses qui pouvaient accéder, très loin de notre territoire, à des produits à foison, très intéressants et sans problématiques de transport ou de coût.

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Vous avez dit que la transition bas-carbone nécessiterait soixante métaux. Pouvez-vous nous donner davantage de détails sur les choix technologiques qui seront particulièrement gourmands si on se place sous l'angle de la pluralité des métaux utilisés ?

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

On pourrait souhaiter orienter les choix technologiques pour avoir besoin du moins de métaux possible, mais je crois, malheureusement, que ce n'est pas entièrement entre nos mains. On observe plutôt une explosion de la diversité des besoins, et on ne peut pas se dire qu'on choisissant telle solution plutôt qu'une autre on aurait besoin d'un quart de métaux en moins, par exemple.

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Après l'inventaire minier des années 1970, du fait de la désindustrialisation, de l'ancienneté des mines existantes et de la faible probabilité d'en ouvrir de nouvelles à court terme, on est tombé, jusqu'au tout début des années 2010, dans une sorte de trou noir de la réflexion stratégique à propos de la disponibilité des minerais, puis on est entré, à partir des années 2010, et cela s'est concrétisé avec la création du Comes, dans une réflexion, nécessairement longue puisqu'il s'agit d'enjeux extrêmement complexes et délicats, sur les minerais dont on disposait et sur le lien entre leur disponibilité – éventuelle – et les opportunités en matière industrielle. Cette réflexion étant longue et complexe, ce n'est que récemment, en particulier grâce aux rapports que vous avez cités, qu'a pu se concrétiser une capacité à observer la situation, mais aussi et surtout à aller plus loin, en réenvisageant des activités d'exploitation. Ce résumé, par définition rapide et incomplet, est-il quand même à peu près juste ? Sinon, qu'ajouteriez-vous ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

C'est à peu près juste, à ceci près qu'on était là pour accompagner tous les industriels qui voulaient prendre de l'avance, qui avaient eu une prise de conscience. Ce qui est fait à Échassières est le fruit de travaux conduits avec Imerys depuis de nombreuses années – et les recherches technologiques ne sont pas encore totalement achevées pour la mine souterraine et l'usine. On ne faisait pas masse, en effet, ces dernières années, mais on était aux côtés des industriels qui voulaient agir et on suscitait ce genre d'initiatives.

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Comment expliquez-vous la période creuse dans la réflexion, entre la fin des années 1970 ou peut-être le milieu des années 1980 et le début des années 2010, sur les opportunités et la sécurité d'approvisionnement ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

C'était assez vrai dans beaucoup de secteurs industriels : on avait un modèle, basé sur le pétrole et plus généralement les énergies fossiles, qui fonctionnait à pleine puissance et qui se caractérisait par une forme d'abondance, par des technologies et des coûts maîtrisés, mais aussi par une forme de progrès très important sur le plan social, en matière de travail et dans la vie quotidienne – les tâches ménagères étaient assez différentes pour la génération de ma grand-mère. Ce qu'ont apporté l'industrie et les énergies fossiles a sûrement éclipsé certaines perspectives, notamment notre connexion, si je puis dire, à nos ressources naturelles, et pas seulement minérales. Nous nous occupons, à la DGALN, je l'ai déjà indiqué, de toutes les ressources, ainsi que de l'aménagement, du logement, des activités industrielles et du cadre de vie, notre objectif étant d'aboutir à des réimplantations, de façon territorialisée et, le plus possible, avec des circuits courts et une économie circulaire, alors que ce n'était pas nécessairement le modèle suivi au siècle dernier.

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Après cette prise de conscience progressive, quel devrait être le prochain étage de la fusée ? D'autres interlocuteurs nous ont dit que l'on pourrait aller plus loin dans l'identification des ressources, par exemple au moyen d'un nouvel inventaire minier. Voyez-vous d'autres options, d'autres outils, d'autres perspectives ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Il faut, en premier lieu, que nous puissions connaître notre potentiel, afin de pouvoir extraire des ressources minérales de notre sous-sol. Il convient, par ailleurs, de développer davantage les technologies et les investissements en matière de recyclage. Je vous ai également parlé du fonds Métaux : comme nous n'avons pas dans notre sol toutes les ressources dont nous avons besoin, il faut travailler sur la manière dont on s'organise pour sécuriser la chaîne d'approvisionnement, en nouant des partenariats et en réalisant des acquisitions – c'est assez prioritaire.

Je vous ai dit que nous avions commencé une première série de relevés et d'analyses dans le Massif central, mais beaucoup d'autres régions sont également concernées. Il faut agir très vite et très fort dans ce domaine.

J'ajoute qu'on travaille, pour les sécuriser, sur la structuration des chaînes de valeur dans le cadre des appels à projets de France 2030, du lithium, du nickel et du cobalt à la batterie, de l'extraction des matières premières au recyclage.

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Vous semblez dire que cette approche, notamment suivie dans le cadre de France 2030, est relativement nouvelle, du point de vue de la démarche en tant que telle et des politiques publiques qui sont menées.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

France 2030 est un projet de réindustrialisation. Il est vrai qu'on n'avait pas forcément eu de grands programmes et de grands investissements en matière de réindustrialisation ces dernières décennies. En tout cas, c'est un sujet dont je me suis vraiment emparée dès que je suis arrivée à mon poste, dont j'ai tout de suite saisi l'importance et que je suis à mon niveau. Il n'était pas question que les mines ne soient pas sur la photo de France 2030, et je me suis également battue pour qu'il y ait le bâtiment, l'aménagement, la ville et les territoires. L'activité minière, c'est un peu moins « waouh » que l'avion vert et l'hydrogène, mais pour moi c'était très important.

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Peut-on dire, pour revenir sur une précédente série de questions, que la ligne de partage, un peu floue, entre les ressources énergétiques et les ressources non énergétiques est celle qui sépare le national et l'international ? En vous écoutant, on pourrait avoir l'impression que la question des ressources présentes sur notre sol, c'est-à-dire dont nous disposons, et de la manière dont ces ressources peuvent répondre, ou non, à nos besoins en matière d'approvisionnement est de votre ressort, mais que la question de la sécurité d'approvisionnement pour les ressources, y compris minières, qui ne sont pas disponibles sur notre sol – et qui, même si nous avions un inventaire tout à fait complet, ne seraient toujours pas disponibles en France – relève plutôt de la direction générale des entreprises ou d'autres structures. Est-ce exact et, dans ce cas, est-ce problématique ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

J'ai essayé de vous expliquer que ce n'était pas forcément problématique et que, de mon point de vue, cela n'avait pas entraîné de retard. Cela ne nous a pas empêchés de franchir, au cours des dix dernières années, un certain nombre d'étapes, et nous travaillons en interministériel.

Cela dit, les filières industrielles, en aval, n'ont pas forcément une « culture » – je le dis avec des guillemets – de la mine et de l'approvisionnement primaire. Il existe peut-être actuellement un choc et une prise de conscience, mais il est probable qu'il y aura de nouveau, dans une vingtaine ou une trentaine d'années, quand on aura sécurisé la question et changé totalement de modèle, une distance entre l'amont, la ressource minérale, et l'aval.

Je ne vois pas forcément les limites de notre organisation. Ce n'est pas une question d'international ou de national : les ressources minérales énergétiques ont été rattachées à la direction qui est en charge de la politique énergétique du pays ; les ressources minérales non énergétiques servent à la transition bas-carbone, mais ce sont aussi des sujets industriels dans un sens plus large – je pourrais vous parler, par exemple, de la diatomite, qui a des utilisations en matière de filtrage et en santé. Nous avons une compétence multisectorielle.

La mine, je le redis, n'est pas délocalisable, et c'est avant tout un sujet territorial. J'assume l'idée que sa place est au sein du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la DGALN, plutôt qu'au sein du ministère de l'industrie, à la DGE. Avant d'être un sujet industriel, c'est une question de ressources et un enjeu territorial. La rencontre avec les industriels, par ailleurs, est fondamentale – c'est un sujet sur lequel nous travaillons depuis de nombreuses années.

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

La question de l'acceptabilité est un trait d'union très important entre l'action de la DGALN et celle de la DGE. Il faut, en outre, garantir que les approvisionnements sont durables, soit à partir de notre sol soit depuis l'étranger : il existe aussi une vraie complémentarité de ce point de vue.

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S'agissant de la sécurité des approvisionnements et de notre capacité à penser l'intégralité du cycle, j'ai l'impression, mais vous m'arrêterez si je me trompe, qu'on a davantage raisonné en termes d'opportunités économiques qu'en termes de sécurité d'approvisionnement au cours des dernières décennies.

L'une de vos missions cardinales, selon le document que vous nous avez remis, est d'assurer la disponibilité et la qualité des ressources. Comment cela se traduit-il dans votre organigramme ? Sauf erreur de ma part, on ne retrouve cette mission dans le nom d'aucune sous-direction.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

C'est la sous-direction de la protection et de la gestion de l'eau, des ressources minérales et des écosystèmes aquatiques qui s'en occupe.

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La mission consistant à assurer la disponibilité et la qualité des ressources porte aussi bien sur l'eau que sur le lithium ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Oui, c'est bien cela.

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J'entends le besoin de traiter au sein d'une même direction les questions relatives à la protection des écosystèmes, à l'aménagement du territoire, à la disponibilité des ressources et aux capacités de production. Néanmoins, sans être exagérément pessimiste, si nous examinons un projet de loi visant à accélérer la production d'énergies renouvelables, c'est que le retard pris dans ce domaine sur notre sol, ces dernières années, n'est pas complètement étranger, me semble-t-il, à la difficulté de produire de l'acceptabilité sociale et de protéger les écosystèmes. Comme gérez-vous, au quotidien, la conflictualité normative et sociale qui peut exister en ce qui concerne la gestion des nouvelles énergies, les conflits d'usages entre le foncier agricole, l'objectif de zéro artificialisation nette, le besoin de construction et la question du cadre de vie, qui relèvent aussi de vos attributions ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Nous produisons un cadre et une réglementation pour permettre la conciliation des usages. Cela passe notamment par la planification et les documents d'urbanisme, qui organisent la maîtrise de l'espace, selon la qualité des sols, lesquels peuvent être agricoles, forestiers, naturels ou déjà aménagés, et la localisation par rapport aux infrastructures de transport. Une conciliation est possible, mais tout dépend des projets, de la volonté politique et des élus. En effet, pour quasiment tous les sujets dont nous traitons, les compétences sont décentralisées.

Il arrive que des projets ne voient pas le jour pour des raisons de portage ou d'acceptabilité dans les territoires. Notre travail est de rendre possible, grâce à l'existence d'un cadre, une conciliation. De nombreux territoires savent l'organiser, mais il y en a aussi beaucoup qui ne savent pas le faire. Pour aboutir, il faut une rencontre entre un projet de qualité, une volonté politique, des investissements, publics ou venant d'industriels, et une concertation bien menée. Une volonté de faire collective peut manquer, mais ce n'est pas le cadre réglementaire ou normatif qui l'empêche d'exister.

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Votre direction générale a une compétence très large en matière de planification, d'aménagement de l'espace, mais elle n'a pas de fonction de planification, celle-ci étant plutôt décentralisée. Vous êtes, en fin de compte, une sorte de Datar – Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale – sans mission de planification.

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

La quasi-intégralité des sujets, qu'il s'agisse de gestion de l'eau, de biodiversité, d'aménagement, d'urbanisme ou de logement social, correspondent à des compétences des collectivités territoriales, à l'exception des mines, lesquelles relèvent de l'État.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Nous avons néanmoins compétence pour les stratégies et les trajectoires nationales. Ce sont ensuite les exercices de planification au niveau local qui contribuent à les atteindre.

