Madame la députée, je suis fonctionnaire et je n'ai jamais été que fonctionnaire. Je n'en rougis pas. J'ai exercé la direction de plusieurs établissements publics, dont Météo-France et l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Il me semble que cela me donne une certaine diversité de points de vue. Mon parcours ne se résume pas au seul nucléaire et ne me paraît pas exactement en collusion avec les grands intérêts privés. Pardonnez-moi si je réagis un peu rudement lorsque mon intégrité est mise en cause.
Je n'ai pas parlé du « mythe » du cycle fermé ; j'ai dit que le cycle fermé était l'objectif et que pour l'atteindre, il y avait un certain nombre de prérequis et qu'il fallait procéder de manière progressive, rationnelle et cohérente. Je pense avoir été clair concernant les réacteurs : il y a les réacteurs actuels, puis l'étape intermédiaire du multirecyclage en REP, même si d'aucuns n'en pensent pas forcément du bien, puis l'orientation vers les RNR ; on pourrait éventuellement en arriver ensuite aux réacteurs à sels fondus.
S'agissant de l'uranium, ce que j'ai dit est parfaitement cohérent avec les propos de Jean-Marc Jancovici : il est bien évident que dans les calculs, on prend en considération la part d'uranium 235 présente dans une tonne d'uranium naturel.
La dépendance envers la Russie n'est que potentielle. Pour l'essentiel, les Russes enrichissent l'uranium, tout comme le font Orano ou Urenco, qui est une entreprise européenne. En outre, pour des raisons historiques, un certain nombre de pays d'Europe de l'Est possèdent des réacteurs de modèle russe utilisant du combustible jusqu'à présent fabriqué en Russie. Nous essayons néanmoins de nous affranchir de cette dernière dépendance : un partenariat a ainsi été conclu avec la Tchéquie pour substituer, dans les réacteurs tchèques, des combustibles fabriqués par Westinghouse ou par Framatome aux combustibles russes. Il existe donc une dépendance, mais elle est en cours de réduction et ne concerne pas au premier chef la France – en tout cas sur aucun point véritablement critique. Et si nous avons pu conclure par le passé des partenariats scientifiques avec la Russie, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, l'invasion de l'Ukraine a tout changé.
S'agissant des déchets, il faut bien s'entendre sur les termes. Les « matières nucléaires », comme le plutonium et l'uranium, sont potentiellement réutilisables : cela a été démontré. Des réacteurs à neutrons rapides, on sait en fabriquer : il en a existé en France et ils ont fonctionné ; ils avaient pour noms Rapsodie, Phénix, SuperPhénix. La question est de savoir à quel moment développer la filière. C'est pourquoi j'insiste tant sur le cycle.
Cela ayant été rappelé, d'un point de vue factuel, la réaction nucléaire aboutit à des produits de fission, comme le césium et l'iode. Ces produits de fission sont, pour le coup, des déchets ultimes : à ce jour, on ne sait pas quoi en faire. Le nucléaire produit donc des déchets – comme tout processus industriel – et ces déchets, il faut les traiter ; mais cela ne signifie pas que les matières nucléaires ne sont pas réutilisables.
J'assume complètement ce que j'ai fait entre 2000 et 2005 à la tête de l'Andra. Les recherches ont consisté à examiner de manière scientifique, au moyen de nombreuses simulations et modélisations et avec une acuité remarquable, comment se comporteraient des déchets placés dans une couche d'argile du callovo-oxfordien à Bure-Saudron et si, en cas de dégradation des déchets, les matières pourraient bouger. Cela nous a conduits à conclure en 2005 qu'un tel stockage était réalisable de manière sûre pour nos concitoyens. Cela ne signifie pas que nous garantissons qu'il n'y aura jamais d'accident ou de problème – un tel discours ne serait pas crédible : il n'existe pas, en la matière, de certitude absolue. En revanche, ayant procédé à des études et à des mesures, testé des situations réelles, envisagé y compris des scénarios accidentels ou d'évolution très dégradée, par exemple dans le cas où l'on extrairait lors d'un forage une carotte contenant de la matière nucléaire ou des déchets stockés, nous avons acquis la conviction ou du moins nous pouvons assurer de manière très raisonnable qu'il est possible de procéder à un stockage sûr. Les stockages en surface prouvent par ailleurs tout le sérieux, la crédibilité et le soin de la gestion de l'Andra.
Les événements que vous mentionnez sont des incidents liés à l'exploitation industrielle ; ils ne relèvent pas directement du principe du stockage. Des accidents de cette nature, Dieu sait qu'il y en a eu dans les mines de charbon, par exemple. Je ne sais pas si c'est ce à quoi vous faites référence, mais il y a eu au WIPP, le centre de stockage des déchets de moyenne activité aux États-Unis, un accident d'exploitation industrielle qui ne remet pas pour autant en cause le principe même du stockage et la manière dont les matières radioactives sont confinées.
La question de l'entreposage en subsurface a été, je le répète, étudiée dans le cadre de la loi Bataille de 1991. Le CEA – je n'y étais pas à l'époque – a produit un rapport explorant le troisième axe. Sa conclusion fut que, pour le coup, l'entreposage en subsurface posait dans la longue durée plus de problèmes que le stockage profond au regard des usages sociaux et de la protection des citoyens. Ces travaux ont été soumis au débat parlementaire et leurs conclusions reprises dans les orientations fixées en 2006. L'entreposage en subsurface a donc fait l'objet de quinze années d'études. La loi a bien été respectée.