On compte aujourd'hui quelque 450 réacteurs en fonctionnement dans le monde. Parmi eux, un certain nombre, vieillissants, vont fermer ; et tous les projets ne se réaliseront peut-être pas. On ne sait donc pas à combien s'élèvera la croissance nette du nombre de réacteurs. Il convient de rester prudent.
Quand bien même les 200 projets verraient rapidement le jour, on pourrait compter sur 90 années de fonctionnement – ce n'est pas moi qui le dis, c'est ce qui est écrit dans le Livre rouge de l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) et de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Une fois le minerai obtenu, il faut le transformer. La technologie est maîtrisée par Orano. Il faut la faire évoluer, mais cela ne pose pas de difficultés autres qu'industrielles.
L'étape suivante est celle de l'enrichissement. On possède aussi cette compétence en France, à l'usine Georges-Besse II, exploitée par Orano. Cela nous distingue des États-Unis, qui dépendent pour une grande part dans ce domaine de la Russie – ce qui explique qu'il n'y ait pas beaucoup de sanctions dans ce secteur.
On passe ensuite à la fabrication des combustibles. On peut faire appel à divers fabricants : EDF, par exemple, s'approvisionne tant chez Framatome que chez Westinghouse. Néanmoins, nous maîtrisons la technologie en France.
La question de la taxonomie européenne soulève celle du combustible ATF (Accident Tolerant Fuel), qui serait plus robuste en cas d'accident. Des recherches sont en cours. C'est un élément sur lequel nous travaillons pour préparer l'avenir, en liaison bien entendu avec les industriels.
J'en viens à l'aval du cycle. Il existe aujourd'hui deux voies. La première est celle du cycle ouvert, choisie, entre autres, par les États-Unis. L'autre, que nous avons retenue, est celle du recyclage, assuré en France par Orano à La Hague et dans l'usine Melox. On retraite le combustible UOX, à base d'uranium, pour séparer le plutonium et l'uranium de retraitement des produits de fission et des actinides mineurs, lesquels sont vitrifiés et traités comme des déchets. Le plutonium extrait est réutilisé dans un combustible appelé MOX, qui est fabriqué dans l'usine Melox et est utilisé, de manière optimale, dans les réacteurs du palier 900 du parc. Les combustibles MOX une fois utilisés ne pouvant être, à ce jour, retraités, ils sont ensuite entreposés. Le cycle est donc partiellement fermé.
Faut-il le fermer complètement ? Là encore, il faut savoir ce qu'on entend par là. Penser qu'un cycle fermé ne produirait pas de déchets est scientifiquement absurde – c'est un ancien gestionnaire de déchets qui le dit. En revanche, on pourrait essayer de retraiter le combustible MOX pour en récupérer la matière et utiliser celle-ci dans de nouveaux combustibles. La solution idéale consiste à utiliser des réacteurs à neutrons rapides (RNR), capables de mieux utiliser la matière, en particulier l'uranium appauvri, les isotopes fertiles de l'uranium et le plutonium : c'est ce qu'on a appelé des « surgénérateurs », comme Phénix et Superphénix. C'est l'horizon privilégié à ce jour par la politique nucléaire française.
Fermer le cycle permet en effet de réduire la dépendance aux importations d'uranium et de développer une forme de recyclage, même si chaque cycle produit une certaine quantité de déchets de nature à être stockés en profondeur.
Cela pose néanmoins un certain nombre de problèmes. Il faudra, d'une part, disposer de réacteurs à neutrons rapides, d'autre part, avoir la capacité d'assurer le fonctionnement du cycle, car cela suppose de manipuler dix fois plus de plutonium qu'aujourd'hui et les matières réutilisées présenteront des défauts ou des impuretés radiologiques qui empêcheront la production du combustible en boîtes à gants, comme c'est le cas à Melox ; il faudra utiliser des chaînes blindées. Toutes ces installations, à ce jour, n'existent pas.