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Par rapport à ce que faisait la Datar, vieille administration qui disposait de très fortes capacités pour planifier, pour amener l'action dans les territoires, on a renversé le paradigme : aujourd'hui, c'est la libre administration des collectivités territoriales qui prévaut. Les projets émanent plutôt des territoires, et vous les accompagnez avec les moyens de votre direction générale, notamment grâce à un cadre réglementaire.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

On essaie quand même de consolider les trajectoires. S'agissant de la zéro artificialisation nette, il faut que chaque territoire contribue à atteindre le jalon prévu en 2031 et l'objectif pour 2050. Nous avons à vérifier la consolidation de l'ensemble.

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Pour ce qui est des ressources minières, comment conjuguez-vous votre fonction de planification, dont on comprend bien la nécessité, notamment du fait des enjeux de souveraineté et de maîtrise des filières, avec le paradigme de notre temps, qui est l'initiative locale pour l'émergence des projets ?

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Revenons à l'exemple d'Échassières. Nous ne choisissons pas les ressources présentes sur notre sol, mais nous pouvons accompagner les territoires, au niveau des porteurs de projets, des services de l'État et des collectivités, pour faire aboutir les projets qui nous paraissent stratégiques. Le lithium étant stratégique, nous nous sommes mis en ordre de marche, dans le cadre d'une task force, pour que le projet aboutisse. C'est là que réside notre capacité d'action.

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Par conséquent, vous accompagnez, après avoir identifié ou créé un intérêt.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Nous accompagnons toute initiative industrielle, en essayant de faire en sorte qu'il y ait une rencontre entre elle, l'identification d'un gisement, déjà connu, et l'acceptabilité territoriale. À Échassières, tous les élus soutenaient la démarche. Dans d'autres cas, en revanche, ils ne sont pas volontaires. Il faut arriver à persuader ou, en tout cas, à nouer des alliances pour faire aboutir certains projets.

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Je voudrais revenir sur l'acquisition de données dans le domaine minier. Le BRGM, que nous avons entendu, reconnaît notre richesse sur ce plan – c'est même l'une des plus importantes d'Europe –, en particulier dans le Massif central et en Bretagne. Il faut relancer l'industrie minière pour assurer notre résilience, notamment en ce qui concerne les métaux, compte tenu du choix politique de favoriser le tout-électrique pour les véhicules. Actuellement, le lithium et le cobalt font l'objet d'importations en provenance de pays pauvres où on ne se gêne pas pour faire travailler des enfants dans les mines, quasiment sous forme de travail forcé, afin de réduire les coûts. Vous avez dit que les compétences étaient partagées avec le ministère de l'industrie, mais qu'il s'agissait plutôt d'aménagement du territoire, ce qui fait que la question relevait davantage du ministère dont vous dépendez. Faut-il davantage de synergies ? De quoi manque-t-on pour parvenir à relancer l'industrie minière ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

On a tout mis en place pour que des mines rouvrent, mais la question qui se posait, jusque très récemment, était celle de la volonté industrielle, c'est-à-dire que l'industrie en aval n'était pas forcément intéressée par l'achat de produits de première transformation au coût qu'on pouvait lui proposer. L'activité minière n'était pas nécessairement rentable sur notre territoire au cours des cinquante dernières années.

Néanmoins, nous avons tout fait pour ne pas perdre l'activité existante et pour garder la connaissance des gisements. Nous travaillons depuis des années avec le BRGM, nous avons réformé le code minier, et l'Ofremi vient de naître. Nous sommes prêts et la rentabilité est de nouveau là.

Comme on a ouvert très peu de mines au XXe siècle, il y a aussi une question sociétale qui se pose. Je pousse pour qu'on mène une action pédagogique auprès des Français, des citoyens, afin d'expliquer ce qu'est une mine et le fait que, derrière la réindustrialisation, se trouve l'activité minière. Je considérais, comme je vous l'ai dit, qu'il était important que les mines soient sur « la photo de la France industrielle de 2030 ».

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Vous avez dit qu'il n'y avait pas eu d'ouverture de mines, ou quasiment pas, au XXe siècle, ce qui est vrai. Des mines d'uranium avaient certes ouvert, mais elles ont fermé, voire mal fermé. Ma première question porte donc sur la protection et la réglementation de l'exploitation des mines, y compris les anciennes.

Que pensez-vous du scénario négaMat, adossé au scénario négaWatt, relatif à la transition énergétique ? La question des matériaux dont nous allons avoir besoin pour la transition énergétique est essentielle.

Puisque les forêts et le bois sont également placés sous votre égide, avez-vous pu modéliser la quantité de matériaux et de ressources nécessaires, sur ce plan, pour atteindre nos objectifs en matière de rénovation des bâtiments ? Les rénovations qui sont menées, y compris en application de la réglementation thermique, font souvent appel à des matériaux carbonés, comme le polystyrène. Nous avons pourtant des ressources forestières en France, même si elles sont souvent privées. Il faut développer cette filière économique, d'importance stratégique. Des conflits d'usages concernant la forêt sont possibles, mais il existe aussi une complémentarité entre le bois-énergie, les puits de carbone et les matériaux renouvelables pour les bâtiments neufs et les rénovations.

Le sable, qui a de multiples usages, aussi bien pour la production de béton que dans l'agriculture – les maraîchers en utilisent beaucoup pour la culture de la carotte ou encore de la mâche –, fait l'objet de tensions, notamment dans mon département, la Loire-Atlantique. Aurons-nous des ressources suffisantes ?

La même question se pose en matière d'eau, notamment compte tenu des projets de nouveaux réacteurs nucléaires. La situation devient très critique pour l'agriculture et les conflits d'usages vont se multiplier. On a constaté des tensions concernant l'hydroélectricité, avec la baisse du débit des cours d'eau, et le refroidissement des centrales nucléaires – de nombreuses dérogations ont été accordées en la matière.

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

En ce qui concerne la ressource en eau, un travail a été lancé par le Gouvernement en vue de mettre en œuvre les objectifs de réduction des prélèvements qui ont été fixés dans le cadre des assises de l'eau et du Varenne de l'eau – c'était d'ailleurs le premier travail engagé à la suite de l'installation du Secrétariat général à la planification écologique. L'eau est, en effet, une ressource dont on va beaucoup manquer dans les années à venir. À l'horizon 2050, certains territoires n'auront plus que la moitié de l'eau qu'ils utilisent aujourd'hui. Il faut donc créer, ou recréer, une véritable gouvernance à propos des usages et du partage de l'eau dans la filière énergétique, la filière agricole ou tout simplement pour les usages quotidiens. Des solutions sont envisagées, notamment des retenues d'eau, mais il faut s'assurer qu'elles conviennent – on peut aussi utiliser les forces de la nature et le stockage naturel dans les nappes phréatiques. Nous avons devant nous un chantier important.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Nous avons lancé avec l'INRAE, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, et le BRGM le programme Explore, qui vise à élaborer des prévisions et des scénarios pour la ressource en eau. Selon les projections pour 2050, le quart sud-est du pays ne pourra plus répondre à la moitié de la demande actuelle.

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Pour ce qui est du sable, autre ressource essentielle, notamment en matière d'aménagement et de construction, un travail est en cours, sous l'égide des préfets, avec l'ensemble des services déconcentrés et tous les partenaires concernés, au sujet des schémas régionaux des carrières, qui permettent de mettre en regard les besoins des territoires et les opportunités qu'ils recèlent, mais aussi d'identifier toutes les zones à éviter, notamment celles qui comportent des hotspots de biodiversité, des zones riches en espèces, sachant qu'on prélève chaque année plus de 120 millions de tonnes de granulats sur notre territoire.

Il y a effectivement une articulation très importante entre la question des ressources forestières et les politiques relatives à la qualité de la construction. C'est pour cette raison que nous avons pu obtenir l'inscription de la forêt au sein du plan France 2030. Nous avons beaucoup parlé des mines, mais une enveloppe est également consacrée au renouvellement forestier.

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Nous nous sommes fortement impliqués, et beaucoup battus pour que la forêt et le bois soient aussi sur la « photo de France 2030 ». L'investissement qui va être fait pour le renouvellement forestier est fondamental, qu'il s'agisse des puits de carbone, de l'aménagement du territoire, de la biodiversité ou des usages récréatifs des forêts. C'est un investissement énorme et une vraie question de réindustrialisation pour l'ensemble de la filière, à la fois de bois-énergie et de bois-construction.

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Brice Huet, adjoint de la directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

En ce qui concerne négaMat, nous n'avons pas connaissance du scénario que vous avez évoqué, mais nous pourrons revenir vers vous. Quant à l'après-mine, c'est une compétence de la direction générale de la prévention des risques : nous vous invitons à vous adresser à elle sur ce point.

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Et qu'en est-il de la filière de la rénovation ?

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Stéphanie Dupuy-Lyon, directrice générale de l'aménagement, du logement et de la nature

Un travail a été mené sur ce sujet, mais je n'ai pas les éléments en tête. Je vais interroger le délégué ministériel forêt-bois, qui est placé auprès de ma direction générale.

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Vous pourrez adresser des compléments au secrétariat de la commission d'enquête, qui les fera suivre.

Il me reste à vous remercier pour votre disponibilité et la précision de vos réponses.

La commission auditionne ensuite M. François Jacq, Administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et M. Philippe Stohr, Directeur des énergies

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Nous recevons cet après-midi M. François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et M. Philippe Stohr, directeur des énergies du CEA.

Monsieur Jacq, le rapporteur vous a préalablement envoyé un questionnaire afin de guider votre propos liminaire. Vous êtes en fonctions depuis 2018. Nous avons déjà entendu trois de vos prédécesseurs, mais, par la force des choses, la période 2003-2014 n'a pu être explorée ; nous serions donc intéressés aussi par votre regard sur cette période.

En dépit d'une diversification des activités du CEA engagée depuis une vingtaine d'années, le nucléaire semble occuper encore une place déterminante dans ses travaux. Le confirmez-vous ? La filière attire-t-elle toujours autant de talents ? Quels facteurs influent sur l'attractivité de la filière ?

Les réacteurs de quatrième génération ont-ils un avenir en France et dans le monde ? Que recouvre précisément le « nouveau nucléaire », auquel vient d'être dédiée une délégation de programme interministérielle ? Dans quelle mesure les prescriptions édictées en matière de sûreté et de sécurité nucléaires ont-elles amélioré les caractéristiques des centrales ? Ces améliorations portent-elles sur la seule sécurité des installations ou également sur leur productivité, leur disponibilité et leur rentabilité ? Quelles activités de recherche le CEA consacre-t-il aux combustibles, aux déchets et au démantèlement ? Autant de questions que nous avons déjà abordées avec vos prédécesseurs mais qui reçoivent des réponses assez différentes suivant la période.

Avant de vous laisser la parole, il me revient, en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. François Jacq et M. Philippe Stohr prêtent successivement serment.)

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Comme vous l'avez suggéré, je me fonderai, dans mon propos liminaire, sur le questionnaire qui m'a été envoyé par le rapporteur. J'en traiterai une partie, de sorte de brosser un panorama général du CEA et de planter le décor avant de répondre de manière plus détaillée aux questions de la commission. Cela signifie que je n'aborderai pas dans cette introduction les points que vous venez d'évoquer, monsieur le président. J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur.

Le CEA est un établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1945. Ses salariés relèvent du droit privé, et non de la fonction publique. Il fait partie de l'association European of Research and Technology Organizations (RTO), dont j'ai le privilège d'être le vice-président et qui compte parmi ses membres des institutions telles que le centre de recherche technique finlandais Teknologian tutkimuskeskus (VTT), au profil similaire. Ces organismes font le pont entre la recherche amont et les déploiements industriels, en étant à l'écoute des grandes questions de société et des attentes des industriels. Les homologues du CEA à l'étranger sont, outre le VTT, l'Institut de microélectronique et composants (Imec) en Belgique, la Fraunhofer-Gesellschaft en Allemagne, le Department of Energy aux États-Unis et des instituts comparables en Suède, au Danemark, au Japon ou à Taïwan, qui essaient d'assurer la convergence entre la science, la technologie et l'industrie.

Les activités du CEA reposent sur cinq piliers : l'énergie et le climat – Valérie Masson-Delmotte fait partie de ses salariés ; le numérique, de la microélectronique au logiciel ; la santé, d'abord en relation avec le nucléaire, puis de manière plus diversifiée ; la dissuasion ; la recherche fondamentale sur les thématiques de l'énergie, du climat et de la santé, en liaison avec le monde académique.

Y a-t-il eu diversification des activités du CEA ? Je n'en suis pas certain. Je pense plutôt que la manière dont elles se sont développées répond à une logique profonde. Je vais vous en donner une illustration. Le CEA est une organisation à vocation technologique initialement dévolue au nucléaire. Dans les années 1950, le futur prix Nobel de physique, Louis Néel, étudie à Grenoble le magnétisme. Pour ce faire, il a besoin de neutrons. Il se tourne donc vers le CEA pour que celui-ci lui fournisse ce qu'on appelait à l'époque une pile, c'est-à-dire un réacteur. C'est ainsi qu'est créé le Centre d'études nucléaires de Grenoble, autour duquel va se développer un service d'électronique extrêmement avancée qui deviendra le laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (Leti), qui compte aujourd'hui parmi les leaders de la microélectronique dans le monde. Tout cela est donc cohérent.

Le nucléaire civil représente 40 % des activités du CEA ; le reste se partage entre le numérique, la santé et la recherche fondamentale – la dissuasion étant un univers à part.

Quel est le contexte énergétique à mon entrée en fonctions – étant précisé que je ne pense pas qu'il ait beaucoup changé, nonobstant l'épidémie de covid et la guerre en Ukraine ? Il y a vingt à trente ans, deux questions principales se posaient : la sécurité de l'approvisionnement et le coût ; il fallait avoir de l'énergie et qu'elle soit bon marché. Est venu s'ajouter un troisième impératif, relatif au climat et à la décarbonation. Toute la problématique énergétique est contenue dans ce triptyque, étant entendu que le dosage entre ces différentes préoccupations varie avec le temps. Par exemple, quand, aujourd'hui, on redémarre des centrales à charbon, on est animé par la préoccupation de la sécurité d'approvisionnement plutôt que par la préoccupation climatique, ce qui n'était pas forcément le cas il y a deux ans. Néanmoins, quand, en 2018, j'ai été auditionné par vos collègues préalablement à ma nomination, ces trois préoccupations existaient déjà.

Quelles sont les grandes tendances ? Il y a d'abord la nécessité de mobiliser toutes les énergies décarbonnées possibles pour faire face aux échéances de 2030 et 2050 en matière de climat, sachant que cela permet aussi de renforcer la sécurité d'approvisionnement et de minimiser les coûts. Ensuite, pour décarboner les usages, on a besoin d'électrification – c'est une tendance mondiale. Certains usages industriels seront toutefois difficiles à décarboner parce qu'ils ont besoin de fortes températures et ne peuvent être électrifiés ; il faut donc apprendre à produire de la chaleur par des moyens décarbonés. Enfin, les systèmes énergétiques et les réseaux électriques sont appelés à évoluer. Le grand réseau centralisé va probablement laisser la place à des formes d'organisation locales ; cela permettra aux citoyens de se mobiliser tout en accroissant la résilience des réseaux, notamment face aux phénomènes climatiques. À ces facteurs, qui étaient déjà connus en 2018 et inclus dans le diagnostic, s'est ajoutée la crise de la globalisation liée à l'épidémie de covid et à la guerre en Ukraine. On s'est aperçu que tout n'était pas accessible, qu'on dépendait d'un certain nombre de pays et qu'on avait besoin de recherche et d'innovation pour proposer des solutions.

Comment relever ces défis ? Ce que j'avais déclaré lors de mon audition en 2018, c'est que nous devions, non pas opposer les différentes formes d'énergie, mais proposer une vision intégrée, en examinant comment les diverses formes d'énergie pouvaient coopérer et comment les problèmes de stockage, de réseau et de technologies associées que cela soulève pouvaient être résolus. C'est pourquoi nous avons décidé de créer une direction des énergies afin que tous les spécialistes de l'énergie au sein du CEA puissent travailler ensemble. Nous avons en outre essayé d'élargir la gamme du nucléaire, en mettant l'accent sur les réacteurs de petite puissance, les petits réacteurs modulaires ( Small Modular Reactors ou SMR) et les réacteurs modulaires avancés ( Advanced Modular Reactors ou AMR), pour répondre aux nouveaux besoins en matière de configuration du réseau électrique et d'utilisation de la chaleur. Si la question revêt désormais une certaine urgence du fait de la guerre, ces grandes tendances étaient présentes dès 2018.

Qu'est-ce que la souveraineté ? Selon le Larousse, il s'agit du « pouvoir suprême reconnu à l'État, qui implique l'exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l'ordre international où il n'est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe) ». Le même dictionnaire nous apprend que le mot est synonyme d'indépendance ou d'autonomie. Par conséquent, il me semble que la souveraineté énergétique n'existe pas – et je crois que Jean-Marc Jancovici vous a dit à peu près la même chose. Cela supposerait en effet une autonomie totale, une autarcie. Or le seul moment où l'autonomie et l'indépendance ont pu véritablement exister, c'était il y a des centaines de milliers d'années, lorsque les Homo sapiens vivaient en tout petits groupes dont la sphère d'influence ne dépassait pas les quatre-vingts kilomètres et qui n'étaient pas connectés entre eux. Dès lors qu'il y a du commerce ou des échanges, on s'inscrit dans une forme de dépendance.

Le secteur de l'énergie en offre une illustration frappante. Fin 2020, nous consommions 1 600 térawattheures, à raison de 700 de pétrole, 300 de gaz, 400 d'électricité – dont 350 d'origine nucléaire – et 165 d'énergie thermique renouvelable. Des dépendances, nous en avons donc. Le problème est plutôt de savoir les identifier, les anticiper, les maîtriser et les pallier. Est-ce le rôle du CEA ? Je le pense, et cela dans tous ses domaines d'activité. Par exemple, lorsque le CEA développe la microélectronique et qu'il crée Soitec, leader mondial d'une technologie clé pour l'industriel STMicroelectronics, cela permet à la France de ne pas dépendre de pays comme Taïwan et de disposer de ressources technologiques en vue d'acquérir, sinon son indépendance, du moins une relative maîtrise de son destin.

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Vous n'avez pas la même perception de l'indépendance et de la souveraineté que vos prédécesseurs. Si tout le monde semble convenir que l'indépendance énergétique est un mirage, pour ce qui est de la souveraineté, certains croient à la possibilité de diversifier les circuits d'approvisionnement de sorte que la dépendance soit davantage choisie et mieux maîtrisée.

Comment envisagez-vous le cycle du combustible nucléaire ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Accordons-nous pour commencer sur ce qu'on entend par « cycle ».

Au départ, on a besoin de matière première, à commencer par de l'uranium, que l'on va transformer et enrichir pour en faire des combustibles, qui seront utilisés dans les réacteurs. C'est ce qu'on appelle l'amont du cycle.

On décharge ensuite ces combustibles et on les entrepose. Il existe diverses options suivant les pays. Soit on les laisse en entreposage en vue d'une solution définitive, qui pourrait être le stockage – c'est la politique des États-Unis ; le cycle est alors complètement ouvert. Soit on récupère le combustible pour le retraiter en vue d'une réutilisation des matières qu'il contient. C'est ce qu'on appelle l'aval du cycle.

Le premier enjeu, c'est donc de se procurer du minerai. Depuis la fermeture des mines françaises, nous nous approvisionnons en uranium à l'étranger : au Niger, au Canada, au Kazakhstan, etc., étant entendu qu'on n'a pas vraiment le choix de la localisation des mines. C'est Orano Mining qui est chargée en France de gérer de la manière la plus avisée possible le portefeuille de gisements miniers en essayant de trouver un équilibre entre les pays et entre les conditions d'exploitation, de sorte que nous obtenions de l'uranium. Depuis des années, elle le fait fort bien et il n'y a guère de risque ni de pénurie : en l'état des réacteurs, les réserves mondiales d'uranium accessibles assureraient 130 à 135 années de fonctionnement.

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Lors d'une précédente audition, on nous a signalé qu'on dénombrait près de 200 nouveaux projets nucléaires dans le monde. Cela peut-il changer la donne ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

On compte aujourd'hui quelque 450 réacteurs en fonctionnement dans le monde. Parmi eux, un certain nombre, vieillissants, vont fermer ; et tous les projets ne se réaliseront peut-être pas. On ne sait donc pas à combien s'élèvera la croissance nette du nombre de réacteurs. Il convient de rester prudent.

Quand bien même les 200 projets verraient rapidement le jour, on pourrait compter sur 90 années de fonctionnement – ce n'est pas moi qui le dis, c'est ce qui est écrit dans le Livre rouge de l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) et de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Une fois le minerai obtenu, il faut le transformer. La technologie est maîtrisée par Orano. Il faut la faire évoluer, mais cela ne pose pas de difficultés autres qu'industrielles.

L'étape suivante est celle de l'enrichissement. On possède aussi cette compétence en France, à l'usine Georges-Besse II, exploitée par Orano. Cela nous distingue des États-Unis, qui dépendent pour une grande part dans ce domaine de la Russie – ce qui explique qu'il n'y ait pas beaucoup de sanctions dans ce secteur.

On passe ensuite à la fabrication des combustibles. On peut faire appel à divers fabricants : EDF, par exemple, s'approvisionne tant chez Framatome que chez Westinghouse. Néanmoins, nous maîtrisons la technologie en France.

La question de la taxonomie européenne soulève celle du combustible ATF (Accident Tolerant Fuel), qui serait plus robuste en cas d'accident. Des recherches sont en cours. C'est un élément sur lequel nous travaillons pour préparer l'avenir, en liaison bien entendu avec les industriels.

J'en viens à l'aval du cycle. Il existe aujourd'hui deux voies. La première est celle du cycle ouvert, choisie, entre autres, par les États-Unis. L'autre, que nous avons retenue, est celle du recyclage, assuré en France par Orano à La Hague et dans l'usine Melox. On retraite le combustible UOX, à base d'uranium, pour séparer le plutonium et l'uranium de retraitement des produits de fission et des actinides mineurs, lesquels sont vitrifiés et traités comme des déchets. Le plutonium extrait est réutilisé dans un combustible appelé MOX, qui est fabriqué dans l'usine Melox et est utilisé, de manière optimale, dans les réacteurs du palier 900 du parc. Les combustibles MOX une fois utilisés ne pouvant être, à ce jour, retraités, ils sont ensuite entreposés. Le cycle est donc partiellement fermé.

Faut-il le fermer complètement ? Là encore, il faut savoir ce qu'on entend par là. Penser qu'un cycle fermé ne produirait pas de déchets est scientifiquement absurde – c'est un ancien gestionnaire de déchets qui le dit. En revanche, on pourrait essayer de retraiter le combustible MOX pour en récupérer la matière et utiliser celle-ci dans de nouveaux combustibles. La solution idéale consiste à utiliser des réacteurs à neutrons rapides (RNR), capables de mieux utiliser la matière, en particulier l'uranium appauvri, les isotopes fertiles de l'uranium et le plutonium : c'est ce qu'on a appelé des « surgénérateurs », comme Phénix et Superphénix. C'est l'horizon privilégié à ce jour par la politique nucléaire française.

Fermer le cycle permet en effet de réduire la dépendance aux importations d'uranium et de développer une forme de recyclage, même si chaque cycle produit une certaine quantité de déchets de nature à être stockés en profondeur.

Cela pose néanmoins un certain nombre de problèmes. Il faudra, d'une part, disposer de réacteurs à neutrons rapides, d'autre part, avoir la capacité d'assurer le fonctionnement du cycle, car cela suppose de manipuler dix fois plus de plutonium qu'aujourd'hui et les matières réutilisées présenteront des défauts ou des impuretés radiologiques qui empêcheront la production du combustible en boîtes à gants, comme c'est le cas à Melox ; il faudra utiliser des chaînes blindées. Toutes ces installations, à ce jour, n'existent pas.