J'y insiste parce que si l'on parle beaucoup des réacteurs, on ne parle jamais du cycle, ce qui n'est guère cohérent puisque si l'on veut fabriquer de tels réacteurs, c'est pour fermer le cycle. D'ailleurs, dans un rapport qu'elle vient de publier à la demande du Congrès, l'Académie nationale des sciences des États-Unis fait exactement la même remarque.
Cela m'amène à la politique que nous menons depuis 2018. Nous disposions en France d'une grande compétence en matière de réacteurs à neutrons rapides, grâce à Rapsodie, Phénix et Superphénix. À la fin des années 2000 a été lancé le projet Astrid, dont l'objectif était de livrer, non pas un réacteur, mais un avant-projet afin de décider si l'on réalisait ou non un prototype de RNR d'une puissance de 600 mégawatts qui se serait inscrit dans la logique de fermeture du cycle. L'avant-projet a été mené à son terme et les données techniques ont été produites. En 2018-2019, on a considéré, sur cette base, qu'il n'était pas pertinent de se lancer immédiatement dans la construction d'un prototype.
Pourquoi ? Tant que nous avons de la matière nucléaire, il n'y a aucune urgence à se doter de réacteurs à neutrons rapides, car il n'est pas prouvé, à ce jour, qu'ils permettront de produire de l'électricité à un coût inférieur ; au contraire : comme l'investissement est de 50 % supérieur, l'électricité sera plus chère. Or les stocks d'uranium sont suffisants pour permettre le lancement, la poursuite ou la relance de programmes de construction de réacteurs classiques d'une durée de vie de soixante à quatre-vingts ans, ce qui nous mène à la fin du siècle – je vous renvoie aux divers rapports produits à travers le monde sur le sujet. Bref, à l'heure actuelle, la rentabilité économique de la filière à neutrons rapides n'est pas assurée, surtout dans le format indiqué de 600 MW. En outre, les recherches menées entre 2009 et 2018 ont très majoritairement porté sur le réacteur, et non sur le cycle. Cette question n'a pas été travaillée.
Du coup, une autre stratégie a été proposée pour atteindre l'horizon d'une fermeture du cycle : elle consiste à avancer pas à pas. Commençons par essayer de retraiter le combustible MOX et de recycler la matière extraite dans les réacteurs à eau pressurisée (REP) actuels – ce que l'on appelle le multirecyclage en REP. Cela nous apprendra beaucoup de choses sur le cycle, qui est le point faible du programme. Nous pourrons ensuite passer au cycle fermé avec des réacteurs à neutrons rapides.
On rejoint là la question du « nouveau nucléaire » évoquée par le président Schellenberger. Une partie du programme porte en effet sur la conception de réacteurs nucléaires dits innovants, c'est-à-dire de petits réacteurs susceptibles de produire de la chaleur ou pouvant être utilisés de manière combinée. Or on peut se demander si ce travail ne permettrait pas de perfectionner aussi la technologie des réacteurs à neutrons rapides, mieux en tout cas qu'en utilisant un prototype de réacteur à grande puissance. C'est d'ailleurs ce qui semble se passer à l'échelle internationale, puisqu'on recense de par le monde près de quatre-vingts projets de SMR, dont la moitié très innovants.
Et si l'on veut être futuriste, l'étape suivante pourrait être la conception de réacteurs à sels fondus, qui représenteraient pour le coup une véritable rupture technologique, puisque le combustible serait non plus solide mais liquide et le retraitement pourrait être effectué en ligne, par branchement sur le circuit combustible du réacteur. Cela permettrait de tout rassembler en un seul dispositif et d'améliorer la sûreté de l'installation. Ce serait une solution élégante pour régler le problème du cycle. Nul ne sait néanmoins si nous y parviendrons, car la technologie est extrêmement compliquée à mettre en œuvre, en raison de l'utilisation de sels de chlorure ou de sels de fluorure. Il n'a existé qu'un seul prototype de ce type de réacteurs, aux États-Unis, dans les années 1960-1970, qui n'a fonctionné que très peu de temps.
En avançant ainsi pas à pas, on aboutirait à la fin du siècle à un cycle fermé.