J'y insiste parce que si l'on parle beaucoup des réacteurs, on ne parle jamais du cycle, ce qui n'est guère cohérent puisque si l'on veut fabriquer de tels réacteurs, c'est pour fermer le cycle. D'ailleurs, dans un rapport qu'elle vient de publier à la demande du Congrès, l'Académie nationale des sciences des États-Unis fait exactement la même remarque.

Cela m'amène à la politique que nous menons depuis 2018. Nous disposions en France d'une grande compétence en matière de réacteurs à neutrons rapides, grâce à Rapsodie, Phénix et Superphénix. À la fin des années 2000 a été lancé le projet Astrid, dont l'objectif était de livrer, non pas un réacteur, mais un avant-projet afin de décider si l'on réalisait ou non un prototype de RNR d'une puissance de 600 mégawatts qui se serait inscrit dans la logique de fermeture du cycle. L'avant-projet a été mené à son terme et les données techniques ont été produites. En 2018-2019, on a considéré, sur cette base, qu'il n'était pas pertinent de se lancer immédiatement dans la construction d'un prototype.

Pourquoi ? Tant que nous avons de la matière nucléaire, il n'y a aucune urgence à se doter de réacteurs à neutrons rapides, car il n'est pas prouvé, à ce jour, qu'ils permettront de produire de l'électricité à un coût inférieur ; au contraire : comme l'investissement est de 50 % supérieur, l'électricité sera plus chère. Or les stocks d'uranium sont suffisants pour permettre le lancement, la poursuite ou la relance de programmes de construction de réacteurs classiques d'une durée de vie de soixante à quatre-vingts ans, ce qui nous mène à la fin du siècle – je vous renvoie aux divers rapports produits à travers le monde sur le sujet. Bref, à l'heure actuelle, la rentabilité économique de la filière à neutrons rapides n'est pas assurée, surtout dans le format indiqué de 600 MW. En outre, les recherches menées entre 2009 et 2018 ont très majoritairement porté sur le réacteur, et non sur le cycle. Cette question n'a pas été travaillée.

Du coup, une autre stratégie a été proposée pour atteindre l'horizon d'une fermeture du cycle : elle consiste à avancer pas à pas. Commençons par essayer de retraiter le combustible MOX et de recycler la matière extraite dans les réacteurs à eau pressurisée (REP) actuels – ce que l'on appelle le multirecyclage en REP. Cela nous apprendra beaucoup de choses sur le cycle, qui est le point faible du programme. Nous pourrons ensuite passer au cycle fermé avec des réacteurs à neutrons rapides.

On rejoint là la question du « nouveau nucléaire » évoquée par le président Schellenberger. Une partie du programme porte en effet sur la conception de réacteurs nucléaires dits innovants, c'est-à-dire de petits réacteurs susceptibles de produire de la chaleur ou pouvant être utilisés de manière combinée. Or on peut se demander si ce travail ne permettrait pas de perfectionner aussi la technologie des réacteurs à neutrons rapides, mieux en tout cas qu'en utilisant un prototype de réacteur à grande puissance. C'est d'ailleurs ce qui semble se passer à l'échelle internationale, puisqu'on recense de par le monde près de quatre-vingts projets de SMR, dont la moitié très innovants.

Et si l'on veut être futuriste, l'étape suivante pourrait être la conception de réacteurs à sels fondus, qui représenteraient pour le coup une véritable rupture technologique, puisque le combustible serait non plus solide mais liquide et le retraitement pourrait être effectué en ligne, par branchement sur le circuit combustible du réacteur. Cela permettrait de tout rassembler en un seul dispositif et d'améliorer la sûreté de l'installation. Ce serait une solution élégante pour régler le problème du cycle. Nul ne sait néanmoins si nous y parviendrons, car la technologie est extrêmement compliquée à mettre en œuvre, en raison de l'utilisation de sels de chlorure ou de sels de fluorure. Il n'a existé qu'un seul prototype de ce type de réacteurs, aux États-Unis, dans les années 1960-1970, qui n'a fonctionné que très peu de temps.

En avançant ainsi pas à pas, on aboutirait à la fin du siècle à un cycle fermé.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Lors de mon audition en 2018 par le Parlement, j'avais déjà exprimé la même position sur le projet Astrid, à savoir qu'il n'était pas utile et pertinent de construire un réacteur ; c'eût été une forme de gâchis de l'argent public.

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Le pensiez-vous déjà lorsque vous étiez directeur du département de l'énergie, des transports, de l'environnement et des ressources naturelles au ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie entre 1997 et 2000 ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

À cette époque, l'enjeu était plutôt la mise en œuvre de la loi Bataille de 1991, qui soulevait la question du cycle et du devenir des matières et déchets radioactifs. La loi prévoyait d'explorer durant quinze ans trois axes : la séparation-transmutation, en vue de séparer les matières et d'appliquer à chacune un traitement spécifique dans un réacteur ; le stockage géologique, en profondeur ; l'entreposage de longue durée, en surface ou en subsurface. En 2005, un rapport a été remis par les acteurs concernés. C'est l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) qui était chargée du deuxième axe : j'en ai donc été le responsable entre 2000 et 2005. Antérieurement, au ministère, il avait fallu mener les recherches.

Les conclusions de ces travaux, présentées en 2005, examinées par le Parlement et qui ont abouti à la loi de 2006, étaient que nous n'arriverions vraisemblablement pas à nous passer d'un stockage en formation géologique profonde et que l'Andra avait démontré la faisabilité de celui-ci. En revanche, la voie de la séparation-transmutation ne produirait probablement pas les effets attendus, notamment parce qu'on ne saurait pas traiter les produits de fission, qui sont les principaux éléments constitutifs de la dose à l'exutoire d'un stockage, et que le traitement de tous les actinides mineurs aurait posé toute une série de difficultés. La priorité a donc été donnée au stockage, tout en continuant la stratégie de fermeture du cycle, qui permet de limiter les déchets radioactifs, donc de réduire à la fois l'emprise du stockage et sa radioactivité en cas d'intrusion.

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En 1998, on décide aussi l'arrêt du plus grand réacteur à neutrons rapides…

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Superphénix est en effet arrêté et Phénix redémarré afin de conduire des expériences dans le cadre de l'axe 1 de la loi Bataille, la séparation-transmutation.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Un chef de département dans un ministère ne prend pas ce genre de décisions ! Elles relèvent du niveau ministériel. Ce n'était donc pas sous ma tutelle.

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Il se trouve que vingt ans plus tard, vous êtes à la tête du CEA au moment où l'on décide de ne plus financer le projet Astrid. Quid de ce projet aujourd'hui ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

D'abord, il n'y a aucun rapport entre Superphénix, réacteur destiné à produire du courant de manière industrielle, et un projet de recherche comme Astrid. Au demeurant, au-delà de toute considération politique, cette filière industrielle produisait une électricité plus chère que celle des autres réacteurs.

Ensuite, il n'est pas tout à fait exact de dire qu'on ne finance plus la recherche sur ces questions. Astrid était un réacteur de quatrième génération. Or il y a aujourd'hui au CEA 135 personnes qui travaillent sur les réacteurs de quatrième génération, dans l'optique que j'indiquais, à savoir en liaison avec le multirecyclage, les petits réacteurs, la capitalisation de la connaissance et les programmes internationaux. Dans cette matière, le pays dont la France est la plus proche est le Japon. S'il fait encore retraiter un certain nombre de combustibles en France, il souhaite mettre en œuvre une politique complète de retraitement – l'usine de Rokkasho devrait finir par ouvrir – et s'intéresse à ce titre aux réacteurs à neutrons rapides. Nous sommes convenus de poursuivre le travail de modélisation, de veille et d'articulation avec le cycle sans nécessairement construire dès maintenant un réacteur. Certainement devrons-nous un jour disposer de données physiques et tester certaines hypothèses, mais il faut le faire en temps et en heure. Cela ne signifie pas pour autant que le programme de recherche est abandonné. Nous n'avons pas arrêté un projet, nous n'avons pas pris la décision de construire un objet.

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Sur quoi exactement les personnels du CEA travaillent-ils ? Sur un projet de réacteur à neutrons rapides fonctionnant sur le même principe qu'Astrid, à savoir avec un échangeur sodium-gaz, ou sur d'autres technologies de quatrième génération ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Ils travaillent sur des réacteurs de quatrième génération refroidis au sodium, dans la continuité des travaux précédents, étant entendu que leur design est susceptible d'évoluer. Parallèlement à cette voie principale, nous réfléchissons aussi à de petits réacteurs – en tant que tels, non des modèles réduits – qui pourraient produire par exemple de la chaleur. Enfin, nous travaillons, mais de manière plus marginale, sur des réacteurs à sels fondus.

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Le petit réacteur que vous entendez un jour construire appartient donc à la filière au sodium ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Je crois qu'il convient de clarifier les choses. Astrid devait être le dernier pas avant la réalisation d'un modèle industriel de 600 mégawatts. Les objets sur lesquels nous travaillons aujourd'hui sont un peu différents. Par exemple, aux États-Unis, la société TerraPower développe un projet de petit réacteur au sodium, appelé Natrium, non pour préparer la construction de plus gros réacteurs, mais parce qu'elle pense que le déploiement d'une telle flotte de réacteurs de 300 à 400 mégawatts peut avoir un intérêt en tant que tel.

Les « petits » réacteurs, du type SMR ou AMR, sont des objectifs en soi, non des prototypes. C'est dans cette direction que nous nous sommes engagés dans le cadre du volet nucléaire et innovation de France 2030 : concevoir des petits réacteurs non pas classiques de type Nuward mais de quelques centaines de mégawatts refroidis au sodium.

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Lors de son audition, votre prédécesseur nous a dit qu'il avait proposé à la fin de son mandat de donner une suite au programme de recherche Astrid non pas en construisant le réacteur initialement prévu de 600 mégawatts mais en associant un démonstrateur de 100 à 200 mégawatts et une simulation numérique. S'agit-il de la même chose ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Non. Ce que mon prédécesseur a proposé en octobre 2017 est d'utiliser une forme de modélisation et de simulation pour préparer dès maintenant le lancement d'une filière industrielle de réacteurs de grande puissance, tandis que le projet d'AMR consiste à concevoir un réacteur cohérent qui puisse être une tête de série en vue d'un déploiement industriel. Il ne s'agit aucunement d'un modèle réduit du prototype de 600 mégawatts. Cela requiert donc un certain travail.

Si l'on retient l'hypothèse que la filière à grande puissance ne se déploiera pas avant la fin du siècle, il n'est pas nécessaire de commencer dès maintenant à se doter de moyens expérimentaux. Nous disposons d'un peu de temps pour réfléchir au cycle et à l'ensemble de la politique nucléaire. En revanche, le développement industriel, sur le modèle de start-up comme cela se pratique aux États-Unis, de petits réacteurs qui ne sont pas destinés à préparer la filière à grande puissance mais qui pourront être ultérieurement utilisés à cette fin, peut être engagé dès maintenant. Encore faut-il disposer des acteurs pour ce faire et lever tous les verrous.

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Il me semble que le programme de recherche Astrid découlait d'une prescription légale datant de 2006. Du coup, que devient celle-ci ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Je ne suis pas certain de comprendre à quoi vous faites allusion. La loi de 2006 prescrit le stockage géologique comme voie de référence et prévoit la poursuite de la politique de fermeture du cycle pour réduire les déchets à stocker : rien ne change. La question qui se pose est de savoir à quel rythme nous procédons et comment nous nous dotons des différentes briques nécessaires à la fermeture du cycle. C'est ce à quoi nous travaillons, avec le multirecyclage en REP. Nous nous inscrivons donc bien dans le cadre de la loi de 2006.

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Comment faites-vous pour préserver les compétences acquises tout au long des quinze années du programme Astrid ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Nous avons procédé à un très important travail de formalisation, de mise en ordre et de capitalisation de la connaissance, qui nous a valu le grand prix de la Société française de l'énergie nucléaire (SFEN). Les acquis de l'avant-projet détaillé sont disponibles et utilisés. Ce qui a été fait n'a pas été perdu.

Les équipes concernées continuent à travailler sur la physique des réacteurs, sur l'amélioration de la modélisation et sur l'ensemble des enjeux identifiés dans l'avant-projet détaillé, avec un horizon temporel qui est celui d'une progression étape par étape vers la fermeture du cycle, en commençant par le multirecyclage puis en passant au déploiement de réacteurs à neutrons rapides. J'ajoute que le travail sur les AMR est aussi source de mobilisation et d'innovation et suscite beaucoup d'intérêt en France et dans le monde entier.

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Vous disiez que la supply chain du combustible était l'une des principales faiblesses du projet de réacteurs à neutrons rapides. Travaillez-vous à l'améliorer, dans la perspective d'une reprise des études en vue de la réalisation d'un réacteur ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Se pose au préalable la question de la faisabilité du retraitement du combustible. En effet, le combustible issu de ces réacteurs ne sera pas le même que celui issu des réacteurs actuels. Or nous ne savons pas encore le retraiter. Orano doit mettre au point un processus permettant de le faire dans une nouvelle usine dédiée – les usines actuelles n'étant probablement pas adaptées. C'est un préalable indispensable.

Pour ce qui est de la fabrication du combustible, la première étape est le multirecyclage en REP. Nous nous heurtons à des difficultés liées en partie à la nature des réacteurs mais aussi aux matières utilisées.

Ces deux axes de travail, retraitement et multirecyclage, ne relèvent pas du seul CEA. Le programme de recherche associe aussi Orano et EDF, en tant que probable futur exploitant des réacteurs.

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Qu'en est-il de la part respective d'uranium appauvri et de plutonium entrant dans la composition du combustible destiné aux réacteurs à neutrons rapides ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Pour fabriquer le combustible des réacteurs à neutrons rapides, on utilise du plutonium issu du retraitement des autres combustibles, que l'on combine avec de l'uranium appauvri provenant des stocks dont on dispose. Pour démarrer un parc de réacteurs à neutrons rapides, une certaine quantité de plutonium est nécessaire. Or il n'est pas si facile à produire. Il faut par conséquent assurer une transition entre les anciens et les nouveaux réacteurs de sorte que le plutonium que l'on a séparé par le retraitement des combustibles issus des anciens réacteurs soit en quantité suffisante pour charger les nouveaux. Il s'agit là d'un enjeu non plus de recherche, mais de bonne programmation. Des équipes sont chargées de modéliser les scénarios en fonction du nombre de réacteurs en fonctionnement, du combustible disponible et du rythme de mise en fonctionnement des nouveaux réacteurs. On procède ainsi par tuilage, afin d'anticiper le basculement d'un parc vers l'autre en fonction des quantités de plutonium nécessaires.

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Si j'ai bien compris, après une première combustion de l'uranium 235 dans un parc de REP, on récupère du plutonium, que l'on sait aujourd'hui extraire pour fabriquer du MOX. C'est au stade de la combustion du MOX que des radioéléments plus difficiles à traiter sont produits et que le processus bloque. Ne pourrait-on pas imaginer d'utiliser directement le plutonium pour le parc de réacteurs à neutrons rapides, sans produire de MOX ? Cela permettrait de résoudre certains des problèmes que vous soulevez.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Sur le papier, tout est possible. Reprenons le processus. On retraite l'UOX pour en extraire du plutonium – avec diverses isotopies – et de l'uranium de retraitement et les séparer des produits de fission et des actinides mineurs. Le combustible MOX est fabriqué à partir de plutonium et d'uranium, ce qui le rend plus difficile à traiter à la sortie du réacteur en raison de la production d'isotopes radiologiquement complexes à gérer.

Vaut-il mieux arrêter ce processus et déployer tout de suite des réacteurs à neutrons rapides ou passer par l'étape du multirecyclage en REP ? Ne nous leurrons pas : ce dernier procédé n'est pas la solution idéale ; en revanche, il a une vertu, qui est d'aborder les problèmes de manière progressive, sans s'attaquer immédiatement au plus compliqué. Il peut en outre se faire à moindres frais, avec le parc de réacteurs existant. L'autre voie, celle du déploiement immédiat d'un parc de réacteurs à neutrons rapides, se heurte à l'inconvénient qu'il n'existe pas encore de cycle associé : on ne pourra donc pas atteindre l'objectif visé. Cela suppose en outre un investissement important et l'électricité produite par les RNR sera plus coûteuse que celle produite par les réacteurs actuels. C'est pourquoi il nous semble plus raisonnable de procéder pas à pas.

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Le prix de l'énergie a quand même bien augmenté ces derniers mois…

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Certes, mais, dans l'absolu, si l'on peut produire de l'électricité à moindre coût, ce n'est pas plus mal…

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Il me semble que le coût de l'électricité produite par des RNR, quoique plus élevé que celui de l'électricité produite par des REP, reste inférieur au prix auquel l'État rachète depuis plus de dix ans l'énergie intermittente.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Je me contente de comparer deux solutions techniques concernant les réacteurs nucléaires.

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Les SMR et les AMR posent-ils les mêmes problèmes en matière de cycle, de supply chain et d'outils industriels de production du combustible que la filière des réacteurs à neutrons rapides ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Il est aujourd'hui convenu de considérer que les SMR sont, en gros, de petits REP. Les AMR, en revanche, correspondent aux réacteurs de quatrième génération.

Pour ce qui est des premiers, la France a lancé le projet Nuward, développé par EDF, Framatome, TechnicAtome, Naval Group et le CEA, d'une centrale composée de deux petits REP de 170 mégawatts chacun, fonctionnant avec un combustible similaire à celui utilisé dans les REP du parc EDF. La fabrication du combustible ne soulève donc pas de difficulté particulière ; quant à son retraitement, il pose les problèmes déjà évoqués.

Les AMR offrent une bien plus grande diversité : il peut s'agir, par exemple, de réacteurs refroidis au sodium, de réacteurs à haute température fonctionnant avec des combustibles dits à boulets ou de réacteurs à sels fondus. En l'espèce, il est impératif de bien réfléchir à l'amont et à l'aval du cycle. Or les porteurs de projets n'y sont pas toujours sensibilisés. Certains réacteurs sont par exemple susceptibles d'utiliser de l'uranium enrichi à hauteur non pas de 5 %, comme c'est le cas pour les réacteurs classiques, mais jusqu'à 19,75 %, comme le high-assay low-enriched uranium (HALEU). Il convient d'y être vigilant. C'est pourquoi, lorsque nous sommes consultés par des porteurs de projets, nous appelons immédiatement leur attention sur ces questions : avez-vous pensé, à l'amont, à l'approvisionnement en uranium et à la fabrication du combustible ? comment allez-vous faire pour l'aval du cycle ? Par exemple, personne aujourd'hui ne sait retraiter les combustibles à boulets.

Les petits réacteurs à sodium soulèvent les mêmes questions que les grands RNR refroidis au sodium relativement au combustible, puisque le même type de matière est utilisé, et au cycle.

L'une des préconisations de l'Académie nationale des sciences des États-Unis est d'appeler l'attention des porteurs de projets sur l'amont et sur l'aval du cycle. C'est ce que nous nous efforçons de faire.

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Je voudrais revenir à Astrid, tant vos propos divergent de ceux tenus par M. Bréchet et M. Verwaerde.

En réponse au questionnaire qui vous avait été soumis dans la perspective de votre audition par la commission des affaires économiques à l'occasion du renouvellement de votre mandat, en février 2022, vous aviez évoqué une concertation avec les industriels. Pourriez-vous préciser les interactions que vous avez eues avec les pouvoirs publics et les industriels ainsi que les étapes entre 2017 et 2019 du processus de réflexion et de décision qui ont conduit à ne pas enclencher la phase de construction du démonstrateur ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Avant avril 2018, date de ma prise de fonctions, ce sera compliqué.

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J'imagine que vous avez pris connaissance de ce qui s'était passé avant votre arrivée ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Ce que je peux faire, c'est vous lire un extrait de la lettre rédigée en octobre 2017 par mon prédécesseur, lettre que le président Schellenberger évoquait tout à l'heure. Vous constaterez que nos propos ne sont pas si divergents que cela.

« Dans les faits, en 2017, le contexte autour de ce projet a profondément évolué […] Le déploiement massif de cette technologie n'est plus envisagé par l'industriel qu'à l'horizon 2100. »

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M. Verwaerde nous a déjà lu cette lettre lors de son audition mais il a déclaré qu'il s'agissait d'une intériorisation de la contrainte, parce qu'il avait compris que le démonstrateur n'allait pas être réalisé. Vos propos sont donc bien divergents.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Je ne sais pas sonder les reins et les cœurs, monsieur le rapporteur ; je me contente de lire une phrase extraite d'un document et de constater une similitude avec ce que j'ai dit.

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Lorsque vous prenez vos fonctions, j'imagine que vous avez un échange approfondi avec votre prédécesseur et que vous lui demandez quel est le contexte et quels sont les projets qui lui paraissent importants. Que vous dit-il au sujet d'Astrid ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Il m'explique que la situation est compliquée et que je vais avoir à me pencher sur le devenir d'Astrid. Il me semble légitime, quand on passe le témoin, d'informer son successeur des difficultés qui l'attendent.

À partir d'avril 2018, je me suis donc penché sur la question, ainsi que sur celle du devenir du projet de réacteur Jules-Horowitz. Nous avons mené une concertation avec les partenaires industriels et nous nous sommes accordés en octobre 2018 sur la proposition consistant à aller vers le multirecyclage en REP, ce que nous avons rapporté à l'État, et l'État, à la suite de cette convergence des points de vue des acteurs de la filière, a confirmé la proposition de ne pas réaliser le démonstrateur.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Je ne saurais vous donner une date précise, mais avant la fin de l'année 2018. La décision a été transcrite dans la programmation pluriannuelle de l'énergie qui a suivi.

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La décision prise in fine par les pouvoirs publics découlait donc d'une position établie de manière consensuelle par les industriels – dont vous allez préciser l'identité – et vous ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Absolument. Je veux prendre ma pleine et entière responsabilité en la matière : après analyse du dossier, c'est la conviction que je me suis faite et c'est ce que j'ai proposé. Je l'assume totalement. C'est une position technique, raisonnée, qui est peut-être erronée et qu'on peut contester, mais il ne s'agit pas de l'intériorisation d'une contrainte. Je n'ai pas coutume de procéder ainsi – ce qui me vaut parfois certains surnoms.

Les industriels présents autour de la table étaient EDF, Orano et Framatome. Le document issu de nos discussions a recueilli l'accord des quatre acteurs.

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Dans la lettre que vous mentionnez, votre prédécesseur affirme qu'une adaptation est nécessaire – M. Verwaerde est un peu revenu sur ces propos au cours de son audition, estimant qu'il avait présenté une option réaliste. Il propose ensuite un programme de simulation pour les RNR, mais qui n'est pas de l'ordre du démonstrateur. Ce programme comprendrait trois piliers : « un programme de physique des réacteurs destiné à améliorer notre connaissance des équations qui régissent le fonctionnement des réacteurs et des procédés du cycle du combustible » ; « un programme de simulation numérique pour disposer des logiciels validés et certifiés permettant d'appréhender à nouveau par le calcul les évolutions, la question du fonctionnement en conditions normales […] » ; « un programme de validation expérimentale qui reposerait sur des plateformes permettant de faire des expériences, des mesures indispensables à la certification de ces codes et à la validation de ces équations ». Ce que vous êtes en train de faire, est-ce l'application de ce programme, éventuellement adapté, amendé ou modifié, ou s'agit-il d'autre chose ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Ce programme correspond tout simplement au modèle de fonctionnement de la direction des applications militaires à partir du moment où nous n'avons plus réalisé d'essais nucléaires. Il s'agit de comprendre les mécanismes physiques et chimiques en jeu, de les traduire dans des codes, par le moyen d'une modélisation, puis de construire des objets de validation expérimentale, comme le laser mégajoule à Bordeaux. Ce modèle est extrêmement efficace et pertinent au regard de ce que l'on souhaite faire dans le programme de dissuasion nucléaire, en raison de la contrainte que représente l'absence d'essais. En revanche, je ne suis pas sûr qu'on adopterait une démarche expérimentale de ce type dans le nucléaire civil, puisqu'on sait qu'on fabriquera un jour un réacteur et que certaines possibilités expérimentales nous sont offertes.

Cela étant, comprendre les mécanismes physiques et chimiques et les traduire dans des codes, c'est ce que font les équipes de la direction des énergies tous les jours ! C'est la base de la physique moderne : avoir une compréhension phénoménologique, concevoir des modèles, transposer les mécanismes étudiés dans des outils numériques qui permettront d'être encore plus efficace dans l'exploration des choses. Pour cela, il faut faire des mesures et acquérir des paramètres. On peut le faire soit à petite échelle, en laboratoire, soit à grande échelle, et les paramètres seront plus ou moins représentatifs selon le phénomène à mesurer. Cela me semble donc un excellent programme scientifique.

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J'imagine néanmoins que la proposition de votre prédécesseur portait non pas sur le travail de recherche quotidien mais sur le nucléaire du futur et la quatrième génération de réacteurs…

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Il s'agit d'une méthode scientifique qui peut s'appliquer à beaucoup d'objets… Cela étant, vous avez raison, le troisième pilier – qu'il conviendrait au demeurant de préciser –, nous ne l'avons pas appliqué à la lettre, ce qui ne nous empêche pas d'effectuer des mesures et d'acquérir des données. Néanmoins, la méthode scientifique applicable à un réacteur à neutrons rapides ne diffère pas de celle utilisée pour un réacteur classique.

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Récapitulons, car je ne suis pas sûr de bien comprendre. Si l'on veut faire fonctionner un réacteur de quatrième génération, il faut résoudre les problèmes liés notamment au cycle du combustible et travailler ensuite sur le design du réacteur. Ce que vous dites, c'est que la méthode qui est proposée pour ce faire est celle qui est généralement utilisée pour la recherche nucléaire et que le CEA continue évidemment à y recourir. Mais l'appliquez-vous, entièrement ou pour partie, au champ de recherche visé par la lettre, et dans le cas contraire, pourquoi ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Le premier pilier, connaissance, socle de base, compréhension des phénomènes, nous l'appliquons – même si la question de l'ampleur et de l'intensité peut toujours se poser. La simulation, nous la pratiquons aussi. J'ajoute que nous travaillons sur quelque chose qui n'est pas dans la lettre, à savoir les développements technologiques. Certaines technologies pourraient en effet être utiles pour la réalisation de tels réacteurs. Nous acquérons des données, en France ou à l'étranger, et nous les exploitons. En revanche, il est vrai que nous ne disposons pas pour l'heure de démonstrateur, c'est-à-dire d'un petit réacteur expérimental de 100 mégawatts. C'est le seul point qui n'est pas conforme à la lettre.

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Et l'absence de démonstrateur, pour les raisons que vous avez indiquées, ne permet pas d'aller plus loin dans l'expérimentation fonctionnelle des réacteurs de quatrième génération ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Ce n'est pas ce que je dis. Ce que je dis, c'est que si l'on doit aller vers le déploiement à grande échelle d'un programme industriel de construction de réacteurs de grande puissance, il faudra passer par l'étape du prototype, dans une forme qui reste à définir – car bien savant est qui sait dire quelle technologie industrielle sera déployée dans soixante-dix ans.

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Lors de son audition, M. Bréchet a déclaré que, pour des raisons scientifiques qu'il ne nous a pas données et que j'aurais de toute façon été incapable de comprendre, le multirecyclage en REP ne permettait pas d'obtenir les mêmes résultats qu'un réacteur à neutrons rapides, ce qui me semble d'ailleurs logique, puisqu'un réacteur à neutrons rapides absorbe l'intégralité de ce qui est qualifié comme déchet et de l'uranium appauvri. Le confirmez-vous ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Tout à fait. C'est d'ailleurs ce que j'ai essayé d'expliquer. Je suis désolé s'il y avait la moindre ambiguïté dans mes propos.

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Dans ces conditions, je ne comprends pas que la question du coût intervienne aussi en amont et soit la seule justification donnée à la décision de ne pas construire un réacteur expérimental. Le CEA assume une mission de recherche de pointe, nous donnant la capacité de nous projeter du point de vue de la souveraineté technologique et du développement des connaissances. Pourquoi, à ce stade de la recherche, mettre en avant un argument de rentabilité économique à travers un coût de l'électricité potentiellement plus élevé ? N'est-ce pas précisément une intériorisation de la contrainte ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Je vais préciser mon propos.

La question du coût n'a pas trait au démonstrateur. C'est de la filière qu'il s'agit. Alors que celle-ci n'est pas en situation de produire les effets que l'on attend d'elle concernant le cycle, faut-il la développer dès maintenant, sachant que l'électricité qu'elle produira aura un coût supérieur à celle produite dans des réacteurs qui fonctionnent actuellement dans de bonnes conditions ? Il n'appartient pas au CEA de trancher cette question, mais je pense qu'il vaut mieux y réfléchir à deux fois avant d'y répondre par l'affirmative.

Dès lors que ce n'est pas le cas et que l'horizon industriel est ainsi défini, est-il rationnel de construire dès maintenant le prototype d'une génération de réacteurs qui ne sera déployée que dans soixante-dix ans ? Il ne s'agit pas uniquement de coût : c'est une question de rationalité technique.

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Cela illustre en définitive la double nature du CEA, à la fois acteur de la recherche de pointe et acteur industriel.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Absolument. Je vais en prendre une illustration hors du domaine nucléaire, dans un secteur également très stratégique, celui de la microélectronique – car le jour où il n'y aura plus de puces ni de transistors disponibles en provenance de Taïwan, il faudra bien régler le problème ; il n'y a qu'à voir ce qui s'est passé dans le secteur automobile. Pendant des années, le CEA a accompagné un industriel, STMicroelectronics : notre travail était rythmé par ce que cet industriel considérait comme possible et viable en matière de déploiement de nouvelles puces. Nous avons franchi cet été une nouvelle étape : le CEA vient de se voir confier dans le cadre de France 2030 un projet pour dessiner une filière dont l'industriel ne sait pas encore s'il la déploiera. Voilà notre travail : faire en sorte d'avoir un coup d'avance en organisant le dialogue entre la recherche et l'industrie, de manière rationnelle et en assurant une continuité entre les deux. Nous devons veiller à la bonne articulation entre les besoins des citoyens, ceux de l'industrie et ceux de la réindustrialisation en France. C'est là toute la noblesse de la tâche du CEA – et aussi sa difficulté.

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Dans tous les scénarios proposés par RTE, il est question d'un besoin très important d'évolutions technologiques et d'investissements dans le réseau et sa flexibilité. Qu'en pensez-vous, de votre double point de vue de scientifique et d'administrateur général du CEA ? En particulier, les scénarios les plus portés vers les énergies renouvelables vous paraissent-ils scientifiquement réalistes et faisables du point de vue technico-industriel ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Je m'exprimerai sur ce point à titre strictement personnel, car je ne suis pas sûr que le CEA ait vocation à être l'arbitre des élégances.

Quand on examine les six scénarios proposés par RTE, il me semble nécessaire de faire preuve d'un certain pragmatisme et de considérer ce qui est socialement faisable, notamment pour ce qui concerne les coûts et les délais. Or il est clair que le scénario tout renouvelable soulève des difficultés considérables – par ailleurs bien identifiées. Je ne dis pas qu'il est impossible à mettre en œuvre mais je pense qu'eu égard à nos connaissances et nos possibilités technologiques actuelles, cela impliquera des investissements et des coûts qu'il n'est pas certain que la société puisse se permettre.

À l'autre extrême, le scénario qui consiste à tout électrifier et à ne construire que des réacteurs nucléaires me semble présenter autant de difficultés techniques. Il néglige notamment, dans le format envisagé, des questions comme celle de la production et de la récupération de chaleur.

Il me semble donc qu'une combinaison astucieuse des formes d'énergie s'impose. D'ailleurs, si nous voulons respecter les échéances de 2030 et 2050, nous n'avons pas le choix.

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Je voudrais revenir sur les SMR. Certains s'interrogent sur leur pertinence, estimant qu'ils risquent de combiner les deux inconvénients, à savoir, d'une part, le coût et les difficultés attenantes à la filière nucléaire, d'autre part, une forme de dispersion de la production. Qu'en pensez-vous – éventuellement en établissant une distinction, comme vous l'avez fait dans le cadre de votre audition par la commission des affaires économiques le 17 février, ente SMR électrogènes et SMR non-électrogènes ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

À la différence de certains, je ne suis pas pétri de certitudes ; et quand il y a des incertitudes, j'en fais part.

Ma position sur les SMR n'a pas beaucoup varié depuis 2018 – et il me semble que les évolutions en cours ne me donnent pas forcément tort. Je pense que c'est une voie qui vaut la peine d'être explorée, pour les raisons que j'ai indiquées concernant le réseau et le couplage avec d'autres usages industriels et la production de chaleur. Cette voie dispose en outre de deux autres atouts qui ne sont pas négligeables. Le premier concerne la sûreté : en cas de difficulté sur un petit REP de 300 mégawatts de puissance, vous disposez d'un certain nombre de jours pour agir – c'est ce qu'on appelle un cœur « pardonnant » –, contrairement à un réacteur de grande puissance, qui risque de vous amener assez rapidement à une situation du type Fukushima. Deuxième atout : pour fabriquer un petit réacteur modulaire, on peut recourir à un procédé industriel en usine et faire les assemblages sur place, au lieu d'engager de gros chantiers. C'est plus simple.

D'un autre côté, a priori, plus le réacteur est gros, plus il produit, plus l'investissement est rentable et moins le coût de l'électricité est élevé.

Il faut donc faire preuve d'un peu de nuance sur la question. Aujourd'hui, clairement, on ne sait pas ce que ça va donner – le rapport de l'Académie nationale des sciences des États-Unis, mandatée par le Congrès, ne dit pas autre chose. Ce n'est pas une question de faisabilité technique : un petit REP du genre Nuward, on sait faire – c'est ce que l'on trouve dans les sous-marins et c'est d'ailleurs ainsi que la filière a commencé aux États-Unis. En revanche, on ne sait pas si l'on réussira à produire de l'électricité à un coût d'environ 80 euros par mégawattheure, ce qui est notre cible. De ce point de vue, rien n'est sûr.

Cela risque-t-il de poser des problèmes par rapport au réseau et à la dispersion de la production ? Oui, bien entendu. De petits réacteurs répartis sur le territoire n'ont de sens que s'ils ne sont pas construits sur des sites nucléaires existants. D'où de nouvelles implantations. D'où des difficultés potentielles. Prétendre le contraire reviendrait à nier l'évidence.

Personne n'aime avoir une installation industrielle à côté de chez soi. Il existe d'ailleurs aussi une certaine réticence concernant les lignes à haute tension. Le débat public sur le projet de ligne à très haute tension reliant le Cotentin au Maine avait mis au jour, à son époque, une certaine inquiétude. Imaginons que demain, nous nous engagions dans la voie de l'hydrogène, pour stocker de l'énergie intermittente, pour décarboner les transports lourds ou pour des usages industriels. Dans ce cas, le couplage d'un petit réacteur modulaire et d'une batterie d'électrolyseurs serait une solution plus efficace sur le plan industriel et plus intéressante du point de vue de la continuité de fonctionnement qu'un réseau centralisé de grande puissance. C'est pourquoi, un peu partout dans le monde, des acteurs privés misent sur les SMR. Par exemple, Dow Chemical, aux États-Unis, a lancé un appel à manifestation d'intérêt pour la construction d'un petit réacteur nucléaire dans un de ses sites industriels.

Il y a donc des besoins et des usages potentiels, mais aussi des difficultés. Néanmoins, vu le prix du mégawattheure sur les marchés de l'électricité, on peut estimer que des industriels, dans une logique de décarbonation, accepteraient un prix plus élevé que la cible de 80 euros par mégawatt – mais ne spéculons pas. Bref, je ne considère pas les SMR comme la panacée mais je pense que cette solution mérite d'être considérée.

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En mai 2007, vous êtes nommé conseiller pour l'industrie, la recherche et l'énergie au cabinet du Premier ministre, François Fillon, et, en août 2008, conseiller pour le développement durable, la recherche et l'industrie. Quand vous accédez à ces fonctions, dans quel état de réflexion trouvez-vous la filière nucléaire et l'ensemble du système énergétique ? Sur quels points alertez-vous le Premier ministre ? Quelque temps auparavant avait été décidée la construction d'un seul EPR, et non d'une paire. Alertez-vous le Premier ministre sur ce point, et si ce n'est pas le cas, pourquoi ? Si vous l'avez fait, quel retour avez-vous de la part des autorités ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Tout cela est bien ancien… Il faudrait que je consulte mes archives – d'ailleurs, elles ont été versées aux Archives nationales, il suffit d'aller vérifier. Je n'ai pas le souvenir d'avoir émis d'alerte. Peut-être l'ai-je fait, mais je préfère vous dire le contraire et ne pas jouer les Cassandre qui auraient prédit des choses…

Je me souviens en revanche que la période 2005-2007 – avant d'être au cabinet, j'étais directeur de la demande et des marchés énergétiques et je m'occupais des prix, des tarifs, des énergies renouvelables, de la maîtrise de l'énergie, des entreprises électriques et gazières… – était une époque de grande euphorie. C'était le redémarrage du nucléaire, on pensait qu'on allait faire des dizaines d'EPR, un peu partout. J'ai entendu des dirigeants dire : « Qu'ils se pressent, il n'y en aura pas pour tout le monde » – ils faisaient allusion aux capacités de construction. La phrase m'a marqué.

Du coup, on ne se posait pas vraiment la question de savoir s'il fallait construire un ou deux EPR ; on pensait qu'il y en aurait rapidement d'autres et que l'important était de prouver la faisabilité du projet. Il fallait amorcer la pompe.

Tout cela se passait avant Fukushima. Chronologiquement, il y a un avant et un après Fukushima. Ce n'est pas un hasard si l'on a décidé de lancer le projet Astrid à cette époque-là : on craignait de manquer à relativement court terme d'uranium. Ce n'est pas ce qui s'est passé. Avec le recul, cela rend modeste.

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Merci, monsieur Jacq, pour vos explications concernant le dossier Astrid, qui est, à mon avis, quelque peu empoisonné. Ce que je retiens de vos propos, c'est que ni la pertinence des RNR ni l'objectif de fermeture du cycle ne sont en cause ; les enjeux portent plutôt sur la maturation des processus, notamment de production du plutonium – qui est par ailleurs très contrôlée.

Vous avez parlé des réacteurs à sels fondus ; d'aucuns évoquent des réacteurs fonctionnant au thorium. La France sera-t-elle capable de conserver son avance en matière de développement technologique dans les décennies à venir ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

L'élément clé, c'est le socle de compétences que le CEA offre à l'industrie, qui n'a pas d'utilité directe mais dans lequel celle-ci peut venir puiser en cas de besoin. Quand on rencontre une difficulté dans l'exploitation du parc actuel, qu'on veut par exemple comprendre le fonctionnement du flux neutronique à Taishan, on est content de trouver le CEA. Cela suppose que cette capacité d'expertise soit entretenue. On pense qu'elle est naturelle mais elle demande des moyens, de la part non seulement de l'État mais aussi des industriels. Si elle devait faire défaut, on se trouverait confronté à des problèmes. Si j'avais une inquiétude à exprimer, ce serait celle-là.

J'en viens plus directement à votre question. Maintenir notre compétence technologique et notre capacité d'innovation, c'est ce à quoi nous nous efforçons. Il me semble que nous y avons réussi, au moins en partie. Nos homologues américains, par exemple, sont demandeurs de travailler avec nous, notamment sur les neutrons rapides et sur les sels fondus. Cette compétence, il faut l'entretenir. Le CEA doit conserver sa capacité à fédérer la communauté scientifique française. Pour prendre l'exemple des sels fondus, certains chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) s'intéressent de longue date à ces questions. Avec le président du CNRS, Antoine Petit, nous sommes convenus que si le CEA devait être l'organisme de référence en la matière, il devait aussi jouer le rôle de locomotive et travailler avec l'ensemble de la communauté scientifique. Voilà la politique que nous devons mener.

Le maintien du socle, auquel on a consacré beaucoup de moyens et d'énergie, nous fournit les compétences et l'expertise. Des projets innovants, comme ceux portant sur les SMR et les AMR, montrent que nous savons emprunter d'autres chemins que la voie classique et sont susceptibles d'attirer les jeunes. Dès lors qu'on nous donne les moyens raisonnés de poursuivre dans cette direction, nous devrions avoir la capacité de rester parmi les premiers mondiaux.

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On a passé beaucoup de temps à parler du mythe du cycle fermé et des réacteurs à neutrons rapides. Je n'ai pas bien compris, à travers vos propos, s'il y avait une issue possible. Des projets ont été engagés, des recherches ont été menées et se poursuivent, mais l'avenir semble plutôt incertain. Vous dites qu'il ne serait pas rationnel de construire des réacteurs tant qu'on n'a pas avancé sur la question du cycle. Ma question porte sur un aspect connexe, les déchets.

On met en avant, s'agissant de la filière nucléaire, un taux assez élevé de recyclage de déchets. Or il s'agit en réalité d'un entreposage, dans l'attente d'une amélioration du cycle. En raison des échecs et des abandons successifs de projets de réacteurs à neutrons rapides, ainsi que du risque associé au MOX, plus dangereux qu'un combustible fabriqué à partir de matière non recyclée, va-t-on requalifier en déchet le combustible usé actuellement stocké dans l'attente d'une éventuelle réutilisation ?

Vu le taux de remplissage alarmant des piscines de La Hague, quels autres modes de stockage du combustible usé – qui est donc en réalité un déchet – le CEA préconise-t-il ?

Vous avez dit que nous n'avions pas besoin des Russes, y compris pour ce qui concerne la fourniture de la matière première, l'uranium. Dans ce cas, pouvez-vous nous expliquer pourquoi nous avons passé des contrats avec Rosatom ? Maîtrisons-nous vraiment l'ensemble du cycle ? Il me semble que si nous disposons de sites industriels en France, il nous manque des capacités de traitement.

Lors de son audition, M. Jancovici nous a expliqué que l'uranium fissile, l'uranium 235, ne représentait que 0,7 % de l'uranium naturel, et que l'on ne savait pas encore utiliser l'uranium 238. Lorsque vous dites que l'on dispose d'assez de ressources en uranium pour tenir plus d'un siècle, de quel type d'uranium parlez-vous ?

Vous avez été, monsieur Jacq, directeur général de l'Andra de 2000 à 2005 et vous, monsieur Stohr, directeur général adjoint et directeur des projets de cette même agence durant la même période. Sur quels fondements scientifiques peut-on garantir l'imperméabilité d'un site pour 100 000 ans ?

Des sites d'enfouissement profond, comme le WIPP – Waste Isolation Pilot Plant – aux États-Unis, co-exploité par Orano, ont provoqué une contamination humaine et environnementale en surface. Comment pouvez-vous garantir que de tels accidents ne se produiront pas ? Pourquoi la piste du stockage en subsurface des déchets nucléaires, prévue par la loi de 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, n'est-elle pas explorée ?

Vous avez dit que la SFEN avait salué votre travail sur le projet Astrid. M. Stohr étant par ailleurs le président de la SFEN, n'est-on pas un peu dans l'autocongratulation ? J'ai reçu nombre de documents de la part de cette société, comportant des affirmations pour le moins discutables. J'aimerais, monsieur Stohr, savoir comment la SFEN est financée, et quelle est sa gouvernance ; malgré mes recherches, je n'ai trouvé aucune information publique sur le sujet. Il est dit dans un de ces documents que la filière du nucléaire génère des emplois hautement qualifiés, qu'entre 2015 et 2018, 30 000 recrutements avaient été effectués et que 20 000 sont attendus pour la période 2020-2023, que « le parc nucléaire constitue une filière toujours modernisée » et que le grand carénage représente un investissement de 50 milliards d'euros entre 2015 et 2024. Dans ces conditions, peut-on sérieusement prétendre que les défaillances actuelles du parc nucléaire sont le fruit de décisions publiques qui auraient affaibli le nucléaire ? Qui dit vrai ? Combien de milliards supplémentaires faudrait-il investir pour que nos centrales nucléaires puissent fonctionner ? Il est dit aussi que la France maîtrise totalement la construction des centrales neuves et qu'elle doit en construire d'autres d'ici à 2040. Dans ces conditions, comment expliquer Flamanville et Olkiluoto ?

Il semble assez problématique, du point de vue de l'utilisation de l'argent public comme du point de vue technologique, de se projeter dans la construction de nouveaux réacteurs vu les incertitudes actuelles concernant la matière première, le recyclage des déchets, la technologie utilisée et le prolongement de la durée de vie des réacteurs en fonctionnement.

Pour conclure...

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On vous demande non de conclure mais de poser des questions.

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Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le président, j'ai patiemment écouté vos échanges avec nos invités et le questionnaire que vous leur avez adressé ne nous a pas été transmis. Pour ce qui nous concerne, nous ne pouvons pas leur envoyer des questions écrites préalables.

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Si vous voulez discuter du fonctionnement de la commission, ce sera à l'occasion d'une réunion du bureau. Ce n'est pas la première fois que je vous fais remarquer que vous posez des questions trop longues et complexes et que vous profitez de l'occasion pour formuler votre propre conception des choses, au lieu d'interroger les personnes que nous auditionnons. Pour l'heure, je me montre tolérant, mais si cela continue, je serai obligé de limiter à une minute par orateur la durée impartie aux questions. Je préférerais que l'on pose des questions courtes, quitte à ce qu'on fasse un deuxième tour de table s'il nous reste du temps. Concluez donc, je vous prie.

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J'aurai en effet des remarques à formuler concernant le fonctionnement de la commission lors de la réunion du bureau.

Vous avez, monsieur Jacq, monsieur Stohr, occupé successivement divers postes au sein de la filière nucléaire. Quand on examine le fonctionnement de celle-ci, on a parfois l'impression qu'il existe une collusion entre intérêts privés et intérêts publics, qui risque sinon d'obérer, ou du moins de questionner les choix stratégiques en matière d'énergie, de sécurité et d'approvisionnement énergétique de la France.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Madame la députée, je suis fonctionnaire et je n'ai jamais été que fonctionnaire. Je n'en rougis pas. J'ai exercé la direction de plusieurs établissements publics, dont Météo-France et l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Il me semble que cela me donne une certaine diversité de points de vue. Mon parcours ne se résume pas au seul nucléaire et ne me paraît pas exactement en collusion avec les grands intérêts privés. Pardonnez-moi si je réagis un peu rudement lorsque mon intégrité est mise en cause.

Je n'ai pas parlé du « mythe » du cycle fermé ; j'ai dit que le cycle fermé était l'objectif et que pour l'atteindre, il y avait un certain nombre de prérequis et qu'il fallait procéder de manière progressive, rationnelle et cohérente. Je pense avoir été clair concernant les réacteurs : il y a les réacteurs actuels, puis l'étape intermédiaire du multirecyclage en REP, même si d'aucuns n'en pensent pas forcément du bien, puis l'orientation vers les RNR ; on pourrait éventuellement en arriver ensuite aux réacteurs à sels fondus.

S'agissant de l'uranium, ce que j'ai dit est parfaitement cohérent avec les propos de Jean-Marc Jancovici : il est bien évident que dans les calculs, on prend en considération la part d'uranium 235 présente dans une tonne d'uranium naturel.

La dépendance envers la Russie n'est que potentielle. Pour l'essentiel, les Russes enrichissent l'uranium, tout comme le font Orano ou Urenco, qui est une entreprise européenne. En outre, pour des raisons historiques, un certain nombre de pays d'Europe de l'Est possèdent des réacteurs de modèle russe utilisant du combustible jusqu'à présent fabriqué en Russie. Nous essayons néanmoins de nous affranchir de cette dernière dépendance : un partenariat a ainsi été conclu avec la Tchéquie pour substituer, dans les réacteurs tchèques, des combustibles fabriqués par Westinghouse ou par Framatome aux combustibles russes. Il existe donc une dépendance, mais elle est en cours de réduction et ne concerne pas au premier chef la France – en tout cas sur aucun point véritablement critique. Et si nous avons pu conclure par le passé des partenariats scientifiques avec la Russie, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, l'invasion de l'Ukraine a tout changé.

S'agissant des déchets, il faut bien s'entendre sur les termes. Les « matières nucléaires », comme le plutonium et l'uranium, sont potentiellement réutilisables : cela a été démontré. Des réacteurs à neutrons rapides, on sait en fabriquer : il en a existé en France et ils ont fonctionné ; ils avaient pour noms Rapsodie, Phénix, SuperPhénix. La question est de savoir à quel moment développer la filière. C'est pourquoi j'insiste tant sur le cycle.

Cela ayant été rappelé, d'un point de vue factuel, la réaction nucléaire aboutit à des produits de fission, comme le césium et l'iode. Ces produits de fission sont, pour le coup, des déchets ultimes : à ce jour, on ne sait pas quoi en faire. Le nucléaire produit donc des déchets – comme tout processus industriel – et ces déchets, il faut les traiter ; mais cela ne signifie pas que les matières nucléaires ne sont pas réutilisables.

J'assume complètement ce que j'ai fait entre 2000 et 2005 à la tête de l'Andra. Les recherches ont consisté à examiner de manière scientifique, au moyen de nombreuses simulations et modélisations et avec une acuité remarquable, comment se comporteraient des déchets placés dans une couche d'argile du callovo-oxfordien à Bure-Saudron et si, en cas de dégradation des déchets, les matières pourraient bouger. Cela nous a conduits à conclure en 2005 qu'un tel stockage était réalisable de manière sûre pour nos concitoyens. Cela ne signifie pas que nous garantissons qu'il n'y aura jamais d'accident ou de problème – un tel discours ne serait pas crédible : il n'existe pas, en la matière, de certitude absolue. En revanche, ayant procédé à des études et à des mesures, testé des situations réelles, envisagé y compris des scénarios accidentels ou d'évolution très dégradée, par exemple dans le cas où l'on extrairait lors d'un forage une carotte contenant de la matière nucléaire ou des déchets stockés, nous avons acquis la conviction ou du moins nous pouvons assurer de manière très raisonnable qu'il est possible de procéder à un stockage sûr. Les stockages en surface prouvent par ailleurs tout le sérieux, la crédibilité et le soin de la gestion de l'Andra.

Les événements que vous mentionnez sont des incidents liés à l'exploitation industrielle ; ils ne relèvent pas directement du principe du stockage. Des accidents de cette nature, Dieu sait qu'il y en a eu dans les mines de charbon, par exemple. Je ne sais pas si c'est ce à quoi vous faites référence, mais il y a eu au WIPP, le centre de stockage des déchets de moyenne activité aux États-Unis, un accident d'exploitation industrielle qui ne remet pas pour autant en cause le principe même du stockage et la manière dont les matières radioactives sont confinées.

La question de l'entreposage en subsurface a été, je le répète, étudiée dans le cadre de la loi Bataille de 1991. Le CEA – je n'y étais pas à l'époque – a produit un rapport explorant le troisième axe. Sa conclusion fut que, pour le coup, l'entreposage en subsurface posait dans la longue durée plus de problèmes que le stockage profond au regard des usages sociaux et de la protection des citoyens. Ces travaux ont été soumis au débat parlementaire et leurs conclusions reprises dans les orientations fixées en 2006. L'entreposage en subsurface a donc fait l'objet de quinze années d'études. La loi a bien été respectée.

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Philippe Stohr, directeur des énergies du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Ayant été interpellé sur ma carrière professionnelle, je me permettrai de la rappeler en guise d'introduction. J'ai commencé en tant que fonctionnaire, notamment à l'Andra. J'ai ensuite démissionné de la fonction publique et j'ai travaillé dans le secteur privé, notamment en Allemagne dans le secteur des énergies renouvelables, en particulier sur la biomasse et le biogaz, puis pour un groupe dans les pays nordiques – mon dernier poste fut d'y installer des éoliennes. Cela m'a donné un regard varié sur le nucléaire et les énergies renouvelables et j'ai acquis la conviction que nous aurions besoin de ces deux formes d'énergie pour atteindre notre objectif de mix énergétique pour 2050.

La SFEN est une société savante dont le financement est assuré par un certain nombre d'acteurs du monde nucléaire ainsi que par les cotisations de ses membres. La publication à laquelle vous faites référence visait à relater certains faits et à donner quelques chiffres relatifs à l'énergie nucléaire, concernant notamment le nombre d'emplois qualifiés et les programmes de modernisation dans l'industrie nucléaire. Quant à la question de la maîtrise des centrales, nous avons organisé des sessions techniques et des échanges avec les opérateurs : il revient à EDF de dire comment le retour d'expérience a été intégré afin de sécuriser au mieux le programme de nouveaux réacteurs EPR2 dans lequel la France s'engage.

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Vous n'avez pas répondu à toutes mes questions.

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Le comité de l'énergie atomique a-t-il été réuni depuis que vous administrez le CEA, monsieur Jacq ? Dans l'affirmative, quand cette réunion a-t-elle eu lieu et par qui était-elle présidée ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Il a été réuni en mai 2019 sous la présidence du Premier ministre Édouard Philippe.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Il a été réuni en octobre 2018 sous la présidence d'Emmanuel Macron.

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Quel est votre point de vue sur la fonction de haut-commissaire à l'énergie atomique ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Mon point de vue personnel est connu. Je l'ai développé à diverses occasions. Je pense que la structure bicéphale prévue par les textes n'est plus tout à fait en adéquation avec le monde contemporain.

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Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le réacteur Jules-Horowitz ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Ce projet est un exemple-type des difficultés considérables que l'on peut rencontrer. Il a été conçu à la fin des années 1990 et lancé officiellement en 2005. Il est toujours en cours. Le réacteur devrait être achevé à la fin de cette décennie ou au début de la suivante.

Il s'agit d'un réacteur d'irradiation des matériaux, qui est de mon point de vue absolument indispensable à la filière. Les difficultés rencontrées sont liées à une conception extrêmement ambitieuse et complexe ; on a voulu un réacteur capable de produire à la fois des neutrons thermiques et des neutrons rapides. Le projet a pâti de certaines lacunes dans la conception du réacteur et dans la mise en œuvre de la filière ainsi que du renoncement de plusieurs partenaires industriels. Il a été repris en main depuis 2019 par une équipe dont je salue la compétence et l'expérience et qui comprend non seulement des membres du CEA mais aussi des personnels de Framatome et de TechnicAtome, dont certains ont travaillé sur les chantiers de Taishan et d'Olkiluoto et ont bénéficié du retour d'expérience d'autres chantiers de la filière. On est sur la voie d'un apurement.

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Il existe en Russie et en Chine des projets de réacteurs à neutrons rapides. Comment l'expliquez-vous ?

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

En Russie, il existe non seulement des projets mais aussi des réacteurs à neutrons rapides en fonctionnement, les BN-600. En revanche, il n'y a pas de déploiement industriel de la filière. J'en veux pour preuve que cela fait cinq ans que Rosatom ne cesse de reporter la construction d'un réacteur BN-1200. Avant la crise, les Russes souhaitaient notre contribution pour assurer la faisabilité d'un éventuel réacteur. Sur ce plan, leur politique n'est pas très claire, bien que la Russie dispose d'une certaine expérience dans le domaine des RNR. Alors que nous avons arrêté Phénix et SuperPhénix, cette histoire se poursuit pour elle.

Quant à la Chine, il lui faut au moins un exemplaire de tout ce qui est susceptible d'exister : c'est la même chose dans tous les domaines. Elle a même le projet de dépasser Iter, le réacteur thermonucléaire expérimental international, alors que ce dernier n'a pas encore vu le jour ! En revanche, la Chine n'a pas, à ma connaissance, la volonté de déployer une filière industrielle de RNR.

Aucun de ces deux exemples ne me semble donc invalider mon raisonnement. Les dernières annonces des autorités chinoises portent sur d'ailleurs des réacteurs AP 1000, qu'elles siniseront peut-être, comme ce fut le cas pour les Hualong. De toute évidence, les besoins industriels de la Chine ne portent pas sur les RNR.

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Je me permets d'insister, certaines de mes questions n'ayant pas reçu de réponse.

Si j'ai évoqué l'audition de M. Jancovici, c'est parce que celui-ci s'inquiétait de l'épuisement de l'uranium 235 pour l'utilisation éventuelle d'autres réacteurs fonctionnant avec de l'uranium 238. D'où ma question.

D'autre part, les contrats avec Rosatom et les livraisons en provenance de la Russie que j'évoquais n'avaient pas trait à des partenariats scientifiques.

Enfin, serait-il possible de réduire un peu l'opacité qui entoure la SFEN ? Qui sont ses membres ? Quel est son budget ? Les parlementaires reçoivent des informations que vous prétendez factuelles ; il y aurait pourtant des vérités à rétablir. Il serait intéressant de savoir qui est derrière cette opération et comment elle est financée.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Je répète que quand je parle du stock d'uranium, je prends en considération le fait que cet uranium est composé d'uranium 235 et d'uranium 238 et que seul le premier est utilisable. Je pense que si M. Jancovici était présent, il ne me démentirait pas. Nous disons exactement la même chose, à savoir que le jour où l'on aura épuisé le stock d'uranium, il faudra fermer le cycle et avoir des réacteurs qui utilisent le reste.

Vous avez raison : une prestation russe concerne l'uranium de retraitement, c'est-à-dire un uranium issu du retraitement de la matière et qu'il faut réenrichir pour pouvoir l'utiliser, ce qui, pour des raisons historiques, est réalisé en Russie. C'est exactement ce que j'ai dit. J'ai même précisé qu'il ne s'agissait pas d'une technologie cruciale qu'on ne saurait pas, si on le souhaitait, maîtriser en France. Ce n'est donc pas un facteur de limitation de la souveraineté française.

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Philippe Stohr, directeur des énergies du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Je répète que le financement de la SFEN est assuré par les cotisations individuelles et par les sociétés de la filière nucléaire, à savoir le CEA, EDF, Framatome et Orano. Son budget est d'environ 2 millions d'euros. Je précise que nombre de sociétés savantes associent les acteurs de la filière concernée par leur activité. Il ne s'agit pas d'un cas singulier.

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François Jacq, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives

Quant aux cotisants individuels, il s'agit évidemment des individus qui jugent bon d'adhérer à la société savante et de payer leur cotisation.

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Réjouissons-nous que la liberté d'association existe encore en France ! Je vous remercie, messieurs, pour la précision de vos réponses et la technicité de nos échanges.

La séance s'achève à 21 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Antoine Armand, M. Francis Dubois, Mme Julie Laernoes, Mme Natalia Pouzyreff, M. Raphaël Schellenberger.

Excusée. – Mme Valérie Rabault.